Route 102 Le moteur bourdonnait à ses oreilles à mesure que les arbres défilaient autour de lui. Les cheveux au vent, son tablier blanc claquant dans son dos, Charles pilotait sa jeep décapotable sous un soleil radieux comme il ne l’avait jamais pilotée, dépassant les limites réglementaires. En voiture, le trajet entre le Bourg-en-vol et Clémenti-ville n’était pas très long, surtout à une telle vitesse. Bientôt, il reconnut la vallée qui longeait la Route 102, celle qui avait été plusieurs siècles plus tôt parcourue d’un très large fleuve et qui était, aujourd’hui, pratiquement asséchée.
Charles freina d’un coup, manquant de passer à travers la vitre de sa jeep. Plusieurs fourgonnettes de la police locale formaient un barrage, et une demi-douzaine d’agents couraient dans tous les sens, brandissant tantôt des talkies-walkies, tantôt des cartes de la ville.
Charles bondit hors de sa voiture sans prendre le temps de claquer la porte derrière lui, et vint à leur rencontre.
— Professeur Seko ! reconnut l’un des agents.
— Je viens d’apprendre aux nouvelles que des terroristes s’étaient attaqués à Clémenti-ville. Quelle est l’état de la situation ?
— Nous avons fermé tous les points d’accès de la ville, indiqua un des policiers en lui faisant signe de ne pas dépasser la limite formée par leurs véhicules. Un groupe qui se fait appeler « Team Magma » a débarqué hier soir et a assiégé la ville. On pense qu’ils sont ce qu’il reste du vieux Groupe Magma de la génération précédente.
— Que veulent-ils ?
— On ne connait pas encore grand-chose de leurs motifs, avoua l’agent en chef. Nous avons passé ces dernières vingt-quatre heures à les empêcher de s’emparer des bâtiments importants de la ville.
— Avec succès ?
— Jusqu’ici, nous avons réussi à protéger le centre pokémon, la gare ferroviaire et toute la zone résidentielle qui se trouve à l’ouest et au sud du parc public. Les habitants ont été soumis à la quarantaine pour leur propre protection et nous patrouillons efficacement dans les rues. Malheureusement, toute la zone commerciale et industrielle est occupée, et l’arène est le théâtre de violents combats en ce moment-même.
— L’arène n’est pas encore tombée ? demanda Charles avec espoir en vérifiant sur sa montre si les évènements coïncidaient avec ceux dont il se souvenait.
— Le champion d’arène se bat en ce moment avec tous ses employés pour faire reculer les disciples Magma.
— Parfait !
— Attendez !
Charles avait voulu dépasser la barrière de policiers mais le chef de la garde le bloqua de son corps.
— Il est interdit pour tout civil d’entrer dans Clémenti-ville, indiqua-t-il avec fermeté.
— Civil ? Moi, civil ? s’emporta Charles.
Les agents s’échangèrent quelques regards embêtés.
— Un éminent scientifique, formateur des plus grands dresseurs de Hoenn, un civil ? Vous venez de me donner des informations confidentielles et vous voulez m’empêcher de passer votre barricade ?
Charles appuya ses propos avec toute la force de conviction et d’autorité dont il était capable. Il fallait absolument qu’il pénètre dans Clémenti-ville, et ce n’était pas quelques agents qui allaient l’empêcher de suivre le cours du temps.
— Dégagez-moi un passage, ordonna-t-il.
Le haut-gradé hésita.
— Professeur Seko, je…
Charles lui lança un regard noir en s’approchant de son visage, le dominant par sa taille.
— Bon, d’accord. Mais la voiture reste ici pour plus de discrétion.
— Très bien, accepta Charles qui pensa qu’au fond, c’était une bonne idée de ne pas se faire repérer par les terroristes.
Autour de lui, les agents baissèrent les yeux et se décalèrent pour lui libérer un passage.
— Vous feriez mieux de vous dépêcher si vous voulez vous rendre utile, conseilla le chef de la police. Ce serait vous mentir si je vous disais que nous étions en position de force.
Charles acquiesça et pénétra dans Clémenti-ville.
Clémenti-ville Les rues de Clémenti-ville étaient désertes. Jamais il n’avait régné un calme aussi pesant sur la ville. Partout sur son passage, Charles constata les dégâts provoqués par les combats qui avaient dû se dérouler en extérieur. Ci-et-là, des pavés retournés gisaient au sol, délogés de leur endroit initial, des plantes publiques avaient été brûlées, des poubelles renversées, des poteaux électriques défoncés. Plusieurs voitures avaient été abandonnées en plein milieu de la route, comme si leurs propriétaires s’en étaient extraits en pleine conduite.
Charles s’arrêta un instant au centre d’un carrefour encombré par des voitures aux portières ouvertes, aux moteurs toujours allumés. Sur sa droite, au loin, il pouvait distinguer la célèbre toiture rouge du centre pokémon. Une minuscule silhouette s’extirpa hors d’une ruelle et Charles se cacha en vitesse derrière une des portières de voiture. Mais il reconnut bien vite l’uniforme officiel de la police locale. Il était en zone libre.
C’est alors qu’il distingua difficilement ce qu’il interpréta comme un cri. Il coupa le moteur de la voiture afin d’en entendre davantage et se concentra. Un nouveau cri déchira le ciel, à peine audible. Il provenait de la route qui remontait vers le nord.
— L’arène… marmonna-t-il.
Les combats qui s’y déroulaient devaient être d’une violence inouïe pour qu’il fût capable de les entendre de l’endroit où il se trouvait.
Sans perdre de temps, il quitta le carrefour en direction des affrontements.
Après plusieurs dizaines de minutes de marche, après avoir traversé le parc public désertique et la zone résidentielle où il avait préféré se cacher des policiers afin de ne pas attirer l’attention sur lui, il pénétra dans une des rues de Clémenti-Ville qu’il connaissait le mieux. Il savait qu’une fois arrivé à l’angle, là où se trouvait une petite boutique d’accessoires et médicaments pour pokémons, il atteindrait la petite place où se trouvait l’arène.
Immobile au milieu de la rue, il écouta attentivement les cris déchirants, les aboiements féroces et les explosions fréquentes qu’il pouvait entendre distinctement. Plusieurs fois, le sol trembla sous ses pieds tandis que le ciel était déchiré par les hurlements des êtres humains et des pokémons qui s’affrontaient à l’autre bout de la rue. Quelqu’un donna un ordre et un jet de flammes fusa au-dessus d’une des toitures avoisinantes.
Son analyse auditive de la situation lui glaça le sang : il devait y avoir une bonne cinquantaine de personnes en proie à des combats à quelques mètres de lui. Comment allait-il faire pour leur venir en aide ? Il devait à tout prix avoir un aperçu visuel de la situation !
Brandissant les deux pokéballs qu’il lui restait dans son sac à bandoulières, il logea Celebi plus profondément dans son sac, juste au cas où, et s’approcha très discrètement de l’angle de la rue formé par la boutique. Adossé contre le mur, il glissa une tête en direction du square.
Charles resta bouche bée. La magnifique arène de Clémenti-ville, construite dans une architecture de dojo, se dressait derrière une foule massive de combattants. Deux lignes s’étaient formées : un groupe d’individus masqués recouverts d’une cape rouge, défendant difficilement l’entrée de l’arène sur les premières marches de l’escalier, contre une ligne d’officiers en uniformes bleus et noirs qui tentaient vaillamment de les empêcher d’y pénétrer depuis la place publique.
La Team Magma avait déjà réussi à atteindre l’entrée de l’arène, mais quelque chose les empêchait d’y pénétrer et d’en prendre possession. Après quelques secondes d’observation, Charles découvrit enfin ce qui les bloquait : à intervalles réguliers, un courant électrique se développait sur l’entièreté du pallier au sommet des escaliers, interdisant à quiconque de poser le pied devant la porte d’entrée. Il devait y avoir un dresseur propriétaire d’un pokémon électrique qui défendait courageusement la porte !
Rassuré par le fait qu’il se trouvait du côté des policiers, Charles sortit de sa cachette et rejoignit la ligne de combat.
— Caninos, attention ! cria une policière.
Un chien au pelage roux s’envola et retomba lourdement aux pieds de Charles. La policière courut au chevet de son pokémon et Charles la reconnut.
— Agent Jenny !
— Professeur Seko ! Qu’est-ce que vous faites ici ?
Une boule de feu fila à quelques centimètres de son oreille et explosa sur une poubelle qui s’embrasa.
— Je suis venu donner un coup de main !
L’agent Jenny le força à s’agenouiller afin de se cacher derrière la ligne de policiers en combat. Un officier poussa un cri de douleur, quelque part derrière l’agent Jenny
— Vous devez absolument partir et laisser les forces de police travailler ! l’encouragea-t-elle.
— Vous êtes vraiment en position de refuser de l’aide ? s’étonna Charles en lui montrant son Caninos mal-en-point.
— Vous ne comprenez pas ! Ces gens sont des barbares ! Des civils ont voulu se joindre au combat, et ils sont encore plus féroces contre eux ! En ce moment, nous essayons de rompre leur défense pour leur venir en aide !
— Venir en aide à qui ?
— Aux civils !
Elle tira sur son tablier afin de le déplacer pour lui montrer quelque chose à travers la foule. Entre les jambes des policiers en combat, Charles distingua dans la zone de no man’s land un petit groupe de civils qui étaient entourés d’une dizaine de terroristes et résistaient bravement. C’était comme si dès que le premier civil lâchait, tout le groupe de disciple lui tomberait dessus pour avoir sa peau.
Un Goélise s’envola hors du cercle et lança un jet d’eau puissant qui s’écrasa sur un Limagma ennemi. Charles distingua alors nettement les traits du maître du Goélise : petit et frêle, le crâne chauve et une barbe blanche de quelques jours, le champion d’arène de Clémenti-ville cachait derrière son apparence de vieillard un combattant redoutable prêt à tout pour défendre ses concitoyens.
— Marco Fuji… marmonna Charles en se relevant.
En revoyant le visage de son vieil ami, son corps se mouvoir avec aisance, en entendant sa voix porter des ordres intempestifs, en redécouvrant son courage et sa force, Charles fut pris d’une émotion aveuglante. Les yeux humides, il traversa difficilement le groupe compact de policiers excités et s’approcha de la ligne de front sans jamais quitter du regard son vieil ami dans la zone du no man’s land.
Un sbire de la Team Magma dans les rangs opposés cria un ordre et plusieurs policiers sur sa droite se jetèrent au sol afin d’éviter une nuée de boules de flamme. Mais Charles resta debout. Il n’avait que faire de ces combats qui appartenaient au passé. Au diable toute cette violence qui se terminerait et ne seraient reléguée qu’au rang de fait historique du passé. Tout ce qui l’importait, c’était de rejoindre Marco Fuji et protéger son Goélise défunt, mais bel et bien vivant en ce moment.
— Professeur, non !
L’agent Jenny lui avait attrapé le bras et l’avait empêché de dépasser la limite formée par le dernier rang des policiers.
— Vous êtes fou ?!
— Je dois aller sauver mon ami ! s’exclama-t-il, hors de lui.
— Si vous dépassez cette ligne, vous allez vous faire abattre !
— Personne ne peut me tuer ! cria-t-il.
L’émotion de revoir son ami et son pokémon vivant lui obscurcit la pensée. Il n’en avait plus rien à faire de toutes ces histoires qui n’appartenaient pas à sa réalité. Marco Fuji était en danger et son Goélise allait mourir quelques années plus tard ; il se devait de les protéger !
— Vous voyez ce disciple, là ?
L’agent Jenny lui pointa du doigt un sbire qui se tenait debout entre l’arène et les policiers, détaché de tous les groupes, et qui scrutait patiemment la foule derrière son Medhyèna.
— Le dernier de mes collègues qui a tenté de traverser et de rejoindre l’arène s’est fait charcuter par son terrible Medhyèna, expliqua l’agent Jenny. Personne ne peut vous tuer ? Lui, oui !
Charles rejoignit à nouveau la réalité. Évidemment qu’il pouvait être tué. Où avait-il la tête ? Ces évènements pouvaient appartenir au passé, c’était bel et bien son présent qui se déroulait sous ses yeux. Le Charles Seko à son laboratoire, en ce moment en train de déguster une part de gâteau au chocolat, ne pouvait pas être assassiné, car il ne l’avait pas été ce jour-là. En revanche, lui, le vrai Charles Seko, celui qui avait déjà vécu cette journée, la revivait une nouvelle fois mais bel et bien dans son présent. Son futur n’existait pas encore. Et s’il décidait de quitter le rang des policiers, son futur pouvait ne jamais exister du tout !
Une idée lui germa alors.
— Ils veulent se la jouer barbare ? Eh bien ils vont en avoir du barbare ! Plutôt que d’attaquer leurs pokémons, attaquez-les !
— Qui ça ?
— Eux ! Les sbires !
— Mais… Professeur… C’est interdit ! Nous ne sommes pas des meurtriers !
— Très bien.
Charles fit apparaître son Poussifeu et son Arcko. Les deux pokémons paraissaient bien faibles face aux guerriers qui se trouvaient en face, mais une attaque surprise, même de faible intensité, pouvait avoir de très bons résultats.
— Professeur, non ! s’emporta l’agent Jenny. Aucune circonstance exceptionnelle ne vous permet de déroger à la loi !
— Arrêtez-moi, si ça vous chante !
De toute manière, ce ne serait pas lui qui finirait en garde à vue dans le pire des cas.
Charles se dégagea de l’emprise de la policière et se rapprocha du sbire au Medhyèna en restant caché derrière les policiers. Un Zigzaton hurla à la mort tandis qu’il se faisait mâchouiller le cou par un Nosferapti, et Charles évita le coude d’un policier qui venait d’avoir un mouvement de recul.
De là où il se trouvait à présent, il avait le champ libre pour attaquer le sbire qui regardait dans la direction opposée, trop occupé à s’assurer que le groupe de civil fût bientôt maté.
— Poussifeu, lance une grosse « flammèche » sur son visage ! ordonna Charles.
Le petit poussin lui lança un regard hésitant. Face à la mine sévère de son maître, il s’exécuta. Charles le lança dans les airs et Poussifeu cracha une boule de feu qui fusa vers le sbire. Ce-dernier la remarqua à temps et se protégea le visage de son bras. La boule de feu explosa sur son coude et sa cape s’embrasa.
— Maintenant, Arcko ! « Vampigraine » sur son Medhyèna !
Perturbé par sa cape dont il essayait d’éteindre les flames ravageuses, le sbire ne put empêcher Arcko d’agir. Le pokémon plante envoya une petite graine se loger dans les poils du chien et de petites lianes s’en extirpèrent, ligotant le chien au sol.
— Professeur !! cria l’agent Jenny.
Mais Charles avait déjà rompu le rang.
Une fois dans le no man’s land, il évita l’attaque d’un Limagma et fonça tête la première contre un des sbires qui entouraient les civils. Bousculé par derrière par surprise, le sbire s’effondra au sol et entraîna dans sa chute son comparse voisin. Charles échangea un regard victorieux avec Marco Fuji.
— Ça, c’est mon Charles ! s’exclama le vieux champion d’arène.
Le groupe de civils poussa un cri de guerre et redoubla de férocité pour détruire le cercle des sbires de la Team Magma. Alors, les policiers qui avaient constaté que le champ était libre rompirent les rangs et se précipitèrent à toute allure sur la ligne de disciples en cape rouge.
La bataille rangée se transforma en un véritable chaos qui fit trembler le sol de la place publique.
— Picko, à toi de jouer !
Marco Fuji envoya son Goélise survoler la masse compacte de combattants et le pokémon visa ses ennemis en leur envoyant des trombes d’eau depuis le ciel. Avec les forces additionnées de ses jeunes Arcko et Poussifeu, Charles aida les civils à se dégager de l’oppression des criminels. Un coup de bec du pokémon feu et un coup de queue du pokémon plante achevèrent le dernier sbire.
Les civils poussèrent un cri de victoire qui résonna dans tout Clémenti-ville.
— Récupérons l’arène ! hurla Marco Fuji, tel le capitaine d’un navire sabordé.
Le groupe libéré courut vers l’arène, le vieux champion en tête, et se mêla aux combats ravageurs. Les affrontements avaient migré sur les marches qui donnaient accès à l’arène, et un des sbires qui avait posé pied devant la porte se raidit sur place. Il venait de se faire électriser. Tombant à la renverse, il emporta avec lui son Limagma.
— Qui protège l’entrée ? demanda Charles en criant pour que Marco l’entende de l’autre côté de la foule.
— À ton avis ? Un des plus fidèles combattants d’élite de Hoenn !
Marco lui indiqua du regard l’endroit où se cachait un Magnéti en lévitation. Près du pokémon électrique, attaquant avec forces les pokémons de ses ennemis à l’aide de son Voltorbe, Charles reconnut distinctement le ventre bedonnant, la barbe rousse et les quelques cheveux blonds résistants sur le crâne de Voltère, le champion d’arène de Lavandia.
Le champion jouait de ses talents de dresseur à la perfection. Surveillant l’entrée en ordonnant à son Magnéti d’attaquer les sbires qui tenteraient d’atteindre l’arène, il chorégraphiait en même temps les mouvements de son Voltorbe dans la foule et semblait réellement prendre son pied dans tous ces combats.
— Allez, plus que quelques mètres ! s’écria l’agent Jenny.
De nombreux pokémons feu jonchaient le sol, immobiles, et ne restaient plus que quelques vaillants sbires. Les criminels s’étaient compactés au sommet des escaliers et les policiers tentaient de les obliger à monter sur le palier où les attendait le fourbe Magnéti.
— Poussez ! POUSSEZ !!
Les policiers et les civils lancèrent des cris de guère afin de se donner du courage et de la force, mais les sbires poussaient dans l’autre sens. L’un des deux camps allait lâcher, mais lequel des deux ?
— Voltorbe, non !
Charles jeta un coup d’œil à Voltère. Le champion d’arène venait de subir l’attaque de plusieurs Chamallot qui s’étaient ligués contre son Voltorbe. Terrifié et poussé à bout, le Voltorbe s’était mis à tourner sur lui-même et une étrange lumière jaune l’entoura. La redoutable attaque « explosion » !
— ATTENTION !! hurla Charles.
Mais c’était trop tard. Le Voltorbe avait explosé, libérant une onde d’énergie qui souffla toutes les personnes présentes dans son rayon d’attaque. Charles fut projeté au sol et cogna son bras contre une marche de l’escalier. Quelque chose de lourd retomba sur son dos, un pied lui frappa le crâne tandis qu’un Nosferapti retomba devant ses yeux, complètement calciné.

Les combats avaient cessé. Pataugeant dans une mare de sang qui ne lui appartenait pas, il se releva en suffoquant entre les nuages de fumée. Il trébucha sur un corps inerte et se rattrapa au mollet brûlant d’une femme afin de ne pas tomber des escaliers.
— Charles, tu vas bien ?!
Marco Fuji l’aida à se relever. Ils se trouvaient au centre d’un champ de combat ravagé. Un tas de corps brûlés reposait au sol où se mélangeaient indistinctement policiers, terroristes et pokémons. Plusieurs policiers et civils avaient échappé à l’attaque et revenaient porter secours aux blessés les plus graves. Quelques sbires se trainaient au sol, fuyant les ruines de ce qui avait été la place publique. Entre les odeurs de peau carbonisée, de suie et de sang, son estomac ne résista pas et il vomit le peu de petits-fours qu’il avait ingéré plus tôt.
— ZÉNOBE !! hurla Marco Fuji.
Charles reprit ses esprits. Marco et son Goélise s’étaient précipités au pied des escaliers où gisait le corps du vieux champion d’arène de Lavandia. Charles dévala les marches ravagées, évitant quelques corps immobiles, et rejoignit l’agent Jenny dont le visage était recouvert de sang. Face contre terre, à quelques centimètres de son Voltorbe fumant, Voltère avait le corps recouvert de poussière et les jambes ensevelies par d’énormes morceaux de plâtre. Les yeux ouverts, sous le choc, il essaya de bouger mais les blocs de plâtre le gardaient prisonnier.
— Vous ! appela Marco Fuji. Aidez-moi à le dégager de là !
Un homme et une femme de la quarantaine titubèrent vers eux et, rassemblant le peu d’énergie qu’ils leur restaient, essayèrent de soulever les blocs de plâtre. En vain. L’agent Jenny, Charles et Marco Fuji unirent leur force et à cinq, ils parvinrent à dégager le champion de Lavandia.
— Vous ne perdez rien pour attendre ! menaça le sbire propriétaire du Medhyèna en claudiquant dans les ruines.
— Mettons-nous à l’abri !
L’agent Jenny ouvrit la course vers l’arène tandis que Charles et l’homme de la quarantaine portèrent Voltère sur leurs épaules. Le petit groupe de rescapés et leurs pokémons se réfugièrent dans l’arène avant de refermer la porte devant le sbire épuisé.
Marco poussa un énorme meuble devant la porte tandis que l’agent Jenny referma les volets en bois devant les fenêtres qu’elle barricada. Confinés dans la pénombre du le terrain de combat de l’arène de Clémenti-ville, les six survivants se laissèrent tomber au sol tandis que des coups répétés sur la porte faisaient trembler les murs.
— Monsieur Marco, vous saignez.
— Ce n’est rien…
Son Goélise lui désinfecta sa plaie sur le bras à l’aide de son « pistolet à eau ». Enfin au calme, Charles put constater les dégâts des affrontements. Ils avaient sauvé l’arène et terrassé les criminels, mais le prix a payé avait été cher. Tous recouverts de suie et de sang, les uns blessés au crâne, les autres aux membres, Charles s’étonna des blessures légères qu’il avait subies. À part quelques griffures et une bosse ou deux, il s’en tirait nettement mieux que le champion Voltère, étendu de tout son long sur le sol.
— Est-ce que vous sentez vos jambes ? demanda l’agent Jenny en lui plantant son ongle dans la plante de son pied.
Voltère acquiesça silencieusement, visiblement traumatisé.
— Il faut l’amener de toute urgence à l’hôpital du centre pokémon, pressa la policière.
— Impossible de quitter cette arène pour l’instant, indiqua Marco, le Groupe Magma nous encercle.
Cependant, Charles avait remarqué que les coups portés à la porte d’entrée avaient cessé. La Team Magma avait-elle accepté sa défaite ?
— Pourquoi… ? répétait inlassablement la femme qui les avait aidés, en pleurs. Pourquoi ils s’en prennent à nous ?
Son époux la prit dans ses bras.
— C’était tellement brutal, dit Marco Fuji, perdu dans ses pensées. Ils nous sont tombés dessus sans prévenir.
— Je croyais que ces terroristes avaient cessé leurs activités, grommela l’homme. Ne me dites pas que nous sommes revenus trente ans plus tôt ?
Charles eut un petit rire nerveux. L’agent Jenny arracha son talkie-walkie de sa poche et se releva.
— Je vais prévenir mes collègues pour qu’ils trouvent un moyen de nous escorter hors de…
Une voix s’élevant depuis son talkie-walkie l’interrompit.
—
Ce message s’adresse aux six rescapés qui se sont enfermés dans mon arène. Tous les regards se posèrent sur l’appareil que tenait la policière. La voix lisse et glaciale s’éleva à nouveau :
—
Je sais que vous m’entendez, agent Jenny. J’entends ma propre voix derrière la porte. Charles se tourna vers le meuble qui gardait fermée la porte d’entrée de l’arène. Qui que ce fût de l’autre côté du combiné, il se trouvait à quelques pas d’eux. Jenny approcha lentement son talkie-walkie de sa bouche, craintive.
— J… j’écoute, répondit-elle.
—
Je tenais à vous féliciter pour la bravoure avec laquelle vous avez combattu mes troupes, reprit la voix glaciale.
Vous avez fait honneur à la police de Hoenn. Lorsque vous serez sous mon contrôle, je vous décorerai.— Qui êtes-vous ? demanda Marco Fuji en saisissant l’appareil des mains de l’agent Jenny.
—
Ah ! je reconnais bien là votre fougue, Monsieur Marco. Nous n’avons jamais eu l’honneur de nous rencontrer, et soyez certain que je regrette la manière avec laquelle nous ayons à traiter ensemble. Dans d’autres circonstances, nous aurions pu nous entendre autour d’un bon verre de scotch. Malheureusement, nous avoir empêché de contrôler la moitié de la ville n’a pas aidé à installer un climat de confiance entre nous.— Quoi que vous vouliez, comptez bien sur moi pour vous empêcher d’y parvenir ! rétorqua férocement le champion d’arène.
—
Je ne doute pas de votre capacité de résistance. Cependant, vous serez triste d’apprendre que les seuls qui continuent à se battre sont réunis dans cette arène. Lorsque nous aurons repris le contrôle du centre pokémon et des accès à la ville, vous abandonnerez naturellement votre arène et me la céderez.— Je vous conseille d’abandonner tout de suite vos projets ! Vous ne savez pas à qui vous avez affaire !
—
Au contraire, Monsieur Marco. C’est vous qui ne savez pas qui se dresse sur votre chemin. Par courtoisie, car je n’aime pas être dans une telle situation d’avantage, je vais vous laisser une journée pour réfléchir. Abdiquez, et vous et votre peuple serez libre de vivre sous mon joug. Résistez, et je raserai cette ville pour m’en construire une plus apprivoisée. Seul dans votre arène, vous aurez tout le temps de murir votre réflexion.— J’espère pour vous que vous avez assez de bras pour bâtir votre cité, car vous n’aurez jamais Clémenti-ville !
La voix glaciale éclata d’un rire franc, avant de reprendre tout de suite son sérieux.
—
Le règne de la Team Magma va débuter, de gré ou de force. À demain, Monsieur Marco. Et le talkie-walkie resta silencieux. Tremblant de tous ses membres, Marco Fuji rendit son appareil à l’agent Jenny. Le vieil homme semblait avoir pris de l’âge en un quart de seconde.
Charles resta en retrait, perdu dans ses pensées. Voilà donc comment Clémenti-ville était tombée entre les mains de la Team Magma, ce fameux 23 août 2002. Fallait-il un voyage dans le temps pour qu’il assiste à la naissance d’un groupe terroriste.
— Je ne vais pas me laisser faire… Je ne vais pas me laisser faire…
Marco Fuji s’était mis à tourner en rond dans son arène.
— Ils veulent mon arène ? Qu’ils viennent la chercher ! hurla-t-il.
Voltère releva difficilement son buste.
— Nous… allons… nous b… battre, assura-t-il d’une voix fébrile.
— Zénobe, nous devons vous amener à l’hôpital ! s’inquiéta l’agent Jenny.
— Mais comment sortir de cette arène ? s’affola le couple de civil.
— Les souterrains ! s’exclama Marco Fuji en se tapant le front.
— Quels souterrains ? s’étonna Charles.
— Les anciens souterrains qui ont servi à la rénovation des égouts de la ville ! Nous les avons scellés après les grands travaux, mais ils sont toujours accessibles !
Marco Fuji se précipita au fond de l’arène et s’agenouilla au sol en le palpant de ses mains, comme s’il cherchait une petite vis perdue dans les lames du parquet. Soudain, il poussa un cri de victoire.
— Venez m’aider !
Charles et le couple le rejoignirent et le champion leur montra une petite fente dans le parquet. À quatre, ils délogèrent la planche de bois et celle-ci révéla une petite poignée que Marco Fuji actionna. Alors, un petit « clic » retentit et Marco Fuji souleva une trappe qui libéra un coup de vent poussiéreux aux odeurs de renfermé. Un boyau obscur s’étendait sous le sol de l’arène.
— Ces souterrains relient les bâtiments les plus importants de la ville, expliqua-t-il. Je n’ai pas les plans sous la main, mais je sais qu’ils suivent les canalisations des égouts de toute la ville.
— Jusqu’au centre pokémon ! comprit l’agent Jenny.
— Oui, n’importe où ! s’exclama Marco Fuji, enivré par la joie. Nous pourrons faire venir une armée dans cette arène et se préparer pour les affrontements de demain sans que la Team Magma s’en aperçoive !
— J’ai justement un champion d’arène de Kanto qui loge chez moi, en ce moment ! intervint Charles.
— Toute aide est la bienvenue !
Même s’il avait proposé l’aide de Norman Match, il savait qu’il n’avait pas un grand rôle à jouer dans ces évènements. En effet, le soir-même, le Charles Seko de cette époque aiderait le futur champion de Clémenti-ville à se rendre auprès de Marco Fuji. Tout était en place pour que le cours du temps se déroule. Si seulement il avait eu la moindre chance d’empêcher la fille de son ami Norman d’être enrôlé dans la Team Magma… Il savait que les heures qui suivaient allaient être dramatiques, mais il n’avait aucun contrôle dessus.
Charles serra les poings, en colère contre le destin qui l’empêchait de jouir de sa liberté. Que pouvait-il bien faire à présent ? Ou plutôt, qu’attendait-on de lui ? Devait-il rester pour aider Marco Fuji à défendre son arène ? Normalement, dans la suite logique du temps, Marco Fuji n’avait pas eu le temps de se préparer à loisir et n’avait été accompagné que de Norman Match lorsque la Team Magma avait assiégé son arène. Alors, où devait-il se rendre à présent ? Un coup d’œil dans son sac à dos lui indiqua que Celebi était toujours plongé dans son sommeil douloureux et qu’il ne comptait pas le faire voyager de sitôt.
—
Agent Jenny ? Un officier appelait dans le talkie-walkie.
—
Agent Jenny, répondez ! Code rouge ! Code rouge ! La policière abandonna le couple de civil qui amenait Voltère à la trappe et se précipita sur son appareil.
— Nous sommes sains et saufs à l’arène, que se passe-t-il ?! demanda-t-elle, paniquée.
—
Nous venons d’apercevoir un hélicoptère s’envoler de la zone occupée avec son bord une dizaine de criminels !— La Team Magma… ?
—
Ce n’est pas tout ! l’interrompit l’officier qui semblait terrifié.
Nous venons de recevoir un appel de la police de Vermilava. Ils nous ont indiqué avoir repéré un groupe des mêmes individus rôder autour de l’entrée du Chemin Ardent, près du Sentier Sinuroc !— Qu’est-ce que la Team Magma fait à Vermilava ? Je pensais qu’ils s’en prenaient à Clémenti-ville ?!
— Une attaque simultanée ! s’exclama Marco Fuji. Pour semer la panique et diviser nos forces !
— Combien sont ces gens ?!
— Dites à la police de Vermilava de prévenir le champion local de…
—
Justement, c’est pour cela que nous avons activé le code rouge !— Pour cela, quoi ?
—
Nous n’arrivons plus à établir le contact avec Vermilava. Charles se crispa. Il venait de se souvenir de ces autres évènements. Un petit groupe de bandits avaient fomenté une attaque dans le Chemin Ardent la veille de la disparition de Sarah. Et cette attaque avait eu de graves conséquences pour un tout jeune enfant, à l’époque, un certain…
— NOOOON !! hurla la civile, tout à coup.
Elle s’était effondrée dans les bras de son mari qui avait le regard horrifié.
— Qu’est-ce que… ?
— Notre petit neveu ! NOTRE NEVEU !!!
— Quoi, qu’est-ce qu’il a ?!
— Ses parents… viennent de… de nous le confier… expliqua-t-elle en sanglot. Son école est partie… visiter le Chemin Ardent aujourd’hui… Notre neveu… Si ces gens sont… s’ils sont… il est… Noooon !
L’agent Jenny semblait complètement perdue par la tournure des évènements. Voltère avait perdu connaissance, ses officiers avaient été décimé, Clémenti-ville était sur le point de tomber dans les mains d’un groupe de terroristes, et s’ajoutait à tout cela un groupe d’enfants mis en danger dans le seul but de faire tomber la ville en divisant les forces de la police.
— Je vais y aller, annonça Charles en replaçant son sac sur ses épaules.
— Ne dis pas de bêtises, Charles, intervint Marco Fuji, Vermilava est de l’autre côté du Mont Chimnée.
— Vous comptez affronter ces terroristes tout seul ? s’étonna l’agent Jenny.
— Parce que vous avez des troupes encore debout à l’heure actuelle pour se rendre sur le Chemin Ardent ?
Charles avait marqué un point.
— C’est de la folie ! J’ai besoin de toi pour sauver mon arène !
— Je vais t’envoyer l’aide de mon ami Norman, le champion d’une ville de Kanto. Sois rassuré, Marco, ton arène ne tombera pas.
Comment être plus convainquant quand on connaissait le futur ?
— Et comment comptez-vous vous y rendre ? questionna l’agent Jenny, très peu convaincue.
— En train, répondit naturellement Charles. Vous avez dit que la gare était en zone libérée et que ces souterrains menaient partout dans la ville. Je profiterai de l’évacuation des citoyens pour me fondre dans la foule et me rendre à Vermilava. Il faut quoi, en train, une heure ? Dans deux heures, je suis au Chemin Ardent. Le groupe de sbires qui s’y trouve ne sait pas que nous sommes au courant de leurs agissements. Je profiterai de cet avantage.
Un grand silence envahit la pièce, perturbé par les sanglots incontrôlés de la femme en pleurs. Personne ne trouva à redire. Il fallait avouer que la situation était assez dramatique que pour trouver d’autres solutions.
— C’est de la folie, refusa l’agent Jenny.
— Peut-être, mais ce sont des fous que nous affrontons.
La policière soupira et accepta.
— S’il-vous-plait, supplia la femme en prenant Charles dans ses bras, sauvez notre neveu. Sauvez notre petit Timmy.
Son sang se glaça dans ses veines. Il se libéra de l’étreinte de la femme et resta immobile un instant. Palpant son sac afin de trouver où se logeait Celebi, il lui adressa un message silencieux. Il avait compris. Il savait à présent pourquoi Celebi l’avait transporté en ce jour précis dans le temps.
— Je vous promets que je ferai tout pour sauver Timmy.
Et Charles s’enfonça dans les souterrains.
Vermilava En sortant du wagon, une vague de chaleur l’avait enveloppé. La petite bourgade tranquille logée au creux d’une chaîne de montagne volcanique vivait paisiblement sous le soleil déclinant de cette fin d’après-midi. Charles avait débarqué dans une Vermilava si paisible qu’il eut du mal à se convaincre que les affrontements de Clémenti-ville avait été réels.
S’extirper des souterrains de Clémenti-ville n’avait pas été chose aisée car les couloirs formaient un véritable labyrinthe gigantesque, mais il avait réussi à passer inaperçu loin des troupes de la Team Magma qui patrouillaient dans la ville. Une fois en zone libérée, le reste fut une promenade de santé : grimper dans le premier train pour Vermilava et se laisser bercer par le silence paisible d’un train en marche. Il avait même failli manquer sa station lorsque, une heure plus tard, il s’était réveillé d’une sieste éclair à la gare de Vermilava.
Se retrouver dans cette ville qui serait, neuf ans plus tard, la proie d’une tornade destructrice lui donna un sentiment mélangé de malaise et de réconfort. Un jour s’était écoulé depuis qu’il avait appris l’annonce de l’apparition d’une tornade dans les montagnes de Vermilava, et il s’était produit tellement de choses. Il avait voyagé à tellement d’endroit et à tellement d’époque qu’il avait bien du mal à savoir quel jour et quelle heure il serait s’il n’avait pas disparu de ce centre pokémon à Clémenti-ville.
Toutefois, une chose était certaine : il n’avait pas voyagé dans l’espace-temps pour se retrouver innocemment à Vermilava. Un sentiment indescriptible, comme une sorte de pressentiment, lui assurait qu’il avait un rôle à jouer dans le passé pour empêcher la formation de la tornade dans le futur. Sauver le petit Timmy Bronam aujourd’hui devait pouvoir sauver sa fille Flora dans neuf ans. En tout cas, il l’espéra de tout son cœur.
En arrivant au sommet d’un petit téléphérique à l’ouest de la ville, il découvrit le somptueux bâtiment qui abritait l’arène pokémon de Vermilava. Il avait pris cette décision dans le train : s’il allait devoir affronter la Team Magma dans le Chemin Ardent, il allait avoir besoin de l’aide d’une spécialiste en pokémon feu.
Charles pénétra dans l’arène alors qu’un combat s’y déroulait, un combat beaucoup plus pacifique et contrôlé que ceux qu’il venait de vivre. Sous le contrôle d’un arbitre, une jeune femme aux cheveux blonds bouclés affrontait avec son Nidorino le Chartor d’un vieil homme très ridé et au front dégarni.
Charles repéra une petite fille à peine plus âgée que la Flora qu’il avait quitté à son laboratoire, et il s’installa à côté d’elle. La petite fille aux cheveux bruns en bataille applaudissait à chacune des attaques réussies du Chartor.
— Tu aimes les combats de pokémon ? lui demanda-t-il pour engager la conversation.
La petite fille lui adressa un regard étonné.
— Ben oui ! Surtout quand c’est Charti qui combat ! Charti, il est trop trop fort !
Charles sourit, attendri par la jeune fille qui lui rappelait Flora.
— Tu sais que j’ai chez moi une belle panoplie de pokémons qui n’attendent qu’à être élevés par des dresseuses talentueuses comme toi ? lui indiqua-t-il. Quel pokémon tu choisirais pour voyager à tes côtés ?
— Un Poussifeu ! C’est trop bien les Poussifeu !
S’il n’avait pas été épuisé par ses combats contre la Team Magma, il aurait fait apparaître son petit poussin pour émerveiller l’enfant.
— Dis-moi, sais-tu où je pourrais trouver Adriane ?
— Ben c’est moi, pourquoi ?
Charles sursauta sur son siège. Comment avait-il pu oublier ? Adriane venait de démarrer sa carrière de championne d’arène ! En 2002, elle n’était encore qu’un enfant !
— Parce que… quelque chose me dit que tu vas devenir une très grande dresseuse, se justifia-t-il difficilement. Tu pourrais m’indiquer qui est champion actuellement dans cette arène ?
— C’est mon papy, répondit-elle en pointant du doigt le vieil homme sur le terrain.
Son Chartor envoya une boule de feu qui s’écrasa au visage du Nidorino et le pokémon s’évanouit.
— Nidorino est incapable de poursuivre le combat, annonça l’arbitre en levant un drapeau en direction du vieil homme. Le champion Monsieur Flayme gagne le match.
Adriane applaudit bruyamment en criant après son papy qui lui fit un petit signe tendre de la main avant de reconnaître Charles Seko à côté de sa petite-fille. Charles attendit que la chalengeuse quittât l’arène et descendit des gradins pour aller à sa rencontre.
— Monsieur Flayme, je suis désolé de vous déranger à cette heure tardive, dit-il en lui serrant la main, je suis…
— …le Professeur Seko, termina le champion. Vous êtes plutôt célèbre, vous savez ?
— Ce n’est pas qu’un avantage, répondit poliment Charles avec un petit sourire.
— Que vient donc faire un éminent scientifique dans l’arène d’un vieux champion aux portes de la retraite ?
— Malheureusement, je ne viens pas avec de bonnes nouvelles.
— Un problème ?
Un jeune homme d’à peine vingt ans venait de faire son entrée depuis un couloir au fond du terrain de combat. Il avait le visage lisse d’un garçon démarrant sa vie, les costume trois pièces d’un adulte respecté et les cheveux gris d’un vieillard expérimenté. Tout en lui transpirait la classe et le respect.
— Professeur Seko, je vous présente Pierre Rochard, une future célébrité.
— Je m’entraîne pour affronter le Conseil Quatre, expliqua ce-dernier en le saluant d’une poignée de main pompeuse.
Charles dévisagea le jeune homme. Il savait exactement qui il était, qui il serait, et surtout qui était son père.
— Oui, je vous connais, répondit-il froidement en évitant de prolonger la poignée de main. Votre père n’a pas jugé bon de me laisser vous sponsoriser dans votre ascension à la Ligue Hoenn.
Pierre Rochard eut un petit rictus amusé.
— Oui, mon père peut-être très chauvin quand il le veut, et considérer que sa famille fait partie de sa richesse personnelle. Sachez que l’absence de collaboration avec vous me fait cruellement manquer de connaissances techniques sur les pokémons.
— Votre père n’a donc pas encore réussi à concevoir son propre Pokédex ? se renseigna Charles avec sarcasme.
— Et j’espère qu’il n’y arrive jamais, répliqua Pierre Rochard en tentant désespérément de garder une ambiance cordiale entre eux. Toutes les richesses du monde ne pourront remplacer le fait qu’il n’est pas un scientifique, ni même un fin connaisseur des pokémons.
Charles relâcha la pression. Il ne pouvait pas tenir compte à Pierre Rochard des actes commis par son père, qu’ils fussent passés ou futurs. N’oubliant tout de même pas qu’il avait essayé de se procurer le pauvre Celebi affaibli, il préféra rester distant avec son fils.
— Vous disiez donc, Professeur ? demanda le champion d’arène en revenant à la conversation initiale.
— Ah oui !
Et Charles leur narra les évènements qui s’étaient produits à Clémenti-ville ainsi que la menace qui pesaient sur les visiteurs du Chemin Ardent.
— Ça, c’est embêtant, commenta Pierre Rochard en se prenant le menton entre l’index et le pouce.
— C’est plus qu’embêtant ! rectifia Charles.
— En effet. Si l’ancien Groupe Magma se reforme avec à sa tête une personnalité aussi dangereuse que celle que vous avez rencontrée tout à l’heure, dit le champion, j’ai bien peur que nous courions tous un risque incommensurable. Vous dites qu’ils fomentent une attaque sur le Chemin Ardent ?
— En ce moment-même !
— Et qu’il n’a pas été évacué ?
— Nous avons perdu contact avec les policiers de Vermilava. Mais nous savons qu’il y a à cet instant précis une classe de l’école élémentaire de Clémenti-ville qui s’y balade.
— Soit. Il y a deux entrées possibles au Chemin Ardent : celle du Sentier Sinuroc, à la sortie de Vermilava, et celle qui se trouve sur la Route 112, de l’autre côté du Mont Chimnée. Je vais envoyer mes apprentis les plus chevronnés à cet emplacement. Quant à toi Pierre, puis-je te demander de repousser ton entraînement et de t’y rendre immédiatement via le Sentier Sinuroc ? Nous aurons bien besoin de l’aide d’un Maître de la Ligue de Hoenn.
— Je viens juste de remporter la compétition, précisa Pierre Rochard.
— Super, répondit Charles très peu intéressé. Je vais venir avec vous, à deux nous serons plus efficaces.
— Quant à moi, je vais jouer de mes contacts pour enquêter sur le silence radio de la police de Vermilava, termina le champion d’arène.
Charles et Pierre Rochard acquiescèrent.
— Messieurs, si ces gens sont issus de l’ancien Groupe Magma qui a eu ses heures de gloire dans les années septante, prévint le champion d’arène, il se peut que nous ayons affaire à des criminels dont la dangerosité nous dépasse. Soyez prudents.
Et ils quittèrent l’arène au pas de course.
Chemin Ardent Se rendre à l’entrée du Chemin Ardent n’avait pas été de tout repos. La route reliant Vermilava à la grotte sinuait dans la montagne, montant en altitude jusqu’à des températures arides. Sur le pan de montagne désertique où ils venaient de déboucher, Charles pouvait voir la minuscule ville de Vermilava s’étendre dans la vallée du Mont Chimnée. En face de lui, une sombre forêt de sapins indiquait l’endroit où se développait le Sentier Sinuroc et, plus haut dans les cieux, cachant un soleil déclinant à l’horizon dans une lumière orangée, le volcan du Mont Chimnée régnait en maître, son activité disparue des centaines d’années auparavant.
Enfin, s’enfonçant un peu plus dans la montagne à la roche couleur safran, ils arrivèrent devant une large grotte dont émanait une chaleur redoutable.
— On n’a pas idée d’emmener des enfants visiter un endroit aussi chaud, commenta Pierre Rochard en examinant les environs.
Les lieux étaient calmes et semblaient complètement inhabités. Charles s’étonna de ne retrouver la présence d’aucun individu, ni même d’un hélicoptère.
— Aucune trace de la Team Magma… marmonna Pierre Rochard en revenant d’une inspection minutieuse.
Où étaient donc les criminels ?
Ils patientèrent de longues minutes dans le calme et la chaleur. Le spectacle du coucher du soleil était à couper le souffle. Mais Charles n’était pas venu ici pour se prélasser au soleil, ni même pour partager un moment romantique avec le fils d’un homme d’affaire détestable. Pourquoi n’avaient-ils aucune nouvelle de la Team Magma ?
Lorsqu’une heure d’attente lui parut trop long à supporter, ce fut Pierre Rochard qui initia un mouvement. Le jeune Maître de la Ligue avait tourné sa tête vers le ciel, en direction des rochers surplombant l’entrée de la grotte.
— Vous avez entendu ?
Charles fronça les sourcils et se concentra pour percevoir le moindre bruit qui ne ressemblait pas au vent estival se glissant entre les rochers. Pierre Rochard se leva lentement et extirpa une pokéball de sa poche.
— Je vais aller voir de quoi il s’agit.
— Je n’ai rien entendu…
— Il me semble pourtant…
Pierre Rochard grimpa difficilement les premiers rochers, ses mouvements ralentis par son costume trois-pièces, et disparut dans la montagne.
À présent seul, Charles n’avait pas d’autres solutions que de patienter. Combien de temps allait durer cette partie de l’histoire ? Son dernier voyage temporel remontait à si longtemps. Il vérifia que Celebi dormait toujours dans son sac à bandoulières. Pourquoi le Pokémon Fabuleux ne s’était-il plus réveillé ? Il n’était jamais resté aussi longtemps bloqué à une époque ! Avait-il bien fait de se rendre à Vermilava ? Et si sa place avait été auprès de son ami Marco Fuji, à Clémenti-ville ?
Tout à coup, il l’entendit ! Quelque chose avait craqué. Non, crissé ! Comme si quelqu’un avait glissé sur le sol sableux de la montagne !
Charles tournoya sur lui-même, à l’affut. Là ! Il l’entendait à nouveau ! Cela provenait de l’entrée de la grotte ! Quelqu’un s’y trouvait ! La Team Magma ? Les enfants de l’école de Clémenti-ville ?
— Pierre ? chuchota-t-il.
Personne ne lui répondit. Pierre Rochard n’était pas revenu de ses recherches en montagne. Et pendant ce temps, il était fort possible que les criminels eussent déjà passé à l’action dans le Chemin Ardent.
Il prit sa décision et, rassemblant son courage, pénétra dans la grotte d’un pas déterminé.
Il faisait terriblement chaud au sein du tunnel étroit dans lequel il évoluait. Des lampes artificielles fixées à même la roche permettaient d’y voir clair dans la grotte aux parois lisses et rougeâtres. La sortie derrière lui avait disparu depuis longtemps et, il en était certain à présent, il entendait des voix humaines.
C’est alors qu’un cri strident retentit. Une femme venait de sonner l’alerte par son hurlement d’effroi. Charles accéléra le pas et atteignit un carrefour. Quel chemin emprunter maintenant ?
—
Les enfants, par ici ! Un homme venait de crier. La voix familière lui était parvenue depuis le chemin de gauche.
Charles se mit à courir dans la direction des cris qu’il reconnaissait à présent comme ceux d’enfants terrifiés. Il bifurqua à un angle et…
— Team Magma !
Une demi-douzaine d’individus dissimulés sous des capes rouges lui tournait le dos. Sans perdre son avantage, il profita de la surprise qui s’empara du groupe pour dégainer la pokéball de son Poussifeu.
Épuisé par la longue journée de combat, le petit poussin se matérialisa dans les airs et frappa de sa tête un des sbires qui tomba à la renverse.
— Mais… mais… c’est impossible ! s’exclama une femme dans les rangs des criminels.
— Comment il a fait pour être là, lui ? s’horrifia un autre sbire.
Profitant que la confusion régnât dans le groupe de malfrats, Poussifeu envoya une rafale de boules de feu qui explosèrent aux pieds de ses ennemis. Plusieurs sbires bondirent en arrière, retombant avec violence sur le sol poussiéreux de la grotte.
Charles eut alors un aperçu des victimes : un petit groupe d’enfants regardait avec effroi le combat d’un des Limagma des terroristes avec un mystérieux Arcko. À côté des enfants terrifiés, un Hyporoi gisait au sol, mal-en-point. Une jeune femme aux courts cheveux bruns, qui devait être leur institutrice, les pressait de prendre la fuite. Elle agrippa un des enfants et le tira avec elle dans un couloir parallèle avant de revenir chercher les autres enfants pétrifiés de peur.
— Il faut sonner la retraite ! s’écria la criminelle.
— Les ordres sont les ordres, nous devons tous les éliminer ! s’énerva un sbire de petite taille.
Il ordonna à son Chartor d’attaquer le groupe d’enfant et la tortue projeta une boule de feu dans leur direction.
— Arcko, protège-les ! ordonna un homme caché dans l’ombre, derrière un pan de mur.
L’Arcko bondit sur sa queue et se plaça entre la boule de feu et sa cible. L’attaque explosa sur sa poitrine et il s’effondra au sol. Derrière lui, l’enfant qui avait été visé retomba sur ses fesses. Tétanisé, il garda ses grands yeux gris posés sur le pokémon qui venait de lui sauver la vie. Charles le reconnut immédiatement. Derrière une touffe de cheveux couleur paille, le petit Timmy Bronam avait sur son visage l’expression d’innocence qu’on lui connaissait si bien à son époque.
— Vous allez regretter de vous en êtes pris à ces enfants ! hurla Charles, brûlant de rage. Pousifeu, envoie ta « flammèche » !
— Klein, attention ! s’écria la femme sous sa cape.
Le sbire de petite taille se jeta au sol à la dernière minute et l’énorme boule de feu tirée par le poussin explosa sur la paroi rocheuse de la grotte.
Le sol se mit à trembler violemment et Charles perdit l’équilibre. Il s’effondra au sol tandis que plusieurs morceaux de roche se détachaient du plafond.
— Ça va s’effondrer ! Par ici !
Le tremblement de terre se transforma en un véritable éboulement. Charles roula sur le côté pour éviter une plaque de roche qui s’écrasait sur lui tandis que les sbires de la Team Magma prenaient la fuite, laissant derrière eux la femme et le prénommé Klein qui disparaissait derrière un mur de roche.
— TIMMY !! hurla l’homme dans le groupe des victimes.
Couché au sol, Charles tourna sa tête vers le groupe d’enfants.
— NOOOON !!!
Un énorme rocher s’écrasa dans un retentissant craquement d’os. Un cri hystérique le transporta dans la torpeur tandis qu’il découvrait une plaque de sang à l’endroit où le petit Timmy s’était trouvé une seconde plus tôt. Les derniers rochers s’arrachèrent du plafond, bâtissant un gigantesque mur entre lui et les victimes, et le calme s’installa dans la grotte.
Charles resta un instant pétrifié au sol, toussotant dans un nuage de poussière qui semblait ne pas vouloir quitter les lieux. Seul devant le mur de rocher, il rampa avec difficulté jusqu’à la paroi de la grotte afin de s’y adosser. Quelque chose de mou entra en contact avec la paume de sa main éraflée : le corps inerte de son Poussifeu.
Charles resta assis contre le mur, un instant, incapable de reprendre sa respiration, son rythme cardiaque atteignant des records de rapidité. Il ne pouvait pas croire ce qu’il venait de voir, c’était impossible. Et pourtant, la flaque de sang continuait de perler sous un des rochers en contact avec le sol. Il venait d’assister à la mort du petit Timmy Bronam. Il n’avait pas réussi à le sauver. Il venait de changer le cours du temps.
Fébrile, tremblant de tous ses membres, il extirpa avec difficulté Celebi de sa sacoche.
— J’ai… échoué, dit-il d’une voix transparente, quasi éteinte. J’ai échoué !
Et il perdit le contrôle de ses émotions. Envahi par une tristesse incommensurable, s’ajoutèrent à la sueur sur son visage des larmes de regrets. Celebi ouvrit un œil et toucha une de ses larmes à l’aide d’une de ses antennes. Soudain, celles-ci se mirent à vibrer.
— Non… supplia Charles d’une voix étouffée. Non, je t’en prie, pas maintenant…
Ses antennes vibraient de plus en plus vite, disparaissant bientôt de sa capacité visuelle.
— Pourquoi m’as-tu abandonné à cette époque ? POUR VOIR TIMMY MOURIR ?!
Une lumière aveuglante apparut depuis le nombril de Celebi.
— Pourquoi tu me retires à cette époque maintenant ? POURQUOI TU ME FAIS ÇA ?!
Un halo de lumière s’empara de lui et le décor disparut.

L’onde lumineuse s’estompa et le Chemin Ardent se matérialisa à nouveau autour de lui. Il régnait toujours cette température suffocante, il était toujours adossé contre le même pan de mur, mouillé par les mêmes perles de sueur et de larmes, Poussifeu toujours couché à côté de lui, inconscient. Mais le mur de rochers avait disparu, ainsi que la flaque de sang où avait péri, jadis, le petit Timmy Bronam.
Charles ne se posa aucune question. Il se contenta de rester immobile contre le mur de roche, tenant à bout de bras Celebi qui avait de nouveau sombré dans un sommeil douloureux. Quand était-il ? Il s’en fichait ! Pourquoi il se trouvait à cette période ? Rien à faire ! Il pouvait avoir voyagé au temps des dinosaures, ou dans le plus lointain des futurs, cela lui importait peu. Timmy Bronam était mort, ou serait mort, et rien ne pourrait lui ôter le désespoir qui s’était emparé de lui.
Il déposa Celebi au sol, résolument décidé à mettre le plus de distance entre lui et ce Pokémon Fabuleux. Il avait essayé de l’aider. Il avait tenté de toutes ses forces de retrouver son œuf qui garantissait l’équilibre de l’univers. Mais les conséquences étaient trop douloureuses. Si sauver le monde devait passer par des sacrifices, il refusait d’en être l’auteur. Timmy Bronam était mort dans le processus. Une victime de trop.
— Quoi que tu attendes de moi, c’est fini, dit-il à l’attention de Celebi. Manipule le temps comme tu le souhaites, j’arrête d’être ton pion. Trouve-toi quelqu’un d’autre pour retrouver ton œuf.
Charles protégea son Poussifeu dans sa pokéball et se releva. Il épousseta son tablier de scientifique noirci par la poussière, s’essuya le front à l’aide de sa manche, et reprit le chemin de la sortie, abandonnant Celebi inconscient au milieu de la grotte.
—
Madame, il m’a marché sur le pied ! Charles s’immobilisa. Une voix d’enfant, loin derrière lui.
—
On est encore loin ? Non, c’était impossible. Celebi ne pouvait pas avoir fait cela !
—
Quand est-ce qu’on arrive ?
— Bientôt, les enfants. N’oubliez pas de récolter un maximum de petite poussière rouge dans vos sacoches si vous voulez que l’expérience fonctionne lorsque nous serons de retour en classe. Charles fit volte-face. Au bout du tunnel, des bruits de pas s’approchaient de plus en plus de l’angle formé par le chemin principal de la grotte. Revenant sur sa décision, Charles se précipita sur Celebi et le cacha dans son sac à bandoulières.
C’est alors qu’une dizaine d’enfants déboulèrent dans le couloir, accompagné d’une jeune dame aux cheveux brun courts et précédé d’un Hyporoi qui était occupé à envoyer une pluie microscopique autour des enfants afin, probablement, de diminuer la température alentour.
Le groupe s’arrêta net en le découvrant au milieu du chemin. Quelque part entre les visages ahuris des enfants, Charles reconnut une touffe de cheveux jaune paille.
— Timmy, murmura-t-il dans sa barbe.
Celebi l’avait fait voyager à peine quelques minutes plus tôt. Il lui avait offert une chance de sauver le petit Timmy Bronam.
— Professeur Seko ? reconnut l’institutrice en venant à sa rencontre.
Charles essuya la larme qui lui perlait au coin de l’œil et offrit un sourire réconforté à l’institutrice.
— Quelle surprise, dit celle-ci avec plaisir. Les enfants, on dit bonjour au Professeur Seko.
— Bonjour Professeur Seko, scandèrent en chœur les petites têtes blondes derrière elle.
La gorge serrée, Charles ne parvint pas à leur répondre et leur fit un signe chaleureux de la main.
— Madame, c’est qui ? demanda une petite fillette aux tâches de rousseur, à côté de Timmy.
— Le Professeur Seko est un scientifique qui étudie les pokémons dans leurs milieux naturels, expliqua l’institutrice.
— Moi, et ben, un jour, je… je serai un grand
tienscifique ! assura Timmy en brandissant un poing en l’air.
— J’en suis convaincu, répondit Charles en s’accroupissant devant lui. Quel âge as-tu ?
Timmy lui montra sept de ses petits doigts potelés, avant de rectifier en en ôtant un.
— Moi aussi, j’ai six ans ! ajouta la petite fille aux taches de rousseur à côté de lui, jalouse par l’attention que son copain avait sur lui.
— Mais Annick, elle est quand même plus petite que moi, précisa Timmy qui en tirait une certaine fierté.
— C’est même pas vrai, d’abord !
— Si, en taille ! T’es toute petite ! Alors que moi, je suis grand !
— Les enfants, calmez-vous, tempéra l’institutrice.
— Ça ne fait rien, laissez, assura Charles qui ne pouvait se lasser de voir Timmy parler et rigoler de cette manière.
À peine dix minutes plus tôt, il l’avait vu mourir sous un tas de rocher. Qu’il était bon de l’entendre s’esclaffer de rire, entouré de ses amis et de l’innocence de son âge.
— Vous ferez bien le voyage vers Vermilava avec nous ? proposa l’institutrice. Les enfants adorent qu’on leur raconte des histoires passionnantes autour des pokémons.
Charles revint à la dure réalité du temps qui filait. Il se releva d’un coup et essaya tant bien que mal de cacher son visage inquiet aux enfants.
— Il faut que vous partiez, et vite, pressa-t-il.
— Je vous demande pardon ?
— Écoutez, je ne peux pas vous expliquer en détail, mais d’ici quelques minutes, un groupe de malfrats qui se fait appeler Team Magma va vous attaquer. Vous devez quitter les lieux immédiatement.
— Je… Je ne comprends pas.
L’institutrice semblait de plus en plus étourdie par son comportement. Il s’y était mal pris.
— Je suis venu à votre rencontre, dit-il, préférant changer de stratégie. J’ai appris qu’un groupe de criminels préparait une attaque dans le coin, et je suis venu vous prévenir. Vous devez absolument emmener ces enfants en sécurité.
— Mais… je…
— Où est votre collègue ?
— Qui ça ?
— Le dresseur d’Arcko, votre collègue.
— Je ne comprends pas… De qui parlez-vous ? Je… je suis toute seule avec mes enfants…
Charles fronça les sourcils. Il avait pourtant juré avoir vu un homme se battre avec un Arcko tout à l’heure.
— Ça ne fait rien, pressons-nous de…
« BOUM ! »
Charles se sentit souffler par la force d’une explosion. Il retomba violemment au sol et roula jusqu’à l’intersection des couloirs du Chemin Ardent. L’institutrice poussa un cri strident. Désorienté, Charles chercha des yeux le groupe d’enfants et découvrit la jeune femme à genoux devant son Hyporoi inconscient. Les enfants poussaient des cris de terreurs tandis qu’une demi-douzaine de criminels cachés dans leurs capes rouges avait fait son apparition dans la grotte.
La Team Magma ! Trop tard !
— Putain, Klein ! Y a des gosses ! s’exclama une femme dans les rangs de la Team Magma.
Charles la reconnut : il s’agissait de celle qui, plus tôt—ou bien plus tard sur la flèche du temps—, avait voulu sonner la retraite.
— Moi d’habitude, je n’aime pas toucher aux enfants, dit le sbire de petite taille à l’attention de l’institutrice. Malheureusement, nous avons comme consigne de n’avoir aucun témoin de nos agissements. Et les ordres sont les ordres. Je suis sincèrement désolé que vous ayez eu à croiser notre chemin.
Klein fit apparaître son Chartor qui envoya un torrent de flammes en direction de l’institutrice. Charles se jeta sur elle et la tira en arrière afin de l’éloigner de l’attaque.
— Les enfants, par ici ! cria-t-il en les poussant vers un des couloirs adjacents.
— D’où il sort, lui ? s’étonna un sbire.
— Peu importe leur nombre, on les élimine tous ! ordonna Klein.
Alors que l’institutrice prit le relais pour éloigner les enfants du champ de combat, Charles dégaina sa dernière pokéball et fit apparaître son Arcko épuisé par les combats précédents qu’il avait menés. Un Limagma se matérialisa à son tour et empêcha Arcko d’attaquer Chartor. Bientôt, le couloir fût rempli de pokémons de type feu. Jamais son Arcko n’allait pouvoir tenir le coup. Quant à son Poussifeu, il n’était plus capable de se battre. Il était cuit !
—
Team Magma ! s’écria une voix familière derrière les criminels.
Un des sbires poussa un cri et, projeté en avant par une force invisible, tomba à la renverse.
— Mais… mais… c’est impossible ! s’exclama la femme dans les rangs des criminels.
— Comment il a fait pour se trouver là, lui ? s’horrifia un autre sbire.
Profitant que la confusion régnât dans le groupe de malfrats, Arcko asséna un coup de queue violent sur le Chartor qui se réfugia dans sa carapace. Un Limagma courut dans sa direction et le frappa de son crâne. Plusieurs explosions retentirent derrière les sbires qui s’effondrèrent avec violence sur le sol poussiéreux de la grotte.
Charles eut alors un aperçu de ce qu’il se passait de l’autre côté : un Poussifeu venait d’atterrir aux pieds de son maître. En le reconnaissant, Charles eut un mouvement de recul afin de se cacher dans l’ombre de la grotte. C’était impossible ! Et pourtant… Un sac à bandoulières, un tablier rempli de sang et de boue, des cheveux bruns grisonnants, des marques de fatigue et de lutte. Charles Seko se trouvait quelques mètres devant lui. Le Charles Seko qui avait vécu ce moment dix minutes plus tôt.
Charles s’observa, fasciné. Qu’il avait l’air vieux, avec ces cernes marqués, la poussière dans ses cheveux et la sueur qui perlait sur son visage. Quelle étrange sensation c’était que de se mirer à quelques mètres de distance. Il était littéralement en train de se regarder vivre des évènements qui s’étaient déroulés à peine quelques minutes plus tôt.
C’est alors qu’il comprit à qui appartenait le mystérieux Arcko en plein combat contre le Limagma. À lui-même ! Tout à l’heure, il s’était vu combattre la Team Magma dans le futur ! Et à présent, il se voyait la combattre dans le passé ! L’Histoire était-elle donc écrite à l’avance ? Avait-il la possibilité de changer le cours du temps, et de sauver Timmy ?
— Il faut sonner la retraite ! s’écria la criminelle.
— Les ordres sont les ordres, nous devons tous les éliminer ! s’énerva un sbire de petite taille.
Charles sortit de ses rêveries. Klein ordonna à son Chartor d’attaquer le groupe d’enfant et la tortue projeta une boule de feu dans leur direction.
— Arcko, protège-les ! ordonna-t-il en veillant à rester caché derrière le pan de mur.
Arcko bondit sur sa queue et se plaça entre la boule de feu et sa cible. L’attaque explosa sur sa poitrine et il s’effondra au sol. Derrière lui, l’enfant qui avait été visé retomba sur ses fesses. Tétanisé, il garda ses grands yeux gris posés sur le pokémon qui venait de lui sauver la vie. Timmy ! Il devait agir ! Celebi ne l’avait pas renvoyé dans le passé pour qu’il laisse les évènements se produire à nouveau !
— Vous allez regretter de vous en êtes pris à ces enfants ! s’entendit-il hurler de l’autre côté du couloir.
Il allait ordonner à son Poussifeu d’envoyer la fameuse attaque « flammèche » qui produirait l’éboulement meurtrier !
— Pousifeu, envoie ta « flammèche » !
Poussifeu envoya sa boule de feu. Charles sortit de sa cachette.
— Klein, attention ! s’écria la femme sous sa cape.
Le sbire de petite taille se jeta au sol à la dernière minute. Charles atteignit le groupe d’enfant. L’énorme boule de feu tirée par le poussin explosa sur la paroi rocheuse de la grotte.
Le sol se mit à trembler violemment et Charles perdit l’équilibre. Il se rattrapa à la paroi murale afin de rester debout alors qu’il se voyait s’effondrer de l’autre côté du couloir. Plusieurs morceaux de roche se détachèrent du plafond, et Arcko se jeta sur le côté afin d’en éviter un. Un des rochers se brisa et ricocha sur le pokémon plante qui s’effondra dans l’inconscience.
— Ça va s’effondrer ! cria un homme au-dessus de sa tête. Par ici !
Charles releva la tête. D’où provenait cette voix ? Qui l’appelait ?
Le tremblement de terre se transforma en un véritable éboulement. De partout s’écrasaient des plaques de roche pour la deuxième fois en une heure. Les sbires de la Team Magma prenaient la fuite, laissant derrière eux la femme et le prénommé Klein qui roulaient au sol afin d’éviter les rochers qui s’abattaient entre eux et le Charles Seko du passé.
— TIMMY !! hurla à nouveau la voix au-dessus de sa tête.
Un gigantesque rocher craqua au-dessus du groupe d’enfant, et Timmy jeta son regard gris vers ce qui allait lui ôter la vie dans quelques secondes.
Charles se jeta sur l’enfant, fermant les yeux afin d’éviter un nuage de poussière qui menaçaient sa cornée. Sa main agrippa une petite touffe de cheveux qu’il tira vers lui de toutes ses forces. Charles retomba en arrière, son dos s’écrasant avec douleur sur quelque chose de dur et pointu, et l’enfant retomba sur son ventre.
— NOOOON !!!
Charles rouvrit les yeux au dernier moment. Sur son ventre, le visage terrifié de la petite Annick était enfoui dans son tablier. Un énorme rocher s’écrasa dans un retentissant craquement d’os. Un cri hystérique le transporta dans la torpeur tandis qu’il découvrait, une deuxième fois, une plaque de sang à l’endroit où le petit Timmy s’était trouvé une seconde plus tôt. Les derniers rochers s’arrachèrent du plafond, bâtissant un gigantesque mur entre son double du passé et lui, et le calme s’installa dans la grotte.
Immobile au sol, c’était comme si ses sens avaient décidé de ne plus lui retransmettre la réalité. Il n’entendait pas la petit Annick sangloter contre lui, ne sentait pas le parfum âcre de la poussière, ne ressentait pas la douleur de son dos, ne goutait pas le sang dans sa bouche, ne voyait pas le tas de rochers qui avait enseveli, une nouvelle fois, le petit Timmy.
Arcko était couché à ses pieds, inerte. Les deux sbires de la Team Magma titubaient au sol, désorientés. Au loin, l’institutrice poussait des cris hystériques et les enfants pleuraient à chaudes larmes. Il n’y avait rien qui était en son pouvoir pour changer la donne. Et pourtant, il y avait cru.
Son sac à bandoulière bougea à côté de sa tête. Cette fois-ci, Celebi était sorti de lui-même de sa cachette. Charles lui lança un regard à la fois accusateur et désespéré. Il ne comptait tout de même pas le faire à nouveau voyager dans le temps !
Celebi fit vibrer ses antennes et le toucha de sa petite patte.
— Non ! s’exclama Charles. Non ! Arrête !!
Ses antennes disparurent dans leur vitesse.
— Je n’y arrive pas !
Une lumière brilla depuis le nombril du Pokémon Fabuleux.
— Celebi, je t’en prie !! Arrête de me…
Un halo de lumière l’enveloppa, il s’agrippa à la petite Annick afin de rester au moment présent, et le décor disparut autour de lui.

Le cercle de lumière s’estompa et le Chemin Ardent réapparut.
— …torturer !
Sa voix résonna dans le couloir vide. Tout était revenu comme avant. Il n’avait pas besoin de se poser la question, il savait quand il se trouvait. Avant l’attaque de la Team Magma. Avant l’arrivée du groupe d’enfants. Avant même son arrivée à lui.
La petite Annick s’était évaporée hors de ses bras. Elle était restée dans le futur, avec le tas de rocher sur la flaque de sang appartenant à Timmy.
Il avait à nouveau échoué. Timmy était mort, une deuxième fois. Il pouvait retourner autant qu’il le souhaitait dans le passé, cela ne changerait rien. Il pourrait y avoir autant de Charles Seko dans cette grotte à cette époque, le destin de Timmy avait été scellé par une force supérieure. Timmy devait mourir, et il mourrait. Il mourrait autant de fois qu’il le fallait. Et ce n’était pas un troisième Charles Seko qui l’en empêcherait.
Charles fit rentrer Arcko dans sa pokéball et la rangea dans son sac. Il croisa le regard de Celebi, et quelque chose en lui pétarada.
— On ne peut pas changer le cours du temps ! s’écria-t-il, tout à coup.
Celebi était resté conscient et ne cilla pas des yeux, malgré la rage dans laquelle il était entré.
— Pourquoi tu me fais vivre cela ? Pourquoi tu m’obliges à le voir mourir encore et encore ? J’AI COMPRIS ! Je peux faire ce que je veux, je n’arriverai pas à changer le cours du temps ! Je ne suis qu’un pion dans le canevas de ta réalité ! Je suis ton esclave ! Tu peux faire de moi tout ce que tu veux ! Alors, pourquoi m’obliges-tu à revivre cela, une troisième fois ?! Qu’est-ce que tu essaies de me faire comprendre ?!
Celebi ne bougea pas d’un centimètre.
— QU’EST-CE QUE TU ATTENDS DE MOI ?! QU’EST-CE QUE TU VEUX QUE JE FASSE DE PLUS ?! J’AI TOUT ESSAYÉ !!!
Charles ramassa un caillou et le jeta de rage contre le mur de la grotte.
— Tu m’as fait voyager au onzième siècle et j’ai voulu sauver la Rosière, mais elle est morte par ma faute ! J’ai voulu empêcher la Team Rocket de s’en prendre à ma famille et j’ai provoqué leur attaque à l’encontre de ma femme ! J’ai voulu empêcher la Team Magma de prendre possession de Clémenti-ville et j’ai entraîné la chute de la ville ! J’essaie de toutes mes forces de sauver Timmy, mais il n’arrête pas de mourir ! Et je pourrai faire tout ce que je veux, voyager autant de fois que tu le souhaites, la grotte serait remplie de doubles de moi que ce rocher s’écrasera sur Timmy ! Alors, à quoi bon ?!
Charles saisit Celebi dans ses mains et le secoua de toutes ses forces.
— A QUOI BON ?!
Conscient de la douleur qu’il infligeait au Pokémon Fabuleux, il relâcha son étreinte et le laissa se poser au sol. Il se prit la tête dans ses mains et s’effondra en pleurs.
— Laisse-moi rentrer chez moi… Je t’en supplie, Celebi ! Laisse-moi retourner à mon époque… Ma fille est en danger, menacée par cette tornade. Laisse-moi être auprès d’elle…
Celebi l’observait pleurer. Charles mit un moment avant de se calmer. Lorsqu’il comprit que Celebi le maintiendrait à cette époque, il abandonna tout espoir de sortir un jour de cette boucle infernale. Il ne reverrait jamais sa fille. Elle périrait dans cette tornade à Vermilava sans revoir son papa. Elle périrait, elle et ses amis. Elle et Sofian. Elle et…
— Timmy !
Charles laissa ses bras retomber. Se pouvait-il que… qu’il ait tout compris de travers depuis le début ?
— Tu ne m’as jamais fait voyager dans le futur, se rendit-il compte. Parce que le futur n’existe pas. Le futur n’existe pas étant donné que nous le construisons au fur et à mesure du temps. Il n’existe que le présent. Et chaque instant présent terminé s’ajoute aux instants passés.
Son rythme cardiaque s’accéléra, tandis que le cheminement de sa pensée se faisait de plus en plus clair.
— De mon point de vue, le temps s’est arrêté lorsque tu m’as fait voyager pour la première fois. Parti dans le passé, j’ai été incapable de poursuivre la construction du moment présent. Cela signifie que si tu me ramènes à mon époque, tu ne pourras me ramener qu’au maximum à l’instant exact auquel tu m’as fait partir dans le passé. Le temps s’est figé. Roxanne et Dan sont immobiles dans le temps, conservés dans leur position de surprise en me voyant disparaître. La tornade n’a pas encore ravagé Vermilava, puisque le futur n’existe pas encore. Flora est toujours à Vermilava, au moment présent. Dans ce futur, certes, mais au moment présent de l’Histoire. Et aux dernières nouvelles, Flora est toujours accompagnée de ses amis Sofian et Timmy. Timmy
est vivant. Il ne peut pas mourir maintenant dans le passé, puisqu’il est vivant plus tard dans le présent !
Mais oui ! Il avait compris !
— Ce n’est pas Timmy qui est écrasé sous ces rochers !
Celebi le quitta des yeux et s’endormit, comme s’il avait tenu à s’assurer qu’il comprît ce qu’il attendait de lui.
— Je suis condamné à revivre ce moment parce que je suis condamné à sauver la vie de Timmy ! Et mes deux échecs font partie du passé ! J’ai bel et bien échoué deux fois ! Mais cette troisième fois, j’y parviendrai ! J’en suis certain car… Mais oui !
La voix qu’il avait entendue au-dessus de sa tête, alors que l’éboulement avait lieu. C’était clair, à présent ! Il s’était entendu le prévenir que l’éboulement avait lieu ! Il y avait bel et bien trois Charles Seko dans la grotte à cet instant précis, mais n’était que le deuxième, il ne pouvait pas s’en rendre compte !
Charles tendit le cou à la recherche d’une preuve qui le réconforterait dans sa théorie. Soudain, il l’aperçut : un étage au-dessus de lui se trouvait un petit boyau creusé dans la roche et inaccessible depuis l’endroit où il se trouvait. De là, il pourrait voir toute la scène à nouveau et sauver Timmy ! Il fallait juste qu’il trouve le moyen d’y accéder.
Charles ramassa ses affaires, fourra Celebi dans son sac, et se dirigea vers l’intersection. S’il prenait le chemin de droite, il tomberait nez-à-nez avec la classe de maternelle. Or, ils n’avaient rencontré que le deuxième Charles Seko, pas le troisième. Il devait donc emprunter le couloir de gauche.
Marchant d’un pas assuré, comme poussé par une foi aveugle, Charles s’enfonça dans le Chemin Ardent où la température étouffante n’avait plus aucun effet sur lui. Après quelques minutes de marche, le couloir se termina sur un cul-de-sac où se trouvait une échelle en métal. Charles leva la tête : un boyau étroit à l’étage supérieur. Il sourit.
Il grimpa l’échelle brûlante à toute vitesse et se retrouva bien vite à quatre pattes dans le boyau très étroit. S’enfonçant plus en profondeur dans l’obscurité de la grotte, il s’immobilisa en entendant des voix discuter. Quelque part derrière la roche, un groupe de personnes échangeaient des paroles en toute discrétion. Voilà donc où devait se trouver la Team Magma. Des bruits de pas lui indiquèrent que le groupe quittait sa cachette. Ils se mettaient en route ! Il devait se dépêcher car ils allaient bientôt rencontrer le groupe dont faisait partie Timmy.
Charles rampa plus rapidement. Une petite lueur au loin lui indiqua l’endroit où il devait se rendre. Il était temps, car il commençait à suffoquer dans ce labyrinthe oppressant. Après plusieurs minutes d’efforts, il arriva au milieu du boyau dans le sol duquel un large trou donnait sur l’étage inférieur. Couché sur le ventre, caché dans l’ombre, il avait une vue parfaite et dégagée sur la scène qui allait se dérouler pour la troisième fois. Il attendit alors.
Un halo de lumière illumina le couloir et Charles se raidit au sol. Lorsque l’onde lumineuse s’estompa, il se vit se matérialiser à l’étage inférieur, adossé contre le mur. Son double du passé resta immobile quelques minutes, tenant à bout de bras Celebi. Il se vit le poser au sol.
—
Quoi que tu attendes de moi, c’est fini, dit-il.
Charles assista au discours qu’il avait tenu une heure plus tôt à l’encontre de Celebi. Si seulement il avait su qu’il s’observerait plus tard ! Il aurait pu s’éviter bien des traumatismes !
Des voix d’enfants retentirent de l’autre côté du couloir. Il assista, toujours caché, à sa rencontre avec la classe de maternelle. Il rencontrait le petit Timmy, puis la petite Annick. On lui proposait de raconter des histoires de pokémons. Il prévenait l’institutrice du danger. Celle-ci hésitait, dubitative.
Soudain, quelque chose attira son attention. À l’autre bout du couloir, une demi-douzaine de personnes enveloppées dans leurs capes avait fait son apparition. Il reconnut le dresseur au Limagma qu’il affronterait, la femme qui sauverait la vie de Klein, et puis Klein lui-même.
L’autre Charles Seko était trop absorbé par sa discussion avec l’institutrice que pour remarquer la présence de ses ennemis qui les approchaient silencieusement. Il fallait qu’il prévienne son double du passé !
—
Ça ne fait rien, pressons-nous de… « BOUM ! »
Trop tard ! Le sol trembla sous son corps, mais le boyau tint bon. À l’étage inférieur, l’Hyporoi s’effondrait et l’autre Charles Seko était soufflé contre le sol.
—
Putain, Klein ! Y a des gosses ! s’exclama une femme dans les rangs de la Team Magma.
—
Moi d’habitude, je n’aime pas toucher aux enfants, dit le sbire de petite taille à l’attention de l’institutrice.
Il ne pouvait pas agir maintenant. D’autant qu’il n’avait plus aucun pokémon en état de combattre.
—
Malheureusement, nous avons comme consigne de n’avoir aucun témoin de nos agissements. Et les ordres sont les ordres. Je suis sincèrement désolé que vous ayez eu à croiser notre chemin. Klein fit apparaître son Chartor qui envoya un torrent de flammes en direction de l’institutrice. Charles se vit se jeter sur elle et la tirer en arrière afin de l’éloigner de l’attaque.
—
Les enfants, par ici ! cria-t-il en les poussant vers un des couloirs adjacents.
—
D’où il sort, lui ?
— Peu importe leur nombre, on les élimine tous ! Charles assista à nouveau à la scène, impuissant. L’institutrice éloignait les enfants du combat, Chales envoyait son Arcko à l’assaut, le couloir se remplissait de pokémons.
—
Team Magma ! s’écria une voix familière derrière les criminels.
Et voilà qu’il réapparaissait à nouveau dans ce couloir ! Il se vit arriver pour la première fois dans le Chemin Ardent, derrière les criminels. D’un côté, le premier Charles combattait avec son Poussifeu, de l’autre, le deuxième Charles combattait avec son Arcko. Et lui s’observait impuissant depuis le dessus.
—
Il faut sonner la retraite !
— Les ordres sont les ordres, nous devons tous les éliminer ! Ça y était ! Le moment fatidique était arrivé !
Klein ordonna à son Chartor d’attaquer le groupe d’enfant et la tortue projeta une boule de feu dans leur direction. Le deuxième Charles envoya son Arcko protéger les enfants. Derrière lui, Timmy retombait sur ses fesses.
Il devait agir avant que tout ne se répète !
—
Vous allez regretter de vous en êtes pris à ces enfants ! s’entendit-il hurler de l’autre côté du couloir.
Pousifeu, envoie ta « flammèche » ! Poussifeu envoya sa boule de feu. Le deuxième Charles sortit de sa cachette.
—
Klein, attention ! s’écria la femme sous sa cape.
Le sbire de petite taille se jeta au sol à la dernière minute. Le deuxième Charles atteignit le groupe d’enfant. L’énorme boule de feu tirée par le poussin explosa sur la paroi rocheuse de la grotte.
Le sol se mit à trembler et Charles se sentit vibrer violemment, toujours couché sur le sol de l’étage supérieur. C’est alors qu’il se rendit compte d’un détail qu’il n’avait pas évalué : le sol sur lequel il se trouvait aller s’effondrer à l’étage inférieur !
— Ça va s’effondrer ! s’écria-t-il d’horreur.
Charles rampa difficilement sous les secousses, et passa de l’autre côté du trou béant dans le sol, juste à temps car une première plaque de roche commençait à se détacher. Il vit Timmy et Annick terrifiés, plaqués au sol à cause des secousses, et attira leur attention.
— Par ici ! leur cria-t-il.
Timmy leva les yeux et croisa son regard. Il l’avait entendu ! Timmy le regardait !
Le tremblement de terre se transforma en un véritable éboulement. De partout s’écrasaient des plaques de roche pour la troisième fois en une heure. Les sbires de la Team Magma prenaient la fuite, laissant derrière eux la femme et le prénommé Klein qui roulaient au sol afin d’éviter les rochers qui s’abattaient entre eux et les deux Charles Seko du passé.
Charles se laissa glisser dans le trou qui menait à l’étage inférieur et se maintint en suspension en enfonçant ses pieds dans de petits trous dans la roche des parois alentours. Son bassin suspendu dans le vide, il tendit ses bras vers Timmy au maximum de ses capacités.
— TIMMY !! hurla-t-il.
Un gigantesque rocher craqua au-dessus du groupe d’enfant, et Timmy jeta son regard gris vers ce qui allait lui ôter la vie dans quelques secondes.
Charles vit son double se jeter sur Timmy en fermant les yeux afin d’éviter un nuage de poussière. Ses mains se refermèrent sur Annick et il tomba à la renverse avec la petite fille. Le rocher se détacha du plafond. Timmy allait mourir, une troisième fois !
— NOOOON !!! hurla-t-il.
Il ôta un de ses pieds de sa prise et se laissa glisser davantage. C’est alors que sa main effleura celle du petit Timmy. L’empoignant de toutes ses forces, il le tira dans les airs. Ce fut à cet instant précis que le rocher s’effondra sur un des sbires de la Team Magma toujours présent. Un retentissant craquement d’os annonça le décès du criminel et une flaque de sang s’étala dans tout le couloir, tandis que le plafond termina sa course au sommet d’un gigantesque mur qui sépara le couloir en deux parties.
Suspendu dans la vie, à peine retenu par un pied, Charles usa de toutes ses dernières capacités physiques pour hisser le petit Timmy dans le boyau à présent à découvert. Timmy le serra très fort dans ses bras. Il était vivant. Il avait réussi à le sauver.
À l’étage inférieur, une lumière intense enveloppa le couloir, avant de s’estomper. Les deux Charles avaient disparu, laissant derrière eux une Annick traumatisée, un groupe d’enfants en pleurs et une institutrice sous le choc. Klein et sa comparse titubaient au sol, toussant grièvement dans un nuage de poussière.
Charles se laissa un instant de repos. Sans lâcher son étreinte autour du petit Timmy qui tremblait de tous ses membres, il se laissa emporter par un rire nerveux. Il avait réussi ! Il avait finalement réussi à lui sauver la vie ! Timmy ne mourrait pas ! Du moins, pas dans l’éboulement de cette grotte !
— Là-haut !
Charles sursauta. Klein s’était relevé. Il l’avait repéré.
— Tu vas payer !!
Klein repéra un escalier formé par les morceaux de roche et grimpa difficilement les obstacles qui le séparait de lui. Il avait peut-être réussi sa mission, mais le temps ne s’était pas arrêté pour autant ! Celebi ne semblait pas vouloir le faire voyager à nouveau, et la Team Magma s’approchait dangereusement de lui. Il fallait fuir !
— Tu peux marcher ?
Timmy acquiesça, terrifié.
— Alors, écoute-moi bien, Timmy. Tout va bien se passer. Nous allons nous enfuir par ce boyau et tu seras en sécurité. Tu m’entends ? Tout va bien se passer. Je peux te l’assurer, car je viens du futur.
Et Charles l’entraîna vers la sortie, poursuivis par les deux sbires de la Team Magma.
