Les Apôtres d'Erubin de Malak

- T'es sûr qu'il n'aurait pas laissé un mot quelque part ? Demanda Dan.

- Un mot ? Répéta Henrich. Bro, il ne sait pas écrire. Et c'est certainement pas son genre.

Tout le Manoir Divalina était en ébullition depuis que Henrich avait signalé la disparition de Togesplit. En effet, vu qu'il était un Pokemon en apparence unique avec un pouvoir fort dangereux, il lui était interdit de quitter la base, sauf lors des missions. Le professeur ne voulait pas qu'il attire l'attention des dresseurs, ou pire, qu'il se fasse capturer. Et de toute façon, il était bien connu que Togesplit n'était aucunement fait pour la vie en société, même parmi les autres Pokemon.

Bien sûr, pour ne rien arranger, cette soudaine disparition intervenait quand le chef Erable était absent, parti à un colloque sur la Pokemonologie à l'étranger. Dan l'avait appelé, mais jusqu'à qu'il rentre, c'était à eux de gérer, avec la comtesse Divalina, car Dame Cosmunia était elle aussi hors du manoir ( même si elle était comme Togesplit un Pokemon unique, elle savait mieux se comporter et rester discrète ).

- Personne ici ne le connaît mieux que toi, insista Dan. Même sans savoir où il est parti, tu ne saurais pas pourquoi il l'aurait fait ?

- Oh, ça c'est facile, soupira l'Apôtre aux cheveux longs. Il en a eu assez des Gardiens de l'Innocence. Il n'a jamais été vraiment des nôtres, malgré tous nos efforts.

Dan secoua la tête, exaspéré. Il est vrai qu'il avait toujours vu Togesplit ici comme le vilain petit Canarticho. Il n'avait toujours pas digéré la façon dont il avait pété les plombs en éliminant Verelosius alors que Dan l'avait capturé.

- Et en sachant ça, vous en avez fait un Apôtre... maugréa le Ranger.

- Une place s'était libérée, et on avait personne sur le coup, se défendit Henrich. Et puis, on espérait justement que faire parti des nôtres pourrait l'aider et le changer en bien.

- Bon, mais pourquoi on crise autant, au fait ? Les Apôtres ne sont pas libres de démissionner ?

- Bien sûr que si, répondit la comtesse Divalina. Mais Togesplit est une sorte de réfugié, parmi nous. Sortir lui est dangereux, autant pour lui que pour nous. Les Agents ont des moyens de soutirer des renseignements, même aux plus loyaux d'entre nous, et ce malgré le Talent Vérité de Dame Cosmunia. Si Togesplit avait seulement voulu sa liberté et vivre où et comment bon lui semblait, il nous l'aurait au moins demandé. C'est qu'il a autre chose en tête.

Les trois Apôtres faisaient des aller-retours dans le jardin du manoir, sous les regards parfois anxieux de certains Gardiens qui restaient à distance, sentant que quelque chose de grave s'était passé. L'un d'entre eux, plus courageux que les autres, osa s'approcher et s'inclina devant eux.

- Pardonnez-moi, madame et messieurs les Apôtres. Mais quelque chose s'est-il passé ? Peut-on vous aider en quoi que ce soit ?

Dan échangea un regard avec Divalina et la laissa répondre. Il pouvait gérer les situations de crise si elles impliquaient de l'action, mais les ressources humaines, ça, ce n'était pas son domaine.

- Vous êtes bien aimable, Jorg. C'est un problème qui concerne uniquement les Apôtres pour le moment, mais soyez assurés que nous ferons appel à nos fidèles Gardiens si la situation l'impose.

Bien sûr, elle n'allait pas clamer devant tout le monde que Togesplit s'était fait la malle pour telle ou telle raison. Les Gardiens devaient avoir confiance en leurs dirigeants. Dan réfléchit furieusement, avant de penser à quelque chose, et de prendre Henrich à part.

- Dis-moi... Quand on s'est rencontré dans la Forêt de Jade, tu avais bien Togesplit dans une Pokeball non ?

Dan ne pouvait pas l'oublier, car il avait été obligé de la chercher à tâtons dans le slip d'Henrich.

- C'est pour les infiltrations et missions d'espionnage, répondit ce dernier. Il a accepté de rentrer dedans par commodité, mais ce n'est pas mon Pokemon pour autant.

- Qu'il soit ton Pokemon ou non, il est lié à cette Pokeball tant que tu ne l'as pas relâché. Dis-moi que tu ne l'as pas fait !

- Bah, non. Mais en quoi ça...

- La Pokeball, coupa Dan. Vas me la chercher.

Sentant l'urgence dans le ton de son collègue, Henrich rentra au manoir sans discuter. La comtesse resta dans l'expectative.

- Vous avez une piste ? Demanda-t-elle.

- C'est possible, et comme les actes expliquent mieux que les mots, j'attends de vous montrer. Mais dîtes-moi : en cas d'un affrontement avec Vaalzemon et possiblement tous ses Agents, sur combien de Gardiens pourrions-nous compter ?

Divalina secoua la tête.

- Une dizaine, pas plus. Vous, Dame Cosmunia, et cinq dresseurs compétents. Puis Leslia bien sûr. Je pourrai moi-même faire l'effort de me battre avec mon propre Doppelganger, même s'il ne vaut pas celui de ma fille. Et enfin le Premier Apôtre, évidemment.

- Le professeur ? S'étonna Dan. J'ai jamais entendu dire qu'il était dresseur aussi.

- Il ne l'est pas. Mais en tant que Premier Apôtre d'Erubin, il dispose d'un pouvoir hautement nocif pour les Agents de la Corruption. La statue d'Erubin au centre du jardin n'est pas uniquement là pour faire joli, voyez-vous... Un sort est enfermé en elle. Erubin y a scellé une partie de ses pouvoirs, que les Premiers Apôtres seuls peuvent utiliser, et que l'on nomme Bénédiction de la Lumière.

- Bon, et avec tout ça, on est plus fort que la bande à Horrorscor au complet ?

- C'est à voir. Pourquoi ?

- Parce qu'il y a selon moi de grandes chances que Togesplit soit allé retrouver Vaalzemon, sans doute pour se venger, ou mourir en essayant. Et ça m'étonnerai que le Marquis soit tout seul. Si je peux remonter la piste de Togesplit rapidement tant qu'il est en vie, on pourrait tomber sur la planque principale des Agents de la Corruption.

Divalina hocha la tête. Elle ne chercha même pas à savoir comment Dan comptait se servir de la Pokeball de Togesplit pour le retrouver, et alla réunir les Gardiens combattants. Dan savait qu'il ne pourrait pas monter son expédition sans l'accord et surtout la présence d'Erable et de Cosmunia, mais autant que tout soit prêt au plus vite quand ils arriveront. Il dut néanmoins patienter près d'une demi-heure avant qu'Henrich ne revienne avec la Pokeball.

- Excuse, bro, fit-il essoufflé. J'ai dû retourner toute ma piole pour la retrouver. C'est que je crèche pas souvent au manoir, et ma chambre est en bordel...

Dan la lui arracha presque des mains, et débuta son explication.

- Une Pokeball est liée avec son Pokemon, où qu'il soit. Tu vois le laser rouge qui sert à rappeler le Pokemon ? Eh bien, il se dirigera toujours vers l'endroit où il se trouve, quelque soit la distance. Pour ça, il existe une astuce. Tu pointes ta Pokeball vers le ciel, de sorte que le laser soit tout à fait droit. Et tu regardes attentivement le bout.

Dan activa la Pokeball, pour que de son bouton central s'échappe le fameux laser rouge. Et effectivement, s'il commença à s'élever en un parfait angle droit par rapport au sol, il se courba légèrement vers le sud-ouest juste avant de s'évaporer.

- O.K bro, cool, mais j'ai vu plus précis...

- Ça indique seulement la direction, et ça implique qu'on vérifie souvent, admit Dan. Mais c'est tout ce qu'on a. Je vais partir en premier à dos d'Etouraptor, pour me rapprocher le plus possible. Vous me rejoindrez quand vous serez au complet.


***


Togesplit ne gardait quasiment aucun souvenir de sa vie en tant que Togekiss, avant que Vaalzemon ne le transforme. Et après s'être échappé pour rejoindre les Gardiens, il n'avait que très peu voyagé, en dehors de la Pokeball d'Henrich. Donc, il ne savait pas vraiment où Slender l'avait amené. Mais il le suivait sans rien lui demander, même s'il avait conscience que la créature sans visage le menait sans doute vers sa mort.

Slender n'était pas un puits d'intelligence, mais il n'allait certainement pas mener ce Pokemon qu'on disait dangereux directement devant le Marquis, à Dolsurdus. Il ne fallait amener personne dans la forteresse des Agents de la Corruption, à part des cadavres. Son lieu devait rester secret. Mais le Seigneur Vaalzemon avait installé plusieurs autres planques à travers le monde, généralement des laboratoires secondaires. L'un d'entre eux se trouvait dans la région Johto, dans le Mont Creuset. C'était le point de regroupement actuel des Agents. Seuls le Marquis et sa fidèle Kaorie, qui le soignait, demeuraient à Dolsurdus, avec les sept enfants des Péchés Capitaux.

Après un long voyage à pieds – car Togesplit ne pouvait pas se transformer en racines et voyager sous terre comme Slender – et le plus discrètement possible pour ne pas attirer l'attention, Slender et Togesplit s'enfoncèrent dans la grotte, d'où le lac séparant Rosalia d'Acajou prenait sa source. Pas grand monde partait à l'assaut du Mont Creuset, de peur de se perdre à l'intérieur, à part quelques dresseurs hardis. Et depuis que les Agents avaient élu domicile à l'intérieur, encore moins de monde ne s'y aventurait, car depuis quelques temps, les autorités retrouvaient volontiers des cadavres mutilés à l'intérieur, sans arriver à identifier le coupable. Elles avaient conclu que le Mont Creuset abritait un Pokemon sauvage très dangereux, et en avait interdit temporairement l'accès.

Il n'y avait que quelques Pokemon à l'intérieur, qui s'écartèrent bien vite du chemin de Slender. Togesplit les observa avec envie. C'était ça sa vie, avant de devenir ce qu'il était et d'avoir gagné une conscience plus développée ? Il vivait avec ses pairs dans une quelconque grotte ou forêt, loin des humains, en paix ? Non, en tant que Togekiss, il avait sûrement dû être la propriété d'un dresseur aimant, lui apportant fierté et amour... Il se reprit lui-même en secouant la tête. Ce n'était pas le moment d'avoir des regrets.

Comme Slender avait quitté Fantastux sans prévenir, ce dernier devait avoir suivi la procédure, à savoir justement revenir au point de regroupement actuel. Et comme le Pokemon Spectre était quelqu'un de prudent, il devait avoir rameuté entre temps les autres Agents, du moins ceux qui étaient disponibles. Son intuition se confirma quand ; Fantastux et Vrakdale étaient là pour les accueillir dans le laboratoire souterrain. Le Pokemon était bien sûr passablement énervé.

- Qu'est-ce qui t'as pris d'abandonner ton poste comme ça ? Fantastux est le coordinateur des Agents ! Vous devez tout lui dire !

- Toujours aussi bouffi d'orgueil, à ce que je vois, commenta Togesplit.

Sa colère disparut immédiatement quand il vit Togesplit, et ses manches qui faisaient office de bras sans manche se croisèrent en un geste gourmand.

- Ça par exemple... Ne serait-ce pas l'odieux Togekiss mutant du Seigneur Vaalzemon qui a rejoins ces lâches adorateurs d'Erubin ?

- Odieux est exagéré. T'es comme moi, au final. Un Noctunoir qui a mal tourné.

- Fantastux était un Teraclope avant d'évoluer ! Répliqua l'Agent de la Corruption. Et il l'a fait grâce à un pouvoir unique et des prédispositions évidentes. Il n'a pas été modifié génétiquement comme toi !

- Oui oui... Tu me présentes pas ton nouveau pote ? Il n'y était pas encore quand je suis parti, lui.

Il était étrange, l'humain à côté de Fantastux. Sa peau était tirée, rougie et cloquée en de nombreux endroits, comme s'il avait été brûlé récemment. Non... Comme s'il brûlait en ce moment même.

- Fedan Vrakdale, se présenta l'humain. C'est un honneur de vous rencontrer, Togesplit-senpai, ironisa-t-il.

Togesplit savait pourquoi il lui donnait son nom si facilement, alors que l'identité des Agents de la Corruption était d'ordinaire un secret. C'était parce que soit Togesplit serait appelé à revenir parmi eux, soit à mourir.

- Je suis venu voir le Seigneur Vaalzemon, dit-il. J'ai quantité d'informations à lui donner.

- Des informations, hein ? Ricana Fantastux. Parce que tu veux nous faire croire que tu as trahi les Gardiens de l'Innocence ?

- Je ne veux rien te faire croire à toi. T'es de toute façon trop limité intellectuellement pour que je me prenne la tête à essayer de te convaincre de quoi que ce soit.

Le visage tordu et fantomatique de Fantastux se crispa de colère sous son chapeau. L'énerver était très facile, et surtout très satisfaisant, mais Togesplit savait qu'il devait calmer le jeu. Son Talent ne fonctionnait pas sur les êtres immatériel comme lui, et s'il se faisait tuer avant de rencontrer Vaalzemon, tout cela n'aura servi à rien.

- Le Marquis nous a ordonné de vous éliminer à vue, signala Vrakdale. Nous savons que vous êtes le responsable direct de la mort de Verelosius. Au nom de quoi nous laisserions-vous approcher le Seigneur Vaalzemon ?

Togesplit maudit son idiotie. Évidement, les Agents avaient de quoi être au courant de ce qui était arrivé à Verelosius. Togesplit aurait sans doute dû contenir sa rage face à lui. De même qu'il aurait dû savoir que Slender ne le mènerait pas directement jusqu'au Marquis. Vaalzemon n'était pas dans cette grotte. Toutefois, il ne renonça pas.

- Je suis capable actuellement d'apporter bien plus au Marquis que tout ce que ce malade de Verelosius lui a créé. Pour tout dire, je suis las de la vie. Mais plus encore, je suis las de l'angélisme des Gardiens qui me cachaient de vous. Laissez-moi parler au Marquis. S'il décide de me tuer ensuite, ça m'est égal.

Ce Vrakdale semblait être un humain raisonnable, sachant peser le pour et le contre sans préjugés, et ne semblant pas soumis à la soi-disant supériorité de l'ancienneté de Fantastux.

- Ma foi, on ne risque rien à lui faire rencontrer le Marquis ici, déclara-t-il.

Curieusement, et malgré sa colère toujours présente, Fantastux acquiesça. Vrakdale alla chercher sur l'une des étagères aménagées une espèce de petite boule ornée d'une lentille, qu'il activa et qu'il posa au sol devant eux. Togesplit la regarda avec méfiance.

- C'est quoi ça ?

- Un équivalent du téléphone des humains, mais en mieux, sourit Fantastux. Le Marquis a toujours plusieurs années d'avance sur le reste de l'humanité.

Quelques minutes plus tard, la boule réagit. Sa lentille passa au rouge, et une espèce de rayon en sortit, matérialisant le corps de Vaalzemon, crépitant et transparant. Bien que Togesplit ne soit pas spécialement un connaisseur de technologie, il comprit que le Marquis n'était pas réellement là. Que ce n'était qu'une image. Ça ne l’empêcha pas d'éprouver une haine bien réelle quand il croisa les yeux de son créateur.

- Tiens, tiens, tiens... murmura Vaalzemon d'une voix faible. Comme c'est électrisant...

Le Marquis portait sa toge noire, mais avait renoncé à son masque argenté qui lui dissimulait une bonne partie du visage. Togesplit eut donc une vue parfaite sur le visage du Savant Noir, aux traits flasques et à la couleur maladive. Mais ses yeux, eux, reflétaient bien la douce folie et l'intellect qui avaient toujours été les siens. Et évidemment, comme Togesplit avait étudié avec les autres Apôtres les possibles identités de Vaalzemon, il reconnut sans mal le visage de Milton Parmilian, l'ancien directeur scientifique de N.W.C, l'un des quatre principaux suspects.

- Je n'ai visiblement pas souffert le martyr en me levant de mon lit pour rien, poursuivit Vaalzemon. Quel plaisir de te revoir, cher vieil ami et camarade.

Le Marquis tourna la tête, comme pour tenter d'apercevoir ses trois Agents derrière lui ; ce qu'il ne pouvait bien sûr pas faire, étant donné que la caméra de l'holoprojecteur était pointée sur Togesplit.

- Qui d'autre est là ? Demanda-t-il.

- Slender, Vrakdale, et moi-même, Marquis, répondit Fantastux. Togesplit s'est rendu à nous. Il affirme avoir déserté les Gardiens de l'Innocence pour vous retrouver et vous transmettre des informations capitales.

- Je vois... Oui je vois. C'est en effet pleinement électrisant.

Vaalzemon dévisageait intensément Togesplit, et ce dernier savait qu'il devait dire quelque chose, n'importe quoi, pour prouver sa bonne foi, mais la haine qui était la sienne à la vue de cet humain qui avait brisé sa vie ne lui permettait plus de parler sereinement. C'était comme si l’œil rouge du Marquis, symbole de sa possession par Horrorscor, lui insufflait tous les pires sentiments possibles.

- C'est toujours source de fierté pour un savant de voir sa création atteindre des sommets, continua Vaalzemon. Même si tu as mis tes talents au service de nos ennemis, tu as largement transcendé ton état de base de simple Pokemon. Mais j'ai gravement sous-estimé les dégâts mentaux que ta transformation engendrerai. Les Gardiens de l'Innocence ont su en profiter.

- Ils n'ont profité de rien, répliqua Togesplit avec colère. Je n'étais ni leur pantin, ni leur serviteur. Je me suis temporairement allié à eux de mon plein gré, c'est tout.

- Oui, je suppose que ça te soulage de penser cela. Mais inconsciemment, tu ne faisais que rechercher un endroit où tu pourrais te sentir chez toi, avec des gens qui t'acceptaient.

- C'est faux ! Je me contrefiche de ce qu'on peut penser de moi, et je n'ai besoin de personne !

Pourtant, ses paroles sonnaient fausses. Si Togesplit avait quitté les Gardiens pour aller rechercher une mort quasi-certaine, ce n'était pas tant à cause de la haine qu'il vouait à son créateur, mais plutôt parce qu'il n'arrivait plus à vivre au milieu de ces gens pleins de bons sentiments, et qu'il avait renoncé à trouver un chez lui, quelque part. Vaalzemon semblait lire la vérité en lui et s'en délecter.

- Si tu souffres tant, c'est que tes émotions sont fortes. Ce sont elles que j'ai négligées durant ta création. Et tu auras beau les nier, elles ne te laisseront aucun répit. Car il n'y a qu'au sein de la Corruption, dans la libre volupté de notre Seigneur Horrorscor, que les émotions ne nous atteignent plus.

Togesplit expira longuement, tâchant de se calmer et de s'en remettre à son plan.

- Soit. J'aimerai réessayer alors. Je veux revenir vers vous, et me baigner dans cette Corruption libératrice. Je peux vous apprendre quantité de choses sur les Gardiens de l'Innocence et leurs Apôtres.

- Je suis tout ouï.

- Je préférerai le faire face à face, rétorqua Togesplit.

- Nous sommes face à face. Mais je peux dire à mes camarades de nous laisser, pour que nous soyons que tous les deux. Parle, et j'étudierai la possibilité de te reprendre avec moi, selon la valeur de tes informations.

Togesplit se rendit compte qu'il avait été stupide. Son plan désespéré était voué à l'échec dès le début. Il aurait dû se douter qu'il n'aurait pas pu avoir le Marquis en chair et en os devant lui. Et il savait que baratiner Vaalzemon était une manœuvre tout aussi désespérée. Le Marquis savait détecter les mensonges avec une facilité déconcertante. Il n'y avait qu'une seule possibilité pour Togesplit : lui donnait ce qu'il voulait, à savoir des informations importantes et véridiques sur les Gardiens. Mais ça, le Pokemon ne l'avait jamais envisagé. Il avait quitté les Gardiens, oui, mais ne comptait pas les trahir. De toute façon, il ne le pourrait sans doute pas même s'il le voulait, du fait de la promesse qu'il avait faite à Cosmunia, scellé par son Talent Vérité.

- Eh bien ? Insista Vaalzemon, comme Togesplit gardait le silence. Parle. Montre-moi ton allégeance à la Corruption.

Togesplit baissa la tête et soupira.

- Bah, j'aurai essayé au moins...

- Tu peux te consoler avec ça oui, répondit le Marquis, qui avait vu clair dans le jeu du Pokemon dès le début. Je n'attendais rien de toi, à vrai dire. Ça n'a pas changé depuis l'époque où tu étais un Togekiss normal. Tu m'auras été inutile jusqu'au bout, quelque soit ta forme.

Ces paroles étranges retinrent l'attention du Pokemon.

- Comment ça, depuis l'époque où j'étais un Togekiss normal ?

- Ah, mes excuses, c'est vrai que tu ne dois en garder aucun souvenir, après mon... traitement. Tu étais mon Pokemon avant, et ce depuis que tu es un Togepi, avant même ton éclosion de l’œuf ! Je t'ai élevé depuis ta naissance. Tu m'appartiens depuis le début.

Togesplit était déjà au fond du trou, mais là, ce fut comme si le sol s'était ouvert sous ses pieds, pour qu'il ne plonge dans un abîme sans fin.

- Tu... tu mens ! Tu m'as sans doute volé à un autre dresseur, ou capturé à l'état sauvage à l'aide d'artifices ! T'es un scientifique, pas un dresseur !

- Ah, mais je n'ai jamais dit que j'étais un dresseur. Ton œuf, on me l'avait offert. Un cadeau de mon fils, pour mes quarante ans. Il trouvait que je travaillais trop, et que j'étais trop stressé. Les Togepi sont des Pokemon rares, censés apporter bonheur et paix de l'âme. Je t'ai élevé suffisamment bien pour que tu puisses évoluer en Togetic, et j'ai dépensé une fortune pour dénicher une Pierre Éclat pour te transformer ensuite en Togekiss. Comme c'était un Pokemon immensément recherché et admiré, je faisais des jaloux parmi mes confrères. Milton Parmilian, le génial inventeur au Togekiss. Tu me servais également de couvre-feu pour mes recherches les plus... audacieuses, je dirai. Jamais personne n'aurait soupçonné un détenteur d'un Pokemon aussi pur que Togekiss s'adonnait à des expériences non éthique. Mais évidemment, après m'être rangé du côté de la Corruption, tu as commencé à désapprouver et à devenir de plus en plus distant. Togekiss étant un Pokemon immensément proche de l'Innocence, et Fée qui plus est, il ne peut pas supporter longtemps la présence d'Horrorscor. J'ai donc décidé de te... transformer, pour que tu deviennes un Togekiss du côté de la Corruption. Le résultat, hélas, n'a pas été conforme à mes attentes. Ton Talent est intéressant, mais le reste est un échec total.

Chaque mots de Vaalzemon était comme un coup de couteau de plus dans le cœur de Togesplit, la preuve supplémentaire qu'il avait été maudit dès le début. Il aurait pu choisir de ne pas croire les paroles du Marquis, mais ce fut comme si elles avaient dissipé en lui la brume qui entourait sa vie d'avant. Le visage du Marquis, il le revoyait, en plus jeune, dans sa mémoire obscurcie. Il revoyait Milton Parmilian avant que ce dernier ne croise la route du précédent Marquis. Un homme somme toute normal, capable d'amour et de compassion, bien que torturé par son incapacité à dépasser les limites de la science actuelle. S'il avait évolué de Togepi en Togetic, c'était que forcément, il avait été heureux en ces temps là. Heureux d'être le Pokemon du futur Marquis des Ombres. Et ça, ça l’écœurait encore plus que d'avoir été génétiquement transformé par ce même Marquis. Il n'avait plus qu'un seul désir : cesser d'être lui. Que tout ça s'arrête. Que cette vie de misère et de honte s'achève.

- Vous êtes bien gentil, Marquis, dit-il enfin. Je n'ai désormais plus aucune hésitation, plus aucune envie de rester vivant. Même si je ne peux pas vous tuer, je compte bien emporter dans la mort vos trois larbins ici présents.

À ces mots, Fantastux, Slender et Vrakdale se mirent en garde, prêt à combattre. Les lèvres de Vaalzemon s'étirèrent davantage.

- Un dernier combat tragique pour fermer le rideau ? Comme c'est électrisant ! Je veux bien te l'accorder. Hélas, tu n'emporteras personne avec toi, je le crains. Couper la tête de Slender ne le tuera pas, contrairement à Verelosius. Ton Talent ne marchera pas sur Fantastux, et enfin, Vrakdale est ce qui se rapproche le plus d'un humain indestructible. Tout comme ta vie, ta mort sera inutile, dénuée de sens ! Personne ne se souviendra de ton dernier combat futile, et personne ne te pleurera.

- Je crois que tu te goures un peu, bro, fit une voix que Togesplit n'aurai jamais cru entendre à nouveau.

Une dizaine de personnes venaient d'arriver à l'entrée de la planque. Ceux que Togesplit avait laissé derrière lui, sans un seul adieu. Dan Sybel, Cosmunia, la Comtesse Divalina, le Premier Apôtre Erable, et cinq Gardiens connus pour être de puissants dresseurs de Pokemon, accompagnés de Leslia Divalina qui avait fait apparaître son Doppelganger Xivalori. Et bien sûr, celui qui venait de prendre la parole, ses longs cheveux en désordre, ses habits négligés et les mains dans les poches : Henrich Yasmin, qui avait pointé le doigt sur la projection de Vaalzemon.

- Togesplit est mon partenaire, et quoi qu'il fasse, moi je m'en souviendrai. Et j'aurai pas besoin de le pleurer, car on va péter la gueule à tes Agents et rentrer tous chez nous pour en rigoler !

Togesplit fut bien trop abasourdi par l'arrivée soudaine des Gardiens de l'Innocence pour rétorquer de sa façon habituelle. Et il fut encore plus abasourdi par la joie qu'il sentait en revoyant Henrich.

- Les Gardiens de l'Innocence n'abandonnent pas l'un des leurs, fit le professeur Erable d'une voix forte. Marquis des Ombres Vaalzemon... ou plutôt, professeur Milton Parmilian : nous allons vous montrer la force des liens qui unissent ceux qui croient en Erubin !

Pris au dépourvu, les trois Agents de la Corruption ne surent plus trop qui cibler. Vaalzemon, lui, n'avait pas abandonné une seule seconde son sinistre sourire.

- Comme c'est électrisant...