CHAPITRE 8 : Détonation
« Bon, Kenta, arrête de me faire la morale, j'ai bien compris que j'ai merdé ! En plus, le commandant va surement me passer un savon, pas besoin que t'en rajoutes ! Mais bon tu sais, les pokemon du Grand Marais, ce sont mes préférés ! Surtout ce Cradopaud là, tu vois ? Il n'est pas très docile mais il finira par s'y faire. Tu deviendras un joli Coatox, comme celui de mon commandant ! »
A l'arrière de ma tête, la douleur se lançait à intervalles réguliers, tel un battement. Je repris connaissance difficilement, pouvant uniquement entendre la voix de Hiro raisonnant dans la pièce où j'étais écroulée. La fouille du laboratoire avait fait baisser ma garde. Pourquoi n'avais-je pas été assez prudente ? Pourtant, je savais que j'étais en terrain ennemi, dans la cabane isolée d'un psychopathe en pleine nuit.
La vue d'une bombe. La voilà la raison. Même si mon déménagement à Unionpolis avait atténué le choc mental de la tragédie du Grand Marais, le bruit de cette détonation là, jamais je ne pourrais l'oublier. Quand elle surgissait dans mon esprit, tout le tremblement de l'explosion parcourrait horriblement mon corps, comme si j'y étais encore, plantée dans le jardin de Keiko.
Ce traumatisme causé par la présence de bombes dans le laboratoire avait du me porter défaut. Sans m'en rendre compte, j'avais du perdre ma discrétion ultime et mon calme nécessaire. Il en avait donc profité par m'assommer par derrière, esquivant toute confrontation. Lâche jusqu'au bout celui-là. Cette erreur me terrorisa, je ne voulais pas mourir ici, et surtout pas sans avoir libéré Cradopaud de ce fou. Sans m'être repentie. J'aurais trop honte de revoir Takeshi maintenant, avoir bafoué son héritage fut la plus grande de mes fautes.
« Commandant Saturne, je suis vraiment désolé ... Que pourrai-je faire pour me faire pardonner ? » s'excusa Hiro d'une voix gênée, limite effrayée, certainement en communication par téléphone. Moi, je savais ce qu'il fallait faire pour me faire pardonner ...
Ma vue était obstruée par un bandeau sombre, serré fermement autour de mes yeux, amplifiant ma douleur crânienne. Le contact du plancher vétuste n'était pas non plus agréable. Il craquait lors de mouvements moyens, comme si j'avais vraiment besoin d'un malus supplémentaire dans mon état. Des liens retenaient également mes mains derrière mon dos, ainsi que mes chevilles.
Pendant que Hiro parlait, je saisissais ces occasions pour tenter de me libérer, à commencer par mes mains. Je les frottais, les tournais, les écartais. Mes poignets s'usaient par la solide corde qui les étreignait. Visiblement, je n'étais pas surveillée par un complice ou un de ses pokemon, auquel cas il aurait agit face à mon intention de rompre mes liens. Malgré la peur, je ne pouvais que tenter de tout faire pour me sortir de là.
« Ravi que vous soyez satisfait par mon rapport, commandant ! Vous avez vu les résultats obtenus au Grand Marais, avec seulement une seule bombe ? C'était un prototype en plus ! Là j'ai enfin fini d'en fabriquer une vingtaine, comme convenu. »
Suite aux paroles fracassantes de Hiro, je m'arrêtai un instant, du temps de réaliser ce qu'il venait de dire. Cet air de flatterie fit naître une haine en moi. Jamais mon corps n'avait emmagasiné une telle force négative. C'était lui. Le commanditaire de l'attentat de Verchamps. L'assassin de mon frère. Le monstre qui avait brisé ma vie. En plus de cela, j'avais échangé mon Cradopaud avec cette ordure par hasard.
« Le monde est petit » qu'on disait. Petit, je n'en savais trop rien. Il était simplement cruel, impartial, ne prenant pas compte des souffrances humaines. « Le hasard fait bien les choses » qu'on répétait. La preuve que non ! L'homme qui m'avait enlevé mon frère possédait Cradopaud. Le pire dans cette histoire, c'était le fait que j'avais accepté de mon plein gré cet échange avec ce meurtrier. Et puis lui aussi, il avait l'air de sincèrement s'intéresser à la faune du Grand Marais qu'il avait fièrement détruit. Difficile d'être plus instable mentalement que ce sbire Galaxie.
Cette colère soudaine couvrit ma peur. Je me débattais violemment dans tous les sens pour me détacher. Il n'était plus question de fuir avec Cradopaud, il fallait le faire payer. L'idée de vengeance n'avait jamais été proéminente dans ma façon de penser, mais là, il n'y avait plus de règle. L'assassin de Takeshi se trouvait là, à quelques mètres de moi. Il n'était pas question de le tuer, la mort serait trop facile pour lui. Il devait souffrir ! Ma lucidité ne s'était pas totalement noyée dans la haine, le voir croupir en prison jusqu'à la fin de ses jours suffirait à m'apaiser un peu, et surtout sur le long terme, contrairement à sa mort.
« Les Nosféralto livreurs que vous m'avez envoyés viennent de partir avec la grande quantité d'explosifs, préparée par mes soins ! Ces bombes vont faire un carnage dans le Lac Courage, vous verrez, commandant ! Les scientifiques qui ont travaillé avec moi prévoient même un tremblement de terre magistral ! Ce sera un spectacle grandiose, j'ai trop hâte. L'assèchement du lac enclenchera le plan "chaîne rouge". Nous serons bientôt débarrassés des ordures qui peuplent le monde, eheheh. » s'exclama Hiro avec passion. Le Grand Marais n'était qu'un test dans leur projet diabolique, je ne pouvais pas non plus laisser faire ça !
La team Galaxie était présente un peu partout dans Sinnoh. Cette organisation aux activités plus que douteuses logeaient dans de grands bâtiments, dont l'un à Voilaroc, aux yeux de tous. Mais que fabriquait la police ? Et les FPI ? Cette secte fait même de la publicité à la télévision. Là où elle n'avait pas frappé, les gens ne se préoccupaient pas du danger qu'elle représentait. Avec les enquêtes complémentaires menées au Grand Marais, les FPI n'en avaient pas assez pour tous les arrêter. Et niveau effectif, elles n'étaient pas gâtées non plus. La team Galaxie contenait un ramassis de cas sociaux et de criminels. Le comble était qu'il prônait une purification de l'humanité ...
Des petits craquements de planches me permirent de détecter une présence en approche. J'étais prête à réagir au quart de tour pour me défendre et frapper comme je pouvais. Cependant, je sentis un toucher familier. Il s'agissait de Vortente. En effet, avant d'entrer dans la bâtisse, je l'avais laissé dehors. Il savait qu'il devait intervenir si je mettais trop de temps à revenir. Son odorat et sa maîtrise du "doux parfum" se montraient très utiles pour des missions de pistage, et aussi pour attirer des pokemon à un endroit donné.
La plante carnivore enleva le bandeau qui m'aveuglait, et trancha d'un coup sec les liens qui m'immobilisaient. Je me trouvais donc dans une grande pièce sombre à l'étage, remplie de cartons et de pièces métalliques similaires à celles du laboratoire. Vortente était passé par la fenêtre cassée, j'avais tellement sous-estimé son intelligence. Face à moi, de la lumière s'échappait d'en-dessous une grande porte qui me séparait de Hiro. Il était donc là derrière. A mon tour de l'attaquer par surprise.
Il avait laissé bêtement mon sac près de moi. Cependant, seules des baies y étaient rangées, il avait bien de la chance, lui ! Je cherchais dans ce dépotoir de quoi me défendre au corps à corps. Je mis la main sur une longue barre métallique, bien maniable et à portée variable. Ma plante carnivore était aux aguets. La porte devait certainement être fermée à clé, quoi que, avec ce bougre, je n'étais sure de rien. Dans tous les cas, je comptais bien la défoncer pour le surprendre. Le mélange de colère, de haine, de peur et de précipitation m'embrouilla. Je restais plantée devant la porte un bref instant, tentant de reprendre mon calme, écoutant la conversation du sbire Galaxie.
« Comme j'ai expliqué plus tôt à mon collègue, j'ai eu un léger soucis. Une jeune fille a fouiné dans mon trafic de pokemon sur les sites d'échanges. Elle a réussi à retrouver ma trace par je ne sais quel moyen et elle a fouillé mon labo. Que dois-je faire d'elle, commandant Saturne ? » demanda Hiro à son interlocuteur. C'était de moi qu'il était sujet, je déglutis et la peur reprit le dessus sur la colère.
« Bien ! Je me chargerai d'éliminer ce trouble fait ! Je finis de détruire tous les documents reliés à la team Galaxie et je m'occupe d'elle. Je vous recontacterai après avoir fait le ménage ici, commandant ! Comptez sur moi ! » répondit le sbire avec conviction. Au fond, je savais que je risquais réellement ma vie lorsque je m'étais introduite ici, mais un terrible effroi me paralysa suite à ces mots.
D'un coup, un miaulement malsain retentit de la fenêtre : Chaglam s'introduisit dans la pièce pour nous neutraliser. L'effet du "doux parfum" avait ses limites, je pouvais faire une croix sur l'effet de surprise. Le vilain matou sauta directement sur mon Vortente, lui assénant de violents coups de griffe. Nous options d'abord pour une stratégie défensive à coup de "stockage". Surtout dans ses circonstances, où un combat régulier n'était pas garanti.
Le chahut provoqué par l'intrusion du Chaglam allait forcément attirer le Pokemaniac. Je me cachais derrière la porte pour l'accueillir comme il se devait. Je distinguais brièvement le bruit d'une clé dans la serrure. Son entrée dans la pièce était imminente. Je tenais fermement la barre de fer, prête à lui infliger un coup sec en pleine poire. Ma respiration s'accéléra peu avant le moment fatidique, je n'avais jamais lever la main sur qui que ce soit.
A la seconde où la porte s'ouvrit, je frappai. Par réflexe, il s'était rapidement protégé avec son bras. Il recula, tenant son bras pris de douleur, et laissa place à une chauve-souris plus grosse que Nosférapti, dotée de quatre crocs acérés. Sans que j'eus le temps de comprendre ce qu'il se passait, l'ignoble créature m'attaqua à l'épaule avec sa puissante mâchoire, me faisant lâcher mon arme . Je tombai au sol, essayant de le dégager de mon autre main. Vortente se retourna, voulant me porter secours.
Le félin cendré se dressa entre nous, ses grands yeux jaunes transperçant la plante carnivore. Il lança une "hypnose" avec précision pour mettre hors d'état de nuire mon seul pokemon. Vortente s'écroula donc de sommeil, me laissant pleinement à la merci des ennemis. Hiro jura et m'attrapa par le cou avec son bras indemne. Mon épaule me faisait terriblement souffrir, mes capacités physiques, déjà faibles en temps normal, frôlaient le néant. Sans réfléchir, j'envoyai de toutes mes forces ma jambe, qui toucha le point sensible de tous les hommes. Le psychopathe hurla en se recroquevillant par terre. Cependant, ces deux pokemon prirent la suite, ne me laissant même pas le temps de reprendre mon souffle.
Je me protégeais à l'aide de mon petit sac en tissu, rempli des baies de Madame Miyazaki. Il n'allait pas faire long feux face aux violentes attaques des deux créatures sans scrupule. En effet, après quelques secondes d'acharnements, mon bouclier tomba en lambeaux, laissant se répandre sur le sol tous les fruits savoureux qu'il contenait. Chaglam s'arrêta un instant, son immense appétit ne connaissait pas de limite. La chauve-souris, quant à elle, ouvrit grand sa gueule. Une substance toxique en dégoulinait. Hiro leva la tête, son regard de tueur me glaça le sang.
« Nosféralto, achève la avec ton "crochet venin" ! Tu vas regretter de t'être mêlée de mes affaires ! Disparais ! » ordonna le sbire Galaxie d'une voix terrifiante. Il était vraiment prêt à m'éliminer. Instinctivement, je reculai en criant et en fermant les yeux. Mes bras s'agitaient afin de dissuader la chauve-souris de me toucher. J'entendis ces petits cris stridents s'approcher de moi, puis, un blanc.
Le Nosféralto ennemi gisait sur le sol, inconscient. A ses côtés se tenaient Cradopaud et Vortente, remontés à bloc. La plante carnivore avait réalisé notre plan à merveille. Des larmes de joie coulaient de mon visage alors que nous n'étions pas encore sortis de ce pétrin. Avant de m'introduire ici, j'avais donné à Vortente une baie Maron, baie permettant de réveiller instantanément un pokemon. Il avait donc simulé son somme afin de détourner l'attention des ennemis. Pendant qu'ils se concentraient sur moi, il avait pu s'introduire dans l'autre pièce pour chercher la Ball de Cradopaud.
Encore une fois, les pokemon de Takeshi m'avaient sauvé la vie. Je les serrais tendrement contre moi en m'excusant encore et encore. Hiro n'était plus maître de la situation, il se tourna vers son dernier pokemon, dépité. Chaglam tournait bêtement sur lui même, fonçant dans les murs. Il avait fait l'erreur d'engloutir la baie Papaya. Je savais que selon la nature du pokemon, elle en rendait certains confus. Comme quoi, sa gourmandise avait fini par lui porter défaut.
Le sbire Galaxie était totalement désarmé. Son air meurtrier avait laissé place à un élan de panique. Des gouttes de sueurs trempaient son front. Son côté lâche apparaissait une fois de plus, il prit la fuite dans la deuxième pièce. La peur me quitta complètement. Je me sentais vraiment en confiance avec mon équipe. Cette hargne qui m'avait habitée à la découverte de l'implication de Hiro dans l'attentat du Grand Marais revint. Elle me permit de le poursuivre sans hésiter. Il devait payer ! Je ne le laisserais pas s'échapper !
L'étage de la bâtisse n'était composé que de deux salles. La pièce où le sbire se jeta dans un placard était vaste et lumineuse. Il y avait plein de documents rangés un peu partout, de nombreux ordinateurs, ainsi que l'étendard de la team Galaxie en gros sur un mur. Elle donnait directement accès au rez-de-chaussée, par le biais de l'escalier que j'avais aperçu en bas lors de la fouille.
Quelle étrange idée de se coincer dans un placard. Il n'avait quand même pas pu penser que je n'allais pas le trouver ? Je demandai à Vortente et Cradopaud de détruire les battants et de l'immobiliser. Je comptais bien lui rendre la monnaie de sa pièce avant de prévenir la police.
Soudain, une voix masculine provenant de l'extérieur raisonna jusqu'à l'étage. Je reconnus la phrase d'entrée des FPI. Pour une fois, ils arrêteraient les plans diaboliques de cette horrible secte. Enfin ... j'avais eu quand même le temps d'y passer dix fois. Je ne pouvais donc pas apaiser ma haine en le cognant un peu, mais il était officiellement fait comme un rat. Il n'avait plus aucune échappatoire.
Hiro sortit finalement de sa cachette sans que je n'eus à intervenir. Son regard était vide, pourtant, je pouvais voir qu'il avait pleuré. Il leva le poing vers le ciel en hurlant avec conviction : « Le monde dans lequel nous vivons n’est qu’une grossière ébauche marquée par l’imperfection. Il a toujours fallu se battre pour y survivre, et cela continuera. Notre chef à raison sur toute la ligne, et je suis prêt à tout pour la réussite de ses plans ! ».
Son discours sectaire me freina. Il montra de son autre main une bombe clignotante. Je crus que mon cœur s'était arrêté un instant. Il bluffait ! Je ne pouvais pas y croire, lui qui était si lâche ! Et il continua dans son délire perturbant : « Je n'aurai pas l'occasion de voir ce monde nouveau, mais je suis ravi d'avoir contribuer à sa construction ! Je crois en vous ! Pour la team Galaxie ! Pour mon chef Hélio ! ».
A ces mots, je me jetai dans les escaliers, couvrant mes pokemon de mon corps. Je n'avais pas eu le temps de récupérer leur Ball. J'étais venue ici pour libérer Cradopaud, il n'avait pas demandé de se retrouver dans une telle situation. Vortente non plus. Je me devais d'en assumer pleinement les conséquences. J'espérais fortement que mon corps servirait à amortir les dégâts, afin de leur laisser une chance de survivre. Une terrible détonation, similaire à celle de Verchamps, retentit. L'énergie intense de la déflagration me fit perdre connaissance avant de pouvoir dire un dernier mot aux pokemon de Takeshi, à mes pokemon, que j'avais jugé comme responsable de la mort de Takeshi, à tord.
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Bip bip bip bip
Un éclat envahissait mon champ visuel. Une surface claire et quadrillée se tenait devant moi. Impossible de bouger le moindre membre. Je sentais sur tout l'arrière de mon corps une matière ductile. Des formes se mouvaient tout autour de moi. J'entendais des voix inconnues, sans en comprendre les mots prononcés.
« Où suis-je ? Qu'est-ce que je fais ici ? » pensais-je en premier lieu suite à mon réveil. Je ne savais pas pourquoi je me trouvais dans un état végétatif. Mon corps lourd et engourdi ne me permettait que de penser, de réfléchir, lentement. Progressivement, mes sens revenaient petit à petit. Je pouvais voir tous les tubes auxquels j'étais attachée, tous les bandages qui recouvraient ma peau. Je me trouvais donc dans un lit d'hôpital.
L'appareil qui me prenait en charge faisait constamment des petits bruits. L'un d'eux me fit rappeler une scène : un étrange type était debout, une bombe allumée à la main. Oui, ce souvenir défila lentement dans ma tête. Mon cœur s'emballa, mes mains tremblaient fortement. Un état intégral de panique me secoua. La machine réagit immédiatement, prévenant les médecins de ma situation.
Ils parvinrent rapidement à me calmer. Je dus certainement me rendormir entre temps. Lors d'un n-ième réveil, deux bestioles étaient posées à mon chevet. Deux bestioles ? Non, il s'agissait de mes chers pokemon. Je n'eus pas la force de me lever pour les cajoler, mais je tendis mes bras vers eux, pleurant de joie et m'excusant de les avoir entraînés dans ce pétrin.
Pour la première fois, un véritable lien d'affection se tissa avec mon Cradopaud, il semblait vraiment inquiet de mon état, tout comme Vortente. « Je vais mieux, et je rattraperai à vos côtés tout le temps perdu. Je suis tellement désolée ... » dis-je d'une voix tremblante. D'ailleurs, depuis combien de temps je me trouvais ici, mes pokemon n'avaient pas de séquelles apparentes. Certes, il était connu que ces créatures avaient une capacité de guérison bien plus rapide que les humains, mais les dégâts d'une explosion, quand même ... Mon corps n'avait pas pu faire totalement barrage ?
Peu après, je remarquai un homme de la quarantaine assis au fond de la salle. Ce manteau caramel et ses forts traits m'étaient familiers, mais impossible de mettre un prénom à son visage. Il avait une attitude assez reculée, sans doute pour me laisser dans mon intimité lors des retrouvailles avec mes pokemon. Quand il vit que je le fixais, perplexe, il s'avança doucement vers moi.
D'une voix tendre, il engagea la discussion. Il m'apprit d'abord son identité, en me montrant sa carte d'agent des FPI. Je me trouvais particulièrement en confiance avec lui. Je demeurais calme, et j'étais prête à entrer dans la discussion, à parler de tous mes souvenirs sans perdre le contrôle. Il s'agissait de Beladonis, c'était lui qui m'avait annoncé la terrible nouvelle à Verchamps.
Cet échange me permettait de remettre en place ma mémoire. J'avais pu raconter tout ce que je me rappelais sur cet Hiro. Des points sombres persistaient, mais d'après les médecins, tout redeviendrait clair très bientôt. J'étais donc restée deux mois dans le coma. Deux longs mois. Deux longs mois où mon corps vivait toujours dans notre monde, mais que mon esprit naviguait nulle part, ou peut-être ailleurs ? Il avait pu s'en passer des choses, en deux mois ...
Non ! Cette information m'était sortie de la tête ! D'un coup, dans la discussion, je me redressai subitement, prenant un air affolé. Beladonis ne savait pas trop comment réagir face à mon saut d'humeur, il essaya de me calmer. Dans la précipitation, je bafouillais dans mes explications. En effet, quand le sbire Galaxie m'avait bâillonnée, j'avais pu entendre une de ses conversations. L'organisation criminelle avait pour prochaine mission la destruction du lac Courage.
L'inspecteur des FPI baissa les yeux. Une fois de plus, je le compris sans qu'il n'eut besoin de parler. L'attentat de la team Galaxie s'était bel et bien produit. Le lac avait totalement été détruit, à tel point qu'un séisme avait frappé tout Sinnoh. De nombreux blessés étaient à déplorer autour du lac, surtout sur la rive, lieu touristique très fréquenté. La faune locale avait également beaucoup souffert de cette horrible attaque, notamment les pokemon aquatiques vivant dans le lac. Des milliers de Magicarpe avaient agonisé dans le fond de l'ancienne étendue d'eau. Ce spectacle d'horreur me donna la nausée.
Un peu plus tard dans la journée, Beladonis m'accompagna lors de ma première sortie autorisée. Il poussa délicatement mon fauteuil roulant, Cradopaud et Vortente à mes côtés. Deux agents de police semblaient nous suivre. Etrangement, on ne m'avait pas placée à l'hôpital d'Unionpolis, je n'avais pas reçu de visites non plus. J'étais prise en charge à celui de Féli-Cité, la capitale de Sinnoh. Seuls quelques médecins et infirmières traversaient le couloir qui joignait ma chambre. De nombreux policiers se postaient un peu partout, entre les rares pièces de cette allée. Etonnant, l'hôpital de Féli-Cité !
Nous arrivions enfin dehors. J'avais tellement hâte de pouvoir respirer l'air extérieur, de sentir les doux rayons de soleil sur ma peau. Néanmoins, nous atterrissions dans une petite cour intérieure bétonnée entre quatre murs. Quelques pots de fleurs apportaient un semblant de verdure, mais une grande déception écrasa ma figure.
Beladonis s'accroupit pour se mettre à mon niveau. Il m'annonça qu'un affrontement sans précédent contre la team Galaxie allait se produire au Mont Couronné. Etant donné que j'avais fouillé dans un repère de leur organisation et que j'étais susceptible de détenir des informations compromettantes, les FPI m'avaient directement gardée en sécurité. Nous étions en fait dans une partie secrète de l'hôpital, exclusivement réservée aux agents des FPI et aux personnes blessées mises sous protection judiciaire. J'étais ainsi contrainte à rester cloîtrée ici du temps que l'organisation criminelle fusse démantelée.
De toute façon, je devais faire de la rééducation pendant un petit moment. Ma moelle épinière avait été partiellement dégradée. Rien d'irréversible, mais le temps pour réapprendre à marcher allait dépendre avant tout de ma volonté. Bien sûr, je n'allais pas remarcher non plus en deux jours.
Je pouvais faire une croix sur ma vie à Unionpolis. En soi, cette ville était merveilleuse, mais la tranquillité de la campagne commençait à me manquer. Par contre, le fait d'avoir manqué mon travail à la poffinerie de Madame Miyazaki me chagrinait beaucoup, elle qui avait été vraiment présente pour moi dans cette grande ville. Beladonis m'avait quand même autorisé à lui écrire une lettre.
Mes parents non plus n'avaient pas eu de droit de visite pendant mon coma. Leur règlement était vraiment trop strict, mais bon ... Ils ignoraient que j'étais placée à Féli-Cité, la police s'occupait de faire l'intermédiaire pour les courriers qu'ils m'avaient envoyés, ainsi que ceux que je leur avais écrits à mon réveil. Keiko et Akimi aussi me manquaient. Les agents des FPI avaient récupéré mes affaires à mon appartement d'Unionpolis, j'avais pu retrouver le fameux dessin, plein de souvenirs.
En dehors des sessions de rééducation où je me donnais à fond, les journées étaient longues. Le cliché sur la nourriture à l'hôpital n'était pas faussé ici. Heureusement que Cradopaud et Vortente restaient avec moi au quotidien. J'en avais profité pour vraiment me rapprocher d'eux, de les comprendre, de partager des bons moments ensemble. Bien sûr, ce n'était pas tout le temps facile : l'amphibien ne se gênait pas de me prendre de haut, et la plante carnivore s'agitait toujours autour de moi, en faisant attention de ne pas me blesser tout de même. Moi aussi, je devais avoir certains comportements agaçants à leur égard. Toute véritable amitié ne pouvait pas que fonctionner sans le moindre désaccord, cela serait lassant à la longue.
Dans tout mon temps libre, je prenais aussi un moment pour réfléchir à ma vie, et surtout sur ce qu'il s'était passé depuis l'attentat du Grand Marais. Finalement, Hiro avait choisi de se donner la mort, il n'assumerait jamais ses actes. C'était la prison à vie qu'il méritait, ma colère contre la team Galaxie perdurerait toujours au fond de moi. D'ailleurs, le plan diabolique de la team Galaxie allait toucher à sa fin au Mont Couronné. Avec la collaboration entre les FPI et des dresseurs de haut niveau telle que Cynthia, maître de Sinnoh, je ne doutais pas de la défaite de ces tordus de criminels.
Mais il semblait évident que cela ne suffirait pas à totalement arrêter ce mouvement sectaire. Le moindre complice de la team Galaxie devait être arrêté et jugé. Qui pouvait assurer qu'ils ne préparaient pas d'autres crimes, en dehors de celui au Mont Couronné ? Les effectifs de police étaient trop bas par rapport à la criminalité grandissante actuelle. Et puis derrière tous ces crimes qui faisaient la une des journaux, derrière les chiffres, derrière les avis extérieurs, il restait les victimes et leur famille, endeuillés, brisés, terrorisés. Pour l'avoir vécu, je trouvais que leur prise en charge n'était pas suffisante.
Quelques jours plus tard, je demandai une entrevue avec Beladonis. Il était très occupé en ce moment par rapport à l'élaboration du plan pour anéantir les terroristes, mais il me consacra une petite demi-heure.
« Je veux intégrer les Forces de Polices Internationales. La criminalité grandissante est de plus en plus difficile à gérer, mais elle engendre aussi beaucoup de victimes, et de dommages collatéraux ... Je sais que pour le raid au Mont Couronné, je ne pourrai pas apporter mon aide, mais j'ai longtemps réfléchi avec mes pokemon, et nous voulons nous battre ... pour la justice. Pour Takeshi. » réclamai-je audacieusement à l'inspecteur en chef. Je n'avais pas l'habitude de m'adresser d'une manière si sûre et si franche, mais cela venait vraiment du cœur. Je me rendis compte de ce que je venais de dire, mes joues se mirent à rougir peu après.
Beladonis fut d'abord surpris de ma demande, puis se mit à rire : « Redoutable sens de l'humour ! Chapeau bas ! ». Je me décomposai. « Hum hum, reprit-il tout de suite, je plaisante bien sûr. Tout renfort dans les FPI est le bienvenu, surtout un élément de ta trempe. Tu as traversé des épreuves qui sont compatibles avec ta demande, c'est tout en ton honneur. ».
J'étais encore sous l'effet de sa plaisanterie douteuse. Il poursuivit plus sérieusement : « Bien. Il est évident que tu ne peux pas rentrer comme ça dans les FPI, Kana. Notre organisation repose avant tout sur la confidentialité et la confiance. Si tu veux vraiment nous rejoindre, tu vas devoir passer par la case "études", nous allons devoir mener une enquête sur ta vie. Si tu es vraiment prête à tout ça, recontacte moi au terme de ta rééducation. Je ne doute pas de ta noble cause ! »
Son discours me rassura, je voulais le remercier pour ses encouragements, mais il ne me laissa pas le temps d'en placer une. Il se leva en regardant sa Pokemontre : « Hum ... Je vais être en retard. Le devoir m'appelle, le raid au Mont Couronné est imminent ! Je ne vais pas pouvoir venir d'un moment. ».
Il sortit de ma chambre, surveillant rapidement de tous les côtés, comme s'il pouvait être espionné dans ce "bunker". Un vrai personnage. « Prudence, camarade ! » me dit-il à voix basse, depuis le couloir.
Malgré son professionnalisme abusif en toute circonstance, Beladonis était vraiment quelqu'un d'humain. Lui aussi se battait intensément pour la justice, il avait l'air d'être né pour ça. J'avais vraiment hâte d'intégrer les FPI, pourquoi pas dans son équipe, avec mes chers pokemon. Je mettais alors les bouchées doubles lors de mes séances de rééducation. J'étais déterminée à servir la justice, voilà l'héritage que m'avait laissé mon frère !
La vie n'est pas toujours rose. En fait, nous ne pouvons pas lui imposer de couleur, c'est elle qui décide. C'est à nous de l'appréhender du mieux possible. Bien sûr, nous ne sommes à l'abri de rien, la vie peut s'arrêter du jour au lendemain. Mais c'est pour ça qu'il faut la vivre à fond, se donner des objectifs, avoir des convictions, profiter des personnes qui nous sont chères. Ce n'est pas la vie qui est belle, toi seul peut la rendre comme telle.