Chapitre 14 : ...ne nous quitte jamais (deuxième partie)
En rentrant à l’appartement ce soir-là, Julie avait du mal à marcher et souffrait de maux de tête, probablement dus à la chute. Elle se tenait le ventre, là où le Métamorph l’avait violemment frappée. Elle n’aurait jamais pensé qu’un si petit Pokémon pouvait cacher une telle force.
En la voyant arriver, son formateur la rejoignit immédiatement. L’inquiétude se lisait sur son visage, mais il ne put s’empêcher de demander avec une légère pointe d’humour :
- Est-ce que ça va ? On dirait qu’un camion t’a renversée.
Julie ne put s’empêcher de sourire avant de répondre :
- Moi ça va, t’aurais dû voir la tête du chauffeur, ironisa-t-elle, le souffle douloureux.
Tandis qu’elle s’affalait sur l’un des fauteuils du salon, son ami alla récupérer la trousse des premiers secours. En jetant un œil à la télévision, Julie s’aperçut avec amusement qu’il était occupé sur une partie de jeu vidéo avant qu’elle n’arrivât.
Alors qu’il commençait à ouvrir la trousse, Julie protesta : elle préférait s’en occuper seule. Il n’y avait rien d’intime entre eux et elle ne souhaitait pas qu’il la touchât au ventre, ne fusse que pour la soigner.
- Je vais m’en charger toute seule, clama-t-elle. Ça m’apprendra à ne pas faire de bêtises.
- Qu’est-ce qui t’es arrivée ? s’inquiéta-t-il.
- Je te l’ai dit, une altercation avec un chauffeur de camion, répliqua-t-elle.
- Non, ça c’est moi qui l’ai imagée.
Elle ne voulait pas admettre qu’elle s’était fait tabasser par un Métamorph, mais son regard insistant lui indiqua qu’elle n’avait pas le choix que de s’exécuter. Dans le cas contraire, ils passeraient toute la soirée sur ce sujet sans importance, alors qu’ils avaient des choses plus importantes à discuter.
- Tu t’es… fait casser la gueule… par un… Métamorph ?
Un tel fou rire étreignait le jeune homme qu’il en avait les larmes aux yeux. Il se tenait le ventre, incapable de se contrôler. La moue dédaigneuse, Julie répliqua :
- Arrête de te moquer, c’est pour ça que je voulais pas t’en parler.
- C’est hi… hilarant comme anecdote… tu veux dire.
- C’est ça. Quand tu auras fini de te pisser dessus, tu pourras prendre ton ordinateur portable. J’ai du travail pour toi.
- Pourquoi, tu veux rechercher la plaque d’immatriculation du Métamorph qui t’a ren… ver… ssssé…
Le regard de profond mépris qu’elle lui lança, le fit immédiatement taire et reprendre son sérieux.
…
- C’est vraiment une attaque qu’un Pokémon peut lancer ça ?
Julie ne put s’empêcher de donner une tape sur la tête de son formateur :
- J’t’ai pas demandé de t’extasier sur la badasserie de Clara, mais de faire une analyse d’image.
- Oui oui, je sais. Mais regarde la puissance que cette attaque pourrait avoir.
Après avoir pris une aspirine pour son mal de crâne et panser son ventre dans l’espoir de calmer la douleur – un magnifique coquard violacé commençait à apparaître. Elle avait retrouvé son colocataire pour découvrir les résultats de ses recherches sur la photo qu’elle avait récupérée de Clara. Mais elle n’avait pas spécialement envie qu’il lui fît un résumé détaillé de la puissance de sa patronne, elle la voyait bien assez à l’œuvre comme ça.
- Et alors ? Qu’est-ce que ça peut bien faire qu’elle s’entraîne comme une dingue pour apprendre des trucs aussi tordus à ses Pokémon ?
- Tu m’as dit qu’elle voulait prendre sa revanche contre Emma, non ?
- En effet, soupira Julie.
L’ex-tôlarde se souvenait d’une conversation qu’elles avaient eues toutes les deux sur pourquoi elle était devenue championne.
- Mais elle m’a aussi dit qu’elle entraînait Draco à pouvoir affronter le Pokémon qui agresse les Dresseurs depuis quelques temps.
- C’était pas son projet de départ. J’imagine qu’après la disparition d’Emma, Clara a abandonné l’idée de la perfectionner.
- Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
- Regarde la quantité d’électricité qui se dégage dans cette photo. Je n’imagine pas la puissance que Draco devrait avoir pour réussir à la recréer, mais la contrôler…
- Qu’importe, un type Sol et l’attaque n’aura aucun effet, répliqua Julie, fâchée qu’il perdît du temps sur cette banalité.
- Mmmh… Clara a dû voir quelque chose dans cette attaque qui lui permettrait de gagner contre Emma de manière certaine.
Le jeune homme semblait perdu dans ses pensées, comme s’il tentait d’imaginer comment un combat entre les deux femmes pourraient se terminer.
- Oui, elle pourrait le battre, annonça-t-il, tranquillement.
Julie poussa un soupir de dépit. Elle se fichait complètement de ce que donnerait un combat entre Clara et sa cousine, tout ce qu’elle voyait à l’instant était qu’il lui faisait perdre son temps.
- D’ailleurs t’as des nouvelles de lui ? reprit-il. Ça fait un moment que je l’ai pas vu.
- Qui ça ? Raikou ? Pas depuis que Pokéagent m’ait dit qu’il était à la recherche de sa patronne.
- Après toutes ses années, il n’a pas lâché l’affaire, hein ? soupira-t-il.
De frustration, Julie claqua sa langue pour qu’il se remît au travail.
- Si ça ne te dérange pas, j’aimerais que tu jettes un œil à ça, là.
- Ça ressemble à… une espèce de bâton… et c’est au milieu de l’éclair ?
- Tu peux l’agrandir ?
- Je vais essayer, mais l’image est tellement vieille que la qualité de l’image risque d’en pâtir.
- Aucune importance, tant qu’on a un meilleur aperçu de ce truc.
Depuis son arrivée à l’arène, Julie n’avait pu s’empêcher de se poser une question. Une question sans importance pour son objectif ultime, mais une question : qu’est-ce que Clara avait commandé à Pokémontre SA ? Sa patronne avait caché précipitamment un objet qui ressemblait à une Pokémontre. Pourquoi en avait-elle deux ? Si c’était un rechange, pourquoi l’avoir soustrait aux regards importuns ?
- Voilà. L’image est pas claire, mais on a un meilleur aperçu de l’objet.
- Tu peux récupérer le dessin que je t’avais donné ? demanda Julie.
Lorsque Clara avait récupéré sa commande de Pokémontre SA, Julie avait fait un croquis de l’objet pour plus tard. Au cas où il y aurait des informations importantes à dénicher. Mais le jeune homme n’avait rien découvert d’utile. En même temps, comme il le lui avait fait remarquer, il n’y avait rien à trouver à partir d’un dessin mal fait sur une boîte banale. Une fois le dessin trouvé, l’informaticien en herbe superposa les deux images et hocha la tête, dépité.
- Les deux images ne correspondent pas. Regarde, le bâton est beaucoup plus long et fin que la boîte.
- Attends, prends juste le bout supérieur du bâton. Celui qui est plus gros que le reste.
Tandis qu’il s’exécutait, Julie ne put s’empêcher de se demander pourquoi ils parlaient tous deux de « bâton ». L’objet était clairement métallique et n’avait rien d’un simple bout de bois. Son partenaire découpa l’image comme elle le lui avait demandé, les superposa à nouveau et…
- Ça correspond, dit-il, incrédule. Comment t’y as pensé ?
- Ce « bâton » semble fait de métal. Et je suis sûr que si on avait ce truc entre les mains, on verrait qu’il est rétractable.
- Je vois… mais ça me surprend que Clara ait pu s’offrir un objet pareil. Il doit valoir une fortune.
- Bah tu m’as dit que ses parents étaient riches. Soit c’est un truc de famille, soit ses parents le lui ont fourni l’argent. Ou alors, elle se l’est payée avec ses économies, j’en sais rien moi. C’est important ?
- Plutôt oui, répliqua-t-il, courroucé. Grâce à toi j’ai accès à tous les comptes de l’arène, j’ai également pu récupérer les décomptes bancaires de la demoiselle grâce à mes contacts chez Poké-Agent.
- Et alors ? Tu as pu voir que Miss surdouée du combat était…
- Ruinée, l’interrompit-il.
- Pardon ?
Clara Galano, ruinée ? Elle qui gagnait l’ensemble de ses matches et dépouillaient au passage ses adversaires d’une partie de leur économie, elle qui avait gagné plusieurs tournois internationaux, était à sec financièrement ?
- Enfin, ruinée n’est pas vraiment le bon terme, se corrigea-t-il. Disons plutôt qu’elle vit dans une extrême pauvreté et ce, depuis des années.
- Et ses parents ne l’aident pas ? s’étonna Julie.
- Même s’ils l’aidaient, je ne pense pas qu’elle voie la couleur de leur argent, soupira-t-il.
- Ça explique pourquoi toute la trésorerie de l’arène passe dans l’alcool qu’elle achète à Rivamar, répliqua-t-elle.
- Tu es au courant ? s’étonna-t-il en haussant les sourcils. Les nouvelles vont vite.
- Je suis la comptable de l’arène, bien sûr que je suis au courant.
- Et y a pas une heure, je l’ai trouvée au Centre Pokémon en train de boire une bière.
Qu’est-ce qu’il racontait ? Elle lui avait dit qu’elle irait s’entraîner. Il était vrai qu’elle ne l’avait pas revue depuis leur conversation, mais avait-elle pris cette excuse pour justifier son départ pour se soûler ?
- C’est son problème, pas le mien.
- Écoute Julie, il faut que tu te procures les comptes complets de l’arène, lui demanda-t-il sur le ton de l’urgence.
- Je les vois toutes les semaines.
- Je parle des comptes des années précédentes, précisa son formateur. Avec ça on comprendra peut-être comment tourne cette arène.
- Des devoirs hein ? soupira-t-elle. Déjà que j’ai promis à Clara de trouver un nom débile pour son « extraordinaire attaque » sur laquelle tu vas passer un bon moment dans ton lit dès qu’on se sera quittés.
Il ne rit pas à cette suggestion à peine voilée. Il se contenta de lui jeter un regard venimeux lourd de sous-entendus.
- Occupe-toi des comptes de l’arène, Julie. Je vais me charger de trouver un nom. Ca m’évitera de me justifier sur ma vie privée. Et n’oublie pas Julie, demain soir tu dois voir Hunter.
Alors qu’elle s’éloignait du salon, Julie vit que son formateur observait avec un œil avide la photo de Clara.
*_*_*_*_*_*_*_*_*
- Que dirait votre patronne si elle savait que July Blood, la cousine d’Emma Blood…
Julie ne put s’empêcher de sauter sur Lucien pour l’étrangler. Un rire sinistre éclata dans ses oreilles, alors qu’elle tentait de l’étouffer pour faire taire le jeune homme. Celui-ci ne tenait pas compte de ses mains et répétait en boucle : « July » « July » « July ». Même quand elle relâcha le cadavre, elle l’entendait toujours. Elle prit alors une pierre sous la neige pour tenter de le faire taire…
- July Blood !
Le cri de son colocataire finit par la réveiller. Elle était en sueur, son oreiller était tout trempé. Agitant les mains, paniquée, elle ne put s’empêcher de bafouiller :
- Je n’ai pas voulu faire ça. Je n’y suis pour rien, pardonnez-moi… Je ne l’ai pas tué !
Une terreur panique se lisait dans ses yeux bleus. Elle ne se rendait même plus compte qu’elle avait quitté le monde des cauchemars pour la réalité. Il fallut qu’on la secouât vivement par les épaules pour qu’elle pût reprendre ses esprits.
- Calme-toi Julie.
Elle se redressa tant bien que mal dans son lit, la tête lourde et les paupières à demi-fermées par la fatigue. Elle sentait de la chaleur dans son crâne, comme si elle avait de la fièvre.
- Il sait. Il sait tout, il sait qui je suis…
- Qui ça ? Qui sait tout ? demanda son formateur, ses yeux marron-noir empli d’inquiétude.
- Lucien ! Ce type bizarre qui s’était introduit dans la chambre de Clara le mois dernier. Tu te souviens ?
Il acquiesça, désolé. L’ex-prisonnière lui avait relaté leur première rencontre. Notamment qu’elle avait failli vendre la mèche sur sa véritable identité, dû au fait qu’elle ne s’était pas encore habituée à son nouveau nom. Le jeune homme posa une main amicale sur son épaule.
- Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?
- Il m’avait proposé son aide pour…
Elle hésita à dire ce qu’il lui avait proposé. Ça ne faisait pas partie de l’opération et si Clara le découvrait, tout tomberait à l’eau… et elle retournerait directement en prison sans passer par la case départ.
- Tu en as assez de l’attitude de Clara avec toi et tous ses proches et tu as voulu lui donner une leçon ? suggéra l’homme aux cheveux d’ébène.
Julie ne put cacher sa surprise qu’il eût si aisément compris son intention.
- Co… comment ?
- N’oublie pas que je lis tes rapports moi aussi, répondit-il, amusé. Tiens, prends cette tasse de chocolat chaud et raconte-moi tout.
Il lui tendit une tasse qu’il avait déposée sur sa table de chevet. Elle la prit dans ses mains et souffla un peu avant de boire. La chaleur et le bon goût du breuvage la détendirent quelque peu. Une fois la gorgée avalée, elle admit qu’il avait raison.
- Je n’étais pas vraiment sûre de vouloir marcher dans sa combine, plaida-t-elle. Mais je voulais quand même entendre sa proposition.
- Et d’une proposition, c’est devenu un chantage, devina son partenaire.
- Malheureusement, soupira-t-elle.
- Et donc ? s’enquit-il. Qu’est-ce qu’il te veut ?
Julie se lança alors dans une explication de ce qu’il comptait faire et de son rôle dans l’histoire. Rôle qui consistait finalement en un simple acte de présence.
- Il compte empoisonner Clara et faire accuser sa sœur du meurtre ou de la tentative de meurtre, en conclut-il.
- C’est ça, soupira-t-elle. Qu’est-ce que je devrais faire à ton avis ?
- Pour l’instant, fais ce qu’il te dit. Je vais en parler à Hunter et lui expliquer la situation…
- Et c’est tout ? coupa-t-elle.
Elle grimaça en buvant une nouvelle gorgée avant de reprendre :
- Poké-Agent couvre ma connerie si j’me fais pas prendre et on en reste là ?
- Non. Pendant ce temps je vais me renseigner sur ce type. J’ai un contact à la Faculté de Rivamar qui pourra m'aider. Et puis aussi… en tant qu’ancien étudiant, je saurai me fondre dans la masse.
- C’est vrai… j’avais oublié que tu étais en deuxième année quand on s’était rencontrés. Mais pas d’imprudence, hein ? Je serai complètement perdue sans toi.
- Promis, je te casserai encore les pieds pendant les dix prochaines années, plaisanta-t-il.
Julie sourit à sa blague, mais ne put s’empêcher d’être inquiète.
- Quelque chose d’important à savoir sur ce Lucien ?
- C’est un manipulateur très bien informé. Il arrive très bien à faire croire à son entourage qu’il est doux comme un agneau, alors que c’est un vrai fils de pute.
- Noté… et tu as une idée pourquoi il en veut autant à Clara ?
- Il m’a dit qu’elle l’avait abandonné il y a cinq ans.
Julie finit sa tasse avant de la déposer sur sa table de chevet avant de conclure :
- Quoi qu’ait fait Clara, il lui en veut assez pour détruire la relation qu’elle entretient avec Élodie. S’il a déjà tué quelqu’un, ça ne me surprendrait pas, alors sois extrêmement prudent !
Retour à la maison après la crise de l’Arène
- Lucien a bien réussi son coup alors.
- En effet, soupira Julie.
Elle venait de lui raconter les évènements de la soirée précédente et la violente altercation entre Clara et Élodie qui avait eu lieu quelques heures auparavant. Vannée, la jeune femme s’était affalée sur son siège en grimaçant. Son ventre restait douloureux et elle avait passé toute la semaine à faire semblant qu’elle n’avait rien. Serrer les dents et avancer sans penser à la douleur. Mais celle-ci se rappelait à elle, comme une vieille amie à chaque fois qu’elle rentrait du travail.
- Tu t’es renseigné sur ce type ? lui demanda-t-elle, sur le ton de l’épuisement.
Il récupéra alors son cahier de notes sur la petite du salon où ils s’étaient installés, une tasse de thé disposée pour chacun. Il lut quelques lignes avant de lui répondre :
- D’après Sophie, c’est un étudiant modèle et travailleur. Ses notes à l’école sont excellentes dans la partie théorie. En ce qui concerne la pratique, il n’est pas exceptionnellement doué et semble préférer éviter les combats de Pokémon. Ensuite…
- J’ai pas la patience et encore moins l’envie que tu me racontes à quel point il est bon élève. Je m’en fiche complètement. T’as des informations plus utiles que ça ?
Son formateur grimaça devant son impatience avant de reprendre :
- Depuis la mort de Marc, Lucien s’est renfermé sur lui-même. Quand il n’est pas en cours, il passe tout son temps libre dans sa chambre… seul.
- Il n’a pas repris de colocataire ? s’enquit-elle, peu surprise.
- Non.
Il n’y avait rien d’étonnant à cela : en restant seul dans sa chambre, Lucien avait la liberté de manigancer tout son soûl sans éveiller les soupçons.
- En plus de ça, reprit le jeune homme, il a tendance à rester seul dans son coin. Même pendant les cours, il ne parle à personne. Ses copains semblent plutôt inquiets.
- Un type pareil a des copains ? Je les plains, grommela la fausse rousse. Tout ça ne nous avance à rien.
- J’ai la liste des Pokémon qu’il possède, si ça t’intéresse, ajouta-t-il.
Il posa alors une pile de photos et de descriptifs des différents Pokémon sur la table. Cela rappelait à Julie l’époque de sa formation où elle avait dû apprendre et connaître tous les Pokémon que Clara possédait. Ça ne faisait même pas un mois et pourtant elle aurait dit qu’une vie entière s’était écoulée.
En étudiant les photographies et les caractéristiques, Julie y forgea une idée qu’elle s’empressa de soumettre :
- Lucien s’est débrouillé pour faire accuser Élodie de l’empoisonnement de sa sœur, n’est-ce pas ? Imaginons que cela soit vrai et qu’Élodie ait bien empoisonné Clara.
- Tu penses qu’elle est la coupable ? s’enquit son ami.
- Coupable peut-être, mais pas responsable, corrigea Julie.
Elle prit une des photos qu’elle posa devant lui et la tapota du bout des doigts avant de reprendre :
- Il existe des Pokémon Psy qui ont un esprit suffisamment aiguisé et précis pour arrêter le cœur d’un homme adulte, affirma-t-elle, pleine de conviction. Certains ont…
- Je ne vois pas très bien le rapport, la coupa-t-il.
- Certains ont même développé des capacités mentales leur permettant de communiquer par télépathie, poursuivit-elle sans tenir compte de l’interruption. Si ma théorie est exacte, son Alakazam aurait très bien pu manipuler l’esprit de la jeune femme pour qu’elle obéisse à Lucien.
Son équipier la regarda en se grattant la tête, visiblement dubitatif.
- J’avais oublié que tu t’y connaissais bien dans ce domaine. Tu avais bien essayé de retourner le cerveau d’un mec avec ton Roigada il y a cinq ans et demi.
Son ton était neutre, pas accusateur. Julie en resta coite, n’ayant jamais pensé qu’il reviendrait sur cette histoire après si longtemps. Sa visite en prison lui avait permis d’apprendre de quelques erreurs de jeunesse. Sans bruit, elle formula les mots « Je suis désolée » sur ses lèvres. Il acquiesça en réponse avant de reprendre comme si rien ne s’était passé :
- Je pensais à autre chose moi. J’ai essayé de me renseigner aujourd’hui sur l’emploi du temps d’Élodie. Personne ne l’a vue hier. Il est possible que Lucien ait employé un Pokémon pour se faire passer pour elle.
- Tu penses à quoi ?
- A un Zoroark avec son Talent Illusion par exemple ou un Métamorph.
- Tu as repensé à mon histoire de l’autre jour hein ? Mais ta théorie tient pas la route, il ne possède aucun de ces deux Pokémon, rétorqua-t-elle en pointant les photos.
- Rien ne nous dit qu’il n’en ait pas capturé un exprès pour ça.
Son point de vue se tenait, malgré tout, elle avait un gros doute sur sa faisabilité. Après son agression dans la Grotte Retour, Julie avait effectué quelques recherches sur la créature qu’elle avait voulu capturer.
- Les Métamorph copie les caractéristiques des Pokémon dont ils prennent l’apparence, leur force, leur vitesse, leurs résistances… mais pas leur vitalité. De plus, ils sont incapables d’imiter le cri des autres Pokémon.
- Tu as raison, reconnut son formateur. Un dossier de Poké-Agent mentionnait une affaire à Alola où une bande de Métamorph avaient volé l’apparence des habitants de Konikoni.
- J’imagine que la supercherie a été éventée facilement parce qu’ils ne savent pas parler, devina Julie.
- En effet, toutefois dans les archives, il est fait mention d’un Zorua et d’un Zoroark parlant. Je vais étudier cette piste.
- C’est une possibilité, approuva la secrétaire. Lucien a démontré qu’il était plein de ressources. Mais on a un autre problème.
Il leva un sourcil interrogateur, ne voyant pas où elle voulait en venir.
- Quoi qu’on pense de la méthode employée par Lucien, c’est Élodie qui a empoisonné Clara et le mystère demeure sur comment elle l’a fait.
- Comment ça ? Tu ne l’as pas vu mettre le poison ?
Elle nia de la tête. Elle avait bien observé la jeune fille le soir précédent et rien n’indiquait comment elle avait placé le poison dans la tasse. Le jeune homme reprit alors son ordinateur portable. Un silence pesant s’installa pendant qu’il effectuait ses recherches. La police devait probablement savoir comment le poison avait été inséré. Poké-Agents avaient accès aux fichiers informatiques de la police de Rivamar depuis leur collaboration sur l’affaire du Bloody Night Killer.
- J’ai trouvé, lança-t-il joyeusement. D’après les experts de la police scientifique, le poison se trouvait sur le manche de la cuillère à café.
- Cuillère à café que j’ai moi-même donnée à Élodie, se souvint-elle. Et j’imagine que c’est la seule qui avait du poison, évidemment.
- C’est exact. Soit tu es dans le coup…
Le regard noir que lui lança Julie l’interrompit un instant avant qu’il ne reprît :
- Soit, tu as malencontreusement pris la mauvaise cuillère…
- Soit Élodie avait le poison sur ses doigts au moment où elle a pris la cuillère. Prenant des risques considérables pour sa santé, termina la fausse rousse.
- Nous sommes coincés, conclut-il.
Un petit quelque chose dérangeait Julie. Il lui semblait qu’un détail important manquant dans leur réflexion, mais elle n’arrivait plus à mettre la main dessus. Si elle parvenait à s’en souvenir, peut-être comprendraient-ils tout le stratagème employé par Lucien.
- Je sais pourquoi cette affaire te tient à cœur, révéla-t-il, après avoir gardé le silence quelques minutes.
Julie resta muette, attendant qu’il s’expliquât.
- Ça te rappelle celle que tu étais au tribunal. Victime d’une injustice, accusée d’un meurtre que tu n’aurais pas commis.
- Je n’ai tué personne, tu le sais très bien, soupira-t-elle.
- Justement, tu n’as aucune preuve… et en aidant Élodie à découvrir la vérité, tu essaies de te prouver à toi-même que tu es capable de prouver l’innocence de quelqu’un que tout accuse.
Julie garda le silence. Elle n’y avait jamais réfléchi, mais dans le fond il avait raison, d’autant plus que la situation était étrangement similaire à la sienne à l’époque.
- Je vais suivre ce Lucien pendant quelques jours, déclara-t-il sans emphase. Il ne sait pas qui je suis et j’en apprendrai peut-être un peu plus sur lui.
- Tu espères trouver où il cache son Maître des Illusions hein ?
- Exactement.
Le jeune homme s’affala dans son siège, tendu. Pris d’un instant de réflexion, il but une gorgée de son thé – qui avait refroidi depuis le temps – avant de reprendre la parole :
- J’aurais voulu qu’on parle de ses fichiers de comptabilité, j’ai reçu des nouvelles de Poké-Agents. Mais tu dois être épuisée après cette semaine intense.
- En effet.
Elle lui en savait gré de ne pas ajouter plus à la conversation. Elle n’avait qu’une envie : manger un morceau, se couler un bon bain et aller dormir. Elle le remercia du regard avant de se lever. Avant de quitter définitivement la rencontre, elle ajouta un dernier mot :
- Merci. Merci pour tout. Je me souviendrai toujours de ce que tu as fait pour moi. Je…
- Je sais.
*_*_*_*_*_*_*_*_*
Deux semaines venaient de s’écouler. La maladie de Clara l’avait clouée au lit pendant toute une semaine, obligeant Julie a repoussé tous les combats. S’en suivit un travail de longue haleine que d’appeler tous les Dresseurs pour leur fixer une nouvelle date de rencontre.
Durant ces deux semaines, Julie n’avait plus eu de nouvelles de son formateur. Elle n’était pas spécialement inquiète, il avait toujours su se débrouiller seul. Le fait de ne pas l’avoir constamment sur le dos pour lui parler du travail était également un plus. Mais elle espérait qu’il vînt lui donner des nouvelles ; il ne répondait pas au téléphone.
Une fois guérie, sa patronne avait dû accepter de sacrifier certains week-ends, tout en faisant deux combats par jour à quelques occasions. Julie avait dû bien insister à ce sujet, même pour lui rappeler ses devoirs de Championne pour qu’elle y consentît.
Sans compter que, ces derniers jours, ses combats n’avaient cessé d’être interrompus par des sonneries de téléphone, que la jeune fille avait ignorées… et surtout laissées sonner. Ses adversaires avaient été déconcentrés pendant quelques instants, lui laissant clairement une ouverture pour les attaquer. Quand la secrétaire lui avait fait remarquer, elle avait haussé les épaules.
- S’ils ne sont pas capables de rester concentrés sur un combat, c’est pas mon problème, avait-elle rétorqué.
Sur le fond, elle avait raison, mais Julie ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle aurait dû mettre sa Pokémontre sur vibreur ou silencieux et avoir eu la politesse de rejeter l’appel. Son interlocuteur devant forcément savoir qu’avec son statut de championne, elle pouvait ne pas être joignable. Ou alors, juste mettre un répondeur !
Une fois le match du jour terminé. Julie était retournée à son bureau afin d’effectuer d’entrer dans la base de données les résultats du match et d’enregistrer les coordonnées bancaires du Dresseur pour que le prélèvement automatique soit effectué.
En temps normal, les transactions s’effectuent via contact par les Pokémontres. Mais les instances officielles dirigeant l’Arène Ultime ont estimé qu’il était plus simple de passer par ce moyen. Les Dresseurs mettaient en jeu la somme qu’ils espéraient gagner en vainquant Clara, plus les frais d’inscription. S’ils la battaient vraiment, la Championne et l’Arène se répartiraient la moitié du quadruple de la somme et sinon le montant investi était reversé équitablement au Champion et à l’entreprise. Simple, non ? Pas pour Julie qui ne comprenait pas l’utilité d’un système aussi complexe. Cela transformait le tout en un casse-tête comptable au final.
Alors qu’elle avait le nez dans les chiffres, des bruits de pas s’approchant de son bureau lui firent relever la tête : sa patronne semblait vouloir lui dire quelque chose :
- Je n’ai pas encore pris le temps de te remercier, sourit-elle de ses dents blanches.
- Pourquoi donc ? s’étonna-t-elle, surprise.
- Le nom que tu as trouvé pour la nouvelle attaque de Draco est parfait ! lança-t-elle joyeusement.
- Ah oui, ça… Contente qu’il te convienne, répondit sombrement la jeune secrétaire.
Son formateur avait trouvé l’idée dans un jeu-vidéo sur lequel, lui avait-il dit, il avait passé beaucoup trop de temps. Le nom lui avait plu et l’avait répété à Clara. Celle-ci lui avait promis d’y réfléchir et qu’elle lui en reparlerait.
- D’où vient-il ? Ça me dit rien du tout.
- Euh…
Elle ne pouvait pas lui dire qu’il sortait d’un jeu vidéo, surtout sans citer lequel – elle n’en savait rien. Elle improvisa alors une réponse :
- C’est le nom d’un grand guerrier dans la mythologie nordique, répondit-elle sans réfléchir.
- Nordique ? Mythologie ? Qu’est-ce que tu racontes ? répéta-t-elle, incrédule.
Elle aurait peut-être dû trouver une meilleure idée que ça et inventer un mensonge plus crédible.
- Tu sais, la mythologie Pokémon n’est pas la seule dans le monde. Chaque pays a sa propre mythologie, la romaine, la grecque, l’égyptienne…
- Tu t’y connais là-dedans ? demanda-t-elle, soupçonneuse.
Elle haussa les épaules avant de reprendre :
- Peu importe au final. Même si tu racontes des conneries et, je suppose, que tu n’es pas la personne qui a trouvé ce nom, ce n’est pas grave, je le garderai quand même, conclut-elle sur un ton ferme et décidé.
Julie poussa un soupir de soulagement, Clara ne l’avait pas crue, mais n’avait pas envie de pousser son interrogatoire plus loin.
« Pourquoi l’a-t-elle affirmé sur ce ton ? Elle aurait très bien pu être plus douce et moins abrupte. » pensa-t-elle. « On dirait presque qu’elle le dit pour elle-même… comme si… »
Une sonnerie l’interrompit dans ses pensées. En levant les yeux vers sa patronne, elle s’aperçut que c’était de nouveau elle qui était dérangée. Mais elle ne fit pas mine de décrocher… encore une fois.
- Tu ne réponds pas Clara ? s’étonna Julie.
- C’est ma mère, répondit-elle sèchement.
- C’est peut-être important, remarqua-t-elle.
- Si c’est vraiment important, ils peuvent me faire passer un message par mon frère. Ça fait des jours qu’elle essaie de m’atteindre et elle n’a toujours pas compris que je veux PAS lui parler.
Le ton qu’elle employait pour parler de la femme qui l’avait mise au monde lui faisait froid dans le dos.
- Tu ne t’entends pas avec tes parents ? demanda-t-elle, curieuse.
Clara lui jeta un regard noir avant de se radoucir. Elle rougissait un peu lorsqu’elle parla ensuite :
- Quand j’étais petite j’étais un peu la petite princesse de Xavier Galano, mon père. Nous nous sommes toujours bien entendus. Avant de suivre mes études à la Faculté, il passait toujours me voir quand j’étais à Sinnoh. C’est lui qui m’a offert mon deuxième Pokémon, Xatu.
- Te voir ? Ce serait pas plutôt à toi d’aller le voir quand t’étais de passage ?
- Peu de gens le savent, mais j’ai fait du cirque pendant presque deux ans. Je n’avais pas vraiment l’occasion d’aller le voir, révéla-t-elle avec un petit sourire.
Julie écarquilla les yeux, interpellé par cette information. Elle pensait qu’elle avait entraîné ses Pokémon pendant cinq ans d’affilés, sans dédier ses journées à autres choses qu’à la baston.
- Pourquoi le cirque ? s’étonna-t-elle.
- Surprise hein ? s’amusa-t-elle. Je n’ai jamais été intéressée par les coordinateurs, trop différent du dressage. Mais le cirque m’attirait tout en me permettant de poursuivre l’entraînement. Et j’étais payée pour mes numéros avec mes Pokémon. Et surtout…
Elle s’était arrêtée quelques instants, hésitant à continuer.
- Surtout ? l’encouragea Julie, intéressée.
- J’avais une promesse à tenir, répondit-elle simplement.
Julie n’ajouta rien. Elle n’avait guère envie de subir les foudres de sa patronne en la poussant à se confier.
- Et pour répondre à ta première question, reprit Clara d’un ton décidé, ma mère m’a fait un très sale coup quand j’étais jeune et je n’ai plus aucune envie de la voir depuis.
- Et ton frère, s’enquit-elle, piquée par la curiosité d’en connaître plus sur sa famille.
- Ah… mon frère. Il a été mon modèle pendant longtemps, avoua-t-elle. Il a toujours eu le don pour amuser la galerie. Il a toujours eu un côté théâtral avec les gens. C’est lui qui m’a donné envie de faire du cirque.
- Ton frère aussi faisait du cirque ?
Le regard de Clara s’emplit de nostalgie.
- Il n’en a jamais fait, mais il s’amusait beaucoup à créer des petits spectacles pour les fêtes de famille.
- S’amusait ? répéta l’employée.
- C’est un peu compliqué pour lui quand la famille est complètement séparée, répondit-elle, espiègle. Depuis six ou sept ans, il se produit durant la fête annuelle de l’entreprise de mon père. Il imagine, monte et scénarise un tout nouveau spectacle chaque année. C’est une tradition très attendue par les invités.
- J’imagine…
- Maël faisait filmer ses spectacles chaque année, si ça t’intéresse, je peux te les montrer. Il me les a fait parvenir.
Julie n’avait pas spécialement envie d’assister à toutes ses prestations. Mais la joie de Clara quand elle en parlait était communicative.
- Montre-moi ton préféré, suggéra-t-elle, malgré tout curieuse de voir de quoi il était capable.
- Ma préférée, c’est quand il fait un numéro d’illusionniste, sourit-elle.
*_*_*_*_*_*_*_*_*
- C’était le dernier, souffla Clara, un peu soulagée d’être arrivée au bout du marathon.
- On a peut-être un peu exagéré, plaisanta Julie.
L’après-midi avait passé comme un éclair. Julie pensait ne regarder qu’une des prestations de Maël, mais son spectacle d’illusionniste l’avait laissée bouche-bée, admirative devant son talent. Une fois le premier spectacle terminé, Clara n’eut guère besoin de la convaincre d’en regarder un autre, puis un autre… et finalement tous y passèrent.
Ce faisant, elles les avaient toutes vues. Après les illusions, il y eut un spectacle d’imitations très réalistes en passant par une prestation très physique sur une barre verticale de dix mètres de hauteur – sans filet. Il y avait de tout et pour tous les goûts : un spectacle de coordinateur avec ses Pokémon, une saynette de ventriloquisme avec une marionnette, à un spectacle d’humour où il incarnait une femme cinquantenaire hystérique. Il avait même monté de toute pièce une histoire digne d’un polar où les convives devaient deviner l’identité d’un meurtrier.
Toutes les deux avaient regardé l'ensemble des vidéos sur l’ordinateur portable de Clara. Julie comprenait maintenant pourquoi il lui nécessitait une année entière pour préparer chaque spectacle ; ils étaient dignes de professionnels.
- Tiens… la dernière vidéo date de plus d’un an, remarqua Julie.
- Ah oui, c’est vrai, se rappela la Championne. Maël ne m’a toujours pas envoyé sa dernière vidéo.
- Tu sais ce qu’il avait prévu ?
- Je crois qu’il avait fait un numéro spécial à ce qu’il m’a dit. Un numéro en duo avec l’un de mes anciens Pokémon, mais il ne m’en a pas beaucoup plus dit. Il aime bien garder la surprise, avoua la jeune sœur fière de son grand-frère.
Les yeux de Clara étincelaient de joie, mais finirent par s’assombrir, alors qu’elle baissait la tête. Julie ne manqua pas de voir le changement d’attitude de sa patronne.
- Ils te manquent ? demanda-t-elle, d’un ton compatissant.
- Maël ? répondit-elle surprise.
- Non, tes anciens Pokémon.
La jeune fille s’agrippa fermement aux accoudoirs de son siège, visiblement tendue par cette question. Une larme roula sur son visage avant de répondre :
- Après ma défaite contre Emma…
« Encore cette histoire… Elle peut pas passer à autre chose plutôt que de revenir sur ce sujet ? » pensa Julie intérieurement. Elle n’en pouvait plus d’entendre parler de sa cousine encore et encore.
- J’avais pris la décision de devenir plus forte et de n’entraîner que les Pokémon qui avaient une marge de progression. Démolosse était le plus fort de tous mes Pokémon de l’époque, mais il avait pris une cuisante défaite contre Draco. J’avais supposé que cette rivalité entre eux deux les feraient progresser.
- Pourquoi n’avoir pas pris tes autres Pokémon ? Pourquoi avoir choisi Xatu ?
- Si Xatu n’avait pas été dans la balance, j’aurais pris Colhomard, également. Démolosse et lui sont à peu près du même niveau.
- Mais pourquoi Xatu ? insista Julie.
Quelle était la raison pour laquelle elle s’est mise à utiliser à un Pokémon qu’elle n’avait jamais utilisé auparavant ? D’après les données que lui avait transmises son formateur, il n’était fait nulle part mention d’un Xatu dans sa précédente équipe.
- Mes autres Pokémon voyaient en Démolosse une sorte de chef incontestable, cela n’était pas dérangeant avant. Mais quand il est venu le temps de choisir une équipe, il m’a fallu faire un choix. J’ai toujours entraîné mes Pokémon par la rivalité et, sans elle en ce qui concerne Démolosse, ça aurait nui à mon objectif de devenir plus forte.
Elle avait parlé dignement, avec une certaine froideur, comme pour se convaincre que son choix était le meilleur. Mais en voyant ses yeux verts s’humidifier, Julie comprit qu’elle regrettait cette décision, encore aujourd’hui.
- Colhomard a très mal pris cette décision, poursuivit-elle. Il avait probablement pensé que, son rival hors-course, il serait choisi.
Elle se tut, les mains tremblantes.
- Et si tu appelais ton frère, suggéra Julie, d’un ton enjoué pour lui remonter le moral. Tu pourras lui demander des nouvelles de tes Pokémon et lui demander pour la vidéo.
- Tu as raison, renifla sa patronne. Bonne idée, merci Julie.
Elle récupéra sa Pokémontre posée à côté de l’ordinateur, sécha ses pleurs et se donna une baffe sur chaque joue pour se remettre d’aplomb. Après avoir composé le numéro, elle porta l’appareil devant son visage et attendit. Une bonne trentaine de secondes s’écoulèrent, les deux filles s’entreregardèrent, se demandant s’il allait finalement répondre. Finalement, Maël décrocha.
- Salut frérot, lança Clara, heureuse de voir son grand-frère.
- Enfin tu décroches à ton foutu téléphone, Clara ! s’insurgea ce dernier.
Muette, Julie n’en croyait pas ses oreilles. Elle pensait qu’ils s’entendaient bien. Surtout en écoutant la description de Maël qu’en avait fait sa cadette. En voyant cette dernière, la secrétaire remarqua que sa patronne était tout aussi choquée qu’elle.
- Notre mère a essayé de t’appeler toute la semaine, pourquoi n’as-tu jamais répondu ?
- J’te l’ai déjà dit, Maël. Je ne veux pas parler à cette femme, si elle a quelque chose d’important à me dire, elle pouvait passer par toi, s’indigna la Championne.
La colère que le jeune homme aux cheveux roux avait affiché quelques secondes auparavant s’atténua, laissant place à un air grave. Julie le sentait, Maël avait quelque chose de mauvais à annoncer.
- Qu’est-ce qui se passe, Maël ? s’interposa Julie dans la conversation.
Elle sentit sa patronne sursauter dans son fauteuil en la voyant intervenir sans demander l’autorisation.
- Vous êtes… Julie, c’est ça ? J’ai bien peur que cela soit personnel.
- Très bien, je… commença-t-elle en se préparant à se relever.
- Reste, Julie, s’il te plaît.
Clara l’avait coupée en posant sa main sur son épaule. Julie pensa que sa patronne avait dû percevoir la même chose qu’elle.
- Très bien… je sais pas trop comment t’annoncer ça, Clara, mais…
Il se tut, cherchant visiblement ses mots. Le cœur de Julie battait à tout rompre, la sueur coulait à petite goutte dans son dos, l’attente en devenait insoutenable. En jetant un œil à côté d’elle, elle vit que sa patronne était dans la même expectative qu’elle.
- C’est notre père, il est malade ? T’as un cancer ? Notre mère est morte ?! Crache le morceau putain de merde, jura Clara.
Elle n’aurait pas dit mieux, elle aurait eu grand plaisir à s’en charger si elle ne l’avait pas devancée.
- J’ai bien peur que ce soit plus grave encore… Ton Métamorph, Clara… est décédé hier soir.
Un éclat de verre brisé se fit entendre alors que la Pokémontre de Clara se fracassait sur le sol. Sous le choc de la nouvelle, Julie entendit à peine sa patronne hurler sa détresse à plein poumon.
*_*_*_*_*_*_*_*_*
« Crack ! Bip ! Bip ! Bip !»
La conversation s’était subitement interrompue. Dubitatif, Maël mit un terme à la conversation, le jeune homme vêtu d’un costard-cravate ne s’était pas attendu que sa sœur lui raccroche au nez d’une manière aussi cavalière. Ou alors, elle avait lâché sa Pokémontre en apprenant la nouvelle, ce qui expliquait le bruit sourd avant que l’appel ne se terminât.
- Quel idiot, s’apostropha-t-il. J’ai oublié qu’elle détestait sa mère. Si je m’en étais souvenu, elle aurait été informée de la situation beaucoup plus vite.
Il s’en voulait un peu de ne pas avoir pu informer sa sœur en personne, il regrettait également de lui avoir répondu aussi sèchement avant de lui informer la terrible nouvelle. Mais il se consolait un peu en songeant au fait que Julie était présente pour la soutenir dans cette épreuve.
- Il faut que j’aille la voir, décida-t-il.
Il pressa sur le bouton d’appel de sa secrétaire et lui parla de manière directe et claire, comme le patron qu’il était :
- Je dois m’absenter un moment.
- Tout va bien Monsieur, répondit-elle, surprise qu’il s’en allât si tôt.
- Ma sœur vient d’apprendre que son Pokémon est décédé de son cancer de la peau, répondit-il attristé
- Oh ! Je suis navrée d’entendre ça. Présentez-lui toutes mes condoléances,
- Je n’y manquerai pas, merci…
Il s’interrompit un instant avant de reprendre son ton de Directeur :
- Désactivez le système anti-téléportation de mon bureau, s’il vous plaît.
*_*_*_*_*_*_*_*_*
Les mains tremblantes, Julie apportait du thé sur la table de la cuisine. Toutes les deux s’y étaient réfugiées après que Clara avait quitté la conversation en cassant sa Pokémontre. Maël n’avait pas pu la soutenir dans cette dure épreuve. Le contraste entre la froideur que la Championne avait affichée en demandant si sa mère était morte et sa réaction à l’annonce de la mort de son Pokémon avait laissé Julie pantoise. Sa patronne tenait à ses Pokémon bien plus qu’elle ne le laissait paraître.
- Tu étais proche de lui ? demanda-t-elle, avec empathie.
- Je l’étais, répondit-elle.
Les larmes coulaient à flot sur son visage ridé, ses yeux verts avaient viré au rouge. Julie avait dû la soutenir jusqu’à la cuisine, elle n’avait pas eu la force de marcher seule.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Tu te souviens quand je t’ai dit au sujet de Colhomard ?
Julie hocha la tête.
- Il ne fut pas le seul à avoir eu du mal à accepter ma décision.
Clara se tut, mais Julie comprit où elle voulait en venir. Métamorph l’avait aussi très mal pris.
- Métamorph était mon troisième meilleur Pokémon, se souvint Clara, émue. Toujours présent pour entamer les parties, capable de prendre l’avantage sur n’importe quel adversaire en usant leurs capacités contre eux…
Sa patronne était un génie des combats, avec les connaissances qu’elle avait sur les Pokémon, Julie voyait tout de suite que le Pokémon Morphing serait un adversaire formidable. Capable de prendre l’apparence de n’importe quel adversaire, d’utiliser n’importe quelle attaque de son adversaire, avec la même puissance, tout en se servant de l’imagination de son Dresseur pour combiner les nouvelles attaques.
- Pourquoi l’avoir laissé à ton frère ? demanda Julie. En tant que Championne Ultime, il aurait pu t’être utile.
- Ah ça… c’est l’une des plus grandes erreurs de ma vie, soupira Clara, avec amertume. Emma avait envoyé au tapis Métamorph en deux temps trois mouvements… j’ai alors pensé que je n’avais plus de marges de progression avec lui. Ce genre de stratégie est très efficace sur les débutants ou les Dresseurs moyens, mais contre des experts, ça ne marche pas du tout.
La froideur qu’elle avait tout à l’heure lorsqu’elle lui avait expliqué ses choix avait disparu. La jeune femme avait à présent un ton mesuré et plein de regrets. Elle tenait sa tasse entre ses deux mains, l’observant comme si elle pouvait y trouver un moyen de fuir cette réalité.
- Je ne l’ai pas testé en combat à l’époque. J’avais déjà pris ma décision… Et je… je l’ai…
- Tu ne l’as jamais revu depuis ?
Clara hocha la tête avec tristesse, incapable de terminer sa phrase. Ses mains tremblaient tellement que la tasse menaçait de déverser son contenu brûlant sur ses doigts. Julie la lui reprit, la déposa sur la table avant de s’agenouiller devant elle et de lui tenir les mains, comme pour la soutenir de sa présence.
- Clara, imagine que je suis Métamorph, qu’est-ce que tu me dirais ?
Clara papillonna des yeux d’un air hagard. C’était peut-être une idée saugrenue, mais dans la situation présente, elle n’en avait pas de meilleure. La jeune femme devait vider son sac, une bonne fois pour toute, la vie aurait peut-être une chance de continuer. Garder ses regrets en elle finirait par la bouffer.
- Je… je suis désolée, chuchota-t-elle en la regardant droit dans les yeux. Tu m’as donné la joie, la bonne humeur, même dans les moments les plus tristes. J’ai gagné mon premier combat avec toi, mon premier badge d’arène, je l’ai récupéré uniquement grâce à toi. Dans ma Pokémontre, j’ai toujours une photo de…
Clara s’interrompit un instant et sortit la deuxième, de couleur noire. Celle-là même qu’elle avait tentée de cacher à la vue de sa secrétaire plusieurs semaines auparavant.
« Était-elle en train de regarder cette photo ? Quand je l’ai surprise ? » se demanda-t-elle un instant avant de secouer la tête ; ce n’était pas le moment de penser à ça.
Ayant le loisir d’observer son deuxième appareil de communication, Julie nota qu’elle avait une lanière renforcée, le cadran avait lui aussi était protégé par une solide couche de plexiglass. En temps normal, les Pokémontres étaient tactiles, mais cette option semblait exclue. A la place, une petite série de fentes parallèles se voyaient sous le verre, comme pour un 1Natel.
- Photo, Métamorph ! ordonna Clara d’une voix intelligible et claire, malgré les larmes qui ruisselaient toujours sur son visage.
Comme Julie s’en était doutée, l’appareil était à reconnaissance vocale. Quelle fortune avait-il bien pu coûter ? Est-ce que ce sont ses parents qui le lui avaient offert ?
- Sur cette photo, révéla Clara, nous avons gagné notre premier tournoi. Je le tenais dans mes bras et il en riait de joie. Je devais avoir six ans ou sept ans à l’époque… Je m’amusais à le tordre dans tous les sens comme un chewing-gum quand j’étais gamine, il avait horreur de ça.
Les yeux verts de la Championne s’illuminaient, alors que les souvenirs paraissaient déferler comme un torrent derrière les miroirs de son âme triste.
- Tu savais qu’il était malade ?
Elle secoua la tête.
- Ni mon père, ni mon frère n’ont pensé à me prévenir, c’est… commença-t-elle à s’emporter.
- Non non non, pas maintenant Clara, l’interrompit Julie, stressée. Ne pense pas à ça, tu es en deuil, souviens-toi des bons moments passés avec lui et ne te mets pas en quatre pour ce qui s’est passé et ce qui aurai dû se passer.
- L’enterrement… songea Clara.
- Tu peux l’enterrer… ou te faire un bijou de ses cendres pour le garder auprès de toi… pour toujours, suggéra Julie. C’était ton Pokémon après tout.
Elle hocha, signifiant qu’elle avait compris. Elle n’avait visiblement plus la force de soutenir une conversation. Julie décida qu’elle allait rester avec elle jusqu’à qu’elle se fût endormie. Peut-être son frère viendrait-elle la voir et passerait du temps avec elle, Métamorph lui appartenait à lui aussi après tout.
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1Natel pour Nationales Autotelephonnetz ou Réseau téléphonique automobile national est utilisée spécifiquement en Suisse et au Liechtenstein pour désigner spécifiquement un téléphone portable.
Quelques heures plus tard
Après avoir laissé Clara se reposer, se promettant de revenir le lendemain matin aussi tôt que possible pour la soutenir dans cette épreuve, Julie avait entamé le chemin du retour. Elle avait traversé la Grotte Retour sans encombre, avant de s’emmitoufler dans son lourd manteau blanc pour se protéger du froid. En ce début mars, l’hiver était encore vigoureux.
Julie dut se résoudre à rentrer à pied. Comble de malchance, elle avait oublié son Roigada à la maison et son Goupelin ne connaissait pas l’attaque Téléport. Heureusement pour elle, le ciel était resté dégagé toute la journée, elle n’avait à affronter une giboulé. Malgré tout, la neige recouvrait toujours la région de son douceur blanche.
Alors qu’elle avait quitté les Sources Adieux depuis une dizaine de minutes, Julie entendit une sonnerie brève. Elle sortit sa main gauche de sa poche et, sans arrêter sa progression, regarda qui lui avait envoyé un message. Peut-être son formateur avait enfin décidé de donner signe de vie ?
Non, il venait de sa patronne. Sa déception laissa place à un sourire amusé, lorsqu’elle lut le contenu :
« Pour te remercier de m’avoir soutenue pendant ces quelques heures, je te laisse ceci en petit cadeau
- Amitiés, Clara »
Une photo accompagnait le mot. En l’ouvrant, Julie vit ce dont elle lui avait parlé quelques heures plus tôt. Sur le vieux cliché datant d’une dizaine d’années, on y voyait une toute jeune fille toute souriante qui portait un Métamorph dans ses bras. Ce dernier tenait entre ses membres un tout petit trophée. Le bonheur à l’état pur se lisait sur leurs visages, inconscients que le destin les séparerait quelques années plus tard. La jeune femme ne put s’empêcher de sourire, amusée par leur insouciance.
Absorbée par sa contemplation, Julie ne voyait plus où elle allait. Sa jambe butta soudainement sur un objet dur et long, comme un petit tronc couché, la fausse rousse tomba face contre terre avec un petit cri de surprise.
Elle gémit de douleur en sentant son ventre toujours douloureux cogner le sol. En tentant d’approcher ses mains pour apaiser la douleur, elle s’érafla les doigts sur le gravier que la neige éparpillée avait révélé. Elle reprit son souffle quelques instants avant de se mettre à genou pour se relever.
Mais alors qu’elle ramenait ses bras devant elle, elle remarqua ses longs doigts d’où quelques gouttes de sang commença à perler. Une image lui vint alors immédiatement à l’esprit. Des sparadraps posés çà et là sur ses diverses phalanges. Puis une autre lui vint en tête : cette fois-ci tous les pansements étaient sur le bout de doigts,.
- Shit, I know what was wrong ! jura-t-elle, à haute voix. Quelle idiote, c’est pourtant comme ça que j’avais su que c’était Lucien qui avait empoisonné Clara.
Aucune des astuces qu’elle et son formateur avaient imaginée ne fonctionnait. Aucune d’elles ne pouvait justifier la raison de pourquoi Lucien avait changé ses pansements de place, l’astuce qu’il avait employée y était intrinsèquement liée et il avait commis cette erreur sans s’en apercevoir.
C’est à ce moment précis que, presqu’inconsciemment, elle tourna la tête pour voir sur quoi elle avait trébuché. Son cœur manqua un battement de cœur, tandis que son visage perdait toutes ses couleurs et ses yeux sortaient de leurs orbites tant ils s’étaient écarquillés lorsqu’elle reconnut le visage du cadavre. Un flot d’images et de souvenirs traversèrent alors son esprit :
- Son Alakazam aurait pu manipuler son esprit.
- À un Zoroark, avec son Talent Illusion
- Je dois lui parler
- Ma préférée, c’est quand il fait un numéro d’illusionniste.
- Ces foutus sparadraps
- C’est important
- Ces nombreux appels auxquels Clara ne répondait jamais… se rappela Julie.
- Un numéro en duo
- Je dois lui parler
- Elle m’a…
- Comme c’est décevant. Une fouine mourra toujours comme une fouine.
Ces mots interrompirent Julie dans son flot de pensée. En relevant la tête, elle vit l’homme qu’elle n’espérait ne jamais revoir de sa vie. Son visage devint plus blanc que la neige qui l’entourait, la terreur avait imprégné son âme lorsqu’elle bafouilla :
- Lu… Lucien ?!
- En personne, sourit le jeune homme.
Tant bien que mal, Julie se releva pour faire face à son ennemi. Elle savait désormais comment il avait empoisonné Clara, mais ça ne le rendait pas moins dangereux. Elle s’arma de courage, malgré son cœur qui cognait dans sa poitrine, tentant désespérément de maintenir son corps terrifié en vie.
- Tu es un vrai magicien, Lucien. Tu as empoisonné Clara devant mes yeux en jouant sur mon esprit, me faisant croire des choses qui ne sont jamais arrivées.
- Oh ? Alors tu as finalement compris, répondit-il, visiblement impressionné.
Il restait parfaitement calme, mais Julie savait que rien ne changerait à sa situation, la seule chose qu’elle pouvait faire était de continuer la conversation aussi longtemps que possible, sinon elle finirait comme le cadavre à ses pieds : une corde autour du cou, cachée sous la neige.
- Comment as-tu compris ? demanda Lucien.
- Aux sparadraps que tu avais aux doigts. Quand tu es arrivé à l’arène avec Élodie tu en avais certains aux premières phalanges, quand tu faisais la cuisine, ils étaient tous au bout des doigts. Tu as également commis une autre erreur, sans le savoir et je viens seulement de m’en apercevoir il y a deux minutes.
- Je vois… J’ai malencontreusement rencontré des difficultés quand j’ai mis à exécution mon plan. J’ai dû… improviser, comme tu as sans doute dû le remarquer.
Il s’agenouilla près du corps qu’il caressa gentiment, presque avec tendresse, avant de reprendre :
- Lui aussi, il en savait trop. Le pauvre, il est tombé sur quelqu’un qui ne laisse personne se mettre en travers de son chemin et… voilà comment ça s’est terminé.
À ce moment-là, Julie avait l’occasion de s’enfuir. Elle était debout, lui accroupi. Le temps qu’il se relevât, elle aurait déjà quitté la clairière à toute jambe… Si elle s’était trouvée en état de courir du moins. Avec son ventre douloureux, elle aurait bien dû mal à lui échapper.
- J’ai découvert ton secret, tu comptes me tuer moi aussi ?
- Te tuer ? répéta-t-il, étonné. Pour qui me prends-tu, je ne suis pas un meurtrier.
- Tes actes parlent d’eux-mêmes, Lucien. Tu as empoisonné Clara, tu lui as menti droit dans les yeux, tu as cassé ses liens avec sa sœur, tu…
- Rien de tout cela ne fait de moi un assassin, l’interrompit-il. J’en veux personnellement à Clara, mais jamais je ne tuerais qui que ce soit.
Il semblait sincèrement touché qu’elle l’ait traité de tueur. Peut-être avait-il un peu d’honneur, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’il lui réservait un sort bien pire.
- Tu comptes faire quoi de moi alors ? Me rendre amnésique ? Me faire oublier tous mes souvenirs de notre rencontre ?
Lucien ne répondit pas tout de suite, il prit le temps de se relever avant de se tourner vers elle, le regard déterminé :
- Je n’ai pas l’intention de te faire quoi que ce soit Julie.
- Pardon ?
C’était à son tour d’afficher sa surprise. Lucien ferma les yeux, secoua la tête avant de reprendre :
- S’en prendre à l’esprit d’une personne peut causer des dégâts irréversibles, expliqua-t-il. Clara a subi un lavage de cerveau il y a cinq ans qui a failli complètement détruire sa santé mentale. Ce n’est que grâce à l’entremise de Draco qu’elle a pu s’en remettre. Mais elle en garde des séquelles, encore aujourd’hui.
De quoi parlait-il ? La confusion régnait dans l’esprit de Julie, Lucien avait dû le remarquer, car il ajouta :
- N’as-tu pas remarqué ses sautes d’humeur ? N’est-ce pas pour ça que tu avais demandé mon aide à l’origine ?
- Clara est incapable de contrôler sa colère à cause de ça ? Qui lui a fait ça ?
- Ça Julie, je ne peux pas te le dire, répondit-il, visiblement attristé.
Encore des mystères !
- Tu as peur que j’aie une mauvaise opinion de toi en sachant que tu es le responsable ? Rassure-toi, c’est déjà le cas !
Il s’esclaffa de sa mauvaise blague. Mais il reprit très vite son sérieux avant de jeter un coup d’œil au cadavre.
- Non, je ne souhaite tout simplement pas finir comme ton ami-là.
- Qu’est-ce que tu cherches Lucien ?
Il ferma les yeux avant de répondre, le visage grave :
- Une porte de sortie et tu pourras m’y aider.
Ce fut au tour de Julie de rire, mais Lucien semblait tout à fait sérieux :
- Si tu penses que je suis dangereux, tu devrais rencontrer le chef. Son ambition démesurée lui a fait commettre les pires horreurs, certaines dont tu as été toi-même la victime d’ailleurs.
L’expression du jeune homme trahissait une certaine compassion à laquelle Julie ne s’attendait pas. Les yeux de Julie s’ouvrirent comme des soucoupes, lorsqu’elle comprit où il voulait en venir.
- C’est à cause de toi si j’ai été condamnée à trente ans de prison ? s’indigna-t-elle.
- Je t’ai amenée à découvrir la vérité à mon sujet pour que tu arrêtes de fouiner partout et te fasse toi aussi assassiner.
- Alors, pour me protéger…
- Non. Pour avoir un moyen de pression contre le chef, précisa-t-il. Je t’ai mis dans le coup, non pas pour te protéger toi, mais pour me protéger moi.
Elle n’en croyait pas un mot. Il n’avait pas ménagé sa peine pour la menacer. Mais elle tenta toute fois d’obtenir quelques informations :
- Qui est ton chef ?
- Son nom ne te dira rien, comme Emma Blood, tu viens du Royaume-Uni. Mais laisse-moi me présenter en bonne et due forme.
Lucien adopta alors un ton cérémonieux en s’inclinant devant elle, la main droite sur la poitrine :
- Luce, Vice-Commandant de l’Escouade Royale de la Fondation Galaxie.
La Team Galaxie ! Elle qui n’y avait jamais cru en son retour, elle avait désormais un de ses membres en face d’elle. Le chef de Lucien – ou Luce – était donc Hélio. Et d’après ce qu’on lui avait raconté, c’était un homme très dangereux dont les objectifs visaient la destruction pure et simple de l’univers.
- Il n’y a qu’une seule personne en ce monde à avoir la possibilité de s’interposer entre le chef et ses objectifs sans y laisser la vie. Et cette personne est Clara Galano.
- Je vois, tu m’as convaincue… dans ce cas je ne dirais rien Lucien. Mais arrête de t’en prendre à elle.
Il sourit mystérieusement, Julie ne sut jamais s’il avait accepté ou refusé sa demande.
À SUIVRE
En hommage à Groudonvert-Sénior, décédé lors de l’écriture des chapitres 13 et 14.