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Les Apôtres d'Erubin de Malak



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» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 03/01/2021 à 09:10
» Dernière mise à jour le 03/01/2021 à 09:10

» Mots-clés :   Amitié   Aventure   Drame   Mythologie   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 34 : Renouveau et écart
Les Apôtres, seulement quatre à présent, se regardèrent un moment en silence après le départ d'Henrich, et Dan prit bien conscience alors de l'expression « rester comme des cons ».

- Bon, finit-il par dire. Je crois qu'un recrutement s'impose.

- Il est rare dans l'Histoire des Apôtres que l'on ait eu à remplacer deux d'entre eux en même temps, signala Cosmunia.

- Et il ne faut pas tarder, car il en va de la survie des Gardiens en ces temps troublés, ajouta Divalina.

Erable retourna s'asseoir avec un long soupir, et Dan prit pour la première fois la mesure de son âge. Le professeur avait toujours semblé si vaillant, si fort, mais le poids de tous les Gardiens commençait à peser sur ses épaules plus toutes jeunes.

- J'ai deux noms qui me viendraient bien à l'esprit, fit-il. Mais je vous laisse la parole, pour voir si ce sont les mêmes.

- Il me semble aller de soi que, question financement et légitimité du nom, Haysen Funerol semble s'imposer, déclara la comtesse. Il est devenu notre principal mécène, avec une fortune qui en vient à dépasser la mienne, qui n'est pourtant pas négligeable. Et puis le Vert de la Planète s'est imposé dans le monde entier comme une entité de paix et de défense des Pokemon et de la nature, des préceptes chers à Erubin.

- J'approuve, ajouta Cosmunia. Le cœur de ce jeune humain est des plus purs, et son envie de faire le bien est sincère. Avant même que l'on se rencontre avec le fameux procès contre New World Corporation, Funerol était notre allié naturel.

Erable hocha la tête, signe que ce nom était l'un de ceux qu'il escomptait.

- Dan ? Demanda-t-il toutefois en se tournant vers le Ranger.

- Aucun problème avec ça, assura-t-il. Funerol a effectivement les sous, il a la renommée, et c'est mon ami. Il ne va certes pas faire d'étincelles si on doit aller au combat, mais on ne recherche pas que des bourrins au sein de ce conseil je pense. Il faut rétablir un peu l'équilibre du côté « réflexion », surtout après que vous m'ayez recruté.

Erable partit d'un petit sourire, puis reprit la parole.

- Le nom de Funerol allait de soi. Pour le second, j'ai pensé à ce jeune Rocket, Vaslot Worm. Il détient un poste assez haut placé dans l'organisation, ce qui lui permet de posséder nombre de renseignements utiles. Il a de plus réuni un petit groupe Rocket en très peu de temps pour nous rejoindre au Mont Creuset dès que je lui ai fait part de la situation. Ce serait un Apôtre de choix s'il pouvait faire de la Team Rocket notre alliée à plus d'une occasion.

Là pour le coup, Dan fut bien moins enthousiasme, et le fit savoir en premier.

- Si vous me permettez... Je ne connais pas ce type, mais qu'il fasse partie de la Team Rocket me dérange. On parle bien d'une organisation tout à fait illégale, prônant un quasi esclavage des Pokemon, et qui est coutumière du vol, de l'arnaque et même du meurtre pour arriver à ses fins.

Erable eut un sourire ironique.

- Je croirai entendre mon vieil assistant, Samuel. Lui aussi ne pouvait pas encadrer la Team Rocket. Et c'était d'autant plus comique quand on connaissait ses anciens liens avec elle. Mais rassurez-vous, Dan, je ne suis pas fan de la Team non plus. Sauf que c'est un homme que nous recherchons pour notre conseil, non toute une organisation.

- D'après ce qu'il nous a dit, il a eu à faire à Verelosius lors d'une mission Rocket, dit la comtesse. C'est ce qui l'aurait poussé à considérer les Agents comme des ennemis de son organisation, et de lui-même en particulier. Dame Cosmunia, qu'en avez-vous pensé quand vous avez utilisé votre Talent Vérité sur lui ?

- Je n'ai pas pu fouiller aussi loin que d'habitude, admit le Pokemon. Son cœur m'était fermé. Ce doit être un humain habitué à dissimuler ses émotions. Mais j'ai décelé un esprit brillant et pointu, assurément. Ainsi qu'une ambition évidente.

- Il a quel âge, ce fameux Rocket ? Demanda Dan.

- Il est tout jeune, répondit Erable. Je crois qu'il est à peine majeur.

- Quand on place un gamin ambitieux à un poste à responsabilité, ça se passe généralement pas bien, renchérit le Ranger.

- Comme vous quand vous êtes devenu Top Ranger ? Questionna Divalina avec malice. Vous aviez quel âge d'ailleurs ?

Dan ne répondit pas, car il avait en effet le même âge que ce Worm quand il était passé Top Ranger.

- Je vais jouer mon chieur, mais je ne suis pas chaud pour que ce type devienne un Apôtre, du moins maintenant. Son appartenance à la Team Rocket peut en effet nous être utile, mais elle implique que l'on fasse preuve de prudence. Il est Gardien depuis peu, non ? Laissons-lui le temps de nous prouver qu'on peut lui faire confiance. Qu'il ait rameuté sa bande au Mont Creuset ne nous a pas vraiment été utile...

- Il vous ont soigné, lui rappela Erable.

- Et alors ? N'importe qui d'autre aurait pu le faire.

- Mais c'est la Team Rocket qui l'a fait. Et heureusement qu'elle était là, car nous avions des blessés plus graves que vous. C'est vrai, poursuivit le Premier Apôtre avant que Dan ne reproteste, la Team Rocket n'est pas vraiment un modèle d'innocence. Mais les Agents de la Corruption agissent au grand jour comme jamais il ne l'ont fait depuis des décennies. Nous aurons besoin de changer notre façon de fonctionner pour cette guerre qui s'annonce. Il nous faudra trouver le juste milieu entre les idéaux et le pragmatisme.

Dan soutint le regard d'Erable, avant de hausser les épaules.

- Je ne vais pas opposer mon veto si vous pensez que c'est la meilleure chose à faire.

- Et je ne vais pas faire fi de votre avis que je respecte, car en l’occurrence, je n'ai aucune certitude. Je vais mettre le nom de Worm de côté, jusqu'au prochain siège vide. Mais du coup, vous avez un autre nom ?

Dan garda le silence cette fois, jugeant qu'il s'était un peu trop imposé alors qu'il était là que depuis peu. Mais Cosmunia proposa le nom qu'il avait tu.

- Pourquoi pas Oswald Brenwark ? Tout comme Funerol, il a imposé son nom dans de nombreux pays, en tant que pourfendeur de l'injustice et de la corruption. D'ailleurs, c'est son ardent désir de justice que j'ai le plus vu en lui en sondant son cœur.

- Un choix judicieux, mais justement, vous ne pensez pas qu'on aurait un peu trop de « grands noms » au sein du conseil ? Demanda Divalina. Brenwark s'est fait un paquet d'ennemis lors de ses procès retentissants, et a même failli le payer de sa vie il y a peu.

- Nous devons accepter que la clandestinité et le secret qui nous ont guidé pendant des siècles s'effritent peu à peu, dit Erable. Le monde ne cesse d'évoluer, les nouvelles technologies aussi. Nous ne pourrons plus rester dans l'ombre encore longtemps. Il ne faut pas que cela nous arrête. Quant aux ennemis d'Oswald... je présume qu'ils auraient été les nôtres de toutes manières, s'ils s'opposent à notre bon avocat du fait de ses idéaux. Je n'ai pas d'objection.

- Et je n'ai que de l'approbation, ajouta Dan. Oswald a l'air d'un rat de bibliothèque toujours le nez dans ces codes de loi, mais faut pas s'y tromper, c'est un mec solide.

- Alors, ainsi soit-il, conclut le Premier Apôtre en se levant. Nous proposerons à Haysen Funerol et à Oswald Brenwark de nous rejoindre comme Apôtres. Prions qu'ils soient ceux dont nous aurons besoin dans le conflit qui s'annonce. Que la volonté d'Erubin soit faite !

- Que la volonté d'Erubin soit faite, reprirent en chœur les trois autres.


***


Oswald était à peine sorti de son lit d’hôpital à Safrania que Leonora l’avait ramené directo chez elle à Almia, et que le jour suivant, Funerol recevait une lettre du professeur Erable relatant les récents évènements : l’affrontement contre les Agents dans le Mont Creuset, la mort de Togesplit, la démission d’Henrich… et du coup deux sièges d’Apôtres qui se sont libérés, et que l’on tenait qu’ils prennent. Oswald avait poussé un long soupir en lisant cela. Il marchait encore avec hésitation, prenait toute une série d’anti-douleur, d’antihémorragique et d’anti-coagulant, et songeait avec horreur à tout le travail qui l’attendrait sur son bureau après sa prise de congés forcée. Alors, devenir un Apôtre maintenant…

- Il est bien gentil Dan de caser ses potes, se plaignit également Leonora, mais mon Haysen a déjà l’air au bout de sa vie à chaque fois qu’il rentre du bureau le soir, et ça va pas s’arranger quand on aura un braillard qui nous empêchera de dormir la nuit !

Oswald, pour avoir vu son ami hier soir, ne pouvait pas lui donner tort. Funerol avait des cernes qui le faisaient passer pour un zombi, et marchait comme s’il portait la totalité de la planète sur ses épaules. Même s’il avait laissé une grande part d’autonomie aux directeurs régionaux de ses agences du Vert de la Planète, il ne cessait de s’investir toujours plus sur plusieurs projets à la fois, encouragé par son fameux nouvel ami et associé, Maxwell Briantown.

- Apôtre d’Erubin n’est pas vraiment un job à temps plein, fit Oswald. D’après ce que m’a dit Dan, il n’est nul besoin que le Conseil soit complet, sauf s’il y a urgence.

- Sauf que je connais mon homme, répliqua l’ancienne championne. Quand il accepte de se lancer dans quelque chose, il y va à fond, pas à moitié. Ce Briantown a dû le comprendre, et c’est pourquoi il le rend dingo avec toutes ses nouvelles idées géniales.

Oswald haussa les épaules. Il ne pouvait pas juger Briantown, ni ses intentions, avec son seul passé judiciaire concernant N.W.C. Et puis, dans sa lettre, Erable avait mentionné l’identité de Vaalzemon, celle de l’ancien directeur scientifique de l’entreprise, ce qui semblait totalement blanchir Briantown. Peut-être avait-il vraiment changé et qu’il était sincère dans sa reconversion à l’écologie et à l’humanitaire ? Mais Oswald en doutait un peu. Du moins, pas sans un attrait monétaire.

- Tu vas accepter toi ? Lui demanda Leonora en lui tendant une tasse de café qu’elle venait de préparer.

- Je pense oui, acquiesça-t-il avec un remerciement de la tête. C’est un grand honneur que le Premier Apôtre nous fait, à nous qui ne sommes Gardiens que depuis peu. Et au-delà de ça, je crois vraiment à l’idéal de l’Innocence. Après effectivement, il me faudra trouver un équilibre avec ma vie professionnelle…

- Qui est en pause de façon indéterminée ! Lui rappela Leonora avec un regard menaçant. Interdiction d’aller au bureau, de prendre des coups de fil, de recevoir des clients, ou même de lire des foutus dossiers tant que tu es chez moi. Et ça inclut donc les affaires de vos Gardiens de l’Innocence ! Tu te reposes, tu profite du bon air sain d’Almia, et tu réfléchis avec moi sur la façon d’aménager une chambre de bébé !

- Oui Nora, fit Oswald avec soumission. Je te l’ai promis.

Leonora lui avait tellement fait la leçon durant le trajet Kanto-Almia qu’Oswald avait même renoncé à l’affaire que Worm lui avait trouvée, au sujet de ce village dans les montagnes de Sinnoh et de son projet de barrage. Il s’en chargerait après. Il craignait bien sûr de s’ennuyer ferme ici, mais la compagnie constante de Leonora l’aiderait à supporter n’importe quoi. Il se sentait même un peu coupable de rester là à ne rien faire avec elle tandis que son propre mari était à la limite du burn-out et ne la voyait que peu le soir avant de s’endormir comme une masse.

Et puis, ce n’était pas terrible ici finalement. C’était même assez reposant. Oswald avait toujours passé son temps dans les grandes métropoles. L’université de Céladopole, son cabinet à Safrania, et désormais ses multiples déplacement à l’étranger, le plus souvent dans les grandes capitales du monde. Les voitures, la pollution, le bruit, les gens pressés qui courent partout… Sûr qu’après tout ça, la région Almia, et plus particulièrement ce petit havre de paix qu’était Véterville, ça faisait un changement aussi soudain que bénéfique.

Et il y avait beaucoup de lieux à visiter ici, même si pour l’instant, Oswald avait interdiction de sortir de la maison, pour des raisons de santé évidentes. Il était même très curieux d’aller voir la Fédération Ranger, pour rencontrer le service juridique de l’organisation. Car outre les Rangers, la Fédération avait quasiment tous les corps de métiers en son sein. Il se souvenait d’ailleurs que cette femme assassin, cette Zestira, était toujours enfermée là-bas. Son cas juridique devait être assez complexe, étant donné qu’elle était accusée par la région Fiore et que la quasi-totalité des organismes internationaux policiers ou de renseignement désiraient son transfert chez eux...

Tout en buvant son café, Oswald réfléchit aux moyens de se rendre utile en tant que tout nouvel Apôtre d’Erubin. Son domaine d’expertise était le droit, mais c’était une arme dont les Agents de la Corruption se contrefichaient. Il n’y avait qu’à voir la situation actuelle : ils connaissaient enfin la réelle identité du Marquis des Ombres, mais ils ne pouvaient rien faire contre lui juridiquement. Milton Parmilian était légalement reconnu comme porté disparu et présumé décédé depuis le scandale qui avait secoué New World Corporation. Et même si Oswald parvenait à convaincre un juge d’ouvrir un dossier contre lui, ça servirait à quoi ? Il n’avait plus ni adresse connue ni biens.

Quant à essayer de lui rattacher la responsabilité de tous les crimes des Agents de la Corruption, c’était illusoire tant les informations officielles et preuves manquaient. De plus, le professeur Erable ne tenait pas trop à ce que la justice se penche sur les affaires des Gardiens de l’Innocence, car ces derniers se permettaient parfois de légers écarts sur la loi et aimaient bien œuvrer discrètement. En l’occurrence, quelqu’un comme Dan qui pouvait opérer quasiment sur tous les fronts et qui avait la plupart du temps la loi de son côté était bien plus utile à l’organisation…

- Je crois que je me suis trompé de boulot, soupira-t-il.

- Franchement, à part les pompes funèbres, je vois pas trop ce qui t’irait mieux à toi, remarqua Leonora. Agent du fisc peut-être…

- Je suis si chiant que ça ? Demanda Oswald avec un sourire.

- Oui, confirma-t-elle sans aucune gène. Mais y’a pas de mal hein ? T’es sympa quand même. Je préfère un pote chiant mais réglo qu’un super cool mais faux jeton.

L’histoire de ma vie, songea Oswald avec résignation. Je suis le pote chiant mais sympa.


***


- Ce site n’est pas viable, et tu le sais, insista Maxwell. On aurait pu passer outre si le chiffre d’affaire couvrait seulement les frais engagés, avec les retombées positives de nos filiales dans la région Finaldi à côté, mais là…

- Tout n’est pas qu’une question de chiffres, Maxwell, soupira Funerol. Il s’agit d’hommes et de femmes, qui pour la plupart ont toujours bossé ici. Ils sont deux-cent trente ! Tu veux tous les mettre à la porte ?

- Pas tous non. Nous reclasserons ceux que nous pourrons. Certains pourraient même avoir les compétences pour travailler dans notre nouvelle activité. Quant à ceux qui n’auront d’autres choix que de partir, nous pourrons envisager une compensation financière raisonnable.

Funerol secoua la tête. Son ami résonnait encore comme un directeur des ressources humaines recherchant avant tout l’équilibre financier.

- Holon est une région minuscule où le travail ne court pas les rues. Cette raffinerie est l’un des rares secteurs d’activité du coin. Si nous fermons tout, les retombées économiques seront désastreuses, et pas seulement pour les employés que nous mettrons dehors.

Briantown but une gorgée de son café avant de s’asseoir face à lui et de lui faire ce sourire condescendant qu’il maîtrisait tant : celui qui disait « t’es bien gentil, mais le marché, ça ne fonctionne pas avec de bons sentiments ».

- On ne transforme pas un système sans qu’il y ait un peu de casse sociale, directeur. Quand les voitures ont été inventées, les cochers se sont retrouvés au chômage. Quand les Centre Pokemon ont ouvert, ce sont les vendeurs de potion et d’antidote qui ont vu leur chiffre d’affaire être réduit de 75 %. On ne peut pas refuser le progrès de crainte de porter préjudice à certains. Si on veut passer des énergies fossiles à une économie verte et renouvelable, forcément que ceux qui tirent leurs salaires ou leur profit du pétrole vont déguster. C’est triste, mais inévitable.

- Je suis conscient de tout cela, protesta Funerol avec agacement. Mais je crois qu’on peut accompagner autant que possible ces changements pour éviter les drames sociaux et humains !

Le Vert de la Planète, sous impulsion de Briantown via sa filiale à Unys, avait repris toute l’activité d’une énorme usine de raffinement de pétrole dans la région Holon, pour à terme la transformer et s’en servir comme de lieu de production de la toute nouvelle énergie verte à laquelle Funerol et son ami avaient réfléchi. Seul hic, le terme allait très vite arriver, car les livres de compte de cette raffinerie sont dans le rouge. Évidemment, la logique commerciale aurait voulu, comme le préconisait Briantown, qu’on liquide le tout et qu’on licencie tout le monde.

Mais Funerol était mal à l’aise avec ça. Techniquement et de façon légale, les gens qui travaillaient dans cette raffinerie étaient maintenant ses employés, et il ne pouvait traiter ses collaborateurs de la sorte. Et alors qu’il se faisait tard et que la nuit commençait à tomber, Funerol et son associé en étaient encore à débattre de ça, au siège du Vert de la Planète à Véterville. Funerol aurait bien aimé quitter le bureau pour aller retrouver sa femme et son ami Oswald chez lui, mais il aurait été alors incapable de trouver le sommeil, sachant qu’il avait condamné à la misère deux-cents trente personnes, et probablement toute une partie de la région d’Holon.

- La poule aux œufs d’or est à portée de bras, insista Briantown. Cette énergie que mes labos à Unys ont pu synthétiser sera le carburant de demain, dans tous les domaines. Il nous faut au plus vite des sites pour la produire et l’acheminer en masse. Et tu ne dois pas ignorer qu’un plan social en bonne et due forme, ça prend des lustres, sans compter les inévitables suites juridiques. Le gouvernement d’Holon nous est très reconnaissant d’avoir investi chez eux. Il ne nous mettra aucun bâton dans les roues si on décide de traiter tout ça à l’amiable avec les employés.

- C’est bien là le problème ! Ces gens n’ont ni syndicat pour les défendre, ni aucun politique qui se soucie de leur sort. Ils sont totalement à notre merci. Nom de dieu Maxwell, nous ne sommes pas ton ancienne entreprise qui se permettait de traiter ses salariés comme des outils jetables. Le Vert de la Planète que je dirige, et mon père a fondé, avait l’humain au cœur de ses préoccupations, bien après le profit.

- C’est aussi mon cas, sauf que je réfléchis à long terme. À quoi ça servirait de maintenir un semblant d’activité là-bas, quand on sait qu’elle ne sera ni rentable ni utile à nos projets futurs ? Verser un salaire juste pour maintenir des gens à flot n’a aucun sens. Le Vert de la Planète agit pour le monde de demain. Ce n’est pas un organisme d’aides sociales. Pour sauver le plus grand monde, il faut une vision d’ensemble, pas s’en tenir aux cas particuliers de quelque uns.

Funerol soupira à nouveau, et s’affaissa dans son fauteuil. Les responsabilités de directeur lui pesaient un peu plus chaque jours. Sans les idées innovantes de Maxwell, et surtout sa fameuse nouvelle énergie verte, il aurait jeté l’éponge depuis longtemps.

- Les autres directeurs d’agence sont d’accord avec toi, j’imagine ?

- Ils étaient même prêts à finaliser la décision eux-mêmes en Conseil d’Administration, mais j’ai réussi à les convaincre d’attendre ton accord.

- J’apprécie ton tact. Comme ça, c’est moi qui aurait ça sur la conscience, hein ? Mais ils seraient réellement passés de me demander alors ?

- Tu sais comment ça marche. Tant qu’on aura pas ouvert l’association en bourse pour devenir une vraie société anonyme, le Conseil a le dernier mot. C’est toi qui a voulu ça je te rappelle, en faisant de ton poste une distinction honorifique plus qu’autre chose.

- Je sais, je sais...

- Si tu veux retrouver un pouvoir de direction plus réel, il ne te reste qu’à t’acheter un nombre de parts suffisants. Ça ne devrait pas être un problème pour toi...

- Si j’en prends, ce sera au nom de mon enfant à naître. J’ai dirigé une association, mais je serai incompétent pour diriger une S.A. Je te fais confiance à toi, aux autres directeurs et au futur conseil des actionnaires. Je veux juste… J’espère que tout ça se fera sans qu’on perde l’âme du Vert de la Planète.

Maxwell lui sourit et lui serra l’épaule.

- Tes idéaux n’en ressortiront que plus forts, mon ami. Tu as raison. Je suis désolé de t’embêter avec des sujets aussi triviaux et comptables. Va retrouver ta femme avant qu’elle vienne ici avec un couteau de cuisine pour m’arracher les boyaux parce que je te retiens trop longtemps. À moins que tu aies peur qu’elle te trompe avec ton ami l’avocat ?

Briantown sourit à sa blague, mais vu comme le visage de Funerol se transforma, il s’empressa de rectifier le tir.

- Je plaisante, je plaisante, hein ?

- Bien sûr. Je suis juste crevé.

- Alors je te laisse. À demain. Par contre du coup, je dis quoi à Drostov ? J’ai ton accord, ou pas ?

Funerol hésita un moment, puis dit :

- Laisse. Je vais rester un peu. J’appellerai Drostov moi-même pour lui dire quoi faire.

- Très bien. Mais ne te prends pas la tête, quoi que tu décides. Le Vert de la Planète est solide. Il faut que toi, tu le restes aussi.

Une fois Briantown partit, Funerol resta seul dans son bureau, à tourner en rond, l’esprit en ébullition. Oswald l’avait appelé en fin de matinée aujourd’hui, pour lui lire le contenu de la lettre de Dan, et donc leur nomination comme Apôtres d’Erubin. S’il acceptait, Funerol serait censé représenter l’Innocence au plus haut niveau. Et ça le tentait, car les idéaux des Gardiens de l’Innocence lui parlaient, et surtout parce que les Agents de la Corruption étaient ce en quoi Funerol voulait combattre à tous prix. Mais pouvait-il se prétendre un apôtre de la déesse de l’Innocence après avoir quasiment mis à la rue deux cent personnes ?

D’un autre côté, il savait que d’un point de vue purement pragmatique, Maxwell avait raison. Le Vert de la Planète ne pourrait pas pleinement avancer et évoluer s’il devait s’arrêter à chaque cas particulier malheureux. Funerol était profondément humaniste, mais il savait qu’il ne pouvait pas sauver tout le monde. Il ne pouvait pas endiguer la pauvreté d’un claquement de doigt, ni donner à manger à tous ceux qui mourraient de fin partout dans le monde. Alors, sachant cela, ses hésitations concernant cette seule raffinerie à Holon ne seraient pas tout simplement de l’hypocrisie ? Qu’est-ce que pesait sa pauvre petite conscience, face au futur du Vert de la Planète ? Sa décision prise, il appuya sur la touche de son bureau en liaison avec sa secrétaire, dont la voix se fit entendre.

- Monsieur ?

- Mégane, veuillez contacter monsieur Drostov à Holon, et lui annoncer que nous allons placer sa raffinerie en liquidation judiciaire. Il n’y aura pas de plan social, mais un traitement à l’amiable pour tous les employés.

- Tout de suite, monsieur.

Après ça, Funerol eut l’esprit plus léger. Il n’était toujours pas sûr d’avoir pris la bonne décision, mais au moins, il en avait pris une. Et ça lui aurait coûté de s’opposer publiquement à Maxwell et au Conseil d’Administration. Et puis, au final, être un Apôtre ne signifiait pas être un fanatique de l’Innocence, n’est-ce pas ? Funerol ne pouvait pas laisser son activité secrète entravée son réel travail et son association. Ce n’était pas un écart, non. Funerol était un homme de l’Innocence, un homme bon, et il allait le rester. C’était du moins ce qu’il se disait avec force.