Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Un monde en vrac de Red-Moon



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Red-Moon - Voir le profil
» Créé le 31/01/2021 à 15:20
» Dernière mise à jour le 15/07/2022 à 01:09

» Mots-clés :   Action   Aventure   Fantastique   Slice of life   Suspense

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
CHAPITRE 1 : Mary
CHAPITRE 1 :

Dire que Mary déboula dans l’appartement était un euphémisme. Elle fonça telle une tornade, lâcha son sac à dos dans l’entrée, enleva ses chaussures vite fait, et passa devant sa mère en la saluant brièvement, puis fit claquer la porte de sa chambre. Elle s’était installée sur son lit lorsque sa mère fit irruption :

- Je vais finir par t’interdire de jouer en semaine, fit-elle. D’ailleurs, donne moi cette console. J’en ai assez.
- Maman c’est bon! Fit Mary. J’ai fait mes devoirs aujourd’hui pendant les heures d’études, j’ai le droit de m’amuser.
- Et tu trouves ça normal de débarquer ici comme un troupeau d’éléphants, pour t’enfermer dans ta chambre? Tu ne sors jamais! On ne te voit pas avec nous, tu viens juste pour manger et tu repars. C’est à peine si tu débarrasses ton assiette. Tu ne traines jamais avec des copains, comme tous les autres.

Mary fit la moue. Des adolescents qui restaient dans leur chambre, elle en connaissait plein. De quoi sa mère se mêlait? Tant qu’elle faisait ses devoirs et qu’elle avait de bonnes notes à l’école, tout allait pour le mieux, non? Elle était assez grande pour gérer sa vie, et surtout pour savoir si elle aimait trainer dehors ou pas. Sa mère l’horripilait de plus en plus, avec ses leçons de morale. Qu’elle s’occupe d’abord de son couple avant de s’occuper d’elle! C’est vrai quoi : si son père était parti, il y avait bien une raison. Dans les bouquins de psychologie, ils disaient que sa mère était "castratrice". Rien n’allait jamais comme il faut, avec elle. Son père soit-disant, était un gros macho qui ne faisait jamais le ménage, ni la cuisine, ni la vaisselle, mais lorsqu’il le faisait, sa mère était toujours là pour dire qu’il n’utilisait pas le bon produit, qu’il devrait utiliser telle épice sinon son plat serait fadasse, ou qu’il fallait laver les verres avant les assiettes etc etc. Bref, sa mère était toujours sur le dos de tout le monde, entretenant une ambiance électrique dans le foyer. Mary avait bien essayé de jouer la franchise, mais sa mère avait répondu quelque chose comme "Je ne peux tout de même pas dire que c’est bien alors que je n’en pense pas un mot. Dans ce cas là, c’est bien ma chérie, tu bousille ta vie à rester dans ta chambre, mais continue, tu es sur le bon chemin!". Les discussions tournaient en rond, revenant invariablement sur Mary et sur ses défauts. Même quand ses parents se disputaient, ça retombait sur elle. Pas sur son petit frère, non! Lui, l’enfant modèle qui aide tout le monde, qui se fait des copains. Oh certes il n’est pas bon à l’école (pas comme elle), mais alors pourquoi, elle qui ne demandait rien à personne, se retrouvait-elle toujours au centre de l’orage familial? Ça ne loupait jamais. Si maman criait après papa car il ne participait pas assez aux taches ménagères, Mary se voyait gratifiée d’un "Et toi aussi, qui ne fais rien de tes journées!".

Alors oui, Mary préférait rester dans sa chambre. Ces murs jadis roses, aujourd’hui couverts de posters mangas, constituaient son antre. Son antre Dynamax. À une époque lointaine elle avait rêvé de princesses. Depuis, elle trainait avec les mecs, écoutait du rock et discutait techniques ninja, dragons et monstres. Sur son lit, elle se sentait à sa place. Dans son univers au moins, elle n’agissait pas mal. Elle réussissait ce qu’elle entreprenait avec panache. Dans son univers, elle était devenue maître Pokémon. Son fidèle Pyrobut ne l’avait jamais quittée depuis le début de son aventure, et son Pokédex avançait à merveille. Elle avait passé la barre des 300 pokémon capturés. En un clin d’oeil, elle obtiendrait le fameux "Charme Chroma", qui l’aiderait à capturer un maximum de pokémon chromatiques. Elle en faisait la collection. Depuis que, petite, elle avait découvert un magnifique Kranidos rouge dans sa version Diamant, elle combattait les pokémon sauvages dans l’espoir d’en trouver un de couleur différente. Dans son jeu actuel, elle avait commencé par un Polarhume. Avaient suivi un Airmure, un Magicarp, un Évoli et quelques d’autres encore. Mary adorait la "shasse", c’est à dire la traque et la capture de pokémon chromatiques. Ceux-ci, particulièrement rares, lui procuraient une adrénaline couplée à une nécessité de patience, qui donnaient du piment au jeu. Le combat ne lui déplaisait pas, bien qu’elle ne s’y connaisse pas du tout en stratégie pokémon. En clair, elle en était restée aux affinités de types et aux statistiques de base, demeurant relativement hermétique au vocabulaire des "IV" et "EV", que d’autres joueurs maîtrisaient bien mieux qu’elle. Malgré tout, ses pokémon se défendaient. Elle avait trouvé un bon adversaire, à l’autre bout du monde. La petite française et l’américain avaient construit leur amitié autour des pokémon. Sa mère pouvait bien reprocher à Mary de ne pas sortir, elle communiquait malgré tout avec un charmant garçon d’à peu près son âge. Bien sûr, Mary n’en touchait mot à personne : sa mère lui aurait d’emblée interdit ce genre de correspondance, arguant que par le biais d’internet ou de jeux en ligne, n’importe qui pourrait dire n’importe quoi. Les risques d’escroquerie, de harcèlement ou d’enrôlements idéologiques n’étaient pas à prendre à la légère. Mary le savait, et elle se jugeait prudente, mais ce qu’elle voyait surtout, c’est que Pokémon lui offrait en prime un moyen de travailler son anglais. De quoi mêler l’utile à l’agréable. Qu’est-ce que sa mère aurait eu à répondre?

Mary poussa un cri tandis que sa mère lui arrachait la console des mains.

Dehors, fit la mère en pointant la porte du doigt.
Quoi? Mais maman, tu peux pas…
Tu vas sortir t’amuser dehors, je t’appellerai pour le diner.
C’est ici que je m’amuse!
Descends avec ton petit frère, jouez ensemble.

Mary fit non de la tête en se mettant debout. Plutôt errer toute seule dans le parc qui leur servait de jardin, que de se coltiner son frère. Si sa mère voulait la voir dehors, elle ne serait pas déçue. Elle sortirait oui, mais qui sait si elle rentrerait pour diner. On la chercherait dans tout le quartier, on s’inquièterait, pendant qu’elle se marrerait dans un coin, puis rentrerait comme une fleur un peu plus tard. Lorsque la nuit serait tombée par exemple. Oui, c’est ça, on allait bien s’amuser. Elle demanda quelques minutes de préparation, fit le plein de barres chocolatées dans un sac à dos, mit ses basket et claqua la porte de l’appartement.

Dehors, l’air de septembre était doux. Pas comme aux États-Unis apparemment. Son correspondant lui avait raconté qu’une tempête de neige s’était abattue sur le Texas. Déjà inhabituelle à cette période de l’année, la neige avait d’autant plus fait parler d’elle que nombre d’habitants de ce coin d’Amérique n’en avaient jamais vu de leur vie.

"Foutu réchauffement de la planète", marmonna-t-elle en avançant sous les arbres. Les bruits lointains de la route se mêlaient aux cris des oiseaux dans leurs nids. Quelque chose l’arrêta soudain. Elle ne savait pas quoi ni qui, mais on avait capté son attention. Du bruit dans les fourrés.

- Adri, t’es sorti finalement? C’était pas la peine de me suivre tu sais.

Elle imaginait son frère, Adrien, sortir du buisson en criant "bouh!", et elle de simuler un sursaut pour lui faire croire que oui, elle avait réellement eu peur. C’était bien son genre, à ce farceur né. Elle fit mine de l’ignorer et continua son chemin, mais le mouvement reprit. Non, ce n’était pas son frère. C’était plus petit. Un animal peut-être. Certainement un chat. Rien d’alarmant.
À mesure qu’elle marchait, le bruissement la suivait, alors elle quitta les frondaisons pour gagner la pelouse et l’aire de jeu des enfants, vide à cette heure-ci. Elle s’assit sur le tourniquet et le fit tourner avec son pied, nostalgique d’une époque où elle en avait usé des baskets, sur ces sols amortissants. "Qu’est-ce qu’on s’amuse", fit-elle dans un soupir, s’asseyant en tailleur sur la surface métallique.
Mary mit un moment à comprendre que le tourniquet tournait toujours alors qu’elle ne lui avait donné aucun élan. Elle ignorait que ces jeux fussent dotés de moteurs, mais après tout, la technique investissait chaque parcelle du quotidien, alors pourquoi pas les aires de jeux aux pieds des immeubles? À la réflexion, le bruit du moteur lui paraissait suspect. On aurait plutôt dit, voyons… Un grognement! Oui c’est ça! Ce bruit lui faisait penser à un chien qui grogne! Elle tourna la tête de tous les cotés pour n’y découvrir personne. D’où venait ce bruit? Et comment le tourniquet tournait-il? Elle devait descendre, ou sinon elle aurait le tournis. Avant même d’avoir posé les pieds par terre, elle ressentit une morsure au mollet droit. D’un bond, elle se mit debout sur la plateforme, les sens en alerte.

- Qu’est-ce que c’était bon sang!?

La peur l’envahissait, mais elle se ressaisit. Un petit chien ou un chat devait se trouver là-dessous, il aurait repéré quelque chose et grogné après puis, surpris de voir un pied dans son champ de vision, aurait sauté pour mordre. Pas de quoi paniquer, franchement! Mais le tourniquet tournait toujours. Elle commençait à tanguer sur ses appuis, un début de migraine dans le crâne. Était-ce une idée, ou le jeu allait plus vite? Elle se mit à quatre pattes sur la structure, maintenant tout à fait apeurée. Elle ne croyait plus aux fantômes depuis ses 5 ans, mais là, elle devait bien reconnaître que la situation était troublante.
Esprit du tourniquet ou je sais pas qui, laissez moi descendre, c’est bon, c’est pas drole!

À peine ces paroles prononcées s’en voulut-elle. Si c’était son frère qui était là-dessous? Bien caché, il aurait pu le faire tourner lui-même et imiter ces grognements. Quant à la morsure, il aurait pu la faire avec ses ongles. Venait-elle vraiment d’invoquer l’esprit du tourniquet? Là c’est sûr, il allait bien se payer sa tête.
Déterminée à démasquer son frangin de malheur et à lui passer le savon de sa vie, elle sauta à terre, mais n’eut pas le temps de se retourner qu’un coup sur la nuque l’assomma.

Une minute passa avant que Mary n’ouvre les yeux. Quelque chose se tenait auprès d’elle, elle le sentait. De petits couinements inquiets précédèrent une sensation de toucher doux. Une patte velue, une fourrure blanche et de longues oreilles. Un lapin? Sacrément gros alors! Un lapin blanc avec des touches jaunes et rouges? Mary n’en avait jamais vu de pareils. À moins que…
Mary se redressa tout à fait, et la créature détala. La jeune fille se tenait assise sur le sol, près du tourniquet (qui désormais ne tournait plus). Il lui fallait reprendre ses esprits. Elle n’avait pas rêvé. Elle avait parfaitement distingué un animal blanc qui ressemblait trait pour trait à un Flambino!

*
* *

Allongée dans son lit, Mary n’en revenait toujours pas. Personne ne la croirait, c’était sûr. D’ailleurs, même elle s’interrogeait encore sur son éventuelle folie. Sa mère avait raison : elle jouait trop à la console. Pourtant, ce qui dormait à ses côtés, la tête blottie sous sa main, était bien un pokémon!

Une fois remise de son trouble, Mary avait tenté de rattraper la petite peluche blanche. Elle devait en avoir le coeur net. Elle finit par le dénicher sous un taillis, mais le lapin s’évapora une fois de plus, non sans avoir frappé Mary d’un coup de patte. La jeune fille le dénicha près du local poubelles. Alors la créature, se sentant acculée, se mit à grogner. C’était donc ça qu’elle avait pris pour un moteur. Sans doute ça aussi qui l’avait mordue.
Mary s’accroupit et, doucement, fit comprendre à la créature qu’elle ne lui voulait aucun mal. Partagé entre l’excitation du paranormal et l’incrédulité d’avoir en face de soi un pokémon en chair et en os, le coeur de Mary battait à tout rompre. Elle ne devait sous aucun prétexte le laisser filer. En un éclair une pensée contraire lui vint : "Et après, qu’en feras-tu? Tu ne peux pas le garder comme un animal de compagnie lambda. Qui croira à un lapin pareil! Et les laboratoires voudront se l’approprier, tu devras le protéger. Es-tu prête pour ça?" Après tout, se dit-elle encore, elle n’était peut-être que la seule à le voir. Une hallucination de son esprit bercé de jeux vidéos et d’animés. Son cerveau d’adolescente oscillait entre la douce candeur de l’enfance, et la rationalisation des adultes. Une partie d’elle voulait y croire, comme on croit en la fée Clochette, mais une autre partie d’elle, la Mary qui grandissait, qui murissait, s’évertuait à nier l’existence de toute créature se situant en dehors des cases de la normalité humaine.
Après une étude rapide de son environnement, Flambino se mit à lancer droit devant lui tout ce qui lui passait à portée de pattes, et Mary se retrouva bientôt couverte de déchets. Elle hurla, tant de surprise que de dégoût. Malgré les peaux de légumes, les emballages vides et autres débris dont elle ne voulut surtout pas connaître la composition, Mary parvint jusqu’au petit pokémon et le serra dans ses bras. Flambino se débattit, griffa, mordit. Il fit déraper son pied sur le jean de la jeune fille, ce qui lui occasionna une brûlure superficielle, mais douloureuse. Elle serra les dents et se força au calme. Plus elle serait sereine, plus la créature serait rassurée. Enfin ça, c’est ce qu’on racontait dans les films, parce qu’en réalité, Mary n’eut d’autres choix que de lâcher le pokémon et de le voir s’abriter derrière les poubelles.

Le souffle court, le corps couvert d’égratignures, Mary s’assit en tailleur. Elle était sale et le local empestait, mais bon sang, on n’avait pas tous les jours l’occasion de rencontrer un pokémon, alors elle resterait toute la nuit s’il le fallait.
Le silence s’étira un long moment avant que May ne sourit. Elle avait failli oublier les barres chocolatées que contenait son sac à dos! Lorsque la faim s’imposa, elle ouvrit un paquet. Elle allait en lancer un bout à son protégé, là bas, derrière les poubelles, mais elle ne put se résoudre à laisser tomber de la bonne nourriture parmi les déchets. Alors elle posa le chocolat devant elle, et attendit. Au bout d’un moment, elle parla d’une voix étonnamment détendue :

- Je ne sais pas si tu me comprends… Dans les dessins animés, les pokémon ont toujours l’air de comprendre les humains. Tant pis, j’essaye : je sais que tu es un Flambino, un pokémon feu de la région de Galar. J’ignore comment tu as atterri ici, mais je pense que tu dois être un peu dérouté. Moi-même j’ai du mal à comprendre comment c’est possible…
Pas de réponse. Elle reprit :

- Tu sais, je suis une dresseuse de pokémon. Enfin, pas en réalité. Juste dans un jeu. Saches que j’ai choisi Flambino comme pokémon de départ.

Aucune réaction. Alors elle parla encore. Elle promit que jamais elle ne pourrait lui faire de mal. Au contraire, elle pouvait l’aider. Mary ignorait totalement d’où une telle tirade lui venait. Comment aurait-elle pu aider de quelque manière que ce soit? Elle, une collégienne au quotidien bien rythmé, qui n’avait jamais rien eu à faire avec du paranormal ou de l’inter-dimensionnel. Elle, Mary, qui peinait encore à croire à ce qui lui arrivait. Elle continuait de parler pourtant. Sans doutes pour se rassurer elle-même autant que Flambino. Elle dit qu’il voudrait sûrement rentrer chez lui et qu’ensemble, ils trouveraient une solution.

Flambino vint flairer la barre de chocolat, l’engloutit, puis renifla les mains de Mary, avant de s’intéresser au sac à dos. Tout à coup, elle entendit des voix, dehors. Elle n’eut que le temps de cacher le pokémon dans son sac et de lui prodiguer d’ultimes paroles rassurantes, lorsque sa mère se campa à l’entrée du local. Le nez pincé, elle hurla :

- Non mais tu as vu l’heure? Je te cherche partout, je m’inquiète de ne pas te voir rentrer, et je trouve mademoiselle dans les poubelles. Quelle idée! Tu es malade ou quoi?

Puis, remarquant l’état de sa fille, la mère se calma soudain. Son visage se fendit d’un air épouvanté. Mary était en sang! S’était-elle faite agresser? On aurait pu s’y attendre, avec les bandes de caïds qui trainent dans les quartiers. Que lui avait-il pris d’envoyer Mary dehors toute seule? Il fallait lui pardonner : sous le coup de la colère, elle n’avait pas réfléchi aux risques de tomber sur de mauvaises rencontres (au fond d’elle, Mary se félicitait de la culpabilité maternelle. Maman voulait embrasser sa fille très fort… Après une bonne douche, car elle était couverte d’immondices, c’était dégoûtant.

Ainsi, Mary regagna la chaleur de l’appartement, ouvrit son sac à dos à l’abri des regards, pour s’apercevoir que le petit lapin n’avait fait qu’une bouchée des barres chocolatées, comme en attestaient les emballages vides et les moustaches marrons sur le pelage blanc. Lui aussi aurait mérité une bonne douche!

Lavée et nourrie, l’adolescente s’était mise sous la couette en compagnie de son nouveau pokémon. À présent, elle regardait le plafond, bien trop excitée pour trouver le sommeil.