Rosyères La lumière intense s’estompa aussi rapidement qu’elle était apparue et Charles resta immobile un instant. Cette fois-ci, il n’avait pas chuté. En ouvrant les yeux, toujours fermement accroché à son sac à bandoulières, son Poussifeu et Celebi, il constata qu’il était plongé dans la pénombre totale. La température était toujours aussi élevée, mais l’air ambiant ne diffusait plus d’odeurs nauséabondes. Au contraire, une douce émanation de plantes médicinales embaumait l’endroit où il se trouvait, jurant avec la puanteur qui se dégageait de sa peau. Le son de sa respiration semblait se ricocher sur des parois proches de lui. Il se trouvait dans un endroit clos. Rosyères était donc habitée aussi à l’époque à laquelle il venait de voyager.
Titubant dans l’obscurité aveuglante, il sentit sous sa chaussure droite et son pied gauche la fraîcheur d’un parquet. Était-il revenu à une époque plus moderne ?
« Bam ! »
Il venait de se cogner violemment contre un mur en plâtre. Jurant dans sa barbe de deux jours, il palpa le mur devant lui à l’aide de ses paumes et trouva rapidement un interrupteur. De l’électricité ! En l’actionnant, une lumière orangée l’aveugla quelques instants. Une fois habitué à cette nouvelle luminosité, il découvrit le décor d’une cave aménagée en une sorte de local de stockage où de nombreuses armoires contenait des médicaments et des produits pour pokémons en tous genres. Cette fois, il en était sûr, il avait bel et bien quitté le monde médiéval.
Soupirant de réconfort, il repéra très vite un escalier et, après avoir ramassé ses affaires, logé Celebi dans sa sacoche et fit disparaitre Poussifeu dans sa pokéball, le grimpa quatre à quatre. Derrière la porte à l’étage, il pénétra dans l’arrière-boutique d’un magasin d’accessoires pour dresseur pokémon. À travers la vitre, dans la nuit paisible, il put apercevoir nettement la célèbre enseigne bleue qui illuminait les rues de Rosyères.
C’est alors qu’il sursauta. Son reflet dans la vitre venait de lui apparaître. L’homme qui se trouvait de l’autre côté du verre et qui imitait tous ses gestes semblait malade, âgé et faible. Ses cheveux bruns n’avaient jamais été aussi grisonnant et gras, sa barbe avait poussé de manière incongrue et les traits de son visage paraissaient marqués d’une fatigue à jamais encrée en lui. Sa chemise en lambeau tenait à peine sur ses épaules, dévoilant son torse et son ventre dodu recouvert d’une épaisse couche de poussière et de boue. Son pantalon déchiré au niveau de la jambe gauche ne faisait pas plus fière allure. Son passage au onzième siècle lui avait visiblement laissé des traces indélébiles.
Il fallait absolument qu’il prenne une bonne douche afin d’effacer à jamais l’empreinte du monde barbare qu’il venait de quitter. Mettant de côté ses questionnements quant à l’époque à laquelle il venait d’apparaître, il fouilla un instant les meubles du magasin afin d’en trouver une clé qui lui permettrait de sortir. Une fois dans les rues nocturnes de Rosyères, un doux arôme de fleurs lui apaisa les narines. Il était de retour dans un monde civilisé. Face à lui, au centre d’un minuscule parc public, une petite stèle gravée aux lettres d’or indiquait l’endroit où s’était trouvée, jadis, la figure historique de la Rosière. Si les gens avaient su… Peut-être le corps de la malheureuse jeune fille avait-il été enterré à cet endroit précis, mille ans auparavant. Peut-être n’aurait-elle-même pas disparu s’il n’avait pas voyagé dans le temps et refusé de la toucher.
Charles secoua vigoureusement sa tête. À quoi pensait-il ? Evidemment qu’elle aurait disparu, mille ans plus tard ! Oubliant un instant les évènements dramatiques auxquels il venait d’échapper, le scientifique quitta les lieux d’un pas fatigué.
L’eau chaude qui s’écoulait le long de son crâne, glissant dans son dos jusqu’à baigner ses pieds meurtris par l’effort, le détendit plus que de raison. Il n’avait vécu que quelques heures au onzième siècle, deux jours grand maximum, et c’était comme s’il souffrait d’un violent syndrome du décalage horaire. Observant la lune dans le ciel, il laissa sa pensée disparaitre au gré des gouttelettes d’eau qui perlaient depuis le pommeau de douche.
Il avait réussi à trouver le centre pokémon de Rosyères qui n’avait pas changé de place, et la réservation d’une chambre pour une nuitée s’était faite sans encombre. Malheureusement, il n’avait pas osé demander la date car la manière dont il avait été accueilli par le réceptionniste indiquait qu’il bénéficiait toujours de sa célébrité. Tout ce qu’il avait pu en déduire était qu’il était revenu à une époque postérieure à 1994, année durant laquelle ses travaux scientifiques avaient connu leurs premiers succès chez le grand public. Que cela pourrait être drôle de se croiser dans la rue et d’avoir une conversation avec lui-même, ou plutôt son double du passé ou du futur !
Bien malgré lui, ses pensées se dirigèrent naturellement sur l’aventure épique qu’il avait vécue au temps des chevaliers. À présent au calme et loin de tout danger, il s’émerveilla face au pan incroyable de l’histoire qu’il venait de découvrir. Ses notes d’observation prises en temps réel allaient apporter à la science une avancée majeure et…
— Mon calepin !
Il n’avait pas pu s’empêcher de pousser un cri d’horreur. Il revoyait très bien son calepin tomber au sol pour lui permettre de réveiller Celebi et de voyager dans le temps. Resté en arrière sur la flèche du temps, il avait perdu toutes ses découvertes et le temps aurait le même effet sur les détails de ses souvenirs. Il s’amusa tout de même en imaginant la tête que devaient tirer en ce moment, ou plutôt qu’avaient dû tirer mille ans plus tôt, le Seigneur Ferhart et son soldat Bllorn en essayant de déchiffrer ses notes écrites dans une langue pas encore inventée. D’ailleurs, il était possible que tout ce qui se trouvait dans ce calepin avait permis à la civilisation de l’ancien Royaume d’Œnn de se développer et d’évoluer vers l’état actuel des choses.
Et si Rosyères n’était resté qu’un tout petit village justement à cause de ses actions dans le passé ? Et si l’assassinat de la Rosière qu’il avait provoqué avait empêcher le développement de ce petit village en une métropole, voire une capitale de la plus haute importance ? Quelles étaient ses responsabilités quant au développement de l’histoire ? Manifestement, il n’avait rien changé au cours du temps, ce qui commençait à étayer la théorie selon laquelle la flèche du temps existait en tant que telle et que les êtres vivants étaient condamnés à suivre leur histoire sans avoir le pouvoir d’en être les acteurs. Ou bien, justement, le fait qu’il eût voyagé dans le temps l’avait permis de mener ses actions jusqu’à l’assassinat de la Rosière qui avait provoqué ce changement historique, auquel cas il serait un des responsables de l’état actuel du monde.
Charles resta un instant bouche bée, nu dans sa douche, face aux dilemmes métaphysiques qui se jouaient dans sa tête. Était-il l’esclave du temps ou avait-il le pouvoir de le transformer ? S’il se croisait enfant demain dans la rue, et qu’il l’incitait à devenir un grand dresseur, sa vie deviendrait-elle du jour au lendemain celle d’un champion d’arène ? Ou bien n’importe quel discours qu’il tiendrait à son double du passé aurait pour effet de lui donner l’impulsion de devenir un scientifique de grande renommée ? Finalement, il espéra ne pas avoir la possibilité de trancher cette question, préférant avoir le moins de responsabilités possibles quant au cours du temps, et sortit de sa douche en frissonnant.
Après avoir vérifié que Celebi dormait toujours paisiblement sur un fauteuil confortable dans un coin de la chambre, Charles s’allongea sur le lit et fut immédiatement transporté par un sommeil écrasant.

Le lendemain matin, réveillé par le chant harmonieux d’une nuée de Nirondelle, Charles s’examina un instant dans la glace de la salle de bain. Lavé, parfumé et rasé, il avait à peu près retrouvé son apparence physique classique, au détail près que plusieurs boutons d’exéma avaient poussé sur ses joues. Fichue époque sans hygiène !
Ni une, ni deux, revigoré et plein d’énergie, il avait rapidement pris une décision quant à la suite de son périple dans le temps. Son premier objectif était de savoir à quelle époque il se trouvait. Rien de plus simple, il lui suffirait d’ouvrir un journal ou d’allumer la télévision. Ainsi, il pourrait savoir quelle était la meilleure chose à faire : retourner à Clémenti-ville et retrouver Roxanne et son assistant s’il était de retour à une époque postérieure à sa disparition, ou improviser avec les moyens du bord s’il était dans un passé proche de sa disparition, et peut-être même l’empêcher !
Après avoir opté pour des vêtements propres et son tablier de scientifique intact, heureux d’être à nouveau civilisé, Charles descendit prendre un petit déjeuner copieux au restaurant du centre pokémon. Et l’information qu’il recherchait fut rapide à l’atteindre.
— Professeur Seko !
À peine avait-il ouvert la porte du restaurant qu’un jeune homme musclé lui serra vigoureusement la main.
— Bastien !
Le champion d’arène du Village Myokara semblait être toujours âgé de la vingtaine d’année, possédait toujours cette coiffure en bataille et était accompagné de son fidèle Makuhita. Ce qui signifiait qu’il n’avait pas encore évolué ! Ils étaient donc avant le mois de septembre 2011 et non pas dans le futur !
— Quelle belle surprise ! s’exclama-t-il en ne lâchant pas la main du scientifique.
— Si je m’attendais à te croiser ici, à Rosyères ! On te voit rarement quitter ton île.
— C’est parce que je me rends à la Surfcup, répondit le champion en l’amenant à une table afin de lui offrir un café.
— La Surfcup ?
— Vous ne connaissez pas la Surfcup ? Dites, vous feriez mieux de sortir de vos bouquins et de vous renseigner sur le monde sportif qui vous entoure ! C’est une compétition de surf organisée sur le Route 102 deux fois par an. J’ai failli gagner la compétition hivernale l’an passé, je compte bien prendre ma revanche à celle de demain !
— Demain ? La compétition est organisée demain ?
Charles se raidit sur son siège, excité à l’idée d’enfin savoir quel jour il était.
— Oui. Ça vous intéresserait de venir assister à ma victoire ?
— Oh je ne sais pas, je suis fort occupé, sais-tu.
— Allons, le mercredi c’est le jour des enfants, vous devriez amener votre fille ! J’ai cru comprendre qu’elle aimait les pokémons aquatiques ?
— Oui, c’est exact. Flora ne se sépare jamais de son ami Gobou. Enfin… Ça dépend si elle est déjà amie avec…
— Comment ?
— Donc, demain nous sommes mercredi ? demanda Charles pour revenir au sujet qui l’intéressait.
Bastien fronça des sourcils en mâchonnant un pain au chocolat.
— Vous travaillez beaucoup trop, si vous voulez mon avis. Ça va vous faire du bien de sortir de votre laboratoire et de profiter de la fin de l’été.
Les informations se précisaient ! La fin de l’été… Ils ne pouvaient être qu’en août ou en septembre 2011.
— Tu as raison, cet été était vraiment un des pires qu’on ait vécus, n’est-ce pas ?
— Vous rigolez ? Il n’a fait que pleuvoir ce mois-ci.
— Oui, c’est juste… Je suis vraiment trop absorbé par mon travail.
— Ah mais oui, c’est vrai ! Vous vous préparez à lancer vos nouveaux candidats pour cette nouvelle saison de la Ligue Pokémon !
— Euh… en effet, oui.
— D’ailleurs, c’est cette année que vous allez sponsoriser votre fille ?
— C’est… exact…
— Du coup, c’est quand exactement que vous les lâchez dans la nature ?
— Euh… oh, tu sais… il n’y a pas vraiment de date fixe pour cela…
Mal-à-l’aise, Charles sirota son café serré. Qu’il était compliqué de tenir une conversation normale dans des circonstances aussi anormales. Finalement, il se demandait s’il ne préférait pas essayer de communiquer dans une langue disparue. À moins que… Il avait peut-être une idée pour soutirer l’information à Bastien.
Charles creusa dans sa mémoire pour se souvenir de la date à laquelle sa fille et son nouvel ami Sofian Match avaient débuté leurs aventures dans Hoenn.
— En fait, j’ai décidé de les faire démarrer plus tôt cette année, dit-il en observant les réactions sur le visage du champion d’arène. Je pense que la date du vingt-trois août est parfaite. Comme ça, ça leur laisse un peu de temps pour se préparer, et puis moi je pourrai prendre mon temps pour trouver leurs pokémons.
Bastien arrêta de mâchonner son pain au chocolat et échangea un regard perplexe avec son Makuhita.
— Et… vous comptez les lancer à partir de quelle heure ?
— Oh, dans la matinée ! Ainsi, ils pourront profiter pleinement de leur journée !
Bastien avala son dernier bout de viennoiserie et jeta un coup d’œil embarrassé à sa montre.
— Mais, Professeur… il va bientôt être midi.
— Oui, et ?
— J’ai dû mal comprendre, s’excusa Bastien. Vous avez bien dit que vous vouliez démarrer leur voyage ce matin ?
— Ce matin… ? CE MATIN ??!
Charles se leva d’un bond et renversa ce qu’il lui restait de café. Les quelques derniers clients dans le restaurant se tournèrent vers lui, intrigués, tandis que Bastien lui lançait un regard de plus en plus inquiet.
— Nous sommes le vingt-trois août ?!
— Eh bien… il me semble oui. Vous me faites hésiter maintenant…
— Le vingt-trois août deux mille onze ?!
Bastien lança un nouveau regard déconfit à son Makuhita tout aussi perdu que lui.
— Il semblerait que vous ayez mal réglé l’heure et la date de votre Pokénav, s’amusa Bastien en essayant de trouver une explication logique au comportement du scientifique.
— Mais oui ! Mon Pokénav ! Suis-je bête !
Charles dégaina son appareil hors de sa sacoche et vérifia qu’il était à nouveau fonctionnel. Le calendrier numérique de son Pokénav s’était mis à jour grâce aux ondes wifi qu’il avait capté et la date du vingt-trois août deux mille onze s’afficha. Comme il avait été stupide de ne pas penser à son Pokénav. Un jour entier au onzième siècle lui avait fait rapidement oublier la technologie merveilleuse de l’époque contemporaine.
— Je suis désolé, Bastien, je dois te laisser ! Bonne chance pour ta compétition ! Veille bien sur ton Hariyama !
Et Charles quitta le centre pokémon en laissant derrière lui un Bastien et un Makuhita désemparés.
Il était de retour en 2011, mais quatre mois avant sa disparition à Clémenti-ville. Pour quelle raison avait-il voyagé à cette époque ? Il ne pouvait s’empêcher de se poser cette question car l’idée d’être transporté sur la flèche temporelle de manière aléatoire ne lui convenait pas. À présent qu’il était certain d’avoir eu un rôle à jouer dans le passé profond de Hoenn, il aurait mis sa main à couper qu’il avait une mission à réaliser à cette époque-ci. Une mission que seul Celebi pouvait connaître secrètement.
Que s’était-il donc passé d’important ce 23 août 2011 ? Ce mardi-là, il avait lancé sa fille à l’aventure dans Hoenn. Il avait fait la rencontre de Sofian, un jeune adolescent fraîchement débarqué dans la région. Ils s’étaient rencontrés le jour où son laboratoire avait été cambriolé par…
— La Team Rocket !
Mais oui, c’était donc cela ! Il se souvenait très bien des circonstances qui l’avaient amené Sofian et lui à affronter la Team Rocket ! Ce jour-là, les deux bandits et leur maudit Miaouss s’étaient infiltrés dans son laboratoire, s’étaient attaqués à son épouse et avaient tenté de voler ses Relicanth avant de prendre la fuite. S’il empêchait la Team Rocket de commettre leur méfait et s’il les livrait à la police, tous les évènements provoqués par ces malfrats seraient effacés !
Pas de Team Rocket, pas de menace sur Flora. Pas de Team Rocket, pas d’attentat à Autéquia. Pas de Team Rocket, pas de réveil du volcan du Mont Chimné, pas de perturbation climatique, et pas de tornade menaçant les habitants de Vermilava !
— Celebi, tu es un génie !
Et Charles quitta Rosyères en courant sur le chemin fleuri de la Route 101 en direction du Bourg-en-vol.
Route 101 Qu’il était bon de retrouver la région de Hoenn comme il l’avait toujours connue ! Malgré tous les problèmes socio-économiques, politiques ou climatiques, les drames du quotidien, les affrontements entre peuple et autorités, ou même les attaques terroristes, cette époque était finalement la plus intéressante à vivre. Surtout parce qu’elle apportait à l’humanité l’inégalable sentiment de confort et le rassurant privilège de savoir qu’en cas de problème, on pouvait toujours trouver du secours.
La Route 101 n’avait pas changé. Fidèle à elle-même, elle offrait aux voyageurs la beauté d’un sentier tracé dans un parterre de fleurs et de hautes herbes où cohabitaient de paisibles pokémons sauvages tels que des Zigzaton et des Goélise. Dans quelques minutes, il arriverait à la grosse souche de hêtre qui lui indiquerait que le Bourg-en-vol, et donc son laboratoire, ne serait plus qu’à quelques centaines de mètres. L’attaque de la Team Rocket s’étant passée dans l’après-midi, il avait tout son temps pour prévenir les autorités et attendre patiemment que les malfrats débarquent dans son laboratoire.
Aussi, Charles se permit de se reposer quelques minutes à l’ombre d’un arbre à baies tomato. Préférant ne pas se déshydrater avec ces baies très salées, il farfouilla dans son sac et y retrouva, entre Celebi toujours endormi et ses pokéballs, une poignée de clémentines juteuses venues du passé, dont il ne fit qu’une bouchée.
Soudain, il entendit un craquement quelque part sur sa droite. Méfiant, car il connaissait la fourberie de certains pokémons sauvages attirés par les odeurs de fruit, il dégaina une pokéball. Un adolescent apparut au détour du chemin depuis Rosyères et interrompit sa marche en tombant nez-à-nez avec lui.
— Vous êtes le Professeur Seko ? demanda-t-il de sa voix métallique.
Charles l’examina un instant, certain d’avoir déjà vu ce regard bleu électrique et déterminé, ces cheveux noirs et ce sourcil levé légèrement dans une expression de dédain.
— Oui, c’est bien moi, répondit-il enfin en baissant sa pokéball.
L’adolescent afficha un sourire satisfait. Il n’était ni poli, ni amical. C’était comme s’il était personnellement satisfait de l’avoir rencontré.
— Je ne m’attendais pas à vous trouver sur la Route 101, dit-il en gardant son expression de dédain. Les pokémons d’ici ne sont pas très intéressants à étudier.
Une centaine de contrarguments lui vint à l’esprit, mais il préféra ne pas ouvrir les hostilités avec un enfant qui n’y connaissait visiblement pas grand-chose au monde des pokémons.
— Tu sais, quand on les observe de très près, n’importe quel pokémon est capable de nous surprendre.
— Mh.
Le garçon avait levé les yeux au ciel sans se soucier de l’affront qu’il venait de commettre.
— Finalement, ça m’arrange de ne pas avoir à me rendre jusqu’au bled du Bourg-en-vol.
— Et en quoi puis-je t’être utile ? demanda Charles sur un ton rêche, décidément de moins en moins enclin à passer plus de temps avec cet adolescent insolent.
— Je suis venu vous rencontrer pour que vous me sponsorisiez dans la compétition de la Ligue de Hoenn.
Ce n’était pas une demande, ni même une candidature. L’adolescent lui avait littéralement donné un ordre, masqué derrière une affirmation.
— Je suis désolé pour toi, j’ai déjà mes trois candidats.
Charles lui tourna le dos, prêt à reprendre sa route et à mettre le plus de distance entre lui et cet enfant abject, mais ce-dernier semblait déterminé car il le retint en lui attrapant le poignet.
— Je peux vous demander qui sont les trois dresseurs que vous avez sélectionnés ?
— C’est une information confidentielle.
— Qui va faire le tour des journaux d’ici quelques heures. J’aimerais vraiment savoir en qui il peut être plus intéressant d’investir plutôt qu’en un dresseur expérimenté tel que moi.
— Ah bon ? Tu es un dresseur expérimenté ? Et je peux savoir comment tu te prénommes, histoire de voir si ta renommée est remontée jusqu’au célèbre et respecté scientifique que je suis ?
Et voilà, il venait de perdre patience. Entendre ce gamin parler ainsi de sa fille et de Sofian l’avait mis hors de lui.
— Je m’appelle Steve Vencer, et comme mon nom l’indique, je n’ai pas l’habitude de perdre mes matches.
Charles se pétrifia sur place.
— Steve Vencer… de Nénucrique ?
— Que disiez-vous à propos de ma renommée ? demanda ce-dernier avec plein de sarcasme.
Voilà pourquoi il avait reconnu ce physique élancé et ces yeux bleus. Exactement les mêmes yeux que sa mère.
— Alors ? s’impatienta l’adolescent.
— D’accord, accepta Charles.
Steve afficha un nouveau sourire d’autosatisfaction.
C’était étrange. Il n’avait pas souvenir d’avoir croisé Steve en ce fameux 23 août. À bien y penser, il était presque sûr de n’avoir pas eu de dresseur à qui confier l’Arcko qui lui était resté suite au départ de Flora et Sofian. Et si le cours du temps avait finalement été modifié ?
— Si tu veux ton Arcko, il va falloir que tu me suives à mon laboratoire, dans mon bled, comme tu dis.
— Qui vous a dit que je voulais un Arcko ?
Zut ! Ce n’était décidément pas évident de connaître des informations venant du futur.
— Disons que… je suis doué pour repérer quel genre de dresseur se présente à moi.
Voilà comment se sortir avec brio d’une telle situation ! Charles s’autorisa un sourire similaire à celui de l’adolescent.
Une ombre massive assombrit le chemin et glissa le long des arbres en direction du Bourg-en-vol. Charles leva les yeux au ciel et découvrit l’engin qui avait caché un instant le soleil : une énorme montgolfière munie d’une nacelle en bambou traversait le ciel en perdant de l’altitude. La Team Rocket !
Steve n’avait pas fait attention à l’engin et s’était remis en route vers le Bourg-en-vol.
— Écoute, prends de l’avance, je n’ai pas tout à fait réglé toutes mes bricoles, mentit Charles.
Le but était de ne pas mêler l’adolescent à son affrontement avec les criminels.
— Mon épouse t’accueillera chaleureusement en attendant mon arrivée, et nous pourrons procéder à ton lancement dans la Ligue Hoenn.
Steve soupira, comme exaspéré par ce changement de programme et, sans un mot, reprit sa route en disparaissant au bout du chemin.
Une fois seul, Charles démarra en trombe et pénétra dans le petit bosquet de la Route 101 en courant entre les arbres.

La montgolfière en bois à l’effigie d’un Miaouss s’était posée dans une toute petite clairière à l’orée du bosquet. Derrière les quelques arbres qui la séparait de la campagne, Charles pouvait distinguer nettement les premières habitations paysannes du Bourg-en-vol.
C’était impossible, il était beaucoup trop tôt pour qu’ils attaquent son laboratoire. Il ne s’en souvenait que trop bien. Ce jour-là, alors qu’il était en pleine séance d’observations dans les bois, il avait été attaqué par des Medhyèna, Sofian l’avait sauvé des pokémons enragés et seulement après avoir participé à une course-poursuite pour récupérer les pokémons dans le Bourg-en-vol, son laboratoire avait été attaqué. Le cambriolage s’était déroulé en fin d’après-midi. Or, le temps de midi venait à peine d’être dépassé. Son voyage dans le passé avait-il eu une si grande influence quant à la suite logique des évènements ?
Caché derrière un chêne—décidemment, cela devenait une habitude à n’importe quelle époque de l’histoire de l’humanité—, Charles observa attentivement les trois malfrats.
À bord de la montgolfière, une dame aux longs cheveux roux observait les alentours avec sur le visage une expression de méfiance mêlée à du dégoût. Son comparse masculin, mince et vêtu du même uniforme gris et orné d’un gigantesque « R » rouge, palpait entre ses doigts avec déception une longue feuille de l’arbre à baie à côté duquel ils avaient atterri. Enfin, un Miaouss bondit hors de la nacelle et se réceptionna sur ses pattes-arrières.
— Alors c’est ça, la région de Hoenn ? s’étonna l’homme.
— Ce village est à peine plus banal que ceux de Kanto, soupira la femme.
— Qui aurait cru qu’il était possible de trouver un village encore moins intéressant que le Bourg-Palette ?
— Il fallait que ce soit notre première étape dans notre mission…
À ces mots, la jeune femme posa un pied prudent au sol, comme si elle craignait qu’il s’embrase. Son acolyte l’imita et huma avec suspicion l’air ambiant qu’il sembla ne pas apprécier.
— Bien vite qu’on termine cette mission car je ne compte pas supporter longtemps ce climat torride, se lamenta-t-il.
— Et tu n’as pas une chevelure aussi délicate que la mienne ! se plaignit la femme.
— Plus vite on s’y met, plus vite on rentrera au bercail ! ajouta le Miaouss en révélant sa faculté oratoire.
Il ne faisait pas de doute, il était bien en face de la Team Rocket et de leur Miaouss doué de la parole. Cela ne faisait rien s’ils avaient de l’avance. Quelle qu’était l’heure, il était tout à fait capable de les arrêter en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire.
Charles plongea sa main dans son sac afin de récupérer la pokéball qu’il avait sélectionnée un peu plus tôt et s’apprêta à leur barrer la route. Mais l’homme avait dégainé hors de sa poche un appareil mystérieux qui attira son attention et il préféra attendre encore un instant avant d’agir.
— Tu es sûr qu’on a bien fait de confier cet engin à James, Miaouss ? s’inquiéta la femme en voyant son acolyte triturer les boutons de sa télécommande mystérieuse.
— Je te rappelle que j’ai voté contre tout à l’heure ! Je n’ai confiance en aucun de vous deux quand il s’agit de manipuler la technologie Rocket.
— Bon Miaouss, Jessie, au lieu de critiquer mon travail, vous pourriez m’aider à trouver des pokémons sur qui tester cette machine ? s’agaça James.
— Ces chiots feraient-ils l’affaire ?
Jessie avait pointé un bosquet hors de son champ de vision.
— Ce sont des pokémons ça ? Vraiment ?
— On dirait bien…
— Hoenn est véritablement une région sous-développée.
— On a bien un chat tout à fait banal, nous.
— Un chat qui parle, tu appelles ça un pokémon banal ?
— Non, j’appelle ça un pokémon banal
et insupportable.
— Bon, taisez-vous et laissez-moi tester cette machine !
Charles se déplaça discrètement afin d’avoir un meilleur angle de vue. James était occupé à manipuler une molette sur sa télécommande, comme s’il réglait une fréquence sur une radio. Face aux criminels, un trio de petits Medhyèna terrifiés tremblaient de tous leurs membres, blottis contre une souche d’arbre.
Trois Medhyèna. Les mêmes qui l’attaqueraient un peu plus tard dans la journée ? Était-il en train de participer à la cause de son agression par ces pokémons ? Son passé était-il en train de se jouer sous ses yeux ? Il fallait qu’il empêche le cours du temps de se produire !
— Plus un geste !
Jessie, James et Miaouss sursautèrent et firent volte-face. Les malfrats l’examinèrent un instant, surpris par cette interruption dans leurs méfaits.
— T’es qui, toi ? lança James en le menaçant de sa télécommande.
Derrière lui, les Medhyèna n’osaient pas bouger d’un poil.
— Je suis le Professeur Seko du Bourg-en-vol, celui qui a formé une centaine de dresseurs d’élite de cette belle région, se présenta Charles en insistant sur le danger qu’il représentait pour eux.
— C’est le Professeur Chen local, traduit James.
— Qu’est-ce que ça peut nous faire ? Miaouss, reprends la mission pendant que nous nous occupons de ce contretemps.
James confia sa télécommande à son acolyte qui l’activa face aux Medhyèna. Les trois petits chiots se recroquevillèrent sur place, comme torturés par des ondes inaudibles.
— Arrêtez ça tout de suite ! ordonna Charles en faisant apparaître son Arcko.
Le petit pokémon plante capturé par son assistant deux jours plus tôt, ou plutôt quatre mois plus tard, se matérialisa entre son maître et ses ennemis. Les deux criminels l’examinèrent un instant avant d’exploser de rire.
— C’est à ça que ressemble un professeur pokémon à Hoenn ?! s’esclaffa Jessie.
— Nos pokémons ne vont faire qu’une bouchée de cet asticot ! menaça James.
Les deux criminels lancèrent leurs pokéballs dans les airs et deux gigantesques monstres firent leur apparition : un long serpent violet et une espèce de trio de grosses boules toxiques.
— Arbok, « morsure » !
— Smogogo, « détritus » !
— Arcko, attention !
Le Smogogo cracha une substance noire et fétide en direction d’Arcko qui bondit sur sa queue afin de l’éviter. En touchant le sol, la substance brûla instantanément la touffe d’herbe avec qui elle était entrée en contact. L’Arbok glissa alors en direction d’Arcko et sortit ses crocs afin de n’en faire qu’une bouchée. Cependant, le pokémon plante agit de sa propre initiatique et asséna un coup de sa queue touffue sur le crâne du serpent. Ce-dernier tomba à la renverse contre son allié qui s’écrasa lourdement au sol.
— Qu’a-t-il fait à nos somptueux pokémons ?! s’exclama Jessie.
— En une seule attaque ?! s’étonna James.
Charles était tout aussi stupéfait. Ces criminels étaient-ils si peu entraînés pour se laisser intimider par un tout jeune Arcko ?
— Je vous signale qu’il me reste encore deux pokémons de la même puissance dans mon sac ! lança-t-il dans une tentative d’intimidation.
L’effet fut satisfaisant, car la Team Rocket semblait désemparée. Finalement, cela n’allait pas être bien compliqué de se débarrasser d’eux. Comment avaient-ils fait pour être si dangereux au cours des quatre mois suivants ?
— Tu ne perds rien pour attendre ! s’énerva Jessie.
— On va te montrer ce qu’est la terrible puissance de la Team Rocket de Kanto ! menaça James.
— Et moi, je vais vous montrer ce qu’il va vous en couter de vous en prendre aux pokémons de ma région !
— Aaargh !
Miaouss avait poussé un cri de stupeur et sa télécommande valdingua dans les airs. Les trois Medhyèna qu’il torturait depuis quelques minutes s’étaient rebellés. Leur terreur avait laissé place à une expression de colère intense et ils avaient bondis sur leur agresseur. Une fois le Miaouss au sol, ils se tournèrent vers les deux autres. Leurs yeux laissaient transparaître une expression de rage et de la salive coulait à leur babines, comme trois pokémons affamés.
— Je crois que cette télécommande fonctionne… fit remarquer James.
— Un peu trop bien peut-être ! s’écria Jessie alors que les Medhyèna bondissait sur eux.
Dans un instant de survie, leur Arbok et Smogogo protégèrent leurs maîtres et dévièrent les coups de boule des Medhyèna. Un des trois chiots retomba sur Charles qui tomba à la renverse. Son sac lui glissa des épaules et une petite boule verte s’en extirpa en roulant au sol. Celebi !
Un des trois Medhyèna renifla le Pokémon Fabuleux et voulut mordiller ses ailes.
— Arcko, empêche-le de lui faire du mal ! ordonna Charles précipitamment.
Le pokémon plante frappa le chiot de plein fouet à l’aide de son crâne et le chien s’enfuit en glapissant, la queue entre les jambes. Ses deux compagnons enragés voulurent s’en prendre à Celebi mais ses ailes s’étaient mises en mouvement et ils prirent la fuite à leur tour.
— Non ! s’exclama Charles.
Il venait de comprendre. Dans quelques instants, le Charles Seko du 23 août 2011 allait tomber sur trois Medhyèna en panique, allait vouloir les rassurer en leur servant des friandises, et allait se faire attaquer sans aucune raison. En voulant empêcher les évènements de se produire, il les avait lui-même provoqués. Il n’avait aucune chance de changer le cours du temps. Ce qui s’était produit se produirait. Il se ferait attaquer par les Medhyèna, Sofian lui sauverait la vie et la Team Rocket attaquerait son laboratoire.
S’en prendre à la Team Rocket, là, tout de suite, était peine perdue.
— Pincez-moi, je rêve, balbutia James.
— Ce pokémon… bredouilla Jessie.
— C’est un pokémon légendaire… bégaya Miaouss.
— C’est Celebi ! reconnurent en chœur les trois membres de la Team Rocket.
Jessie, James et Miaouss jetèrent un regard médusé à Charles, puis à Celebi, puis à Charles à nouveau, comme impressionnés par le fait qu’un scientifique puisse se trouver en compagnie d’un Pokémon Fabuleux.
C’est alors que Charles le vit dans leur regard. C’était comme s’ils venaient de trouver le plus grand trésor de tous les temps.
— Oh non !
Il fallait absolument qu’il protège Celebi de la Team Rocket ! Maintenant convaincu qu’il ne pourrait empêcher les évènements de se produire, il n’avait plus aucune raison de les affronter.
Il se releva d’un bond et attrapa Celebi à toute vitesse avant de prendre la fuite à son tour.
— Arbok, empare-toi de ce pokémon légendaire !
— Smogogo, empêche-les de s’enfuir !
— Arcko, ne reste pas là !
Sans perdre de temps à savoir où ses ennemis se trouvaient derrière lui, Charles courut entre les arbres du petit bois de la Route 101, tenant fermement Celebi dans ses bras. Ignorant sa douleur dans ses jambes meurtries et la fatigue accumulée, il zigzaguait entre les racines afin de semer la Team Rocket. La tête d’Arbok apparut brusquement devant lui et il se pencha pour l’éviter. Le serpent s’écrasa contre un arbre. Mais il n’avait pas semé le danger car un jet de détritus frôla son oreille et brûla un tas de feuilles séchées au sol.
— Attrapez-le, bon sang !
— Ne le laissez pas filer avec ce pokémon légendaire !
Arcko était monté sur son épaule, bien démuni face à la détermination de la Team Rocket, et Charles commençait à fatiguer. Devant lui, le Bourg-en-vol apparaissait plus nettement entre les arbres. Il fallait qu’il trouve du secours avant que la Team Rocket ne le rattrape.
C’est alors qu’il sentit Celebi vibrer dans ses bras. Ses antennes s’étaient à nouveau mises en mouvement. Il était sauvé.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?! cria Jessie derrière lui.
Un halo de lumière était apparu tout autour alors qu’il sortait de la Route 101.
— Celebi utilise ses pouvoirs psychiques ! comprit James.
Charles fut aveuglé par la lumière intense qui émanait du Pokémon Fabuleux.
— Attrapez ce Celebi ! hurla Miaouss.
Le décor s’effaça autour de lui, les cris de la Team Rocket s’estompèrent et le Bourg-en-vol disparut.
Bourg-en-vol Le cercle de lumière se reconcentra autour de lui jusqu’à disparaître dans ses bras où se tenait toujours Celebi, et Bourg-en-vol réapparut. Le décor qu’il venait de quitter s’était à nouveau dessiné autour de lui, à l’exception des cris de ses ennemis derrière lui.
Charles arrêta sa course, hors d’haleine. Le même soleil estival brillait haut dans le ciel parsemé, cette fois, d’épais nuages. La pelouse de la campagne autour de lui était nettement plus brûlée que quelques secondes auparavant. Derrière lui, le bosquet de la Route 101 était calme. Une chaleureuse brise secouait paisiblement les feuilles des arbres alentours. La Team Rocket avait disparu, ou plutôt il avait laissé les criminels à leur époque sur la flèche du temps. Ils pourraient à leur aise cambrioler son laboratoire pendant que son double du passé essayerait de sauver les Medhyèna de leur enragement.
Carles avait à nouveau voyagé dans le temps. Le tout était de savoir à nouveau à quelle époque il se trouvait. Un rapide coup d’œil à la campagne du Bourg-en-vol qui s’étendait devant lui, lui donna une bonne idée du moment auquel il était réapparu. En effet, le moulin de son laboratoire se dessinait à l’horizon, entouré d’échafaudages permettant sa construction. Été 2002 : date à laquelle il avait fait bâtir le moulin de son laboratoire.
Il se laissa un instant afin de reprendre ses esprits. Voyager dans le temps n’était apparemment pas de tout repos. En renvoyant son Arcko dans sa pokéball, il se laissa envahir par la compréhension effarante de la finitude humaine : il lui était impossible de changer quoi que ce fût du passé. Toutes ses tentatives seraient vaines et mèneraient à l’exécution d’un plan minutieux qui le dépassait. Mais alors, pourquoi Celebi le faisait-il voyager dans le temps ? Était-il à la recherche de son mystérieux « cadeau de la paix » ? Était-il tout aussi perdu que lui et cherchait-il son œuf à des dates aléatoires de l’histoire ? Ou bien avait-il la ferme intention de l’obliger à participer à des évènements liés à son passé ?
Car jusqu’à présent, Charles avait été témoin et acteur de choses déterminantes. En voyageant au onzième siècle, il avait provoqué la mort de la Rosière qui avait scellé le destin du village de Rosyères. En ne se déployant qu’en simple village, Rosyères avait été une étape pour les sportifs qui désiraient se rendre à la Surfcup, ce qui lui avait permis de croiser Bastien qui l’avait mis sur la route de sa rencontre avec la Team Rocket, qui avait elle-même précipité l’attaque des Medhyèna à son encontre, scellant son destin. En effet, attaqué par les Medhyèna, il avait rencontré Sofian Match qu’il avait lancé dans la Ligue Hoenn et, de fil en aiguille, s’était retrouvé dans le Bois Clémenti où il avait trouvé Celebi épuisé. En retraçant la longue liste de causes à effet, Charles se sentit bien faible face au destin tyrannique.
Qu’est-ce que Celebi essayait-il de faire ? À présent ramené en 2002, de quel évènement devait-il être l’acteur pour retrouver son œuf et rétablir l’équilibre de l’univers ? Dans tous les cas, une chose était certaine : il allait devoir éviter toute rencontre fortuite. Se croiser dans le passé ne pouvait être une bonne chose. Ni même croiser des personnes qui auraient pu l’avoir vu à un autre endroit dans la même journée. Finalement, était-ce une bonne idée de se diriger vers son laboratoire ? Il le saurait bien assez tôt, de toute manière.
En arrivant devant sa porte d’entrée, il se souvint tout de même d’une règle qu’il venait d’apprendre quant aux voyages dans le temps : vu que tout était prédéterminé, il n’avait aucune chance de se croiser dans le passé étant donné que dans son propre passé, il n’avait jamais croisé son double du futur. Rassuré, il tourna la poignée et ouvrit la porte de son laboratoire.
— Papa !
Une touffe de cheveux bruns lui sauta dans les bras et il se sentit serré dans un long câlin au niveau de ses reins.
Une petite fille le serrait très fort dans ses bras en noyant son regard amoureux dans les yeux de son père. Sa petite fille.
— F… Flora ?
La gamine le couvrit de baisers et il se laissa inonder par ces gestes d’affection. Son cœur gonfla dans sa poitrine. Se souvenir de l’enfance de sa fille était émouvant, mais la vivre une nouvelle fois était un cadeau du ciel !
Pour la première fois depuis le début de ses voyages dans le temps, il se sentit enfin apaisé et certain d’être au bon endroit. Un parfum de tarte s’élevait depuis la cuisine et le salon était décoré de ballons de baudruches de toutes les couleurs.
La petite Flora se détacha de son père et lui lança un regard désapprobateur.
— Tu as encore oublié mon anniversaire ?
Ils étaient donc le 23 août 2002. Flora fêtait aujourd’hui ses sept ans. Étonnamment, Celebi semblait le faire voyager de vingt-trois en vingt-trois à travers les années.
— Pas du tout ! bredouilla Charles en trifouillant dans son sac à bandoulière. Regarde ce que je te rapporte à l’instant !
Il saisit la première pokéball qu’il y trouva et l’offrit à sa fille. La gamine rayonna de bonheur en libérant le Gobou qui s’y trouvait.
— Hiiiiiii !
Elle poussa un cri d’hystérie si puissant que le Gobou se raidit sur place en se faisant happer dans les bras excités de l’enfant qui le serra tout contre elle.
— C’est le plus beau cadeau de toute ma vie ! Merci papa !
Flora lui déposa un nouveau baiser sur la joue et courut à l’extérieur, dans le parc en aménagement, afin de jouer avec son nouvel ami. Capturé par son assistant neuf ans plus tard, Gobou allait terminer sa vie à cette époque. Il était même fort probable que ce Gobou soit toujours habitant de son parc dans son temps présent, à bien y penser.
— Je me demandais si tu allais rentrer un jour.
Une petite femme replète était sortie de la cuisine, un fouet rempli de chocolat fondu à la main. Gaëlle, son épouse, avec quelques rides de moins. Qu’il se sentait heureux entouré de sa famille ! Cependant, les sourcils froncés sur le visage de son épouse lui indiquèrent qu’il allait subir un sermon. Qu’avait-il bien pu faire pour contrarier son épouse ce jour-là ?
— Je suis débordée par les préparatifs pour le goûter d’anniversaire de
ta fille, dit-elle en appuyant le déterminant possessif afin de lui rappeler qu’il avait aussi son rôle de père à jouer, et tout ce que tu trouves de mieux à faire, c’est de partir observer les Chenipotte ?!
— Je… j’étais… allé chercher le cadeau de Flora.
Gaëlle jeta un coup d’œil à l’extérieur où leur petite fille se roulait dans l’herbe avec son nouveau Gobou.
— Tu lui as ramené un Gobou ?
— Ça fait quelques jours que je l’observe dans la nature, se justifia Charles en pleine improvisation. Il semblait petit, frêle et abandonné. Je me suis dit qu’il serait heureux d’avoir une amie.
— Charles, elle n’a que sept ans !
— Gobou vivra ici, au laboratoire, avec tous les autres pokémons. Et puis, regarde comme elle est heureuse.
Mentionner le bonheur de leur enfant était toujours la carte joker à sortir en cas de pépin. En effet, cela avait fonctionné car les traits du visage de son épouse s’était adoucis.
— On en reparlera, lui promit-elle. Pour l’heure, va te changer. Ils vont arriver d’une minute à l’autre.
Et elle retourna dans la cuisine en claquant la porte. Qui allait arriver ? Il fallait absolument qu’il se souvienne de ce qu’il s’était produit le jour des sept ans de sa fille. Ils avaient fait un goûter en compagnie de… de…
— Zut ! grogna-t-il dans sa barbe.
Charles rejoignit son épouse dans la cuisine et l’enlaça délicatement alors qu’elle versait une préparation de gâteau au chocolat dans un moule.
— J’ai encore un peu de temps, il me semble, lui glissa-t-il tendrement à l’oreille.
— Encore ? Mais tu es infatigable aujourd’hui !
Oups…
— Que veux-tu, quand on aime, on ne compte pas.
Gaëlle pouffa de plaisir et se laissa embrasser.
— Allez, va ranger tes affaires et t’apprêter. J’ai besoin que tu dresses la table. Et ne touche pas au gâteau aux baies dans le frigo, c’est pour le petit de Norman !
— Norman Match ! s’exclama Charles en se frappant le front.
Il venait de se souvenir.
Son épouse lui lança un regard inquiet.
— Oui, Norman Match, ton ami d’enfance. Tu avais oublié que nous les avions invités pour l’anniversaire de Flora et de leur petit ?
— À vrai dire, je viens de m’en souvenir, avoua Charles, et il ajouta pour lui-même : et tu n’as aucune idée de tout ce dont je viens de me souvenir.
Charles se laissa immerger dans ses pensées en préparant la venue de la famille Match. La raison pour laquelle Celebi l’avait transporté en ce jour précis était à présent évidente. Comment avait-il pu oublier tous les évènements tragiques de cette triste période ? Il fallait absolument qu’il quitte son laboratoire, mais comment échapper à la vigilance de son épouse ? Ou aux regards de sa petite Flora qui s’assurait constamment que son papa la regardait jouer avec son nouvel ami ? Pour l’instant, il était coincé chez lui et ne pouvait que subir le cours du temps.
Néanmoins, il ne se souvenait pas avoir accueilli ses amis ce jour-là. Il en était persuadé, son épouse l’avait sermonné pour être rentré tard de ses observations sur la Route 101 et avoir manqué l’arrivée de ses amis kantonnais. Se pouvait-il qu’il eût changé le cours des évènements, finalement ?
Charles s’apprêtait à troquer son tablier de scientifique pour une chemise élégante lorsque la sonnette retentit.
— Les voilà ! Charles, tu sais ouvrir ? appela Gaëlle de l’autre côté de l’habitation.
Trop tard pour les chichis, pensa Charles. En se dirigeant vers la porte d’entrée, son tablier volant derrière lui, il ne put s’empêcher d’appréhender la rencontre avec son ami d’enfance et sa famille. Il hésita un instant avant d’ouvrir. Derrière la porte se trouvait l’actuel champion d’arène d’Azuria, en vacances à Hoenn afin de se soigner de sa dépression, son épouse et ses deux enfants pleins de vie, mais probablement traumatisés par un père autoritaire. Normalement, dans son passé, il ne les avait retrouvés qu’en début de soirée. En tournant la poignée, il actionna le long processus de transformation des évènements. Seul Celebi connaissait à présent les conséquences de ses actions.
Norman Match, Nathalie, la jeune Sarah et le petit Sofian se tenaient sur le pas de la porte, un sourire poli aux lèvres. L’ambiance était électrique au sein de la petite famille, comme s’ils venaient de se disputer.
— Charles, mon ami !
— Norman !
Charles se laissa enlacer avec force par le champion d’arène. Gaëlle les rejoignit en terminant de se fixer de ravissantes boucles d’oreilles et accueillit la famille dans le salon.
— Vous avez fait bon voyage ?
— La traversée de l’océan était rude, mais nous avons survécu.
— Oh oui, les tempêtes maritimes sont courantes en cette saison.
— Oh ! Votre intérieur est vraiment très beau depuis ces travaux !
— Hein oui !
— Nous n’étions plus revenus depuis combien de temps ?
— Oh, au moins tout cela !
Charles se positionna en retrait tandis que les convives s’adonnaient à des discussions banales. N’osant pas trop interférer sur le cours du temps, il préféra jouer un rôle passif dans les conversations, se contentant de s’esclaffer aux bons moments, de servir les verres d’apéritifs ou de ranger les cadeaux d’anniversaire sur une table basse.
— N’est-ce pas Charles ?
— Tout à fait ! répondit-il du tac-au-tac sans savoir à quel sujet l’on attendait son approbation.
— Papa ! Papa ! Je peux montrer à Sofian mon Gobou ?
— Bien sûr, mon ange.
— Viens voir !
Flora et Sofian, tous petits bout-de-choux, coururent entre les jambes des adultes pour disparaître dans le parc.
— Va donc voir ce Gobou avec eux, Sarah, proposa Norman sur un ton qui ne laissait pas place à la discussion.
La pré-adolescente aux longs cheveux roux souffla sans cacher son exaspération, attrapa un maximum de petits-fours dans ses mains, et sortit dans le parc à son tour en trainant des pieds.
— Elle est vraiment insupportable, en ce moment, se plaignit Norman, hors de lui.
— C’est l’adolescence, rassura Gaëlle. Moi-même à son âge, j’enquiquinais mes parents car je voulais absolument un Cacnéa de compagnie, alors que j’étais incapable de faire pousser un simple cactus.
— Il est hors de question qu’elle ait un pokémon avant une bonne dizaine d’année ! rétorqua Norman sans quitter ses enfants des yeux à travers la baie vitrée.
— Sofian vient à peine de terminer sa rééducation, expliqua Nathalie en se réconfortant dans une flûte remplie de mousseux.
Charles se souvenait très bien des circonstances qui avaient conduit le petit Sofian à rester alité à l’hôpital pendant un an. Échappant à la surveillance de sa grande sœur, il s’était baigné dans une des piscines de l’arène de son père et s’était fait électriser par le Pikachu du Major Bob. Depuis ce jour-là, rien n’avait plus été pareil dans la famille Match. Norman se rongeait de l’intérieur en se sentant responsable de l’incident, la jeune Sarah culpabilisait pour avoir manqué à son devoir de surveillance et la pauvre Nathalie tentait désespérément de maintenir un lien familial entre eux.
— C’est le Major Bob qui nous a conseillé de venir nous changer les idées à Hoenn, admit Nathalie.
— Je dois avouer que le climat tempéré de Hoenn me plait bien, ajouta Norman. Je n’en peux plus du ciel gris et du froid polaire de la région de Kanto. Vous êtes bien mieux ici dans le sud !
— Oh, tu sais, y a des avantages et des inconvénients partout, temporisa Gaëlle, inquiète du déroulement de la conversation.
— Je pense de plus en plus à quitter Kanto, révéla Norman en croquant dans un chips, les yeux perdus dans le parc du laboratoire.
— Et tu… abandonnerais ton arène à Azuria ? s’étonna Gaëlle en jetant un coup d’œil à Nathalie.
— J’ai déjà trouvé des volontaires pour la reprendre. J’ai même plusieurs sœurs championnes de Kanto en natation synchronisée qui ont un beau projet.
— Oui, et nous devons toujours discuter de
notre projet, précisa Nathalie de mauvaise humeur.
— Ce n’est qu’une passe, rassura Gaëlle silencieusement pour que seule Nathalie l’entende.
Charles leva les yeux au plafond. Si seulement elle savait tout ce qui allait se produire aujourd’hui et qui scellerait à jamais le destin de la famille Match. Et s’il était capable d’interférer dans le cours du temps et d’empêcher les tragiques évènements de se produire. Certes la famille Match n’était pas au sommet de leur bonheur, mais leur éviter de perdre leur fille pourrait changer la donne complètement ! S’il avait réussi à changer les évènements en étant présent à ce gouter d’anniversaire, il serait capable d’empêcher Sarah d’entrer dans la Team Magma ! Il fallait absolument qu’il tente sa chance. Il n’avait pas réussi à changer le destin de la Team Rocket mais il y arriverait pour Sarah, il en était persuadé ! Ne venait-il justement pas de changer le cours du temps ?
S’éclipsant discrètement du salon, Charles dévala quatre à quatre les escaliers qui menaient à son laboratoire à l’étage inférieur. Il s’arrêta un instant en redécouvrant les lieux complètement différents de son époque. Il ne s’était toujours pas habitué à l’absence des ordinateurs qui enfermaient le système de stockage de pokémons, pas encore inventé par son homologue Annette. Il n’avait toujours pas pris l’habitude de voir son énorme aquarium vide au centre du laboratoire, qui abriterait quelques années plus tard les Relicanth qui échapperaient de peu à la tentative de vol de la Team Rocket.
Fouillant dans son sac à bandoulières, évitant de réveiller Celebi dont l’état semblait se dégrader, il extirpa son Pokénav. Il fallait qu’il retrouve des articles sur les évènements tragiques qui s’étaient déroulés ce jour-là, afin qu’il les empêche. Le réseau était faible, mais les pages des infos se téléchargeaient bel et bien. Cependant, après quelques minutes d’attente, aucune de ses recherches n’aboutirent à des articles relatant les faits du 23 août 2002.
— Évidemment, puisqu’ils n’ont pas encore eu lieu ! en conclut Charles, dépité.
Il allait devoir à nouveau improviser en se basant sur les souvenirs flous qu’il gardait de ces évènements.
— Tu fais quoi ?
Charles sursauta et faillit en perdre son Pokénav. Le petit Sofian était entré par la porte du jardin et le jugeait de ses yeux bruns malicieux.
— Sofian ! Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je m’ennuie. C’est quoi que t’as dans les mains ?
— C’est… un… objet qui me permet de… calculer des choses et… d’en tirer des conclusions pour mes observations scientifiques, improvisa Charles.
Il ne pouvait décemment pas expliquer à un enfant de sept ans une technologie pas encore inventée.
— Ça s’appelle comment ?
— Cela… n’a pas vraiment de nom. Tu devrais retourner jouer avec…
— Ça sert à quoi ça ?
Sofian avait pointé du doigt l’énorme aquarium vide. Charles se mordit la lèvre pour ne pas perdre patience. Il avait oublié à quel point le petit Sofian était insupportable avec toutes ses questions et sa volonté de toujours se trouver là où il ne fallait pas. À bien y penser, il n’avait pas changé.
— C’est un aquarium.
— Y a pas de poissons dans ton aquarium.
— C’est parce qu’ils n’ont pas encore été pêchés.
— Tu vas les pêcher quand ?
— Le 19 avril 2010, répondit précisément Charles, à moitié pour lui fermer son clapet.
Mais le petit Sofian était intarissable de questions.
— Et tu vas pêcher quoi comme pokémons ? demanda-t-il en collant son nez gras contre la paroi de l’aquarium vide.
— Tu sais que tu vas t’attirer pas mal d’ennui avec ta curiosité maladive ?
Il n’avait pas pensé lui dire cela sur le ton de la menace, mais connaissant son avenir, il espéra de tout son cœur que ce conseil porterait ses fruits un jour.
Soupirant, Charles rejoignit Sofian devant son aquarium.
— Je vais y loger des Relicanth.
— C’est quoi des… ?
— Deux secondes, tu veux ! Les Relicanth sont des pokémons qui vivent dans les profondeurs les plus inaccessibles de l’océan. Ce sont à ce jour les pokémons les plus vieux jamais découverts. Je n’ai pas encore réussi à en pêcher car ils sont très difficiles d’accès. Même le sous-marin le plus performant du monde aurait du mal à les atteindre.
— Un jour, je monterai à bord d’un sous-marin !
Charles resta coi. Connaissait-il quelques éléments de son avenir ? Non, ce n’était qu’un enfant bercé de rêves.
— Qui sait, cela t’arrivera peut-être un jour, répondit Charles en ajoutant dans sa barbe : malheureusement pour toi.
— Et ça, c’est quoi ?
Sofian s’était dirigé devant une couveuse dans laquelle était logé un œuf de pokémon. Charles se pétrifia sur place.
— Le Cadeau de la Paix ! s’exclama-t-il, euphorique.
Qui aurait cru que l’œuf de Celebi se trouverait caché à cette époque de l’histoire, dans son propre laboratoire !
Charles se précipita sur la couveuse, bousculant légèrement l’enfant. Il extirpa l’œuf en dehors de la machine et l’examina de plus près. L’œuf était d’un rose pâle uniforme et légèrement craquelé. Non, ça ne pouvait pas être l’œuf de Celebi. D’autant qu’il ne se souvenait pas avoir fait une découverte d’une telle importance par le passé.
— Je peux le voir ?
Sofian n’attendit pas la permission et lui prit l’œuf des mains. C’est alors qu’il se craquela davantage et, dans une lumière blanche intense, en sortit un tout petit pokémon. C’était une sorte de minuscule boule rose pâle.
— Waw ! C’est quoi ça ?!
— Un Toudoudou, expliqua Charles sans être particulièrement impressionné par le pokémon.
— Je peux l’avoir ? Je peux l’avoir ?
Le Toudoudou nouveau-né venait d’ouvrir les yeux et avait croisé le regard ardent du petit Sofian. Généralement, un pokémon sorti d’un œuf associait la première personne qu’il voyait à un parent.
— Oui, évidemment, répondit Charles, impatient de se débarrasser de l’enfant.
— TROP BIEN !! hurla Sofian en bondissant de joie dans la pièce.
Le Toudoudou se blottit contre lui et Sofian courut dans tous les sens, incapable de retenir son enthousiasme.
— Et si tu allais jouer avec ton nouvel ami dans le jardin ? Qui sait, peut-être qu’il va bien s’entendre avec le Gobou de Flora ?
— WOUAAAAAAAAH !!!
Et Sofian fusa hors du laboratoire en trombe et remonta le jardin jusqu’au parc du laboratoire.
Charles se laissa un instant pour récupérer le peu de force qu’il lui restait. Sofian était un adolescent extraordinaire, mais qu’est-ce qu’il avait pu être un enfant turbulent par le passé ! Pas étonnant que Norman fût si désemparé dans son éducation !
Un claquement de porte à l’étage supérieur le sortit de ses rêveries. Il avait perdu un sacré bout de temps à cause du petit Sofian. Il ne pouvait plus se permettre de laisser le temps filer de cette manière.
Une voix s’éleva près de l’entrée de l’escalier, dans le salon.
—
Je suis vraiment désolé du retard… Charles resta figé sur place. Il venait de reconnaître sa propre voix. C’était impossible ! Son double du passé, le véritable Charles Seko du 23 août 2002 se trouvait en ce moment juste au-dessus de l’escalier où lui-même, imposteur dans cette époque, se cachait !
Charles patienta un instant, incapable de savoir que faire.
—
Mais où étais-tu passé ? s’emportait son épouse.
La pauvre ne savait pas qu’elle s’adressait à une autre personne. Pour elle, son mari avait disparu de la réception et était réapparu à travers la porte d’entrée. Quant à lui, enfin quant au Charles Seko de 2002, il pensait qu’il allait subir les sermons de son retard à l’anniversaire de sa fille.
—
Ne me dis pas que tu étais encore avec cet œuf ! Alors que ton ami d’enfance est là avec toute sa famille ! En plus, on va bientôt servir les gâteaux !
— Ce n’est pas grave, intervint la voix de Norman,
Charles est un scientifique. C’est normal qu’il pense tout le temps au travail.
— Norman, quel plaisir de te revoir !
— Charles, tu as encore abusé sur l’alcool !
— Mais… non, enfin ! Je viens juste de…
— Comme je le disais, nous allons visiter Clémenti-ville demain.
— Clémenti-ville ?! s’exclama le Charles Seko du passé.
Vous n’y pensez pas ! Vous n’avez pas regardé les infos ?
— Non, Charles, nous sommes en plein gouter d’anniversaire.
— Que se passe-t-il ? demanda la voix inquiète de Nathalie.
— [i]La ville est sous quarantaine ! Un groupe de terroristes aurait pris Clémenti-ville d’assaut !
Et les voix disparurent au salon tandis que le Charles du passé les emmenait devant le poste de télévision pour leur révéler les dernières nouvelles.
Ça y était, tout s’était mis en place telle une vieille horloge parfaitement réglée. Il avait pensé avoir changé le cours du temps, mais voilà que son double du passé était venu rétablir l’ordre logique des choses. L’attentat de la Team Magma sur Clémenti-ville avait bien eu lieu. Norman irait aider les autorités à repousser les terroristes. La jeune Sarah Match déciderait de s’enrôler dans leurs troupes.
Il n’y avait rien en son pouvoir qui pouvait changer la donne. Le cours du temps le lui avait prouvé à nouveau. Cependant, il ne pouvait pas rester ici. Deux Charles Seko au même endroit était trop risqué.
Il récupéra Celebi dans son sac à bandoulière et tenta de le sortir de son sommeil douloureux.
— Celebi, il est temps de partir, chuchota-t-il pour ne pas attirer l’attention sur lui.
Celebi ouvrit un œil. Mais cette fois-ci, ses antennes ne vibrèrent pas et il se rendormit.
Le Pokémon Fabuleux ne l’avait pas fait voyager dans le temps. Lui restait-il quelque chose à faire à cette époque ? Son œuf se trouvait-il finalement bien en 2002 ? Mais c’était impossible ! Le temps venait de lui prouver à nouveau qu’il était impuissant face à son cours !
À moins que, justement, il devait agir pour respecter le cours du temps. Peut-être que les évènements de l’attentat de Clémenti-ville ne pouvaient se dérouler sans la présence du Charles Seko du futur. Dans tel cas, sa seule manière de retrouver son époque était d’obéir au cours du temps et de se laisser manipuler, tel l’esclave du destin.
Acceptant son sort de pion dans un plan qui le dépassait, il quitta son laboratoire par le jardin et bondit dans sa jeep décapotable. Il se rendrait à Clémenti-ville, si tel était son devoir !
