Jour 15 : Lettre à Emie, par Murphy L
Ma chère Emie,
A l'heure où je t'écris, je suis dans le train en partance pour Kickenham. La croisière s'est déroulée sans encombre et je traverse actuellement les terres en friche du sud de Galar. Oh, si tu étais là! J'aimerais que tu puisse voir ce que je vois : les ruisseaux qui coulent entre les herbes dorées, le soleil sur les arbres jeunes, le blé sauvage et les plantes folles qui grimpent le long des rails, tout cela me gonfle le cœur d'espoir.
Si les eaux ont été calmes en partance de Kalos, la pluie s'est déchainée sur la mer tout le long du voyage, si fort que j'ai dû m'abriter par peur de mouiller le châle dont tu m'avais fait présent lors de notre première rencontre : c'est que l'abimer me fendrait le cœur, ma chérie. J'aimerais qu'un jour tu me rendes visite pour profiter de ce que je vis, toi aussi.
Par ici les terres sont trop pauvres pour y planter, et vulnérables aux assauts de la pluie et des ruisseaux qui gonflent les jours de crue ; aussi, on ne peut y bâtir ou y cultiver. C'est fort dommage, car tout est très lumineux et rempli de soleil, et que les collines semblent destinées à être coiffées de pavillons.
J'ai pu par la fenêtre apercevoir des créatures qui m'étaient alors inconnues : de drôles de mésanges bleues et noires qui décortiquaient des baies, de moutons aux allures de balles et autre renards à la queue en plumeau qui couraient le long des voies si bien que j'avais peur qu'ils ne se précipitent entre les roues.
Le train flâne entre les monticules d'herbe, mais je ne veux pas céder au sommeil. Je veux voir poindre les premières tours de Kickenham! Aussi, cette lettre me permet de
résister à la douce berceuse des rails et du soleil sur mon visage.
Parlons un peu de mes voisins : mon compartiment est fort peu peuplé, aussi je pourrais te les décrire un par un : je vois des étudiants fortunés, des jeunes promises, de vieux nobles accompagnés de leur escorte de soubrettes et d'autres échantillons de notre classe, tous endormis et tous très beaux. Je crois faire tâche au milieu de leur blondeur et de leurs yeux d'azur ou d'émeraude, avec ma vilaine tignasse de corbeau décrépie et mes robes grises boudinées. Tant pis! Quand ils se réveillent, leurs yeux se posent parfois sur mes lunettes, mes gants tachés d'encre ou mes bottines délacées ; et je sens qu'ils se demandent qui est cette petite écriviotte qui voyage avec la fine fleur de Galar. Je sens qu'ils pensent que je devrais être belle, une potiche de porcelaine, car c'est surement cela être une femme ici. Comme Kalos me manque alors!
Ma chère Emie, nous avons quitté les campagnes en friche : nous voici à présent dans ce que les gens d'ici nomment les Sauvages ; je ne suis pas sûre de comprendre. L'air est plus froid et la terre gorgée de pluie. Disparues, les herbes dorées! Envolé, le soleil! Ne restent plus que des lacs boueux et des ronces qui s'enroulent autour des rails. À travers la brume, j'aperçois même une tour de pierre qui se dresse comme une pièce d'échec au sommet d'une colline. À part cela, les Sauvages sont désertées : pas de ponts entre les îles, pas de sentiers ou d'allées, pas même de chemins de gravier! En revanche, une diversité incroyable de créatures : que ce soient d'immenses oiseaux de fer au lourd regard et au vol pesant, d'étranges spectre grimaçant que tu trouverais surement amusant (pour ma part, j'en ferais des cauchemars jusque à la fin de mes jours!) ou d'affolants guépards au pelage violet, souples comme des élastiques, tout ici semble hostile et précieux comme un diamant brut.
Le train est sur un pont. Oui, un pont, ma chère Emie! Crois-le ou non, les gens d'ici savent construire assez solide pour que des trains y circulent. Je dois t'avouer avoir le vertige ; et j'ai peur de basculer dans le vide d'une seconde à l'autre.
Mais que je cesse de te parler de mes angoisses : voici arriver la flamboyante Motorby au loin. Je dois t'avouer n'avoir jamais ressenti pareil excitation de ma vie! Motorby est très belle, pleine de vapeurs et de machines dont je t'avoue ne pas comprendre l'utilité… Imagine-toi un peu de grosses roues dentées, haute de plusieurs pieds, qui tournent dans le sol en crachant des panaches de vapeur blanche… Je ne vois d'ici que la grande tour et sa flamboyante horloge aux aiguilles ciselées, et déjà les murailles de briques se dérobent à ma vue. Nous entrons dans un tunnel, Emie, oh si tu savais comme j'aimerais que tu sois là, avec moi, j'ai si peur que le plafond ne m'étouffe et que je ne puisse jamais te revoir pour te dire combien ce voyage aura été merveilleux…
Emie, mon Emie, nous avons survécu! Grâce à Arceus, nous tournons désormais le dos à Motorby. Nous la contournons quelques minutes, puis elle s'éloigne entre les arbres denses, si denses que j'ai peur qu'il ne m'étrangle! Oh, Emie, mon Emie, j'ai vraiment peur de tout…
Maintenant, nous arpentons des champs. Rien de très nouveau ; mais je suis fascinée par l'ingéniosité des Galariens, qui rassemblent tous leurs champs pour ne pas en trouer leurs villes. Quelques bâtisses viticoles plus tard, je sens ma tête devenir lourde. Emie, ma chérie, je crois
Oh, Emie! Je m'en veux tellement! Je me suis endormie, laissant ma lettre tachée d'encre de la plus terrible des façons. Arceus m'aura cependant épargnée : aucun mot, aucune lettre n'a été salie de la moindre gouttelette. Tu penses bien que je me serais donné la mort si c'eut été le cas! Ma chérie, voici à présent la côte de Klifford : si tu savais comme j'ai peur que la mer ne nous engloutisse… il n'est rien de plus terrifiant que les flots qui battent les falaises, sombres et agités comme l'esprit d'un fou, leurs écumes tranchant net les sables épais dans lequel les enfant se perdent et s'embourbent ; et le cri du vent ressemble à des lames venues tout droit de l'enfer cingler notre train. Emie, si je te disais avoir peur, me croirais-tu? Tu as toujours fait montre d'une patience d'ange avec moi, et je crois bien que c'est pour cela que je t'ai épousée.
En tout cas, nous quittons dès lors cette côte stérile et vierge de toute vie. Mon cœur retrouve ses habitudes, et plût-il à Arceus que je sois presque morte de soulagement. Nous retraversons les Sauvages un instant, à croire que Galar a donné ce nom à tous les marécages. Un jeune homme s'est assis à côté de moi. Il est pâle de teint et de cheveux, porte sur lui ce parfum de lavande et semble me transpercer de ses yeux gris comme des poignards. Assurément un homme de la noblesse, au vu de sa mise.
Emie! Si tu savais! Je viens d'avoir une passionnante conversation avec monsieur Alister- c'est son nom. Toutefois, je devrais dire lord car c'est ainsi que son appelées les messieurs ici. Pour te la faire courte, ce lord se rend à la même convention que moi. Jamais je ne l'aurait cru. Nous ne sommes que quelques adeptes de ce sport à travers le monde, et voilà que l'un d'eux est assigné à mon train?
Je sais que tu trouves ma passion extravagante et futile, et que tu préfères chasser les créatures pour ton diner plutôt que de t'adonner à leur élevage. Pourtant, ce lord avait avec lui une créature, désignée sous le nom de Bleuseille, avec lui. Drôle de nom qui me rappela mon petit frère, mais là n'est pas le sujet. Il me parla d'un combat qu'il avait livré il y a peu. Je sais que tu trouves sordide le fait de se faire combattre deux créatures pour communiquer, mais comprends donc : c'est à la fois une formidable équation, un moyen de communication et une façon d'éprouver son rang social et sa valeur. Ma chère et tendre Emie, me croirais-tu si je te disais que certains ici vivent de cette passion? Ils se font nommer les Dresseurs et se réunissent plusieurs fois par an pour combattre. Certaines propriétés sont même dotées d'infrastructures spéciales pour nos matchs.
Emie, ma chère Emie, crois bien que tu me manques, toi et Kalos. Lord Alister m'a posé plein de questions : sur moi, mes habitudes, mon travail, la créature que je possède… et je crois bien m'être emmêlé les pinceaux à certains moment, avoir parlé de toi comme étant ma tante et de ta sœur comme étant mon père, bref j'ai paniqué comme cela m'arrive si souvent. Lord Alister m'a parlé des coutumes de Noël de son pays; Figure-toi qu'elles sont bien différentes des nôtres ! Ici, point de bal, point de buffet. La tradition veut que l'on s'échange des cadeaux. Je trouve cela admirable, mais toutefois couteux.
Mais ne soyons pas défaitiste. Kickenham est en vue.
Des dragons! D'immenses têtes de dragons, sur les tours, les murailles, les châteaux et les portes! Partout, des dragons qui déchirent l'air de leurs crocs de pierre, de bronze et de bois, qui me fixent tous de leurs orbites glauques, langue pendante et écailles ciselées! Le tout entouré de briques grises presque bleues, et coiffé d'une drôle de tour en dôme comme un gâteau surmonté d'une immense couronne d'argent! Oh, Emie, j'aimerais que tu sois là, pour voir toutes ces choses merveilleuses… Des arêtes partent du dôme de tuiles comme des doigts, toutes terminées d'une navette depuis laquelle il me tarde d'admirer Galar. Des bannières à carreaux descendent le long des murs, teintes d'un pourpre indéfinissable… j'ai si hâte d'arriver que j'en perds mes lunettes.
Quelque heures ont passé, Emie, ma chère et tendre Emie. J'ai été reçue à l'hôtel. Imagine ma surprise quand j'ai vu que le hall avait été drapé de rouge et d'or, mais surtout quand j'ai aperçu l'arbre qui avait été posé au centre ! Les Galariens le décorent de bougies, de pommes et de rubans qui le font disparaitre sous les ornements. C'est déconcertant.
Ma chambre aussi semble décorée, quoique plus sobrement. Une bougie en cire gravée de Haydaim est posée sur ma table de chevet, aux cotés d'une bouteille -Arceus et toi savez ce que je pense de l'alcool- enroulée d'un joli ruban et d'un écrin dans lequel repose une gourmette rouge et or. C'est très beau, mais je n'ose pas imaginer l'argent et les efforts que cela a couté si chaque chambre est ainsi équipée…
Emie, mon Emie, que je te parle de mon après-midi. Fantastique. J'ai appris mille choses. Savait-tu qu'a Kanto et Johto, le dressage se pratique depuis des millénaires ? Que le Roi ayant causé l'Ancienne Guerre était le frère d'un des Rois Unysiens ? Que je ne tenais pas plus de deux verres de vin, même excellent ? Je me suis sentie toute bête quand est venu le moment de parler des fêtes de Noël, une fois les combats terminés. Je n'ai su quoi répondre quand nous commentions les présents des autres. Cette coutume est fascinante… cet échange d'objet, même anodins, constitue une alchimie en tout point fascinante. J'aimerais que nos fêtes soient pareilles, mon Emie, j'aimerais installer un arbre dans le salon pour que Svetlana joue avec les rubans et que toi, sa mère, tu reçoive les présents dont je te couvrirais. Oh, Emie, amoureuse écervelée que je suis ! Le dressage est passionnant, mais je regrette de n'être pas restée auprès de toi et de notre fille.
Emie, une idée viens de me frapper. Tu vas me trouver folle, certes, mais je le suis depuis que je t'ai rencontrée.
Tu ne seras pas déçue,
Je t'embrasse,
Rébecca.
***
Chère Rob,
J'ai bien reçu ton cadeau. Il me tarde que tu rentres !