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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 10/03/2021 à 08:45
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:12

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 22 : Baptême du feu
En tête, le Démon d’Onis courait avec une démarche tendue, plus chaloupée qu’à l’ordinaire. Il gardait son museau levé ; il sentait sa marque, toute proche, entêtante promesse de violence, mais n’osait pas la laisser s’enfuit dans le vent. S’il avait été plus vieux, peut-être, il aurait terminé le trajet en souplesse et laissé son corps longiligne se préparer au combat. Il était jeune, et un peu crispé, comme son maître.

Le soleil de midi resplendissait, baignant les dunes d’or et avivant la flamme bleue du ciel. À son zénith, il imposait à quiconque marchait sous ses rayons de porter un morceau de sa gloire incandescente, et les Apprentis le savaient, ce serait bientôt un fardeau pour eux.

Ils affronteraient bientôt un Bossu. Un monstre rare, placide en général, et pourtant redoutable. Un monstre qui ne s’affrontait qu’avec un esprit froid et clair, tranchant comme une lame. Ils ne seraient pas à leur place au milieu de cette fournaise, malgré leurs Démons, malgré même leur nom de Guerriers des Sables. Il n’y avait qu’une situation plus défavorable pour affronter un monstre de feu qu’un jour aussi affirmé — et même les quelques volcans qui émaillaient le pourtour du désert et répandaient parfois leurs regs de roche noire auraient eu du mal à offrir un meilleur soutien à un Bossu que le désert lui-même.

Derrière eux, ils pouvaient presque sentir le calme attentif de Gorbak. Leur maître, avec son âge vénérable, n’avait aucun mal à atteindre l’état d’esprit du combat, et même en ayant l’intention de rester à distance autant que possible, il se laissait aller à la sérénité comme avant de plonger au cœur de l’engagement.

Puis en dévalant le flanc d’une dune, le jeune Démon bifurqua, laissant enfin son museau reprendre une posture plus naturelle. Ils ralentirent prudemment, le long du creux, et tous trois s’arrêtèrent en douceur. Les trois Guerriers descendirent de leurs dos, deux visages fermés, un opaque et silencieux, grimpèrent vers la crête. Les Démons les y suivirent avec enthousiasme — l’odeur des proies était proche, la curée était sensible.

De l’autre côté, rien ne bougeait sous la chaleur montante du soleil au zénith. Le laboratoire qui se dévoila à leurs yeux semblait presque abandonné, sans un seul habitant en vue. Mais près de son centre, à côté du bosquet de Cactus-Rythme qui se balançaient dans la brise, le Bossu étalait son large tapis de fourrure orangée, et les deux protubérances osseuses qui dépassaient de son dos tanguaient et frémissaient. Elles réagissaient à son souffle profond, mais semblaient en plus agitées d’une vie propre, comme si la flamme liquide qu’elles contenaient ne demandait qu’à entrer en éruption.

« Vous avez une idée de la façon dont vous l’affronterez ? demanda Gorbak sans se tourner vers ses Apprentis.

— Euh, hésita Aixed. De face. En visant la tête.

— Aucune…

— Bien, approuva le Guerrier en ignorant leur surprise. Cela vous donne d’autant plus à apprendre. »

Et sans un regard de plus, il s’éloigna dans la pente, marchant sans empressement vers les tentes. On ne les avait pas encore vus.

Les Apprentis échangèrent un regard. De toute évidence ils allaient devoir improviser alors qu’ils ne l’avaient jamais appris. Leurs Démons n’eurent pas cette anxiété et se ruèrent dans la pente en rugissant joyeusement — aussitôt suivis par leurs maîtres, par réflexe. On ne laissait pas un Démon gambader en liberté, c’était la première chose qu’ils avaient apprise en recevant leurs Œufs.

Le Bossu releva sa lourde tête, un mouvement de peur tout de suite suivi d’un blatèrement d’alerte qui retentit puissamment entre les dunes. Envolée, la paix figée : les battants de vingt tentes furent claqués, ouverts, des lances apparurent de nulle part entre les mains de femmes et de vieillards, une défense catastrophée qui se mit souplement en place avant même que les Guerriers n’aient parcouru la moitié du chemin. Le temps que Gorbak ordonne à son Démon de contourner le laboratoire et d’aller se placer à l’autre bout, empêchant à eux deux les scientistes de sortir de la nasse, déjà une d’entre eux se tenait à côté du Bossu et l’encourageait, déjà le monstre soulevait sa masse et secouait son crâne.

Aixed jura. Satané Gorbak et sa manie des tâches impossibles ! Maintenant la situation était hors de contrôle ; il fallait gagner du temps ; elle cria.

« Sépare-la du Bossu ! »

Pas besoin d’être plus précise — les Démons comprenaient plus vite les ordres simples. Le sien chargea aussitôt, jetant l’ensemble de son jeune corps dans l’accélération la plus intense qu’il puisse soutenir. Il était bien trop proche du Bossu, cependant, à peine une cinquantaine de mètres ; alors il préféra incurver légèrement son attaque, faucher son adversaire par le côté.

La scientiste avait été prévenue par le cri de l’Apprentie ; la manœuvre lui donna le temps de se jeter au sol, passant sous les pattes du Bossu. Ce dernier lança un grondement de défi, et décala sa masse pour encaisser la charge. Il ne la subit pas de face, il était trop lent ; mais le Démon n’avait pas pu donner sa pleine puissance.

Il se jeta toutes griffes dehors sur le dos de son adversaire : trop vite pour s’accrocher, trop lentement pour l’emporter. Le Bossu ne put rien faire, mais ne récolta qu’une paire de balafres parallèles, peu profondes à cause de sa fourrure. Il en faudrait beaucoup plus pour l’abattre.

Ce n’étaient qu’une poignée de secondes de grapillées, et l’urgence se déplaçait déjà — le Démon avait amorti son trop-plein de vitesse en atterrissant à reculons parmi quelques tentes qu’il avait écrasées sans ménagement, et déjà quelques scientistes ramassaient leurs lances dans les décombres. Ils n’avaient aucune chance de survivre à l’affrontement, mais ils pouvaient les avoir empoisonnées et le Démon ne se méfierait jamais de ce genre de bassesses ; alors Aixed se rua à toute vitesse vers cette partie du laboratoire, saisissant à pleines mains l’épée glaciale battant à sa hanche.

Onis vit le danger et la suivit, criant d’attaquer le Bossu à son propre Démon. Ce dernier semblait déjà ressentir l’inconfort dû à sa course dans une mauvaise position toute la matinée, mais s’exécuta en voyant son maître dans tous ses états.

Il approcha du laboratoire plus lentement, plus prudemment, et déclencha deux fois plus d’alarme. Une demi-douzaine de scientistes prirent position en face de lui — pour découvrir qu’un Démon n’avait pas besoin d’élan pour leur sauter par-dessus. Le Bossu l’accueillit en soufflant une gerbe de flammes, le repoussant entre les tentes du côté opposé au Démon d’Aixed. La situation confuse n’en fut pas arrangée — Onis parvint à son tour à contourner la ligne de défenseurs avant qu’ils ne réagissent, et fila vers l’amas de tentes où Aixed avait déjà assommé deux scientistes.

Au milieu du chaos, entouré d’humains gesticulants et de deux Démons hostiles, le Bossu ne savait plus où donner de la tête. Il renâcla bruyamment, avant de s’écarter à reculons du conflit — écrasant au passage de nouvelles tentes. Il ne fut pas le seul : le bosquet planté au centre du village n’apprécia pas la brutalité de l’attaque, et commença à secouer ses branches et à extraire ses racines. Les Marcheurs partaient chercher une dune moins visitée.

Une bordée de jurons à faire sursauter même Gorbak jaillit du sable à côté du bosquet en fuite. Il y avait de quoi : la scientiste responsable du Bossu avait à peine passé une poignée de secondes la tête dans le sable, échappant de justesse à la charge d’un Démon, et quand elle se relevait, la moitié de son village était dévastée et l’autre en train de l’être.

Elle sut tirer parti de l’imbroglio, et la douzaine de scientistes qui se répartissaient entre le Démon solitaire et les deux Apprentis lui fournirent une diversion involontaire. Personne ne la vit rejoindre le monstre qu’elle ne pouvait qu’avoir dressé, et le temps qu’Onis se rappelle sa présence, elle l’avait déjà rassuré et lui avait donné ses ordres.

Le Bossu inclina tout son corps vers l’avant et engloutit une lampée de sable, tandis que les excroissances sur son dos se mettaient à trembler violemment ; elles ne tardèrent pas à éclater, projetant une grêle brûlante de gravillons et de roches vers les assaillants.

Elles étaient petites, trop pour être mortelles, mais une seule fut largement suffisante pour projeter Onis au sol avec un grognement étouffé. Aixed eut le réflexe de se recroqueviller derrière son épée et n’encaissa qu’une volée de cailloux — elle aurait les bras bleus pour trois mois.

Ce fut tout ce que l’attaque gagna. Elle n’incommoda les Démons qu’un instant, et dispersa les scientistes surpris autour de celui d’Onis. Mais un Apprenti fauché, et le maître toujours immobile en retrait, c’était plus qu’il n’en fallait aux défenseurs.

Ils se regroupèrent rapidement ; ignorèrent le Démon d’Onis qu’Aixed appela à elle et qui obéit sans s’en indigner ; surtout, la dresseuse du Bossu eut un instant de tranquillité auprès de son monstre.

Aixed ne pouvait pas s’occuper à la fois de la petite douzaine de scientistes encore debout et coordonner les Démons pour affronter le Bossu. Elle perdit quelques gondes précieuses à hésiter, vit la scientiste retourner une tente d’un mouvement rageur. Se ruer sur une bourse en cuir, banale mais difforme, à peine visible dans la poussière et les débris.

Il ne pouvait y avoir qu’une seule chose dedans.

« Tue-la ! lança-t-elle sans réfléchir, avant de donner une tape discrète sur l’épaule de l’autre Démon. Et toi, occupe-toi du Bossu ! »

Le sien se précipitait déjà pour exécuter l’ordre hâtivement formulé — elle s’efforça de l’oublier et de ne même pas se rappeler que ce ne serait pas la première mort de l’assaut et s’élança vers le groupe de défenseurs.

Douze, peut-être. Hommes, femmes, vieux, l’un d’eux à peine adultes, tous désemparés devant la violence de l’attaque, certains arboraient un visage aussi fermé que le sien. C’était leur choix, se disait-elle en assurant sa prise sur son épée. Leur choix, pas le sien.

Elle ne pourrait pas combattre autant de défenseurs sans frapper vite, fort et pour tuer.

C’était à ça qu’elle s’était engagée en rejoignant la Forteresse, presque dix ans plus tôt. Mais il y avait un gouffre entre une possibilité abstraite et lointaine, la conscience dérangeante de l’avoir fait, et celle de s’apprêter à le refaire.

Et puis elle combla la distance et se fondit naturellement dans l’enchaînement d’attaques et de parades agressives — elle s’était tant familiarisée à ces techniques en dix ans que son corps les exécutait de lui-même, sans laisser son esprit penser à leur aspect létal. Elle s’efforça de créer des ouvertures plutôt que de s’engouffrer dedans, elle fit ce qu’elle put pour garder autant de défenseurs vivants que possible. Ce fut peu.

« Le Bossu, hurla Onis. Derrière toi ! »

Elle se retourna ; vit des fragments de la scène ; il s’était relevé et se précipitait tant bien que mal, les traits tendus, vers le monstre — qui ignorait le Démon d’Onis et projetait sa lourde masse sur celui d’Aixed. Ce dernier comprit être la cible de l’avertissement ; esquiva en aveugle sans finir son geste meurtrier, échappa de justesse à la mâchoire qui voulait le clouer au sol.

La scientiste roula sur le côté, s’éloignant au plus vite du Démon que son monstre repoussait pour elle. Elle eut un rapide regard vers Aixed et les corps qu’elle laissait baigner dans le sable et le sang, puis la fièvre du combat chassa la tristesse de ses yeux et ne laissa qu’un rictus meurtrier. Elle cria.

« Hartan ! »

Le Bossu tourna la tête, prestement, recula de quelques pas patauds et refit face à ses adversaires. Elle avait eu la perversion de lui donner un nom ; mais comme si ce genre d’humanisation avait la moindre importance ! Aixed chassa l’idée de ses pensées, cherchant un moyen efficace d’empêcher le contrôle de la situation de leur glisser définitivement hors des doigts.

Mais ils avaient déjà profité du chaos provoqué par leur première charge. Elle n’eut pas le temps de faire quoi que ce soit et se détourna les yeux devant l’éclat soudain qui jaillissait de la main de la scientiste, impuissante.

Un blatèrement rauque. Une décharge de foudre crépitante, et le choc de l’éclair — l’air, compact, projeté.

« Onis ! cria-t-elle en courant vers le monstre. Vous deux ! Ensemble ! »

L’Apprenti, trop compliqué — humain comme elle — sembla mettre une éternité à comprendre ce qu’elle demandait, mis à part qu’il rapplique. Les Démons s’en tinrent au dernier mot et se rapprochèrent d’elle, sans quitter des yeux leur adversaire métamorphosé. Lui-même ne les lâcha pas du regard, un air revêche sur le museau ; il semblait bien décidé à les mettre en pièces, et ni l’armure de rocs noirs qui débordait de son dos, ni son long manteau de fourrure protectrice, ni le cône volcanique écumant de braises dont le poids le clouait au sol ne l’en empêcheraient.

L’accalmie ne dura qu’un instant. Et puis Aixed et la scientiste se remirent à beugler, ordres, insultes, n’importe quoi.

« Chacun derrière son Démon ! Il ne peut pas pivoter la tête, écartez-vous et visez le cou !

— Vu ! »

Le Bossu n’attendit pas que ce soit fait pour les ensevelir de flammes — mêmes les Démons sautèrent en arrière, surpris par l’ampleur du brasier. Il ne dura pas longtemps mais accula bien assez les quatre adversaires du monstre ; le plan d’Aixed était déjà caduc, impossible de trouver un angle mort si même l’armure pouvait s’embraser aussi violemment.

Et le volcan débordait toujours, promettant une fournaise encore pire. Les épées craignaient le feu, se rappela-t-elle ; mêmes le cuir des Démons laisserait vite passer une fureur pareille. Sans parler des Apprentis eux-mêmes.

« Occupe-le ! lança Onis à son Démon. Aixed ! Il nous faut une charge à plein élan !

— Par les— dégage ! Prends du champ, charge et renverse-le ! »

Les Démons connaissaient les voix de leurs maîtres, comprirent leurs rôles ; celui d’Aixed s’élança au loin, dans la direction approximative qu’ils avaient prise pour arriver. En faisant vite, il pouvait charger en une affaire de nutes — et il faudrait que le Bossu lui présente son flanc.

Auraient-ils fait face à n’importe quel autre monstre, ils auraient été éliminés le temps de s’organiser. La lenteur de leur ennemi les sauva ; il relevait à peine la tête du sol, la gueule dégoulinante de sable. Une autre avalanche de roches en perspective, mais pas encore prête.

Sans se poser de questions, Aixed lança une attaque à la gorge ; atteignit le Bossu avant qu’il ait pu réagir, mais dut se jeter au sol quand il renâcla. Elle échappa de peu à un jet de flammes qui alla s’échouer contre une tente et y laissa une ligne de brandons. Mais cela l’avait amenée à portée des pattes du monstre — ce dernier rua, presque sans prendre de hauteur, forçant l’Apprentie à une autre roulade en catastrophe. Le Démon d’Onis se jeta sur l’occasion et ses griffes parvinrent à se darder dans le garrot du monstre avant qu’il ne retombe.

La fourrure était trop épaisse et ne se gorgea d’aucun sang ; même en se rabattant sur de grands coups de crocs visant la tête, il ne parvint pas à accrocher quoi que ce soit. Le Bossu n’eut qu’à fermer les yeux et à souffler une nouvelle rasade de flammes par les naseaux, heureusement peu dangereuse.

Quand il se retira, le Démon avait tout de même obtenu à Aixed le temps de se mettre en sécurité — temps qu’elle comptait mettre à profit pour une autre attaque suicidaire, alors les remerciements viendraient plus tard.

« Restez devant ! »

Elle-même entama un déplacement sur le côté, cherchant à se rapprocher de la scientiste qui se terrait derrière son monstre. Il fallait faire pivoter cette satanée montagne, et c’était aussi le moyen de profiter de son angle de vue réduit. Personne ne fut dupe ; le Bossu tourna la tête vers elle et l’arrêta par une barrière de feu, là où la scientiste se décalait de concert pour rester en sécurité.

Onis avait prévu ce mouvement ; il parvint à s’approcher à deux mètres d’elle, entièrement hors de vue du Bossu — lequel réagit avec un cri d’alarme, et commença enfin à faire pivoter son énorme masse, une patte après l’autre. Le Démon vit sa chance et se précipita pour lui harceler le flanc ; il dut bientôt esquiver un barrage de déflagrations qui lui arrachèrent plusieurs rugissements de rage, mais persista jusqu’à atteindre la chair sous la fourrure.

Le mouvement était lent, et la bordée acharnée du Bossu occupait apparemment toute sa flamme, ou peut-être ne voulait-il pas blesser sa maîtresse ; les humains eurent le champ libre pour se pourchasser. La scientiste se retrouva bientôt prise en tenaille entre les deux Apprentis et forcée de s’éloigner de son monstre.

Elle ne réagit pas comme ils s’y attendaient : au lieu de tenter de se jeter sur une épée, de mettre son monstre devant le fait accompli et de lui laisser le champ libre pour libérer une vague de chaleur qui serait mortelle pour tout le monde, elle brandit le cristal scintillant qui avait fait du Bossu cette montagne volcanique.

Un éclat de la taille d’une main, acéré, et brillant d’une chaude lumière orangée. Une imitation d’un Joyau du dieu qui donnait : comptait-elle en tirer une chance ou une force quelconque ?

Mais devant les Apprentis tendus et sur leurs gardes, elle fit plus étonnant. Elle l’avala — ils tressaillirent en la voyant déglutir douloureusement, le cristal lui lacérant la gorge de l’intérieur.

« C’est ça que vous cherchez ? eut-elle la force de les narguer d’une voix atroce. Dommage ! »

Ils mirent trop longtemps à réagir, à appréhender la situation : elle se jeta sur Onis, qui brandit son épée par réflexe, et ne put pas l’empêcher de s’y embrocher. Ils étaient tous en danger de mort — comme le leur rappela le blatèrement courroucé du Bossu, dont le coin de l’œil les voyait enfin.

La bosse vrombit, furieuse, hurlant à la vengeance, et rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Ils réagirent sans réfléchir, sans coordonner, chacun pour soi ; le Démon et Aixed, se précipitèrent au sol et s’enfouirent autant qu’ils purent, là où Onis recula en trébuchant, et finit par quitter des yeux le regard assassin du Bossu pour s’effondrer au sol, dos au monstre, recroquevillé sur son épée. Il ne la protégerait, en même temps que ses mains et ses yeux, qu’au prix de brûlures qui risquaient de lui coûter la vie.

L’éruption. Violente et haineuse, incomparable avec ce qu’ils avaient déjà encaissé.

Dès qu’elle l’osa, Aixed jaillit comme un Démon du sable brûlant, concédant à peine un grognement sourd à la chaleur implacable. Le Bossu ne lui accorda pas un regard — il mettait sa lourde masse en mouvement vers un Onis au dos mangé de flammes, trop sonné pour réagir à la douleur. Elle vit du coin de l’œil Gorbak qui apparaissait à côté de l’Apprenti et s’emparait de lui ; inutile. Avant qu’il ne soit reparti en sécurité, elle avait planté son épée de toutes ses forces dans la masse de fourrure, réussissant à attirer son attention.

Le Bossu reporta sur elle son regard noir. Il comptait visiblement lui infliger le même sort qu’à son frère d’arme — et elle s’en moquait, parce qu’elle s’écroulait de douleur, parce qu’elle sentait son bras se glacer sous la morsure de l’épée qui cherchait à sécuriser sa propre survie, et parce qu’elle se sentait bouillir d’une colère aussi brûlante que les flammes qui venaient de déferler.

Le Bossu grogna. Gorbak cria, de loin. Aixed tourna la tête, interloquée — juste à temps pour le voir et se jeter au sol, effectuant ce qui serait sa dernière esquive désespérée de la journée.

La violence du choc se propagea dans le sable et la plia en deux, alors même qu’elle n’était pas la cible.

Son Démon ne pouvait pas mieux tomber. Sa charge déchaînée était arrivée encore plus tôt qu’elle ne s’y attendait, avec encore plus de fureur et de vitesse ; il avait dépensé assez d’énergie pour soulever de terre la montagne vivante, pour l’envoyer voler comme une feuille dans le vent. Lui-même rebondit sur le sable après avoir lâché le Bossu, et alla s’écraser dans la crête de la dune avec encore assez de vitesse pour passer au travers.

Il survivrait. Les Démons survivaient toujours à leurs charges, si absurdes soient-elles. Leurs adversaires, en revanche, s’en sortaient rarement indemnes. Aixed se releva, ignorant ses muscles qui criaient de fatigue, et parcourut la distance qui la séparaient du Bossu sonné — une distance impressionnante quand on savait comment il l’avait franchie.

Il leva difficilement la tête, la vit. Ce fut sa dernière vision, avant qu’une épée jeune et acérée ne s’enfonce dans son œil et ne lui perfore le cerveau. Aussitôt le coup porté, l’Apprentie sentit le froid qui la harassait se faire réconfortant et apaiser sa fatigue ; l’épée s’était précipitée sur cette offrande pour soigner son propre Acier trop exposé au feu.

Le Bossu aurait eu une mort rapide. Aixed ne savait pas comment elle devait s’en soucier. Elle s’effondra sur le sable, à côté du cadavre. La frénésie du combat enfin retombée, elle se sentait capable de s’endormir, tout en sachant que ce ne serait pas aussi facile.

Elle tourna la tête. Gorbak, voyant la fin de l’affrontement, avait reporté son attention sur Onis, et s’appliquait à lui enduire le dos d’un baume tiré des fontes de son Démon.

Il les avait vraiment laissés seuls de bout en bout, et encore — il avait jugé utile d’intervenir, quand même, et avait trouvé le moyen de faire le plus important sans être utile pour autant. Aixed se jura de l’engueuler.

Mais peut-être pas sur le coup. Peut-être quand il serait allé chercher Varsta, quand ils auraient emmené la poignée de scientistes ayant miraculeusement survécu à l’affrontement, quand elle aurait assimilé leur réussite — ils avaient vaincu et sans Gorbak —, quand elle aurait remercié Onis et son Démon… Peut-être le lendemain.

Elle sombra dans le sommeil sans s’en rendre compte.