Chapitre 1 : Les Jeux Pokélympiques
— Quelle journée ennuyeuse, tichôôô….
Perché sur le toit de l’école, Ticho observait la cour bitumée en contrebas. Les yeux cernés, le plumage plus pâle qu’à l’accoutumée, il ne payait pas de mine, regardant avec lassitude quelques élèves enchaîner des exercices de sport.
Alakazam gueulait des directives à un groupe de Groudon cherchant à devenir des pom-pom girls professionnels ; et non loin de là, Gontran, dans son armure de chevalier de la Table Carrée, affrontait à l’épée un Exagide débutant, plus pour se donner en spectacle que pour réellement apprendre l’escrime aux collégiens à sa charge.
— GROUDON AU FOND À DROITE ÊTRE GRACIEUX ET ÉLÉGANT ! hurla Alakazam avec joie.
— Merci m’sieur ! lui répondit le concerné en roulant des hanches.
Ticho soupira. Aussi étonnant que cela puisse être, il n’arrivait toujours pas à s’habituer à la vision de cette douzaine de Groudon en tutus roses. Les voir se dandiner de droite à gauche sur une musique minimaliste de percussion avait de quoi faire sourire, au début. Mais ils venaient là tous les jours, depuis un mois. Le boucan d’Alakazam, les rires tonitruants de Gontran, les tremblements de terre à chaque pas de danse… tout ceci finissait par donner des migraines incurables à Ticho.
— J’en regrette presque l’époque de la quête du cookie au miel d’Apireine… soupira le Canarticho, désabusé.
Cela faisait un mois et demi, depuis qu’ils étaient revenus de l’Île des Origines, avec la recette mythique. Depuis, ils avaient pu goûter à une misérable part de ce fameux biscuit.
Et pour une fois, Ticho n’avait pas été déçu : le cookie avait un goût absolument unique au monde, un pur délice.
Mais… pour le concevoir, il avait fallu utiliser un poireau, et il se trouvait qu’il avait confié le sien à Antoine ce jour-là.
Depuis, il se sentait vide.
On lui avait arraché sa moitié, sa raison d’être.
Le Pokémon baissa tristement les yeux sur le poireau en plastique qu’il tenait dans son aile droite : il le serra, et un « pouêêêt » grinçant s’en échappa faiblement.
— Je regrette tellement, tichôôô…
Au moins, il avait pu se rendre compte au fil de cette aventure loufoque, que ce monde était vraiment en plein chaos. Il avait vu des Ronflex voler, des Dracaufeu faire de la plongée, des Ramoloss tirer des lasers par deux orifices à la fois, et d’autres choses tout aussi… tout aussi quoi ? Il n’avait même pas les mots pour décrire toute la débilité qui transpirait de chaque être vivant du coin. Il regrettait presque son monde d’origine, Kalos ; à ceci près qu’y retourner pourrait peut-être faire régresser son intelligence, et lui ôter le don de la parole obtenu après son apparition ici, à Krénios.
Non, rentrer chez lui était devenu une mauvaise idée.
Mais l’ennui et la fatigue le gagnaient, depuis qu’il avait abandonné son poireau fétiche. Son moral baissait, et chaque jour qui passait devenait plus agaçant que le précédent.
Ticho baissa les yeux sur son aile gauche ; il agrippait encore un tract publicitaire vantant les Jeux Pokélympiques de la région de Kassos.
C’était peut-être ça, la solution. C’était peut-être ça qui allait l’empêcher de sombrer dans la folie.
La perspective de cette compétition de l’autre côté de la mer du nord avait de quoi l’effrayer. Mais depuis que Gontran lui en avait parlé par hasard… il hésitait.
En entendant le rire du chevalier en contrebas, et ce alors qu’un Groudon s’emmêlait les pieds pendant un salto et se rétamait violemment contre les vitres d’une salle de classe, Ticho se décida.
Ignorant complètement l’aile ouest du bâtiment en train de s’effondrer à cause de l’impact, le Canarticho s’envola, filant vers le quartier résidentiel à quelques centaines de mètres de là.
Il le sentait, c’était le moment ou jamais de repartir à l’aventure.
Il était temps de rassembler cette équipe d’incapables, et de filer à Kassos.
Il avait un Poireau Flamboyant à récupérer, et à chérir jusqu’à la fin de ses jours.
***
Ssitédaifleur n’avait pas toujours été une ville de renom. En fait, un mois plus tôt, Ticho avait pu constater qu’il s’agissait plutôt d’un grand village. Avec plein de fleurs et de niaiserie partout.
— Quel nom de merde ! maugréa Ticho en planant par-dessus les toits de quelques maisonnettes.
C’était là que vivait Antoine, dans sa propre maison bien à lui : Ticho n’avait jamais cherché à comprendre pourquoi un gamin de quinze-seize ans vivait seul et était déjà propriétaire d’un tel bien immobilier. C’était sans doute à cause de la logique louche de Krénios !
En tout cas, Ssitédaifleur avait bien changé, en si peu de temps. Depuis qu’ils s’étaient partagés le cookie pendant un goûter organisé par Antoine, et que Gontran avait décidé que chaque membre ce jour-là serait un membre éminent de la Communauté du Cookie… la cité avait passé un cap.
Antoine avait fait fructifier son affaire : les cookies au miel d’Apireine se vendaient désormais par boîtes entières. Les fourneaux de la cuisine du garçon tournaient à plein régime, toute la journée, et des gens venus d’ailleurs, attirés par les rumeurs de ce cookie exquis, avaient commencé à s’installer dans les parages.
Désormais, des maisons fleurissaient partout ; le lycée s’était ouvert, permettant à certains abrutis — n’ayons pas peur de dire les mots ! — de subsister avec un petit salaire de professeur ; et Terry Lancepelle, le marin qui les avait guidé sur l’Île des Origines et avait perdu son précieux navire dans l’opération, était devenu le gérant commercial de l’entreprise d’Antoine. C’était clairement lui qui avait gagné le plus dans toute cette histoire !
Ticho se posa dans l’allée de la maison du garçon. Il jeta un coup d’œil à l’arbre à barres chocolatées qui embaumait le cacao à deux pas de là, et frappa à la porte.
« Pouêt Pouêt » fit son poireau quand il le tapa contre le battant.
Une amère piqûre de rappel dans son pauvre petit cœur d’oisillon…
La porte s’ouvrit sur la personne que Ticho appréciait sans doute le moins parmi tous ses ex-compagnons d’aventure.
Julie, la petite peste.
— Ah, c’est encore toi… râla-t-elle, déçue.
— Comment ça, encore, tichôôô ?
— Bah, t’es déjà venu avant-hier, nan ?
— Justement, estimes-toi heureuse que je ne vienne pas tous les jours !
La jeune fille, d’une quinzaine d’année, le regarda avec mépris mais s’écarta pour le laisser entrer, à contrecœur.
— Voyez-vous cela ! Ticho, mon ami. Cela faisait fort longtemps !
Insolourdo, vautré près d’une montagne de paperasse, était en train de vérifier ce que la vente de cookie avait rapporté à Antoine dans la journée. Aidé d’une loupe, le comptable improvisé avait une fois de plus la mémoire défaillante.
— Hé bah, la vieillesse ça te fait pas du bien, limace savante ! lança Ticho, moqueur. Ça fait pas si longtemps, je suis venu y’a deux jours ! T’étais trop concentré sur le pognon pour me remarquer, je suppose…
— Certes, cela est fort possible… l’attrait de la ressource monétaire me rend tout chose.
Julie s’avança, et désigna du bras la cuisine :
— Si tu cherches Antoine, il nettoie le four.
— J’aurais voulu vous parler à tous, en fait, tichôôô.
— Ah ouais ? J’suis pas intéressée. Ciao !
Julie se jeta dans un canapé, avec négligence, et le toisa avec un sourire en coin. Ticho ferma les yeux, retenant son envie grandissante de l’envoyer valser à travers la fenêtre.
— Ma foi, je suis fort occupé avec ces rentrées pécuniaires, répondit Insolourdo. Il serait plus sage de discuter ce week-end ou demain matin, avant l’ouverture des ventes et la prise de mon service.
Ticho soupira intérieurement. Bah, il n’avait pas spécialement envie de se coltiner ces deux zigotos, de toute façon ! Et puis, s’il parlait de son plan à Antoine, le garçon se chargerait de transmettre l’info à ces crétins de première classe...
Le Pokémon Vol fila en cuisine, pour affronter le regard indolent et terrifiant à la fois d’un Keunotor armé d’un balai.
— Oh, euh… bonjour, tichôôô…
Keunotor hocha vivement la tête en guise de salut, et le laissa passer pour balayer le carrelage. Ticho put enfin trouver Antoine, dont seules les jambes dépassaient du four.
— Tu nettoies, ou tu te suicides, là ? demanda Ticho. Tu veux que je l’allume à ta place ?
Le garçon jaillit du four. La moitié supérieure de son corps étaient partiellement noircie par la crasse et de la poussière de cookie carbonisé.
— Je devine à l’état de ton four que tu n’as jamais réussi à refaire un seul cookie comestible ?
— Les cookies au miel d’Apireine brûlés se vendent très bien, répliqua le garçon.
Antoine avait tendance à refuser de voir la réalité en face : il n’avait réussi l’exploit de faire un cookie mangeable qu’une seule fois, à la formation de leur Communauté ; mais malgré ça, il vendait ses échecs gustatifs et les gens se les arrachaient comme des petits pains.
Les Kréniosiens étaient vraiment de profonds attardés !
— J’voulais te parler d’un truc important, tichôôô.
— C’est vraiment important ?
Antoine paraissait en douter. Il fallait dire que lui aussi, il était lucide et conscient d’être entouré d’idiots. Ticho avait souvent l’impression qu’Antoine était son seul allié dans ce monde de fous.
— Tu as entendu parler des Jeux Pokélympiques ? demanda le canard.
— Bien sûr. Ils ont lieu bientôt, je crois ?
— Je veux gagner le Poireau Flamboyant.
— Ah…
Antoine acquiesça lentement. Il regarda subrepticement le jouet en plastique que tenait Ticho, et se retint visiblement de faire un commentaire blessant, avant de hausser les épaules.
— Je ne vais pas t’en empêcher.
— J’espère bien ! rétorqua Ticho.
— Après tout, tu ne sers à rien dans la Communauté du Cookie, continua Antoine en l’ignorant. Julie ouvre la porte aux acheteurs, Keunotor emballe les cookies dans leurs boîtes, Insolourdo fait les comptes, Terry gère l’entreprise… Alakazam sort parfois les poubelles. En les jetant du toit, mais bon… toi, tu râles, tu grognes et tu marmonnes, donc… je t’autorise à te libérer provisoirement de tes fonctions.
« Quelles fonctions ? » faillit rétorquer Ticho. Il se mordit le bec supérieur, et pointa une aile accusatrice sur le garçon face à lui.
— Tu te fiches de moi, Antoine, c’est ça ? C’est grâce à qui si on en est arrivés là, hein ? C’est MON poireau que tu as utilisé ce jour-là. C’est MOI qui t’ai suivi du début à la fin dans cette quête de merde !
— Je sais… je sais.
— Tu me dois un poireau, Antoine !
— Je t’en ai rendu des centaines, de poireaux, depuis !
Ticho se tut, et pâlit légèrement. L’argument faisait mouche.
Il était vrai qu’Antoine, voyant son camarade ailé déprimé par son absence de partenaire légumineux, avait tout donné pour lui apporter des caisses entières de poireaux venues de tout le pays, afin qu’il retrouve l’âme sœur.
Mais Ticho n’avait vu aucune âme dans aucun d’entre eux.
Juste… des poireaux.
Des poireaux nuls, pas comme celui qu’il avait autrefois ! Mais le Poireau Flamboyant, ça avait l’air d’être une autre histoire. Il serait forcément génial !
— C’est pas faux, tichôôô… mais cette fois-ci, c’est le bon ! le Poireau Flamboyant sera parfait pour moi !
— Désolé, Ticho. Je refuse de laisser tomber l’entreprise de la Communauté du Cookie. Je ne vais pas pouvoir te suivre à Kassos.
Le garçon s’assombrit un peu.
— J’aimerais bien, vraiment, mais je sens que je touche au but. Je m’améliore de jour en jour. Mes cookies sont toujours brûlés, mais leur goût me pique de moins en moins la langue !
— Normal, tu en perds le sens du goût, à force ! répliqua Ticho.
— Peut-être, admit le garçon. Mais, vraiment… je ne peux pas venir.
— Tu pourrais m’envoyer Keunotor, alors ? Avec lui, ce serait fait en deux secondes !
Antoine secoua la tête, négatif.
— J’ai besoin de lui. Et… on ne sait jamais. S’il tombe sur un Légendaire qu’il connaît, il risquerait de perdre le contrôle, et de tout détruire. Tu deviendrais une victime collatérale.
— Ouais, pas faux, tichôôô…
— Désolé, vraiment…
Voyant que cette discussion minait le moral de Ticho, le garçon posa maladroitement sa main sur la tête du Pokémon :
— Je te supporterai à distance. Tu devrais essayer d’aller voir d’autres personnes, tu ne crois pas ? Certains pourraient vouloir t’aider. Si tu veux, prends Alakazam. Je préfère oublier de sortir les poubelles que les ramasser dans mon jardin quand il se jette du balcon avec…
Ticho soupira, conscient du fait que la nullité apparente de son objectif n’allait pas l’aider à se faire des alliés. Antoine étant obnubilé par le cookie, il n’avait pas le choix. Il allait devoir compter sur lui-même, et de véritables bras-cassés pour cette aventure improbable.
***
Ticho profita des vents ascendants pour se mettre à planer sereinement au-dessus de la ville. Il réfléchissait.
Croisant un Tyranocif qui voletait, une baguette sous le bras, Ticho le salua sans le voir, pensif.
Il avait quelques alliés potentiels en tête, mais il y avait toujours un problème associé à chacun d’entre eux.
Jack, le petit robot conçu par Cumulo Nimbus, était porté disparu. Quelques jours après la fondation de la Communauté du Cookie, le droïde s’était échappé, sans que personne ne juge utile de le retrouver. Ticho regrettait presque de ne pas l’avoir cherché. Ses « LOL » et autres « PTDR » ne résonneraient plus à ses oreilles…
Cumulo Nimbus, le scientifique raté… c’était simplement hors de question de lui demander son aide. Avec ses « HO HO HO » à chaque fin de phrase, et l’obtention récente de son Prix Rubombelle de la Paix grâce à une refonte de son Pétabull — une invention inutile de son cru — il devait être devenu invivable et gonflé d’arrogance.
Le Sage 33 ? Après tout, pourquoi pas ?
— S’il n’y avait qu’Albert… grommela Ticho.
Mais Bob et Marcel, les têtes latérales du Dodrio ermite, étaient de véritables têtes à claques. Jaloux de sa faculté à voler, par-dessus le marché !
Mackogneur, lui, était retourné à Machomière et avait repris ses fonctions de maire, le mettant également hors-jeu.
La liste devenait courte.
Courte et pleine d’éléments que Ticho peinait à imaginer venir avec lui sans qu’il ne passe des dingueries démentielles.
— Essayons quand même, tichôôô !
***
Les Groudon agitaient leurs pompons rose avec entrain, balançant leur bassin au rythme des maracas qu’agitait énergiquement un Alakazam au bord de la transe.
Ticho, dégoûté par l’apparence patibulaire des danseurs, et constatant les ruines du bâtiment de physique-chimie — qui s’effondrait tous les cinq jours par leur faute — s’avança prudemment vers cet imbécile de type Psy.
— Alakazam !
Le « professeur de sport » se figea sur place en entendant quelqu’un l’appeler. Puis, voyant Ticho approcher, il s’exclama :
— ROUCARNAGE ULTRA-LÉGENDAIRE ! TOI VENIR DANSER AVEC MOI ?
— Non, moi pas venir danser, et surtout pas avec toi…
Ticho chercha ses mots… puis avoua l’inavouable.
— Non, en fait, j’allais te proposer un truc, mais j’ai absolument AUCUNE ENVIE de t’emmener. Dis-moi juste où est passé cet abruti de Gontran.
— CHEVALIER ÊTRE ALLÉ VOIR AZURILL !
— Merci bien, adieu, et bon débarras !
— À PLUS ROUCARNAGE ULTRA-LÉGENDAIRE ! TOI VOLER AVEC GRÂCE ET ÉLÉGANCE !
— Ouais, ta gueule… siffla Ticho en filant vers le bâtiment principal de l’école.
Quelle idée lui était donc passée par la tête ? Il préférait mille fois partir seul qu’avec Alakazam. Et connaissant maintenant la motivation de ce dernier à faire danser ces pom-pom girls d’une tonne chacune… il aurait peut-être tenu à les emmener avec eux à Kassos.
C’était hors de question !
Partir avec Gontran était aussi une idée que Ticho se refusait à suivre. En fait, s’il voulait voir le chevalier, c’était simplement pour savoir comment il devait s’y prendre pour se rendre à Kassos par ses propres moyens.
Il entra dans un bâtiment par une fenêtre grand ouverte, traversa un long couloir, et entendit de loin le rire du chevalier de la Table Carrée. Il suivit le son, et se retrouva brutalement dans la salle de classe d’Azurill.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel, tichôôô ?
Les élèves, de jeunes pokémons bien élevés, avaient rangé leurs affaires scolaires, et poussé les tables au fond de la pièce. Ils étaient actuellement en train d’encercler Gontran, avec des épées en acier à la main.
Azurill, jouant à merveille le professeur de philosophie, était sur son bureau, observant le tout avec délectation. Il grimaça en voyant Ticho débarquer.
— Nous sommes en plein cours, ça ne se voit pas ?
— Non, ça s’voit pas, tichôôô.
— J’entraîne ces jeunes écuyers à la joute chevaleresque ! lança Gontran.
Son armure était cabossée, et d’énormes bosses déformaient déjà son visage joufflu. Son nez, de travers, saignait abondamment.
— T’es sûr que tu vas bien, là ? s’étrangla Ticho. Ils t’ont défigurés, ces sales gosses !
— Que nenni ! Tu te fourvoies, camarade ailé ! Il s’agit d’une stratégie de ma part ! Je leur fais croire que je suis en mauvaise posture pour mieux retourner la situation, tel un beau diable !
Ticho ne répondit pas, sceptique. Azurill cracha :
— Allez, Timothée, donne-lui le coup fatal !
Un Taupiqueur prépubère brandit son sabre — ne demandez pas comment — et l’abattit furieusement sur le chevalier. Le coup le fit vaciller, et fissura son armure au niveau du ventre.
— Il est énervé, lui, tichôôô !
— Timothée, achève-le ! feula Azurill, les yeux exorbités.
— Je savais que tu avais fait un lavage de cerveau à tes élèves, mais ça va trop loin là, non ?
La remarque de Ticho ne reçut aucune réponse. Timothée le Taupiqueur esquiva un coup de Gontran, fit un salto qui lui permit de passer dans le dos de son adversaire — ne demandez pas comment — et acheva le chevalier d’un coup en plein dans la colonne vertébrale. Gontran lâcha un râle avant de s’effondrer au milieu de la salle de classe, sous les applaudissements d’admiration des élèves.
— Excellent, Timothée, excellent ! 20 sur 20 en philo !
— Merci, m’sieur Azurill !
— Bordel de merde… souffla Ticho, abasourdi.
— Allez, les enfants, c’est la récré.
Ils se ruèrent dehors, épées brandies, et Ticho prit soin de s’écarter largement, par crainte de prendre un mauvais coup. Il se posa ensuite près de Gontran, face contre terre. Il était salement blessé, mais conscient.
— Ta stratégie marche vachement bien, ironisa le canard.
— C’est… une tactique militaire… qui dure sur le long-terme…
— Ouais, j’vois ça. Dis-moi plutôt… comment on fait pour aller à Kassos ?
— Ah… tu veux donc partir à l’aventure sur cet autre continent… camarade ?
La respiration sifflante de Gontran avait du bon : plutôt que de beugler comme à son habitude, il parlait d’une voix douce, fluette, aigue même. Sa colonne vertébrale n’était vraisemblablement pas la seule partie de son corps à avoir manqué de peu l’atrophie.
— Y’a un chemin rapide ? J’vais pas traverser la mer du nord en volant, je suppose que ce serait trop long ?
— J’ai entendu parler d’un paquebot qui ferait l’aller-retour, camarade… un véhicule marin de grande taille.
— Merci, je sais ce qu’est un paquebot, abruti.
— Il se trouve au port de Lavilkihédanlenor.
Les yeux de Gontran roulèrent dans leurs orbites. Il était proche de l’évanouissement, mais lâcha une dernière indication avant de sombrer :
— Il s’appelle le… le Titanictamair.
— Quels noms de merde, tichôôô…
Le canard pivota, pour constater qu’Azurill le regardait avec un mélange d’intérêt et de curiosité.
— Tu veux ma photo, machin bleu ?
— Tu pars à Kassos, oiseau de malheur ? Pourquoi ça ?
Ticho soupira.
Avec Azurill non plus, ça n’avait jamais été le grand amour. Anciennement chef du culte sataniste de l’Infâme Pichu, Azurill était aujourd’hui un membre de la Communauté du Cookie et s’était mis en tête de laver le cerveau d’élèves, sans doute par nostalgie de son passé de gourou. Il avait sali la cape rose du culte de l’Infâme, d’où le fait qu’aujourd’hui, il n’avait techniquement — selon ses propres règles — plus le droit de vénérer l’Infâme.
Ce qui l’avait transformé en un individu jaloux, fourbe, manipulateur et distant. Ticho préférait encore partir avec Alakazam qu’avec ce type ignoble !
— Je vais choper le Poireau Flamboyant, et je reviens, répliqua Ticho. Rien qui te concerne, tichôôô !
Il sortit de la salle de classe sans même accorder un regard de plus à Azurill.
Pourtant, ce dernier venait d’écarquiller les yeux de stupeur, et de passer du bleu au vert.
— Le… Poireau Flamboyant ? Que… vraiment ?
Azurill baissa les yeux sur un tract abandonné par terre. Il s’approcha, et sa surprise se mua en joie intérieure.
— Le Poireau Flamboyant a été retrouvé, et sera offert au gagnant des Jeux Pokélympiques ? s’étrangla-t-il. Mais… mais… je dois y aller !
Il se plongea dans ses souvenirs.
Oui, c’était assurément ça !
— Le Poireau Flamboyant, l’arme de prédilection de l’Infâme Pichu, autrefois volée et disparue. « Quiconque le trouvera pourra devenir le bras droit de l’Infâme »… c’est une des règles du culte sataniste ! s’écria-t-il pour lui-même.
Et, sur ce plot twist honteux, il jaillit dehors, bien décidé à s’emparer du grand prix.