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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 17/03/2021 à 09:57
» Dernière mise à jour le 14/07/2021 à 15:24

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 23 : Chantent les marteaux
D’abord, s’assurer d’avoir une prise correcte. Empoigner la crosse à pleine main, sans que la peau de la paume ne fasse un seul pli (ce serait la déchirure assurée). De l’autre main, supporter le poids du canon et le pointer. Bras plié, peut-être à un quart d’être tendu. La paume éloignée du canon, prête à le laisser sauter en arrière, et le pouce appuyé sur le sommet, pour le ralentir et maintenir une certaine précision.

Le cou plié, de moitié. La tête inclinée contre l’arme, l’œil calé dans le prolongement du canon : viser. La crosse prise en étau entre l’épaule, le bras, la joue, mais souplement. Absorber le choc.

Une pression de l’index sur la queue de détente, vaincre la résistance du ressort. Un cliquetis.

« Non, par les dieux ! J’étais sûr que celui-là tirerait ! »

Le forgeron se laissa tomber sur un rocher, dépité, mais Margar ne relâcha pas aussi vite sa position. Elle prit le soin de relever le canon, de garder une prise solide sur l’ensemble de l’arme : même défaillante, elle pouvait encore tirer sans prévenir, et la scientiste ne la lâcherait que quand la cartouche en aurait été extraite.

L’ensemble de la tentative de tir résultait de débats acharnés et nombreux. La façon dont tenir le fusil, la forme de la cible, et bien sûr l’ensemble des éléments de l’arme. C’était le quatrième prototype qui échouait.

« C’est la vie, commenta-t-elle. On ne réussit pas une flûte sans casser de branches.

— Oui, oui, mais bon sang ! Comment un problème aussi simple peut-il nous bloquer comme ça ? Ce n’est qu’un concentrateur, nous ne manipulons pas plus d’énergie qu’un coup de marteau et nous restons incapables de l’amener sur un point !

— Hmmm… sourit la scientiste avec ironie. Pourrais-tu diriger toute ta rage vers un grain de sable et le lancer vers l’horizon ?

— Plus loin qu’une pierre, tu veux dire ? »

Il abandonna la cible du regard, cherchant à la place l’horizon que le sommet du Pic restait incapable de cacher malgré les anfractuosités éparpillées çà et là. Il n’y avait pas besoin de plus d’explication. Karintas avait saisi l’idée, l’examinait, et atteindrait bientôt la même conclusion que Margar. La seule conclusion logique, si contre-intuitive soit-elle : celle comme quoi une technologie si répandue dans des royaumes côtiers pourtant en manque de matières premières puisse s’avérer si frustrante à tenter de mettre en œuvre.

« Des fois, ça m’agace, commenta-t-il avant de se rendre compte que sa pensée avait dévié. Je veux dire, cette façon d’avancer en se reposant uniquement sur les échecs, cette méthode scientifique… Il y a forcément plus simple !

— Et quoi ? Prédire le fonctionnement d’un fusil ? Je peux faire des hypothèses et fonder des calculs dessus. Mais ensuite, il faut les vérifier. La méthode fonctionne.

— Tu dis ça comme si c’était impossible.

— Je dirais le contraire le jour où on me démontrera le contraire.

— Jamais une seule tâche facile, hein ?

— Jamais. »

La scientiste avait récupéré la cartouche ; elle en profita pour démonter la crosse en quelques gestes, exposant bientôt les composants internes de l’arme.

« Tu penses que c’est le percuteur ?

— Je vois mal ce que ça pourrait être d’autre. »

Elle voyait mal ce qu’ils pourraient faire autrement, aussi. Les prototypes jouaient surtout sur les ressorts, les rainures, la chambre, les balles. Les percuteurs, eux, pouvaient être testés sans le reste du fusil, avec simplement un petit tas de poudre. Chaque prototype avait eu un percuteur fonctionnel, ou en tout cas fonctionnel en-dehors de la chambre de détonation : la forme de cette dernière ne pouvait que jouer.

Les échecs étaient aussi amers pour le forgeron incapable de ciseler chaque pièce selon toutes les formes possibles que pour la scientiste incapable de décrire les mouvements de l’air après la détonation de la poudre. C’était comme une limite infranchissable : elle ne pouvait pas dépasser un certain degré de précision, et lui ne pouvait pas hasarder plus d’un certain nombre d’hypothèses au-delà. Impossible d’épuiser toutes les formes possibles pour cette satanée pièce, impossible de la modifier facilement…

Elle était trop petite. Mais la taille n’était qu’une hypothèse, elle aussi.

« Un canon, murmura Margar.

— On en a déjà quatre modèles, il n’y a pas beaucoup de variations possibles là-dessus… À moins que tu ne comptes tenter une nouvelle forme de balles ?

— Non, c’est plus… désespéré. Je parlais d’un canon au sens de la pièce d’artillerie. Un fusil géant, en quelque sorte.

— Les côtiers et leur vocabulaire croisé, ça aussi ça me saoule. Un prototype géant…

— On pourrait modifier les éléments individuellement. Et il serait plus facile à démonter et à réassembler.

— Pas faux… Une chambre plus grande sera plus simple à adapter.

— On tente ?

— Ça vaut le coup ! »

Un canon. Encore une idée folle, un projet voué à l’échec, un peu comme les sismographes ; comme tout ce qu’elle avait entrepris depuis qu’elle vivait sur cette montagne. Tant pis, il y aurait toujours à apprendre de ses erreurs.

En attendant, ils allaient avoir besoin de beaucoup d’Acier. Peut-être plus que ce que l'aflamanoir qui continuait d’assister Karintas pourrait fondre. Donc, un meilleur four. Donc, un meilleur ciment…

***
« Il a une bonne tête, commenta Sòrkat. Tu me diras qu’il n’a pas de tête, mais vous l’avez tellement recouvert de ce drôle d’enduit qu’on dirait un crâne chauve.

— Ah, oui, peut-être. Avec une bouche, là.

— En tout cas, en voilà un qui n’attrapera pas d’insolation ! »

Ils rirent de bon cœur au mot de Karintas : le nouveau four aurait évidemment plus à craindre de sa propre chaleur interne que de celle du soleil.

« Dans tous les cas, il me donne plus confiance que l’autre. Il fait plus… fini.

— Bah, l’esthétique… Tant qu’il peut monter à deux mille degrés, il fera son travail.

— Vous avez de la chance que cet aflamanoir vous ait à la bonne !

— Oh, je dirais que ses conditions de vie sont très agréables, mon vieux ! Eh, je parie qu’un jour je trouverai un Œuf dans mon four.

— Ça serait embêtant, on n’aurait pas assez de projets pour en profiter.

— Quoi ? s’exclama Karintas. Toi, Margar, tomber à court de projets stupides et follement gourmands en Acier ? Ça n’arrivera jamais, voyons !

— Bien dit, ça. Tous ces jouets de l’Ancien Monde qui n’attendent que d’être réinventés !

— Ben voyons ! Parce que vous croyez que je sais comment m’occuper d’eux tous ? »

Les deux oraciles, d’un accord muet et commun, la regardèrent avec le même étonnement surjoué. C’était de l’ironie, bien sûr, mais Margar voulut se saisir de l’occasion : elle qui avait tant échangé avec Karintas comme avec un élève n’allait pas se priver d’infliger également des cours particuliers à Sòrkat. Il avait plus que mérité quelques coups bas amicaux, et puis elle appellerait ça de l’entraînement pour cette école qu’elle songeait à ouvrir.

« Eh non, commença-t-elle donc. Ça mériterait sans doute d’être vérifié, mais des fusils, un canon, les balles et obus associés… tout ça représente sans doute les technologies les plus avancées que je puisse vous aider à développer.

— Ça alors. Moi qui croyais que le Sèmèrès conservait tout le savoir de l’Ancien Monde.

— Et moi qui croyais que notre Margar saurait se dépêtrer de n’importe quel problème du moment qu’elle pouvait le mesurer et le calculer…

— Karintas, tu lui parlerais de chambre de détonation ?

— Sûrement pas. Il serait foutu de comprendre, et après plus personne ne m’appellerait le forgeron.

— Il m’en veut pour lui avoir offert quelques éclats d’Acier par le passé.

— Oui et maintenant, j’en fais des percuteurs de fusil.

— Belle image !

— J’en apprends de belles, s’amusa une Margar sentant déjà son cours se faire difficile. Alors, pas de chambre de détonation…

— Tout net !

— … nous parlerons donc de faisceaux croisés de Young-Armanov dans le cadre pratique de l’inducteur laser d’un projecteur de lumière compressé, couramment appelé Scalaire par les bidasses l’utilisant à cause des mathématiques des produits scalaires de schémas nécessaires à son développement.

— J’ai rien compris.

— Tête de sapereau inattentif, va. Vu que le sujet n’a pas l’air de vous plaire, je répondrais d’abord à la pique de Karintas.

— Laquelle ?

— Très drôle.

— Si, le Sèmèrès a conservé la totalité des connaissances de l’ancien monde, et je peux vous donner un diagramme technique du fonctionnement d’un Scalaire. Ça ne veut pas dire que je sais tout construire : une quantité énorme de connaissances a bien dû être sacrifiée. Tout ce qui est pratique, appliqué, a été jugé trop massif pour être retenu quand le Sèmèrès a été créé : aux prédateurs, les temps de cuisson d’une pièce d’acier ou les techniques très concrètes comme le calcul de l’aérodynamisme d’une aile d’avion.

» Ce que je sais tient en deux mots : les lois. Je peux appliquer la formule de l’écoulement de l’air à un objet, mais je ne peux pas en déduire la manœuvrabilité de son vol. Le Sèmèrès a restreint ses connaissances techniques à ce qui était immédiatement utilisable pour une société comme la nôtre, ou celle des côtiers il y a un millénaire. Le reste doit être retrouvé par l’expérience.

— Ce qui explique que tu te sois attaquée si rapidement à des fusils ! »

Si l’intervention stupide de Sòrkat était agaçante, elle n’en était pas moins utile. Cela donnait à la scientiste un point de repère quant à la durée de l’attention qu’un auditoire pouvait accorder à un exposé, et cela lui permettait d’enchaîner facilement sur la suite. Karintas, d’ailleurs, se chargea lui-même de contrer l’affirmation :

« Ah non, je t’assure qu’elle ne sait pas les faire.

— Et j’en suis fière, surenchérit la concernée. Les militaires ont toujours réussi à détourner dans leur propre intérêt les découvertes scientifiques… et ça inclut le bonhomme qui voudrait me faire fortifier ce Pic.

— Certainement pas ! s’insurgea ce dernier. Tu te rends compte que tu viens de décrire Eriane comme pacifiste ? »

Ils eurent beau en rire, Margar n’avait toujours pas digéré sa dernière altercation avec la vieille oracile, et s’attendait presque à la voir surgir derrière eux.

« Pas faux, j’ai dit plus vrai… Quoi qu’il en soit, la plupart des « jouets de l’ancien monde », comme tu dis, sont largement hors de ma portée. Dès le fusil, d’ailleurs, beaucoup utilisaient des matériaux auxquels nous n’avons pas accès sur le Pic. Et je dois dire que si je n’avais pas vu Karintas à l’œuvre, je jugerais les fusils entièrement en Acier irréalisables.

— Tout le mérite est pour l’Acier. Il est encore plus agréable à travailler que je ne le pensais.

— N’oublie pas le four ! Ha, je me rappelle tes premières tentatives sur un foyer et avec des branches. Tu étais encore plus cinglé que moi.

— Vu ta légende de vieux fou, ce serait beaucoup exagérer ! »

L’autre marqua une brève hésitation avant de se défendre, et balaya le sujet d’un haussement d’épaule. Ce ne serait pas encore ce jour-là qu’il éclaircirait la lanterne d’une Margar perdue par ce qui ressemblait à des souvenirs de rites ou de traditions ; il s’en excusa, aussi, d’un regard gêné. Elle l’ignora. Elle ne comptait pas tenter à nouveau de le cuisiner en présence du forgeron, dont elle avait remarqué plusieurs fois la gêne importante dès qu’elle abordait le terrain des coutumes, même de loin.

« Pour résumer, ces armes sont perdues, reprit Karintas. Bah, c’est sans doute pas plus mal.

— Absolument. Rien qu’un fusil, ça me déplaît déjà de l’essayer à proximité d’enfants, et je trouve que ce n’est que justice que le Sèmèrès n’ait conservé aucune arme, après que les militaires les aient toutes développées à partir de concepts censés améliorer le monde.

— Militaires… ou pas, soutint Sòrkat. Dans le désert en tout cas, la plupart du temps, ce sont des gens tout ce qu’il y a de plus normaux qui ont des idées un peu techniques pour nuire à quelqu’un. Pas forcément les gardes de villages.

— Pfft ! N’importe qui pourrait penser à cacher du suc de rapion dans le lit de quelqu’un d’autre, même sans savoir à quels effets s’attendre !

— Es-tu en train de soutenir que le détournement de la science est une pratique normale ?

— Eh, voyez un peu le bon côté des choses ! Qu’on ait ou non besoin des armes et des fortifications demandées par Sòrkat, personne ne pourra faire grand-mal en les volant ! »

Le forgeron n’avait peut-être pas tort ; Margar se saisit pourtant de son argument pour continuer de titiller Sòrkat. C’était assez cavalier vis-à-vis de la tentative du forgeron de calmer le jeu, mais tout semblait aller si bien…

« Ça par contre ça m’inquiète un peu, attaqua-t-elle. Il y aura peut-être bientôt de la dynamite sur cette montagne, et si vous estimez possible qu’on vous la vole, je ne vous donne pas la recette exacte ! Hors de question de voir ça dans le désert.

— Tu n’exagères pas un peu, là ? se moqua Sòrkat. Je vois mal qui serait assez irrespectueux pour venir voler l’Oracilis !

— L’Ordre, peut-être ?

— L’Ordre détruit la Science, il ne se l’approprie pas. Et il ne ferait jamais ça. Non, pas la peine de te montrer aussi paranoïaque que pour protéger une tête nucléaire… »

Il avait dit cela sur un ton naturel qui suggérait qu’il faisait régulièrement la comparaison, qu’elle lui avait échappé cette fois-ci ; et c’était sans doute le cas, à voir comment Karintas le regarda avec inquiétude.

Passé un instant de flottement, Margar crut exploser de colère.

« Pardon ? »

Ce n’était plus vraiment une dispute amicale et légère, et tous le sentirent au ton glacial qu’avait pris la scientiste. Elle avait l’intention de réclamer des comptes, et l’oracile prit l’air confus de celui qui regrette une bourde.

« Qu’est-ce que je dois comprendre, là ? Que la guerre que vous mentionnez régulièrement pour parler de sa probabilité impliquerait ce genre de saletés ? Et vous restez assis sur votre satanée montagne à me demander de fabriquer une saloperie de fusil !

— Pas du tout ! se défendit Sòrkat du ton léger et déplacé de celui qui partagerait un repas.

— Alors quoi ! aboya Margar, d’autant plus énervée.

— C’est une longue histoire qui implique en partie le rituel initiatique des oraciles. Tu en as entendu parler ?

— Oui, et ?

— Et j’imagine que ce n’était pas en des termes très reluisants…

— Par les dieux, grommela Karintas. Il y a des jours où j’ai l’impression d’être transparent comme de l’eau… »

Les deux autres eurent un regard pour lui, hésitant à le contredire ; situation étrange. Il s’en rendit compte et haussa les épaules avec un sourire gêné, comme pour leur dire de faire comme s’il n’était pas là. Ce qui, bien sûr, était absurde.

« On m’a dit qu’il fallait y survivre, tempéra la scientiste.

— C’est bien dit, reprit un Sòrkat soulagé. Il faut y survivre… Le rituel implique une consommation de psychotropes, et, ahem. Les hallucinations qui s’ensuivent sont considérées comme prophétiques, et doivent donc être interprétées… Enfin je ne sais pas si c’est important.

— C’est pas moi qui en jugerais. »

Elle l’avait dit d’un ton rogue, mais le fait de ne pas s’attarder sur l’aspect ésotérique pouvait passer pour un geste conciliant. Alors l’oracile continua plus sereinement, malgré les mots qui manquaient.

« Bref, lors de mon initiation, j’ai vu… une guerre, j’imagine. Mais pendant des années j’ai voulu croire qu’aucune guerre ne puisse être aussi cruelle. Jusqu’à il y a vingt ans…

» Bon sang, je m’éloigne encore du sujet. J’ai erré dans Port-Nuage pendant cinq jours en me croyant dans une ville de l’Ancien Monde. J’ai partagé la nourriture de ces gens, j’ai parlé leur langue, j’ai soigné leurs morts… Le cinquième jour, en début de matinée, trois ombres sont passées dans le ciel et ont fait tomber le soleil sur la ville. »

Lui qui appréciait de jouer sur les intonations de sa voix n’en avait laissée aucune dans la dernière phrase ; ce n’était pas une description poétique. C’était une réalité cauchemardesque, et l’intonation factuelle sur laquelle elle était disséquée renforçait cette impression que Sòrkat voulait passer le plus vite possible sur son histoire et la laisser derrière lui. Et Margar eut l’impression de le comprendre ; elle avait beau savoir de quelle puissance parlait l’oracile, de quel phénomène et quels dégâts il pouvait provoquer, elle sentait que cette image innocente masquait une connaissance bien plus profonde, plus brute. Une connaissance qui n’était pas censée être possédée.

Il fallait dire quelque chose et elle se raccrocha à la première image qui lui vint en tête. Les blessures. Les brûlures. Les ravages, plus violents encore que ceux du temps.

« C’est… C’est depuis ce jour-là, que ton subconscient a aussi mauvaise mine ?

— Oui. J’ai eu de la chance qu’il soit bavard, ça m’a motivé à apprendre à le faire se taire. »

Cela ressemblait à une blague et la scientiste se retint de pouffer. Ça ne semblait pas approprié. Le plus sage serait plutôt de faire comme si de rien n’était. De traiter le sujet comme ils avaient traité le début de leur débat, avec la légèreté des enfants.

« Eh bien en tout cas, affirma-t-elle. On ne m’ôtera pas de la tête la certitude que l’Oracilis descend d’un groupe de scientistes !

— Quoi, encore cette idée farfelue ? s’étonna Karintas. Mais pourquoi ?

— Je ne sais pas si vous le saviez, mais le Sèmèrès se transmet aussi ses propres contes… »

Ce que l’ahurissement déformant le visage de Sòrkat était satisfaisant ! Et ce qu’il était agréable d’apprendre encore une fois que certains faits pouvaient échapper aux soi-disant omniscients oraciles…

« Eh oui ! jubila la scientiste. Il y en a trois, et ils avertissent contre les dangers de la science ; enfin, quand on l’utilise n’importe comment…

» Cette ville, elle s’appelait Large-Île ?

— Large-Île. »

Ils observèrent un moment de silence. Plus détendu, moins dérangeant ; partageant la mémoire d’un événement enfoui sous les âges et dont aucun n’oublierait l’horreur. Si atténuée soit-elle.

« Ils parlent de quoi, ces deux autres contes ? finit par demander Sòrkat.

— Oh, c’est moins… précis. Le premier parle du premier humain à avoir inventé la charrue, le troisième parle du scientifique ayant involontairement provoqué le Grand Cataclysme.

— La charrue ? releva Karintas. Comment l’inventeur de la charrue peut-il avoir une place parmi les deux autres ?

— Eh bien, d’une part, lorsque ces contes ont été créés, l’humanité étaient encore profondément habituée au modèle agricole des royaumes côtiers. D’autre part… attends, ne me dis pas que ton initiation t’a fait forger des charrues.

— Des fers à Bourrinos, admit le forgeron avec un sourire.

— Vous m’avez l’air d’accorder une importance démesurée à ces hallucinations.

— Absolument, soutint Sòrkat en reprenant l’ironie de la scientiste. Et je ne te cache pas que je me fais depuis trois mois un sang d’encre constant à l’idée de devoir te faire discerner les raisons derrière cette tradition avant la prochaine Cérémonie.

— Je suis si butée que ça ? s’amusa-t-elle.

— Tu n’as pas idée ! Mais un peu distraite, ça te rattrape. Quelle était l’autre raison ?

— L’autre rais… ah, oui. Eh bien, ce premier humain à avoir utilisé une charrue avait un voisin, qui lui a fendu le crâne avec sa charrue pour la récupérer.

— Ah, réagit Karintas avec un mouvement de recul. Et… c’est un conte pour enfants ?

— Bien entendu ! »

Les oraciles n’eurent pas l’air convaincus, alors elle poursuivit ses explications : les enfants demandaient pourquoi, là où adolescents et adultes demandaient comment. À force d’enchaîner, parlant de tout et n’importe quoi, ils finirent par voir le soir tomber sans prévenir. Et Margar, en s’endormant, conclurait que c’était une bonne journée. Aucun progrès ou presque sur le problème des fusils, mais Sòrkat et elle dépassaient de moins en moins difficilement les désaccords qui les avaient opposés trois mois plus tôt.

Et puis elle avait pratiquement passé l’après-midi à faire cours à deux élèves inattentifs. Chaque jour qui passait, depuis cette nuit dans le désert, elle considérait ce projet d’ouvrir une école un peu moins comme un rêve, et un peu plus comme un devoir. Ou peut-être un besoin.

Peut-être, dans les jours suivants, proposerait-elle l’idée aux oraciles…