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Cosmos Zero - Partie 1 : La Calamité de l'Amour de Kazumari



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Informations

» Auteur : Kazumari - Voir le profil
» Créé le 25/01/2021 à 17:13
» Dernière mise à jour le 26/01/2021 à 18:03

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Action   Aventure   Fantastique   Mythologie

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Chapitre 1 : La jeune fille déboussolée
Comme à son habitude, Ylliana sortait de sa torpeur dans une position très inconfortable, différente de celle qu’elle présentait au moment de s’endormir. Ses jambes étaient plaquées contre le mur et ses deux bras pendaient du même côté. Cela ne fut pas du goût de son compagnon Charmilly qui s’était pris un coup au beau milieu de la nuit alors qu’il souhaitait simplement se reposer près de son amie. Et comme chaque matin, l’adolescente devait s’excuser auprès de lui.

Sa longue chevelure blonde et lisse en désordre, elle tentait de se remettre les idées en place. Son étrange conversation avec l’énigmatique Felastrasia Ulfricientis. Tout laissait penser qu’il s’agissait d’un rêve mais pour Ylliana, il n’y avait aucun doute que ce dialogue avec la Mage du Savoir était tout aussi réel que son interaction actuelle avec Charmilly qui lui caressait la joue. De nombreuses interrogations fusaient dans son esprit au point de lui donner la migraine.

Pendant la décennie passée, la jeune fille avait exploré le continent en compagnie de son père adoptif Aléandre Nertiloni, dont le rêve le plus cher fut de mettre la main sur l’épée divine Arithmédia. Épée, qui reposait à présent dans son fourreau, non loin du lit d’Ylliana. Depuis la mort de son compagnon d’aventure, elle n’avait jamais dégainé la lame. Superstitieuse, elle était très inquiète de l’opinion qu’Aléandre pouvait avoir d’elle en ce moment de l’autre côté si elle s’amusait à utiliser Arithmédia.

N’entendant pas les Déflaisan chanter à l’extérieur, Ylliana en conclut que le soleil ne s’était pas encore levé et qu’elle s’était donc réveillée prématurément. Par respect pour les autres résidents de la demeure, elle demanda à Charmilly de rester silencieux pendant qu’elle-même s’asseyait sur sa couverture qui formait un pli. Elle avait clairement besoin de réfléchir à ce qui s’était dit au cours de cet échange cryptique avec la sorcière aux cheveux blancs de neige.

Son œil azuré valide se posa sur le fourreau de l’arme divine. Difficile de croire que l’âme d’un être puisse être enfermé à l’intérieur de cet ensemble d’acier. Si elle tentait de révéler à quelqu’un les événements survenus lors de ce prétendu rêve, nul doute qu’on la prendrait pour une folle. D’autant plus qu’Ylliana cherchait à rester discrète et ne pas se faire remarquer depuis son arrivée ici. Son physique était déjà un handicap pour cela.

Sa blessure lors de son combat vain face au brutal Taranis Helbator, chef d’un groupe de brigands sans pitié nommé les Crânes Noirs, l’avait privé de son œil droit en ne laissant qu’une fine cicatrice qu’elle dissimulait grâce à un bandeau noir. Pour les autres villageois, cela suffisait pour les convaincre qu’Ylliana n’était pas un simple paysan. S’intégrer ne se montrait pas facile mais elle faisait de son mieux et prenait sur elle, persuadée que cela valait mieux que de courir sans but à travers le monde.

- Cela fait combien de temps que nous avons fait escale ici ? demanda-t-elle doucement à Charmilly venu se blottir entre ses genoux. Environ six mois, non ? Cette Felastrasia ne mentait pas en prétendant que me contacter était ardu si elle s’attelle à la tâche depuis tout ce temps…

Le Pokémon Crème se contenta de chantonner paisiblement en guise de réponse. Ylliana lui lâcha un léger sourire. Il était son seul réel confident depuis la mort d’Aléandre. Le robuste Ixon qui avait vécu tant d’aventures avec l’explorateur, incapable de passer à autre chose après sa disparition, avait décidé de retourner à l’état sauvage parmi les siens. La jeune fille doutait de le revoir un jour mais elle préférait ne pas écarter toute possibilité.

Le petit village où Ylliana se trouvait répondait au nom d’Alverton. Elle s’était retrouvée ici sur les conseils de Britfrith Iscamord, une guerrière que l’adolescente avait rencontré le jour fatidique de la perte de son père adoptif. En ces lieux reculés aux frontières du royaume de Sindrélia résidait Naginata Iscamord, simple paysanne mère au foyer, et grande sœur de Britfrith. D’une grande gentillesse, elle avait accepté de prendre en change Ylliana sans l’ombre d’une hésitation.

En attendant le jour où la jeune blonde saurait converser en langage Pokémon sans difficultés, Naginata demeurait la personne avec laquelle Ylliana se sentait le plus à l’aise pour entretenir des discussions. Douce et calme, la présence de la trentenaire lui faisait beaucoup de bien dans l’objectif de se reposer et reprendre le cours de sa vie. En ce moment-même, Ylliana hésitait à lui parler de Felastrasia Ulfricientis mais craignait de ne pas être prise au sérieux.

Elle se laissa tomber sur son lit, toujours perdue dans ses pensées. Il lui arrivait souvent de passer de longues heures à méditer, lorsqu’elle n’aidait pas Naginata dans ses tâches ménagères ou ne jouait pas avec Eliria, la fille de cette dernière. Depuis la mort d’Aléandre, elle continuait d’être envahie par les doutes. Pourtant persuadée que son futur demeurait bien ici, à une vie sans histoires, elle continuait de ressentir cette désagréable impression qu’elle ne se trouvait pas là où elle le devrait.

La fameuse question qui lui revenait sans arrêt en tête. Que penserait Aléandre d’elle s’il pouvait la voir en ce moment ? Ylliana avait beau disposer des Yeux Sacrés de l’Entre-Vie pour assister aux phénomènes paranormaux, elle restait incapable de communiquer directement avec un mort qui serait passé définitivement de l’autre côté pour rallier l’Outremonde. Aléandre était-il resté quelque part dans ce monde en tant que fantôme ? La jeune fille en doutait, ce dernier semblant être parti sans regrets.

- Peut-être devrais-je me rendre au dojo de monsieur Masamune aujourd’hui… murmura-t-elle, jetant un regard en biais vers Arithmédia rangée contre le mur. J’avais promis de me maintenir en forme pour ne pas perdre mes habitudes des combats à l’arme blanche mais je me laisse trop aller ces temps-ci…

Ylliana n’aurait su évaluer la durée de ses palabres, sursautant en entendant finalement les Déflaisan du village d’Alverton qui commençaient à pousser des cris. En l’absence de fenêtres dans la pièce qui lui servait de chambre, l’adolescente ne disposait d’aucun indice pour connaître l’heure de la journée. Comme chaque matin, il ne faudrait que quelques minutes avant que la fameuse tornade ne débarque afin de la sortir de ses draps pour le premier repas de la journée. Elle ne fut pas déçue.

- Debout, Ylliana ! s’écria une voix fluette alors que la porte en bois s’ouvrait violemment sans crier gare. C’est l’heure de… oh, tu es déjà debout ?

De nature enjouée comme à son habitude, Eliria se jeta aussitôt sur Ylliana pour lui faire un câlin, repoussant indirectement le pauvre Charmilly sans s’en rendre compte. Âgée de douze ans, elle ignorait encore toute la cruauté du monde et vivait paisiblement à Alverton avec une mère qui l’aimait profondément et un père qui lui ramenait constamment des cadeaux à chaque visite, ce dernier ayant un travail le forçant à rester à Aralon, la capitale du royaume de Sindrélia.

Ylliana l’enviait beaucoup, elle qui à six ans avait perdu ses parents biologiques lorsqu’une attaque des des Crânes Noirs avait mis à feu et à sang son village natal de Haut-Vent. Le fameux incident qui avait entraîné l’apparition de ses Yeux Sacrés de l’Entre-Vie dont elle ne pourrait plus jamais se séparer à moins de perdre définitivement la vue. Elle espérait vivement qu’Eliria n’aurait jamais à endurer un tel calvaire et puisse poursuivre son existence comme elle le souhaitait.

L’adolescente ébouriffa les cheveux bruns de la nouvelle arrivante avec un maigre sourire avant de tirer sur ses joues roses en lui faisant remarquer, comme chaque jour, que ce n’était pas très hospitalier de réveiller les gens dès le lever du soleil. Elle laissa ensuite Eliria repartir en direction de la cuisine pendant qu’elle se préparait. Après avoir arrangé sa coiffure dans la limite de ses capacités en se regardant dans le reflet de son épée, elle quitta à son tour la chambre en compagnie de Charmilly.

Naginata Iscamord, la propriétaire de la demeure, attendait dans la cuisine comme chaque matin. Une femme d’une trentaine d’année pour laquelle Ylliana éprouvait un grand respect. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle ne ressemblait pas du tout, physiquement ou mentalement, à sa petite sœur Britfrith, que la jeune fille avait côtoyé quelques temps avant d’arriver au village. On aurait presque pu penser qu’elles n’avaient aucun lien entre elles.

- Tu as bien dormi, Ylliana ? demanda-t-elle de son habituel ton serein, sans un mot plus haut que les autres. Je sais qu’il y a eu des rafales de vent cette nuit, ta chambre n’est pas la mieux placée…

- Tout va bien, j’ai très bien dormi ! assura la concernée.

Elle s’assit à sa place habituelle autour de la table. Pour le moment, Ylliana préférait ne pas mentionner ce qui s’était déroulé au sein de son rêve, si l’on pouvait appeler cet événement particulier un rêve. La petite Eliria également présente dans la pièce n’avait pas besoin d’entendre parler de sorcières des temps anciens confinées dans des épées divines. Ylliana n’était même pas certaine que Naginata parviendrait à la croire, malgré son caractère compréhensif.

Régulièrement absent, l’époux de Naginata travaillait en ce moment même à la capitale du royaume de Sindrélia, Aralon, en tant que gardien de la paix. Pour l’avoir rencontré quelques fois depuis son arrivée, Ylliana conservait le souvenir d’un fin bretteur particulièrement habile, avec le sourire et qui ne se prenait jamais la tête. La jeune fille aurait adoré pouvoir adopter cette mentalité pour avancer sereinement mais elle n’aurait jamais la force d’effectuer un tel travail sur elle-même.

Eliria ressemblait davantage physiquement à son paternel. Naginata Iscamord était une femme plutôt grande, dépassant légèrement son invitée et disposant elle-aussi d’une longue chevelure blonde, coiffée en queue de cheval. Même après avoir passé la moitié d’une année en sa compagnie, Ylliana éprouvait encore des difficultés à réaliser qu’elle était la sœur aînée de Britfrith, une femme alcoolique et impertinente qui ne vivait que pour le champ de bataille.

- Ylliana, je suis sûre que quelque chose te tracasse, tu ne peux pas me tromper… souffla Naginata alors que sa fille quittait la table pour aller s’amuser avec ses amis à l’extérieur. Tu sais très bien que je ne vais pas te juger, tu peux tout me dire.

- Je ne suis vraiment pas douée pour cacher mes sentiments. Disons que… je ne sais pas si je suis en train de devenir folle ou non mais quelqu’un a tenté d’entrer en contact avec moi cette nuit. Grâce à mes Yeux Sacrés de l’Entre-Vie.

Ylliana lui raconta en détail le contenu de son rêve sans rien omettre. Naginata l’écouta calmement sans l’interrompre, son expression inchangée qui ne donnait pas l’impression qu’elle prenait son interlocutrice pour une demeurée. Nul doute que la femme ne devait pas avoir compris grand-chose à toute cette histoire de mages anciens ou d’âmes enfermés à l’intérieur d’Arithmédia. Ylliana elle-même avait encore du mal à y croire bien qu’elle sentait qu’il s’agissait de la vérité.

Lorsque l’adolescente eut terminé son histoire, Naginata posa la main sur Charmilly pour le caresser, alors que le Pokémon Crème mangeait tranquillement son repas dans une gamelle, dans un petit coin de la table qui lui était réservé. Elle était consciente des tourments d’Ylliana vis-à-vis de son rôle dans le décès de son père adoptif. La femme au foyer avait tout fait pour qu’elle se sente à l’aise lors de son séjour ici afin qu’elle puisse se ressourcer et mettre ses idées au clair.

- Tu sais… je ne pense pas que ta place soit ici dans ce village perdu, admit Naginata. J’ai très bien compris que tu étais fatiguée et souhaitait terminer ton existence au calme mais à mon avis, tu es destinée à de grandes choses. Tu es encore jeune, Ylliana. Tu as toute la vie devant toi, je pense que tu devrais commencer à y réfléchir.

- Je n’arrive plus à savoir où j’en suis… se lamenta Ylliana d’une voix tremblante, posant ses deux mains sur son front. Je n’ai jamais demandé à avoir ses maudits yeux, devenir la propriétaire d’une épée ou à rentrer en contact avec des sorciers.

- Je n’ai pas connu ton Aléandre mais les histoires que tu m’as raconté à son sujet me laissent penser qu’il serait mécontent de te voir te morfondre de la sorte. Tes yeux permettent de voir les morts qui n’ont pas rallié l’Outremonde, non ? Est-ce que tu as déjà croisé son fantôme depuis ce qui s’est passé ?

La jeune fille secoua négativement la tête, comprenant où Naginata voulait en venir. Quand un mort ne parvenait pas à se rendre dans le domaine de l’Impératrice de la Mort, cela signifiait qu’il éprouvait des regrets envers sa vie. Elle ne pourrait jamais oublier ce moment six mois plus tôt. Aléandre Nertiloni était parti avec le sourire aux lèvres, malgré que sa mort soit complètement de la faute de sa fille adoptive et de ses réactions impulsives.

Naginata lâcha un de ses sourires radieux dont elle seule avait le secret avant de prendre les joues d’Ylliana pour les pincer. La pauvre adolescente n’approchait à peine que de son dix-septième anniversaire. Nul doute que toutes les horreurs qu’elle avait vécu, de la disparition de sa famille biologique jusqu’à celle d’Aléandre avait causé des dommages difficiles à réparer. Il ne fallait pas la brusquer et elle finirait par reprendre le contrôle de sa vie.

- Si tu veux mon avis, tu devrais rendre une petite visite au dojo de grand-père. Tu ne t’es pas entraînée à l’escrime depuis longtemps. Mon petit doigt me dit qu’une piqûre de rappel te fera le plus grand bien.

Masamune Iscamord séjournait non loin du village d’Alverton. Par le passé, il avait officié en tant que gardien de la paix dans la capitale du royaume, le même rôle qu’occupait à présent Zeldren Klaristis, le mari de Naginata. Désormais à la retraire, il aimait entraîner de jeunes recrues qui souhaitaient rejoindre l’armée royale et était connu pour son tempérament strict mais juste. Plutôt médiocre à l’épée, Ylliana avait dû s’écraser complètement devant le vieil homme.

Elle croisa le regard de son petit compagnon crémeux, qui lui accorda une expression euphorique. Toujours aussi négative, elle s’interrogeait encore sur son droit à mériter d’une telle gentillesse mais essaya d’en faire abstraction. Naginata essayait clairement depuis des mois de l’aider à surmonter son traumatisme. Elle allait devoir faire des efforts de son côté. Arithmédia n’avait pas quitté son fourreau depuis l’arrivée de la jeune fille à Alverton, elle pouvait toujours aller rendre visite au guerrier du troisième âge pour une revanche.

Ylliana remercia Naginata pour ses conseils avant de retourner dans sa chambre pour se changer et mettre une tenue plus convenable pour une sortie en extérieur. Naginata profita de sa solitude dans la cuisine pour dérouler la lettre qu’elle avait récupéré le matin même de la part d’un Poichigeon messager. Peu de personnes lui envoyaient des missives de la sorte et elle ne tarda pas à reconnaître l’écriture brouillonne de sa sœur cadette la plus âgée.

- On dirait bien que Kalatria est encore allée importuner ce pauvre Senris et va nous rendre visite ce soir, comprit-elle en rangeant la feuille manuscrite dans l’une des poches de son pantalon. Il vaudrait mieux pour Ylliana que cette visite à grand-père l’aide à se ressaisir, j’ai peur que Kalatria nous fasse encore un scandale…



***


- Je t’en supplie ! Promis, ce sera la dernière fois que je te le demande, je ne remettrai plus jamais les pieds ici mais tu es le seul forgeron qui accepte encore de me recevoir ! Tous les autres me mettent immédiatement dehors dès que j’essaie de leur acheter quelque chose...

Senris Iscamord n’accorda aucun regard à sa cliente et continua de frapper le fer comme si de rien n’était. Un comportement pour le moins inhabituel pour un forgeron qui recevait un client venu acheter une arme de sa confection. Mais dans le cas présent, l’homme qui approchait de la trentaine avait une bonne raison de se comporter de la sorte. La cliente actuellement en train de s’incliner devant lui, au point que son front soit en contact avec le sol, n’était autre que sa sœur cadette.

Kalatria Iscamord avait beau faire partie de sa famille, Senris ne faisait preuve d’aucun favoritisme à son égard. Ses visites bien trop fréquentes l’aidaient certes à faire tourner son commerce mais cela était au détriment des armes qu’il confectionnait. La jeune femme à la chevelure grisâtre maniait les lames avec tellement de passion qu’elle ne prêtait pas attention à en prendre soin. Résultat, elle brisait son arsenal très rapidement. Trop, selon Senris.

- Je te paierai le double s’il le faut, le triple même ! poursuivit Kalatria, le visage toujours plaqué contre le sol, notant que son interlocuteur ne prenait même pas la peine de lui répondre.

- Morveuse, tu n’as aucune idée de tout le travail qui va dans la création de chacune de ses épées… soupira Senris en se levant. Chacune de ces épées est comme mon propre enfant et toi, tu les martyrise. Je ne veux plus jamais faire affaire avec toi.

- Des enfants… tu n’as jamais embrassé une fille et tu parles d’enfants… marmonna la demoiselle à voix basse, mais suffisamment fort pour que son frère puisse l’entendre.

Comme il fallait s’y attendre, la nature moqueuse de Kalatria ne tarda pas à refaire surface, alors qu’elle était totalement dépendante de son frère aîné pour récupérer un nouvel arsenal. Elle releva la tête et constata que Senris l’observait comme si elle n’était qu’un simple détritus, lui indiquant d’un geste simple la sortie de sa forge. Vexée d’être traitée ainsi par un membre de sa propre famille, elle se releva aussitôt et s’apprêta à lancer une autre réplique cinglante. Un léger rire strident brisa cependant le silence.

Caché dans un recoin de la salle, le Dimoclès qui accompagnait de Senris observait la scène avec amusement. Si l’homme qui maniait le fer ne prenait aucun plaisir à recevoir régulièrement sa sœur qui lui annonçait briser ses lames comme de simples épées en bois, lui adorait leurs interactions. Il tâcha de se faire plus discret lorsque le forgeron lui lança un regard noir en biais. Malgré son jeune âge, Senris se comportait souvent davantage comme un vieil homme grincheux que son propre grand-père Masamune.

- Très bien, je vais devoir me contenter de mon couteau alors. Ne viens pas te plaindre si quelqu’un vient t’apprendre un jour que ton adorable petite sœur a été tuée au combat parce qu’elle ne peut pas se défendre convenablement !

Kalatria n’attendit pas la réponse de son frère aîné et prit la porte sans en demander davantage. Elle regrettait déjà son acte, ne souhaitant pas partir sans une arme de rechange, mais elle aurait l’air bien stupide si elle rentrait de nouveau dans la forge comme si de rien n’était. Le mieux à faire pour le moment était d’attendre et de revenir le lendemain. Elle avait grandi avec Senris, elle savait qu’il finirait par accepter sa demande si elle persistait.

La forge de Senris Iscamord se situait étrangement en pleine forêt, à l’écart de la civilisation. Cela pouvait sembler étrange de s’être installé dans un lieu habité mais l’homme à la chevelure écarlate appréciait sa solitude. Sa réputation le précédait et les guerriers souhaitant s’équiper avec ses armes n’hésitaient jamais à faire le trajet jusqu’à son établissement. Il fallait dire que le seul garçon de la fratrie des Iscamord avait entièrement dédié son existence à l’art de la création des lames.

Kalatria resta à proximité de la forge et s’assit sur un tronc d’arbre situé à proximité pour faire le point. Son plan initial fut d’acheter une épée à Senris et de rejoindre rapidement le village d’Alverton se trouvant à environ une demi-journée de marche. Elle avait déjà prévenu sa sœur Naginata grâce à un Poichigeon messager qu’elle allait passer lui rendre visite. Pensive, elle regarda un groupe d’Aspicot traverser la clairière d’un air absent.

- Je devrais peut-être passer la nuit chez Naginata et revenir voir Senris demain, ça lui laissera le temps de se calmer. Je me demande si la cause perdue est encore en train de profiter de la bonté de ma sœur…

La cause perdue comme elle aimait l’appeler. Kalatria n’appréciait pas vraiment l’invitée, qu’elle jugeait opportuniste, vivant dans la demeure de Naginata depuis quelques mois. Une jeune adolescente n’ayant pas encore atteint la majorité, apparemment propriétaire d’une épée divine mais refusant de l’utiliser, et ayant visiblement déjà exploré une bonne partie du pays au cours des dernières années. Pour Kalatria, il était révoltant de voir une telle personne se morfondre et refuser de reprendre sa vie en main.

Contrairement à sa sœur, Senris ne s’était pas exprimé sur le sujet, jugeant que cela ne le concernait pas et que si la présence d’Ylliana dérangeait Naginata, elle aurait été déjà mise dehors depuis longtemps. En revanche, l’expert des lames s’était immédiatement jeté sur l’occasion d’étudier Arithmédia. La légende racontait que l’épée fut forgée des millénaires auparavant par le dieu forgeron Ramilis avant d’être offerte à l’Impératrice de la Mort Shalkidalia.

- Tu es encore là ?

Tournant la tête vers l’arrière, Kalatria reconnut immédiatement le kimono blanc et noir porté par son frère. Senris se tenait devant l’entrée de sa forge, les bras croisés, et observait sa sœur dépitée qui comptait le nombre de Chrysaciers accrochés aux branches des arbres qui les entouraient. L’air neutre, il lui fit signe un de la main pour lui indiquer de revenir vers lui. Perplexe, la demoiselle s’exécuta aussitôt sans vraiment comprendre. Avait-il déjà changé d’avis, en l’espace de quelques minutes ?

Kalatria n’avait jamais douté qu’il finirait par lui fournir une nouvelle arme mais pensait qu’il lui faudrait au moins une bonne journée pour s’y résoudre. Derrière son air bougon, Senris s’inquiétait à sa manière du bien être du reste de sa famille et forcément Kalatria et Britfrith venaient en tête, ces dernières risquant davantage leur vie que les autres. Et entre les deux, il ne faisait aucun doute que l’aînée était celle qui avait le plus de chances de mourir.

- Tu comptes te rendre à Alverton pour rendre visite à Naginata, non ? Tu n’es sans doute pas au courant vu que tu passes rarement dans le coin mais il y a eu des attaques contre plusieurs villages dans la zone. Je ne suis pas allé vérifier moi-même ce qui se passe mais il doit y avoir des pillards mal famés qui trainent.

- Senris, mon grand ami. Je pense qu’il y a une infime chance que je sois plus en sécurité si je disposais d’une arme blanche pour me défendre mais la seule personne qui pourrait m’en fournir une vient de me mettre à la porte, répliqua Kalatria, qui ne ratait jamais une occasion de l’ouvrir.

- Morveuse, tu ne toucheras pas à une seule de mes dernières créations. Je peux te fournir une épée déjà usée, c’est ma dernière offre, pesta Senris avec véhémence. En tout cas, je peux t’assurer que tu seras ma première cliente quand j’aurai réussi à confectionner une lame de la même qualité qu’Arithmédia. Une erreur de la nature comme toi qui ne peut pas faire survivre une arme plus de quelques semaines sera parfaite comme sujet d’expérience.

- Je pense qu’il y a quand même mieux à faire que d’appeler ton adorable petite sœur une erreur de la nature ou un sujet d’expérience, marmonna-t-elle alors que son interlocuteur lui tournait déjà le dos pour retourner dans sa forge.

Kalatria ne tarda pas à le suivre tout en réfléchissant à ce qu’il venait de lui raconter. Des villages qui se faisaient attaquer les uns après les autres ? A sa connaissance, il n’y avait pourtant pas beaucoup de bandits en liberté à l’heure actuelle. La célèbre bande des Crânes Noirs, selon ses informations, opérait en dehors du royaume de Sindrélia pour le moment. Sa curiosité prenant rapidement le dessus, elle prit la décision de faire une petite escale lors de son trajet vers Alverton pour en avoir le cœur net.