Chapitre 6 - Le précurseur et la bête bleue
Malgré les cris et les bruits horribles de chair déchiquetée, Khae tentait de garder les idées claires. Paniquer dans un moment pareil, alors même que le chaos prenait place au sein des murs du palais, marquerait sans aucun doute la fin de son règne – et possiblement de sa vie. Douamoutef, la jambe ensanglantée, se reposait à même le sol en marbre blanc de ce petit bureau dans lequel ils avaient trouvé refuge. Ankhet faisait son possible pour lui appliquer les premiers soins d'urgence, comprimant la plaie à l'aide d'un morceau de pantalon de Mahou qu'il lui avait prêté. Ce dernier, quant à lui, s'était mis dos à l'unique porte d'entrée de la petite pièce, prêt à faire pression de son corps pour empêcher toute intrusion.
On frappa une nouvelle fois à la porte. Les quatre jeunes gens ne faisaient aucun bruit depuis plusieurs minutes, afin de ne pas trahir leur présence. Peu importe qui tentait de les rejoindre, le calme apparent dont il faisait preuve n'inspirait aucune confiance. Lentement, en faisant bien attention à ce que ses pas n'émettent aucun son, Khae s'avança vers la porte pour y déposer son oreille, juste à côté de celle de son ami d'enfance, toujours adossé contre les battants. Ils échangèrent un regard inquiet, les yeux bleus de Mahou commençant à s'affoler dans leurs orbites sous la pression. Le jeune homme avait toujours été un homme d'action, Khae en avait conscience. À cet instant précis, il ne devait avoir qu'une seule envie : ouvrir la porte à la volée et cueillir la personne qui se trouvait derrière avant même qu'elle ne puisse agir. Le jeune Pharaon lui était alors reconnaissant de réussir à garder ses pulsions pour lui dans un moment aussi critique.
- Douamoutef ne va pas tenir bien longtemps. Il perd trop de sang.
Ankhet avait chuchoté, mais son ton exprimait clairement la détresse dans laquelle elle se trouvait. Avec aussi peu de matériel sous la main, impossible pour elle de remplir correctement son rôle de guérisseuse. Ils étaient cernés. Si jamais ils sortaient de ce refuge de fortune, ils allaient être exposés à la horde de pokémon sauvages qui se baladaient dans les couloirs du palais. De plus, quelqu'un était en train de les attendre juste derrière la porte. Ils ne pouvaient donc qu'attendre, même si tout cela risquait de mal finir.
- On doit prendre les devants, Khae. J'vais pas rester là sans me battre.
Le jeune Pharaon était plutôt d'accord avec son ami, mais il se rendait aussi à l'évidence que leur principale force de frappe, Douamoutef, n'était plus en capacité de se défendre. Dans le lot, seul Mahou était encore capable d'affronter leurs adversaires, mais il se retrouverait bien vite acculé. Ankhet était loin d'être une guerrière, et Khae avait simplement reçu quelques bases en matière de combat depuis son enfance. Ils avaient donc un sacré désavantage numérique, d'autant plus que les quelques gardes que Khae avait emmené avec lui pour cette rencontre diplomatique avaient sûrement déjà perdu la vie face aux pokémon déchaînés.
- Je sais. Mais on n'a pas vraiment le choix. On a...
On frappa de nouveau à la porte, calmement. Dehors, les bruits des pokémon semblaient s'éloigner, signe sûrement qu'ils avaient décidé de quitter le couloir du rez-de-chaussée dans lequel s'étaient réfugiés Khae et ses amis. Ça signifiait que l'unique ennemi qui leur restait dans l'immédiat à affronter, c'était la personne qui semblait camper derrière la porte du bureau.
- Bon, je compte jusqu'à trois et t'ouvres la porte, d'accord ?
Mahou approuva d'un signe de tête. Le jeune Pharaon avait le cœur qui battait la chamade. Il compta sur ses doigts, lentement et bien évidence devant son ami d'enfance. Quand il arriva au chiffre fatidique, le blondinet appuya sur la poignée et recula d'un coup, prêt à bondir sur leur adversaire. Khae, lui, sans oser l'avouer, s'était mis quelque peu en retrait derrière son ami d'enfance, bien plus à même de se battre au corps-à-corps que lui. Mais, bien heureusement, ils n'eurent pas à le faire. Pas cette fois du moins. Car l'homme qui se trouvait derrière la porte était un visage bien connu de Khae et ses amis.
- Scorplane !
Le pokémon au corps entièrement bleuté – signe d'une quelconque malformation selon les scientifiques du palais royal – sauta aussitôt dans les bras de son compagnon. Le Scorplane était un ami de longue date de Khae, avec qui il avait fini par nouer des liens profonds au fil du temps. Encore totalement sauvage et bien moins docile que le Salamèche qui accompagnait le jeune Pharaon dans tous ses déplacements, le pokémon pouvait voyager dans tout le Premier Nome sans aucun souci. Du fait de sa particularité, tout le monde connaissait Scorplane et l'avait identifié comme le compagnon de fortune de Khae, et donc quelqu'un de très important.
- Qu'est-ce que tu fait là, mon vieil ami ?
Khae n'avait pas réussi à le trouver avant son départ pour l'Onzième Nome, et il avait donc supposé que son ami était en vadrouille quelque part. Le voir ici, au palais d'Agara, à plusieurs centaines de kilomètres du palais royal où Khae le pensait, ça relevait de l'impossible. Le pokémon bleu pointa une de ses pinces qui lui faisait office de main en direction d'Ankhet, toujours en train de maintenir la plaie de Douamoutef.
- J'ai... J'ai rien à voir avec cette histoire, stupide créature.
Ankhet et son amour des pokémon. Depuis sa plus tendre enfance, la jeune femme avait toujours exécré les pokémon, peu importe l'espèce. Khae ne pouvait pas lui en vouloir, puisque c'était une pensée plutôt commune au sein de l'Empire. Seuls quelques jeunes de la nouvelle génération commençaient à nouer des relations solides avec certains pokémon sauvages, en commençant à les apprivoiser comme des bêtes de compagnie.
- J'imagine qu'il a dû se glisser au milieu du cortège qui t'a accompagné ici, commenta simplement Mahou.
- Ça me fait une belle jambe. Mais peu importe, le problème reste le même. On est toujours bloqué dans cette pièce, et je vois mal comment on pourrait s'enfuir de ce palais, surtout avec Douamoutef.
Le garde du corps personnel de Khae était en train de lutter pour ne pas perdre connaissance. Son teint était maintenant franchement blanc, signe qu'il avait perdu bien trop de sang. S'il ne recevait pas rapidement de soins, le jeune Pharaon ne donnait pas cher de sa survie. L'Héritier de la Double Couronne se tourna vers Ankhet, une étincelle nouvelle dans les yeux.
- Toi et Douamoutef, vous restez ici. Barricades la porte avec tout ce que tu peux trouver. Mahou et moi, on va trouver un moyen de mettre un terme à cet Enfer.
- Mais...Mais....
- T'en fais pas. Avec Scorplane à mes côtés, la donne a changé. Je peux maintenant me défendre, et Mahou est l'un des meilleurs combattants de l'Empire. On va s'en sortir. Toi, fais en sorte de maintenir Douamoutef en vie.
Sur ce, ils quittèrent le sanctuaire dans lequel ils avaient trouvé refuge, s'engageant dans les couloirs infestés du palais. Les deux amis durent faire face à quelques visions d'horreur. Çà et là, des corps s'empilaient, certains à peine reconnaissables. L'odeur était pestilentielle et envahissait chaque recoin du palais. C'était une véritable boucherie, mais il n'y avait plus aucun signe des pokémon sauvages. Devant la mine interloquée de Mahou, Khae se senti obligé de faire part de ses réflexions.
- Ils ont sûrement dû se rendre aux étages supérieurs, pour trouver plus de nourriture.
C'était du moins la conclusion la plus logique. D'après les études sur les comportements des pokémon sauvages, ils ont pour habitude de se regrouper autour des sources de nourriture. Après les avoir épuisés, ils passent leur temps à en chercher d'autres. C'était donc naturel pour eux que, une fois les ressources vidées au rez-de-chaussée, ils prennent la direction des étages supérieurs pour subsister.
- Si tu le dis. Ça nous laisse donc le champ libre pour quitter cet endroit et appeler des renforts !
- Pas tellement. Je te rappelle que le bâtiment est toujours encerclé de pokémon.
- Bon, mon vieux, va falloir que tu m'expliques du coup. Parce que tu m'as demandé de te suivre dans cette galère alors qu'on avait trouvé un endroit sympa où se planquer. Mais, à ce que je vois, t'as aucun plan sous la main.
- Si, j'en ai un. Mais je sens qu'il ne va pas te plaire.
Mahou s'arrêta de courir pour jeter un regard vers le couloir qu'ils venaient de quitter. Il était encore temps de faire demi-tour, même si l'idée ne l'enchantait pas des masses, lui qui voulait de l'action. Mais, aussi bourrin soit-il, il ne se jetait jamais dans une bagarre sans être sûr de pouvoir la remporter. C'était la première leçon qu'il avait reçue de la part de son maître, le Chef des Armées Urkidan.
- J'imagine que ça implique de risquer nos vies, c'est ça ? T'as beau être le mec le plus intelligent que je connaisse, t'as toujours le chic pour foutre ta vie en danger, Khae.
- Ça serait pas amusant, sinon.
- Bon, vas-y, raconte-moi tout.
En parlant, les deux amis se faisaient le plus discret possible. Ils étaient après tout en train d'arpenter les couloirs d'un palais où sévissaient plusieurs créatures prêtes à les dévorer. Et, même s'il ne semblait pas y avoir à proximité, autant rester sur ses gardes. Scorplane volait tranquillement près de son compagnon, un sourire béat sur le visage. Le pokémon avait toujours fait preuve d'une insouciance à toutes épreuves, comme s'il n'avait jamais dépassé le stade de l'enfance et qu'il continuait à s'émerveiller de tout. C'était ce trait de caractère qui avait attiré le bien trop sérieux Khae, plus jeune.
- Quand les membres de la Troisième Légion nous ont attaqué, il y avait une femme qui a sorti une flûte bizarre.
- Ouaip, mes oreilles s'en sont pas encore totalement remises. Par contre, la fille, elle, était franchement mignonne.
- Le sujet n'est pas là, idiot. Bref, c'est juste après que la femme ait commencé à jouer de son instrument que les pokémon ont commencé leur assaut.
- Tu veux dire que c'est elle qui contrôle les pokémon, d'après toi ?
- Je sais, c'est tout sauf rationnel, mais...
- Rationnel ? J'ai besoin de te rappeler ce dont est capable Ankhet lorsqu'elle est dans son temple ? Mon gars, le rationnel, j'y crois plus depuis longtemps. Si tu penses vraiment que c'est cette fille qui contrôle les pokémon sauvages, alors j'te crois.
C'était pour ça que Khae avait depuis toujours considéré Mahou comme son meilleur ami. Pour sa confiance sans faille et la loyauté dont il faisait preuve.
- Le truc, c'est que je pense savoir où se cache cette femme. Mais ça, ça va encore moins te plaire.
- Dis toujours.
- Sûrement sur un point en hauteur.
C'était la seule conclusion à laquelle il était parvenu à arriver. Pour que la musique se diffuse du mieux possible, il fallait un point assez haut pour la jouer.
- Donc j'imagine qu'on va devoir monter jusqu'au toit du palais.
- T'as tout compris.
Mahou se mit à sautiller sur place, comme pour s'échauffer. Puis, il retroussa les manches de sa tunique en lin jusqu'au niveau de ses épaules, dévoilant les muscles saillants de ses avant-bras.
- Bien, bien. On a donc un objectif, c'est tout ce qu'il me fallait. J'suis prêt pour la bagarre !
Et les deux amis, sans plus attendre, prirent la direction des escaliers en colimaçon qui menaient vers les étages supérieurs. Sur le chemin, suivant Mahou qui avait prit les devants, un sourire amusé sur le visage de savoir qu'il allait pouvoir se défouler, Khae, lui, hésitait. Certes, il avait son pokémon à ses côtés désormais, mais il s'en voulait de mener d'autres personnes avec lui dans cette entreprise suicidaire. Mais il n'avait pas le choix, et devrait se contenter de cette solution pour l'instant.
Quand ils arrivèrent au premier étage, ils débarquèrent littéralement en Enfer. Loin de la tranquillité apparente du rez-de-chaussée, c'était le chaos qui régnait ici. Une demi-douzaine de pokémon arpentaient le long couloir principal, en quête de proie qu'ils avaient fini par toutes tuer. Alors, quand ils finirent par apercevoir les deux jeunes humains qui venaient s'offrir à eux, ils se jetèrent dans la mêlée comme un seul monstre. Il y avait trois Grahyena, deux Arbok et un Medhyena, qui aussitôt encerclèrent les deux amis. Mahou ramassa rapidement une épée courte sur le corps mort d'un soldat et la fit tournoyer entre ses doigts.
- Ça ne vaut pas mon Khépesh, mais on fera avec.
Il se jeta dans la bataille avant même que les pokémon ne puissent réagir. Khae, lui, resta un moment immobile, observant son ami croiser le fer avec les deux Arbok en même temps, sans faiblir. Il donnait des coups précis, esquivait sans mal leurs assauts et chacun de ses mouvements semblaient réfléchi. Bien loin du balourd qu'il était en temps normal, Mahou révélait son plein potentiel sur le champ de bataille. L'entraînement qu'il avait subi aux côtés d'Urkidan paraissait avoir porté ses fruits, augmentant considérablement le potentiel déjà énorme du jeune soldat. Mais Khae n'avait pas le luxe d'observer la danse macabre de son ami. Déjà, deux des Grahyena s'approchaient dangereusement de lui, les crocs menaçants.
- T'es prêt, Scorplane ? On fait comme à l'entraînement !
L'un des pokémon hyène bondit pour mordre le jeune Pharaon. Aussitôt, le Scorplane s'interposa, repoussant le pokémon sauvage à l'aide de sa queue préhensile. Depuis des années maintenant, Scorplane et Khae s'entraînaient ensemble afin de construire une base de confiance mutuelle. Et, depuis quelques mois, ils avaient fini par comprendre que, en donnant des ordres précis au pokémon, Khae pouvait en faire une arme assez puissante. Bien évidemment, ça impliquait que le pokémon ai d'abord donné l'autorisation à son compagnon, mais également que ce dernier connaisse suffisamment les capacités de son pokémon pour s'en servir utilement. Bien qu'il ne se sache pas encore, Khae était en train de poser les bases de ce qui serait des siècles plus tard une normalité.
- Vas-y, lance ton Poison-Croix !
Le Scorplane s'envola et, en quelques instants, se retrouva nez à nez avec le Grahyena. Le partenaire de Khae avait toujours su profiter de sa taille et de son agilité pour se mouvoir rapidement. Il parvenait ainsi à surprendre la majorité de ses adversaires. Les ailes griffues qui lui servaient de pattes se mirent à briller intensément, d'une couleur violacée menaçante. Puis, il les croisa devant lui, avant de frapper violemment le Grahyena qui recula de plusieurs mètres sous l'impact. Il s'écroula au bout de quelques secondes, mais Khae n'eu pas le temps de s'en réjouir puisque le second passait déjà à l'attaque.
- Taillade !
Les bras de Scorplane s'illuminèrent cette fois-ci de blanc, pour venir frapper sur le museau du Grahyena. Mais celui-ci résista à l'attaque, et riposta à l'aide de ce qui semblait être une Machouille. Il attrapa la queue du pokémon de Khae entre ses crocs, lui arrachant un hurlement plaintif par la même occasion. Il entreprit ensuite de le secouer violemment dans tous les sens, ne relâchant pas sa prise sur le pauvre pokémon bleu.
- Scorplane, non !
Khae voulut se jeter à son secours, mais le petit Medhyena lui barrait la route. Et, aussi chétif que soit son adversaire, le jeune Pharaon ne se sentait pas en mesure de l'affronter à mains nues. Il fallait donc qu'il ordonne au pokémon qui l'accompagnait une attaque qui lui permettrait de se libérer. Esquivant une Charge du Medhyena maladroitement, il hurla à son compagnon.
- Utilise ta Queue-Poison pour te libérer !
Dans la cohue de l'affrontement, Khae ne put voir si son pokémon l'avait entendu. Il était lui-même en train de courir dans la pièce, à esquiver les crocs du petit pokémon qui le suivait. Mahou, lui, avait fini par venir à bout des deux serpents qu'il affrontait. Il ressortait de l'affrontement avec quelques entailles un peu partout sur son corps, mais rien de suffisant pour le faire abandonner la bataille. Il se jeta aussitôt à l'assaut du dernier Grahyena, qui était en train de se repaître du corps d'une pauvre jeune femme morte récemment.
Le combat ne faisait que commencer, et il risquait d'être drôlement long. Entre le jeune homme avec pour arme son pokémon, et l'autre adolescent qui usait de toute sa force physique pour venir à bout de leurs adversaires, les forces de défense au sein du palais était particulièrement maigre. Mais, quoiqu'il arrive, aucun des deux ne voulaient abandonner les pauvres civils à leur sort. Et pour cela, il fallait qu'ils réussissent à arrêter au plus vite celle qui tirait les ficelles de tout ça.
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Perchée sur le toit, Nyptât continuait de jouer frénétiquement de sa flûte. Prise par la frénésie des bruits sordides du palais sous ses pieds, elle commençait à ressentir une forte douleur au niveau des articulations de ses doigts. Son corps était en train de lâcher prise, comme si la mélodie qu'elle s'efforçait de composer était en train de saper son énergie. C'était peut-être le cas, d'ailleurs. Elle n'avait aucune connaissance sur les procédés qui avait permis la création de cet instrument, mais elle se doutait qu'ils n'avaient rien de normal. Une arme capable de manipuler autant de pokémon à la fois ne pouvait être totalement naturelle, encore moins quand on avait conscience de qui lui avait fournie. Mais peu lui importait de devoir sacrifier une partie d'elle-même, tant qu'elle réussissait à faire aboutir son plan. Le Pharaon devait payer. Toute cette famille maudite devait s'éteindre avant qu'il ne puisse concevoir un futur héritier. La lignée des démons devait prendre fin avec cette ultime soirée.
Comme en transe d'arriver au paroxysme de son art, elle remarqua à peine l'ombre qui traversa le toît, défiant toute logique humaine. Une masse encapuchonnée, menaçante rien que par sa présence, qui lévitait doucement au-dessus du sol. Avant même qu'elle ne puisse réagir, l'ombre s'avança vers elle et fit apparaître une douce lumière noire devant elle. Lumière qui pénétra dans le corps de la jeune fille, qui ne put rien faire pour l'éviter.
- Tu es venu troubler le sanctuaire dans lequel j'ai trouvé refuge, jeune fille.
Nypât aurait voulu lui répondre ou s'enfuir, mais son corps refusait désormais de bouger et ses doigts ne pouvaient cesser de s'activer sur la flûte. Il lui était impossible de s'arrêter de jouer et, devant la détresse de la jeune fille qui pouvait se lire dans ses yeux, l'ombre ricana.
- Tu te sers de pouvoirs qui te dépasses. Maintenant, va au bout de ce que tu as entrepris. Car plus jamais tu ne pourras t'arrêter de jouer, et tu finiras ta vie sans pouvoir contempler ton chef d'œuvre.
Nyptât, les yeux désormais clos et le corps prit par des tressaillements inarrêtables, venait d'entrer dans la partie de son œuvre musicale. Elle était prise au piège dans cette symphonie malsaine, qui ponctionnait désormais en grande quantité son énergie. Elle n'était même plus consciente, son corps agissant par lui-même, mû par le pouvoir étrange de celui qui venait de se présenter à elle. L'Ombre, comme elle était venue, traversa le sol et disparue dans les entrailles du palais, retournant dans les sous-sols où elle avait trouvé repos depuis des jours maintenant.