Rubis & Saphir - The Origins de Feather17

Mont Chimnée
23 décembre 2011, un jour avant la destruction de Vermilava…

Les pokémons sauvages s’écartaient sur leur passage tandis que les troupes couraient à toute vitesse entre les arbres menus du bosquet aride, zigzagant entre les troncs, bondissant par-dessus les racines. Leur proie était à leur merci, il leur suffisait de se rapprocher assez près d’elle et le tour était joué. Un soldat trébucha sur un rocher lisse et termina sa course dans un tas de poussière brune. Pas le temps de se préoccuper de lui, il fallait rattraper la proie !
— Nosferapti, bloque-lui la route !
La chauve-souris se matérialisa dans les airs et étendit ses longues ailes devant la proie. Celle-ci s’immobilisa en lévitation entre les branches nues des arbres. La dizaine d’hommes et femmes rejoignirent les deux pokémons et tendirent le cou afin d’avoir un visuel.
— Non, attends, ordonna le plus massif d’entre eux à l’attention du propriétaire du Nosferapti.
Il se tramait quelque chose d’étrange. Tout autour de leur proie, dans un rayon d’une quinzaine de mètres, quelques brindilles d’herbe apparurent dans le sol infertile et se mirent à pousser à une vitesse vertigineuse. Sur les branches des arbres, des bourgeons apparurent, puis des feuilles, jusqu’à faire renaître la zone du bosquet dans laquelle ils se trouvaient.
— C’est…
— …fabuleux !
— Regardez, dans ses pattes !
Le chef de la troupe s’avança et examina plus attentivement leur proie. La petite boule verte ressemblait à un elfe et lévitait dans les airs grâce à de minuscules ailes quasiment invisibles. Sur son crâne, deux antennes aux extrémités bleutées sondaient ses ennemis, tandis que sur son visage, ses deux grands yeux bleus gardaient un contact visuel avec le pokémon qui le menaçait. Mais ce qui intéressait l’humain qui l’observait depuis le sol, c’était ce qu’il tenait entre ses petites pattes vertes.
— La légende était donc vraie !
— Attrapez-le !
Sous les ordres de son maître, le Nosferapti fusa vers sa proie. C’est alors qu’il rencontra une barrière invisible et s’écrasa dans le vide. Une onde impalpable secoua tous les êtres autour de la petite boule verte et ses ennemis tombèrent à la renverse. La chauve-souris retomba aux pieds de son maître à son tour.
— Ne le laissez pas filer !
Trop tard, l’elfe s’était enfui à toute vitesse dans la montagne torride.
— Rosh, Stephen, prenez chacun deux sbires et traquez-le ! ordonna le chef robuste. Vous deux, venez avec moi !
L’homme se sépara du groupe avec deux de ses sous-fifres en repartant sur leurs pas, tandis que Rosh et Stephen guidèrent les leurs à travers la forêt, reprenant leur course-poursuite derrière l’elfe convoité.
Il était si petit qu’aucun d’entre eux ne s’était douté qu’il eût pu fuser entre les arbres aussi vite. Stephen envoya son propre Nosferapti à la poursuite de l’elfe dans les airs, mais c’était comme si la nature obéissait aux ordres de la créature. Sur son passage, la chauve-souris fut frappée par des branches d’arbres qui s’étaient mis à se mouvoir.
— Attention !
Une horde de Chétiflor était apparue de nulle part et envoyait des lianes entre leurs pieds afin de les déstabiliser. Deux sbires tombèrent dans le piège, mais Rosh et Stephen poursuivirent la course avec leurs soldats restants. Sur leur trajet, ils dévièrent les attaques de nombreux pokémons locaux : des Chamallot tentèrent de les stopper avec leurs puissants jets de flamme, des Machoc s’unirent afin de leur bloquer la route, tandis que des Férosinge canardèrent depuis les branches d’arbres des centaines de graines à leur encontre. Il fallut à la troupe contrattaquer à l’aide de leurs propres pokémons afin de se débarrasser des créatures sauvages hostiles.
Cependant, l’elfe volait toujours aussi vite et commençait à prendre de la distance. Il allait bientôt disparaître au loin, et un échec de leur part leur serait fatal.
— Il faut à tout prix l’attraper avant qu’il ne disparaisse ! urgea Stephen.
— Est-ce qu’on sait où il réapparaitra ? demanda Rosh entre deux respirations saccadées.
— Tu veux dire « quand » ? Écoute-moi bien : on n’a qu’une seule chance. Si on ne l’attrape pas, il ne réapparaîtra jamais !
C’est alors qu’un bruit assourdissant s’éleva depuis le sommet du bosquet qu’ils venaient d’atteindre. La fuite de l’elfe le fit déboucher dans une clairière tandis qu’un gigantesque hélicoptère au symbole de leur organisation apparaissait au-dessus de lui. Le chef de la troupe apparut à la porte de l’hélicoptère et s’adressa à sa proie :
— Tu es cerné ! Il ne sert à rien de t’enfuir, la puissance de la Team Aqua te dépasse !
L’elfe s’arrêta dans sa course et évalua les distances entre lui, l’hélicoptère, la troupe de sbires qui l’avait rejoint et une des issues de la clairière.
— Essaie donc de t’enfuir à nouveau ! menaça le chef en faisant apparaître un Carvanha à ses côtés.
Un jet d’eau puissant s’échappa de la bouche du pokémon aquatique et explosa tout autour de l’elfe en panique.
— Dépose donc ton cadeau et nous te laisserons la vie sauve !
Mais l’elfe ne comptait pas se rendre. Tenant fermement son bien précieux entre ses pattes, il ferma les yeux et ses antennes se mirent à vibrer aussi vite que ses ailes.
— Attention Charlie ! Il prépare une attaque « prescience » !
— Maintenant !!!
Stephen tira de sa poche une pokéball et la lança vers l’elfe. La sphère rebondit sur son crâne et l’aspira d’une lumière rouge, tandis que ce qu’il protégeait chuta vers le sol.
— Faites gaffe de ne pas le toucher avec votre peau !
Rosh se jeta en avant et rattrapa la chose entre une épaisse paire de gants de travail avant qu’elle ne s’écrasât au sol.
— On l’a eu… marmonna-t-il, avant de pousser un cri de victoire.
L’hélicoptère amorça son atterrissage dans la clairière montagneuse tandis que Stephen et ses sbires approchèrent afin d’observer l’objet de plus près. Il s’agissait d’un gros œuf dont la coquille d’un noir pur ne reflétait aucune lumière. Cependant, c’était comme si une lueur intérieure à l’œuf cherchait à s’en extraire.
— Magnifique !
Charlie bondit hors de l’hélicoptère qui n’était plus qu’à un mètre du sol poussiéreux et se précipita auprès de ses subalternes.
— Le Chef va être aux anges ! félicita-t-il.
« CRACK !! »
La pokéball qui contenait l’elfe venait d’exploser et la créature réapparut au centre de la clairière. Ses yeux avaient viré au rouge, comme si sa rage était incontrôlable.
— Empêchez-le d’attaquer !
Un sbire se jeta sur l’elfe qui disparut un dixième de seconde, juste le temps pour le sbire de s’écraser sur l’herbe fraîche, avant de réapparaître exactement au même endroit. Malheureusement pour lui, le Carvanha de Charlie en avait profité pour lancer un jet d’eau puissant qui explosa à sa figure. L’elfe termina sa course contre un tronc d’arbre, avant de s’écrouler au sol. Terrorisé par la perte de son œuf, l’elfe envoya une nouvelle onde magique qui traversa la clairière.
— Tous aux… ! ordonna Charlie.
L’onde magique frappa alors Charlie, Rosh et Stephen. Sous les yeux de tous, les trois individus et leurs pokémons se volatilisèrent.
— Mon Cadeau ! Où est mon Cadeau ?!
L’hélicoptère venait de se poser et Arthur Aqua s’en était extrait, sa cape noire volant derrière lui. Il scruta la clairière de ses yeux bleu foncé mais ne restaient plus que ses troupes désemparées face à la disparition soudaine de leurs supérieurs.
— Où sont mes hommes ?! Où est mon Cadeau ?! Où est le protecteur ?!
Arthur Aqua secoua son pilote, fou de rage.
— QU’ON ME RETROUVE MA VIE ETERNELLE !!

Le hurlement de colère résonna à des centaines de mètres alentours. Quelque part dans le ciel, l’elfe avait réuni le peu d’énergie qu’il lui restait pour s’envoler loin de la montagne. À bout de force, il s’écrasa au creux d’une forêt de sapins. Alors qu’il fermait les yeux, tous les sapins alentours perdirent leurs épines et se desséchèrent. La vie disparut autour de la petite boule verte qui s’immobilisa dans le froid glacial.


Bois Clémenti
— Chuut !
— J’ai cru entendre quelque chose.
— Silence !
Le scientifique se releva légèrement de derrière les fourrés et chercha le pokémon du regard. Il venait de retrouver sa trace et indiqua d’un signe de tête sa position à son assistant. L’adolescent qui l’accompagnait s’accroupit derrière un tronc d’arbre et chercha dans la direction pointée par son professeur. Il était là : debout sur un petit rocher mousseux, un magnifique Arcko se désaltérait dans un petit ruisseau.
— À toi de jouer ! chuchota le professeur.
L’adolescent sortit de son sac à bandoulières une pokéball et fit apparaître un Gobou derrière l’Arcko sauvage.
— Mauvaise pioche, soupira le professeur pour lui-même.
— Ayez un peu confiance en moi, se plaignit le jeune assistant avec discrétion.
Il donna ensuite ses instructions au Gobou qui s’approcha discrètement de l’Arcko sauvage. Sans crier gare, le Gobou rugit férocement et son adversaire sursauta de peur. Il termina sa course dans le ruisseau en se cognant le crâne sur son rocher. Sans attendre, l’adolescent sortit de sa cachette et envoya une pokéball qui se renferma sur l’Arcko. La sphère émit instantanément un bruit sourd qui annonça la capture du pokémon.
— Alors ? Épaté ?
— Ce n’est pas parce que tu as eu de la chance sur ce coup, Dan, que c’était une stratégie efficace, commenta le professeur. En tant qu’assistant, tu devrais écouter mes conseils plus souvent. Alors, au risque de me répéter, peux-tu répondre à cette question simple : quel type est plus efficace contre un pokémon de type plante ?
— Le type feu, mais…
— Donc, à quel pokémon aurais-tu dû faire appel pour attaquer cet Arcko ?
— Poussifeu, mais…
— Exactement ! C’est la base de l’élevage : connaître les avantages et les faiblesses des types.
— En attendant, ma technique était efficace, reconnaissez-le. Et puis, je me suis dit que ce pauvre Poussifeu venait juste d’être attrapé et qu’il fallait qu’il se repose un peu. Ce n’est pas être un bon éleveur que d’avoir ce genre de réflexion ?
Son professeur l’examina du regard un instant, préférant par fierté ne pas lui donner raison. Malheureusement, son élève était si brillant qu’il avait bien compris qu’il venait de marquer un point.
Le scientifique rattacha sa blouse blanche et récupéra la pokéball d’Arcko.
— Avec cette capture, j’ai enfin les trois pokémons starters qui permettront à de nouveaux dresseurs de partir en voyage dès la fin des vacances d’hiver, annonça-t-il. Ne me reste plus qu’à lever une bourse pour les sponsoriser et…
— Professeur Seko, regardez !
Alerté par la surprise sur le visage de Dan, le professeur se tourna vers l’endroit que son assistant lui montrait du doigt. Au centre de la forêt de sapin derrière le ruisseau, un cercle d’un diamètre imposant laissait apparaître une partie de la nature qui avait été dévastée.
— Garde ce Gobou en alerte.
Inquiet, le Professeur Seko pénétra dans la forêt, suivi de son assistant et du pokémon aquatique, et avança prudemment, gardant bien près de lui sa sacoche contenant ses deux pokémons fraichement capturés.
Au centre des arbres morts, une petite boule verte gisait sur le sol enneigé sous un tas d’épines sèches.
— On dirait que ces arbres viennent de mourir d’un coup, analysa le scientifique.
— Vous croyez que c’est lié à ce pokémon ? s’inquiéta Dan.
Le Professeur Seko s’accroupit auprès de la petite boule verte et, précautionneusement, la fit rouler sur le dos.
— Qu’est-ce que c’est que ce pokémon ? C’est un pokémon de type plante ? Vous savez ce qu’il lui est arrivé ? Je n’ai jamais vu un tel pokémon de ma vie !
— Moi non plus… marmonna le Professeur Seko, intrigué. Quoi qu’il lui soit arrivé, nous ferions mieux de quitter cet endroit. J’ai un mauvais pressentiment.


Clémenti-ville
Le moniteur afficha un nombre très bas de pulsations par minutes. Il n’y connaissait pas grand-chose en médecine pokémon, mais il savait reconnaître les informations négatives lorsqu’il s’agissait de la vie d’un pokémon. La mine anxieuse de l’infirmière Joëlle lorsqu’elle l’avait accompagné à sa chambre ne l’avait pas rassuré.
Le pokémon inconnu était couché dans un lit trois fois trop grand pour lui. Toujours inconscient, il était relié à une batterie de machines qui semblaient le maintenir en vie. Selon les aveux de l’infirmière Joëlle, ne connaissant pas la nature de ce pokémon, elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour lui sauver la vie, mais son pronostic vital semblait être enclenché.
Seul dans la chambre, le Professeur Seko en profita pour examiner de plus près le pokémon inconnu. Le petit elfe ne ressemblait à rien de ce qu’il avait enregistré dans son encyclopédie numérique. Pourvu de petites antennes aux extrémités bleues et de petites ailes fragiles, l’elfe paraissait avoir mené le combat de sa vie. Comment allait-il lui venir en aide s’il n’était même pas au fait de son existence ?
Il lui vint alors une idée. Le scientifique sortit son Pokénav de sa besace et composa précipitamment un numéro. Le visage d’une jeune femme aux cheveux noirs lui adressa un sourire poli, mais embêté.
— Bonjour Professeur Seko, lui dit-elle sur un ton solennelle, j’ai décroché parce que c’est vous et que j’imagine que c’est une urgence, mais je suis actuellement en réunion avec deux de mes élèves.
— Je suis désolé de te déranger, Roxanne, mais en effet, il s’agit d’une urgence.
— Dites-moi.
Baissant la voix afin de ne pas tirer la créature de son sommeil, le scientifique raconta sa découverte en quelques mots.
— J’ai tout de suite pensé à toi. Ta proximité avec le Bois Clémenti doit t’avoir apporté des connaissances que je n’ai pas.
— Faites voir de quel pokémon il s’agit.
— Je t’envoie une photo tout de suite.
Le professeur s’exécuta et la championne d’arène se tut un instant.
— Bon, eh bien les enfants, mettons tout de suite en pratique ce que je viens de vous expliquer, dit-elle enfin. Hélène, Charles, avez-vous déjà vu ce pokémon ?
À l’écran s’affichèrent les visages de ses deux élèves, comme s’ils examinaient à leur tour l’image qui se trouvait sur leur propre écran.
— Je crois que j’ai déjà croisé sa photo dans un bouquin de la bibliothèque, affirma Hélène. C’était un livre sur les Pokémons Fabuleux.
— Tu as la référence ?
De son côté, Roxanne pianota sur un clavier et le Professeur Seko attendit patiemment que leur conversation aboutisse à une réponse satisfaisante.
— Apparemment, il s’agirait d’un Celebi, annonça la championne de Mérouville. C’est un Pokémon Fabuleux originaire de Johto.
— Un Pokémon Fabuleux ? répéta le Professeur Seko qui ne retrouva pas dans ses souvenirs de jeune universitaire la définition du terme.
— Charles ?
— Le terme « Pokémon Fabuleux » a été inventé par le Professeur Orme dans le cadre de ses recherches sur les pokémons légendaires, récita l’élève. Les Pokémons Fabuleux sont une sous-classe des légendaires car ils sont uniques et immortels. En revanche, ils se distinguent des pokémons légendaires par le fait qu’ils n’ont pas de pouvoir particulièrement développé ou dangereux, qu’ils se laissent volontiers approcher par les êtres humains et qu’ils ont un comportement souvent associé à la protection d’autres êtres vivants.
— Qu’est-ce qu’un Pokémon Fabuleux originaire de Johto ferait à Hoenn ? s’étonna le Professeur Seko.
— D’après ce que je lis, on raconte que Celebi viendrait du futur en temps de paix et qu’il déposerait un œuf dans une forêt comme un signe d’un futur bienveillant, poursuivit Roxanne. Bon, après, j’ai tout un tas d’interprétations de légendes. Vous connaissant, je suppose que ça ne vous intéresse pas.
— Vas-y toujours.
— D’après les théories les plus terre-à-terre, Celebi s’occuperait d’œufs de pokémon abandonnés. J’ai aussi l’analyse un peu tirée par les cheveux d’un conte qui partirait plutôt sur une interprétation littérale de l’œuf qui serait appelé « le Cadeau de la Paix ». Celebi dépose son cadeau qui contient une forme d’énergie capable de procurer la paix, la fortune — plutôt dans le sens « chance » — et la vie éternelle à celui qui le reçoit.
— Mouais…
— Ah, j’avais prévenu ! Moi, je n’y connais pas grand-chose en Pokémon Fabuleux
— Le soucis, c’est que moi non plus.
— Il faudrait voir avec le Professeur Orme qui a beaucoup étudié dans ce domaine. Je peux demander à mon frère pour qu’il demande au Professeur Chen pour qu’il demande au Professeur Orme de…
— Non, écoute, ça ira pour l’instant, interrompit le Professeur Seko. Merci pour ces infos.
— Avec plaisir. Prévenez-moi si vous avez du nouveau.
Et la championne d’arène coupa court à la conversation.
Le Professeur Seko se gratta le crâne avec insistance. Si la présence d’un pokémon légendaire originaire d’un continent éloigné l’étonnait, c’était plutôt les informations qu’il venait de recevoir qui l’intriguaient le plus. Il avait beau se creuser les méninges, il n’avait pas souvenir d’avoir retrouvé un œuf auprès du pokémon légendaire, dans le Bois Clémenti. Se pouvait-il qu’il se le soit fait voler ? Et si le combat qu’il avait mené, et qui l’avait laissé dans cet état déplorable, avait été provoqué par des assaillants qui en avaient voulu après son œuf ? Certaines personnes étaient-elles prêtes à croire des légendes à ce point ?
Non, c’était impossible. Celebi n’apportait ni la paix, ni la fortune, ni la vie éternelle. Car de telles choses n’existaient pas. Il fallait garder les pieds sur terre et avoir une approche scientifique de la question. Celebi se serait fait attaquer par des pokémons sauvages agressifs — des Mangriff peut-être ? — et aurait perdu l’œuf abandonné dont il s’était nommé protecteur. Voilà tout. Il s’agissait à présent de mener quelques recherches pour comprendre comment soigner un pokémon aussi rare.
Le scientifique se leva sans un bruit et préféra laisser Celebi se reposer.

Lorsque le Professeur Seko retourna au chevet du Pokémon Fabuleux, il fut dépité de constater que son état ne s’était pas amélioré. Pire, d’après l’infirmière Joëlle qui s’en était occupé toute la journée, il n’avait fait qu’empirer.
— C’est comme s’il se laissait dépérir, déplora-t-elle. J’ai déjà du mal à savoir quels soins lui apporter, mais s’il refuse lui-même à aller mieux, je crains ne plus avoir beaucoup de pouvoir quant à sa guérison.
Le Professeur Seko laissa retomber sa sacoche par dépit. Il s’approcha de Celebi et observa ses traits. Il reconnut alors certaines caractéristiques physiques qu’il avait étudiées dans des revues scientifiques au cours de la journée. D’après les apports de son homologue à Johto dans les études des Pokémons Fabuleux, ces-derniers n’existaient que pour une seule raison : mener à bien leur mission de protection. Si les écrits et les recherches s’avéraient fondés, séparé de son œuf, Celebi devait avoir décidé de se laisser dépérir. Quelles seraient les conséquences d’une telle disparition ? Jamais dans l’histoire de l’humanité l’on avait fait face à la disparition d’un pokémon légendaire.
On toqua à la porte. Le Professeur Seko se releva en accueillant dans l’entrebâillement de la porte un homme de la quarantaine et un vieillard affublé d’un élégant chapeau melon.
— C’est à quel sujet ?
— Alors, c’est vrai.
Le vieil homme avança d’un pas délicat sans lâcher du regard Celebi dans son lit. Embarrassé par son attitude, son comparse se dirigea vers le Professeur Seko en lui tendant une main chaleureuse.
— Rowan Aguieri, porte-parole de l’Entreprise Devon, se présenta-t-il. Veuillez excuser cette intrusion, mais dès que nous avons appris la nouvelle, Monsieur Rochard a insisté pour que nous venions à sa rencontre.
— Monsieur Rochard ? s’étonna le Professeur Seko.
Intimidé par la présence d’un des plus grands patrons de la région, il s’épousseta la main contre son tablier par réflexe et se précipita vers le vieil homme pour le saluer.
— C’est un honneur de vous rencontrer, dit-il en lui serrant une main fébrile. Je n’ai jamais eu l’occasion de vous remercier en personne pour l’aide financière que votre entreprise apporte à la bourse des voyages initiatiques de mes jeunes…
— Oui, oui, merci, répondit vaguement Monsieur Rochard.
Sans se soucier de la présence des deux autres hommes ni de l’infirmière Joëlle occupée à relever les constantes de Celebi, le patron de l’Entreprise Devon se dirigea au chevet du pokémon.
— Alors, c’est à cela que ressemble un Pokémon Fabuleux, dit-il d’une voix émerveillée. On pourrait croire qu’après autant d’années à parcourir le monde et à bâtir une puissance économique et financière, un vieil homme tel que moi aurait tout vu, tout acheté. Et pourtant aujourd’hui, après près de quatre-vingt ans d’une vie privilégiée, je me retrouve face à une beauté de l’existence qui me laisse béat, à l’instar d’un enfant découvrant le monde.
Monsieur Rochard approcha une main de Celebi, mais l’infirmière Joëlle lui barra la route, l’empêchant de toucher le Pokémon Fabuleux.
— Sans vouloir vous vexer, Monsieur, il serait préférable que vous reculiez de ce lit, préconisa-t-elle d’un ton sec. Celebi est un patient dont l’état se dégrade et j’aimerais que ce ne soit pas de notre responsabilité.
— Monsieur Rochard… appela son employé.
D’un regard très expressif, Rowan Aguieri lui fit comprendre qu’il valait mieux rester en retrait.
— Oui, évidemment, répondit Monsieur Rochard en ajoutant un sourire poli.
Il se tourna vers le Professeur Seko, comme s’il venait enfin de l’apercevoir, et jeta un coup d’œil discret à son sac de travail. Comprenant la manœuvre, le scientifique posa sa main sur son sac et engagea la discussion :
— Comment avez-vous appris l’apparition de ce Pokémon Fabuleux ?
— Oh ! vous savez, les hommes puissants ont les moyens de récolter les informations intéressantes, répondit simplement le patron d’entreprise. Le plus étonnant dans votre trouvaille, outre le fait qu’il s’agisse d’un Pokémon Fabuleux, c’est que vous n’avez pas fait mention de son œuf légendaire. N’était-il pas accompagné de son habituel objet ?
— Je vois.
Le Professeur Seko se racla la gorge, cherchant les mots les plus élégants pour exprimer son mépris.
— Premièrement, il s’agit d’une rencontre.
— Comment dites-vous ?
— Vous avez parlé de « trouvaille ». Lorsque je croise des pokémons dans la nature, j’appelle cela des « rencontres ». Ce sont des êtres vivants.
— Oui, évidemment, répondit le vieil homme en lui accordant un de ses fameux sourires polis.
— Ensuite, vous serez surpris d’apprendre qu’il n’y avait pas d’œuf à l’endroit où je l’ai rencontré…
Monsieur Rochard posa à nouveau un œil avide sur le sac à bandoulières posé sur le lit.
— …et que même si, pour une raison qui m’échappe, je le cachais dans ma sacoche, il s’agirait d’une information qui ne vous est pas destinée.
— Bien entendu.
Visiblement déçu, Monsieur Rochard adressa un signe de la tête à son employé et ce-dernier lui apporta un Pokénav.
— Voyez-vous un inconvénient à ce que je le prenne en photo ? Ce n’est pas tous les jours que je croise un pokémon légendaire.
Le Professeur Seko se déplaça devant le lit afin d’empêcher le vieil homme à mener son geste à terme.
— Il s’agit d’un pokémon, pas d’une bête de cirque. Celebi est fatigué, vous devriez le laisser se reposer.
Monsieur Rochard évalua un long moment le visage déterminé de son opposant. Enfin, il adressa à nouveau un sourire poli et baissa son Pokénav.
— Oui, évidemment.
Il rendit son Pokénav à son employé et se dirigea vers la porte de sortie. Déconfit, Rowan Aguieri suivi son patron qui s’immobilisa sur le pas de la porte.
— Si vous avez la supériorité intellectuelle et le statut respectable qui vous permettent de me tenir tête, ajouta-t-il sans un regard au Professeur Seko, vous vous trouverez bien en peine de vous comporter de la sorte avec mon fils lorsqu’il aura à mener son enquête. Après tout, il y a bien un Rochard dans cette région qui ait les pleins pouvoirs.
Le vieil homme jeta un dernier coup d’œil à Celebi, salua respectueusement l’infirmière Joëlle, et quitta la chambre avec son employé.
L’infirmière adressa un regard inquiet au scientifique qui se laissa tomber sur une chaise. Il n’avait pas vu venir ce coup-là, et il se sentit très bête. Évidemment qu’une découverte de la sorte allait attirer les convoitises de toutes les personnes qui croyaient en ces ridicules légendes. Un pokémon qui apportait la vie éternelle représentait un trésor à s’accaparer pour un homme aussi riche que le patron de l’Entreprise Devon. Une effroyable conclusion s’écrasa sur les épaules du Professeur Seko : Celebi était en danger. Si Monsieur Rochard désirait l’obtenir, ce n’était pas son statut de scientifique renommé qui empêcherait la masse colossale d’argent que le vieil homme détenait de s’approprier Celebi. Et que dire des personnes plus malveillantes ? N’y avait-il pas à Hoenn deux organisations terroristes qui menaçaient la stabilité de la paix dans la région en prenant de plus en plus de pouvoir ? S’ils mettaient la main sur Celebi, s’en était fini de Hoenn !
— Professeur Seko, où allez-vous ?
Le scientifique s’était levé d’un coup et s’était précipité sur la sortie.
— Il faut absolument que je fasse monter une garde pour protéger ce pokémon. Pendant mon absence, veillez à ne jamais laisser Celebi sans surveillance !
Et le Professeur Seko quitta la chambre.


Le soir était tombé et la garde était prête. Jamais le Professeur Seko n’avait été si fier de son travail. En tant que scientifique ayant passé l’intégralité de sa vie professionnelle et privée à s’occuper du bien-être des pokémons, il ressentait un certain réconfort à constater l’efficacité de son plan. Les autorités avaient été très réactives, comme toujours lorsqu’il sollicitait leurs services — merci à sa notoriété. L’agent Jenny de Clémenti-ville avait tout de suite organisé une ronde dans les couloirs du centre pokémon, et avait placé deux de ses agents à la porte de la chambre de Celebi. Quant à l’accès par la fenêtre, non seulement un fourbi de la police avait été posté au bout de la ruelle, mais en plus deux autres agents surveillaient en permanence la fenêtre qui donnait sur le premier étage. Personne ne pouvait entrer dans la chambre de Celebi sans être arrêté sur le champ. Non, tout était parfait. Si Celebi devait disparaître, ce serait au sein même de cette chambre que l’ennemi devait apparaître.
Lorsqu’elle eût appris l’existence d’une menace sur Celebi, la championne Roxanne s’était précipitée de toute urgence auprès du Professeur Seko. Avec son assistant Dan, les trois gardiens du Pokémon Fabuleux s’épuisèrent toute la journée à trouver des informations complémentaires quant à sa présence à Hoenn.
— Et s’il s’agissait d’un mauvais présage ? proposa la championne en feuilletant un gros livre.
— Comment ça ?
— Il est dit ici que Celebi vient déposer un œuf du futur pour annoncer que ce futur est agréable, expliqua-t-elle. Cependant, on est bien d’accord qu’il n’avait pas d’œuf ?
Dan acquiesça.
— Et si cela voulait dire qu’il venait nous annoncer que le futur n’était pas agréable ?
— Avait-il vraiment besoin de venir nous prévenir ? ironisa Dan. Entre les Team Magma et Aqua, le réchauffement climatique et la pauvreté, on n’a pas vraiment besoin d’un Pokémon Fabuleux pour nous prévenir que ça va mal se passer pour nous.
— Peut-être qu’on ne se rend pas compte d’à quel point le futur va être horrible, et qu’il est venu nous prévenir ? Peut-être qu’il va se passer quelque chose d’horrible dans les années à venir, ou les jours à venir, ou même les heures à venir.
— Tu veux dire, quelque chose comme une tornade ?
Le Professeur Seko s’était levé avec horreur et avait augmenté précipitamment le volume de la télévision. Les images de Vermilava apparurent à l’écran avec une journaliste filmée devant un ciel ténébreux.
— …météorologistes de Cimetronelle sont formels, les vents aux alentours du Mont Chimnée ont dépassé la barre fatidique des cents kilomètres par heure, ce qui indique qu’une tempête dévastatrice est sur le point de descendre sur Vermilava. Je le rappelle, nous avons vu plus tôt dans la journée une étrange colonne d’énergie ainsi qu’un Absol roder dans les alentours de la chaîne de montagne, ce qui n’est pas de bon augure comme le dit la tradition. Les scientifiques du centre météorologiste ne sont pas tout à fait d’accord quant à la force de la tempête, mais certains parlent même de tornade. Ce qui est, en revanche, très clair, c’est la source d’énergie électromagnétique anormale qui a été calculée ce midi et qui n’a fait que s’amplifier au cours de la journée, ce qui pourrait être l’origine de cette tempête. La mairesse et championne de la ville, Adriane Flayme,…
— C’est pas vrai !
— Ma fille !
— Quoi votre fille ?
— Flora est à Vermilava en ce moment ! Elle a participé au concours de coordination récemment.
— C’était la semaine passée, vous êtes certain qu’elle y est toujours ? s’inquiéta Dan.
Désemparé, le Professeur Seko fouilla dans sa sacoche à la recherche de son Pokénav.
— Il faut que j’y aille, il faut que je…
— Attendez, calmez-vous ! l’arrêta Roxanne en le prenant par les épaules. Les autorités sont alertées, les scientifiques du centre météorologiques sont sur le coup. Si tempête il va y avoir, ils ont largement le temps d’évacuer Vermilava qui est un tout petit village.
— Et si c’était ça ?
— De quoi ?
— Ce dont Celebi voudrait nous prévenir ? Et si c’était cette tornade ?
Roxanne réfléchit à la question.
— Non.
Le Professeur Seko avait répondu avec certitude. C’était clair, tout était logique.
— Que dit ton livre par rapport à l’œuf.
— L’œuf de Celebi ? Eh bien, je vous ai dit, il apporterait la paix, la fortune et…
— Non, mais que dit ton livre dans le cas où Celebi se retrouve séparé de son œuf ?
— Rien, puisqu’il n’est jamais apparu sans son œuf. C’est sa mission. Et un Pokémon Fabuleux…
— …n’existe que pour accomplir sa mission, termina Dan, comme si la vérité venait de lui être révélé. C’est cela ! Celebi a perdu son œuf ! Et depuis, il se laisse dépérir. Un Pokémon Fabuleux n’existe que pour accomplir sa mission ! S’il ne peut pas l’accomplir, il disparait !
— Celebi n’apporte pas la paix, la fortune et la vie éternelle. Ou plutôt si, mais de manière métaphorique. Celebi est le gardien de la paix, de la fortune et de la vie éternelle. La vie, dans le sens le plus général de sa définition. La Vie, avec un grand « V ». Si Celebi n’apporte pas son œuf, la vie disparait.
— La vie… disparait ? Comment c’est possible ?
Le Professeur Seko ramena son attention à la télévision qui filmait toujours la tempête en formation aux alentours de Vermilava. Sans son œuf, Celebi ne pouvait plus protéger la vie sur terre. Cette tornade était les prémices de la destruction de tout ce qu’ils connaissaient. Le Professeur Seko en était convaincu : il fallait absolument aider Celebi à récupérer son œuf. Il en valait de la survie de tous les êtres vivants !
— Celebi, je vais t’aider à retrouver ton œuf ! annonça le Professeur Seko en jetant son sac à bandoulières sur son épaule.
— Professeur, c’est de la folie, alerta Roxanne.
— Je sais que ta mission est de préserver l’équilibre de la vie sur terre, poursuivit le professeur sans se soucier des autres personnes dans la pièce.
— Tout ceci ne part que des raisonnements de la pensée basés sur des théories, des présuppositions, des analyses de contes et des légendes orales !
— Je sais qu’il te faut à tout prix retrouver cet œuf pour pouvoir continuer ta mission. Celebi, laisse-moi t’aider !
— Professeur, vous êtes en état de stress et vous fabulez !
C’est alors que Celebi ouvrit les yeux brusquement. Il croisa le regard du Professeur Seko qui se sentit sondé, comme si Celebi avait le pouvoir d’examiner chaque détail de son être, son enveloppe corporelle comme sa conscience.
— Professeur ?
Celebi leva alors une patte et toucha la main du Professeur Seko. Ses antennes vibrèrent à toute vitesse et un éclat de lumière aveuglant les enveloppa.
Lorsque la lumière s’estompa, Roxanne poussa un cri de surprise qui alerta les gardes à l’extérieur. L’agent Jenny et l’infirmière Joëlle entrèrent avec précipitation dans la chambre.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Où est Celebi ?
— Et le Professeur Seko ?!
Dan et Roxanne ne quittèrent pas des yeux le lit vide et l’endroit où le Professeur Seko s’était évaporé.