- C'est une vilenie sans pareille ! Tonna Djosan de sa voix de stentor. Sur mon honneur d'ancien chevalier-lige de Sa Majesté Octave, Igeus paiera cette infamie. Oser se servir du prince... de l'Empereur Julian pour de vils projets inavouables de domination ! Tudieu ! Je regrette assurément que Venamia ne lui ait point réglé son compte de façon propre et définitive ! Ne pensez-vous point de même, Mercutio Crust ?
Ce dernier soupira. Comme Eryl avait enfin sonné la mobilisation générale en vue du départ vers Kanto, tout le monde se préparait à partir. Mais avant de rejoindre le
Giovanni pour se rendre à la guerre, Mercutio avait vite fait un petit détour à l’hôpital militaire de Doublonville. Il y avait là-bas quelqu'un à qui il devait parler au moins une dernière fois, ne serait-ce que par courtoisie, pour avoir passé près d'un an avec lui. Comme c'était aussi le cas de Djosan, Mercutio l'avait amené, mais il avait commencé à le regretter quand le chevalier s'était lancé dans ses malédictions sans fin contre Igeus.
Tender – leur Tender, pas son frère qui avait tourné sa veste en trahissant Igeus – leur avait plus ou moins résumé l'entrevue qui avait eu lieu dans le bureau d'Eryl. Il ne faisait guère de doute qu'Igeus avait l'esprit embrumé par son année de captivité et de torture, ou par Horrorscor lui-même, ou plus précisément par les deux à la fois. Il faudrait s'occuper de lui dès que le Marquis ne sera plus une menace, et libérer Julian de ses griffes, même contre son gré, car il était probable que le garçon soit totalement sous l'influence d'Igeus.
- Je sais que Dame Solaris pense de même, poursuivit Djosan. Igeus a profité de l'état de faiblesse de Sa Majesté après cette fichue bombe pour en faire son pantin. Ce fils de salaud a souillé l'héritage de Lunaris auquel il n'a aucun droit. Par ma foy, sur ma fierté et sur mon nom, ce crime ne...
- Oui oui oui, fit Mercutio avec impatience. On s'occupera d'Igeus et on lui reprendra Julian sans faute. Mais on ne peut partir sur deux fronts en même temps. Il faut rester concentré sur l'Armée des Ombres.
- Certes, admit Djosan, mais la colère qui est la mienne ne saurait pour le moment être éclipsée par la seule raison. Ne le haïssez-vous point, Mercutio Crust ? Il a avoué avoir tué votre sœur.
- J'ai pas mal de raisons de ne pas apprécier Igeus, surtout maintenant, mais celle-ci n'en est pas une, répondit le Mélénis. Tuer Venamia, c'était mon objectif, ce pourquoi nous avons joué aux Shadow Hunters pendant toute une année. Galatea l'a vaincue. Que ce soit Igeus qui l'ait achevée ne nous dérange pas. Et après tout ce qu'elle lui a fait subir, je pense qu'il en avait le droit.
Comme ils arrivèrent à l'accueil, Djosan cessa ses invectives à l'encontre d'Igeus. Quand il dit à l'infirmière qui ils venaient voir, celle-ci blêmit, et lui indiqua le quartier des soins de haute sécurité. Elle avait bien sûr reconnu deux des membres de la célèbre X-Squad, sans quoi elle leur aurait poliment demandé de faire demi-tour. Mais arrivés là-bas, Mercutio et Djosan durent montrer patte blanche pour entrer, en déclinant leur code militaire et les autorisations de leurs supérieurs. Une dizaine de soldats gardaient le couloir, et il y en avait un de plus devant chaque chambre. Mercutio et Djosan allèrent naturellement vers la seule qui en avait deux.
- Il n'a pas bougé de là depuis la dernière fois ? Demanda Mercutio à l'un des soldats.
- Non monsieur. Il dort sur sa chaise et prend ses repas ici. Mais il ne fait aucune histoire et se soumet à toutes les mesures de sécurité sans protester, donc on le laisse.
Mercutio hocha la tête et laissa le garde lui ouvrir la porte. C'était une chambre d’hôpital classique, si ce n'était que le patient était branché à tout un attirail de machines médicales en tout genre. Ce qui était en soi normal, quand on savait que le patient en question avait été coupé en deux au niveau de la taille.
La jeune femme aux cheveux verts allongée sur le lit médicalisé, Lilura, était toujours en coma artificiel, mais ses constantes étaient stables à présent. Mercutio trouvait toujours cela totalement dingue qu'elle ait pu survivre à une blessure pareille, Shadow Hunter ou non. Mais elle devait beaucoup à Mewtwo, qui avait utilisé ses puissants pouvoirs psychiques pour empêcher que ses organes et tout son sang ne se déversent hors de son corps. Et assis sur une chaise à côté du lit, tenant un livre d'une seule main, se tenait Trefens. Lui aussi avait été durement blessé lors de son affrontement avec Venamia, mais il s'en était vite remis.
- Tiens, deux anciens collègues qui viennent prendre des nouvelles de leur équipe secondaire ? Ironisa Trefens.
- Soit pas cynique comme ça, vieux, répliqua Mercutio. C'est plus que jamais la merde à Kanto, et la X-Squad est occupée.
- Y'a pas de mal. Vous êtes les deux seuls qui sont venus nous voir de toute façon. Enfin, en dehors des officiels de votre FAL, pour nous faire comprendre que nous sommes actuellement retenus pour divers chefs d'inculpations.
- Ce n'est assurément point une surprise, renchérit Djosan. Combien de meurtres avez-vous commis durant votre vie ? Que la FAL, nouvellement créée sur les bases d'une plus grande démocratie et liberté, ne peut point fermer les yeux, même si vous l'avez aidé contre Venamia.
- Ce n'est pas une surprise non. Nous savions à quoi nous en tenir quand nous sommes arrivés à Veframia. Mais signalez quand même à vos supérieurs que tous ces gardes dans le couloir sont tout à fait inutiles.
- Oui, je sais que vous ne ficherez pas le camp tant que Lilura sera ici, mais...
- Non, je voulais juste dire que si nous décidions de partir, ce ne sont pas ces gardes qui pourront nous retenir.
Mercutio ne trouva rien à répliquer. Évidemment, même sans le Flux et son katana, Trefens pouvait à lui seul gérer tous les soldats de ce bâtiment. Mais comme il l'avait dit, tant que son amie serait dépendante des soins prodigués ici – et elle le sera pendant un long moment, jusqu'à la greffe de jambes artificielles – Trefens et les autres ne bougeront pas et ne feront pas de vagues. Les Shadow Hunters avaient beau être des assassins, ils étaient extrêmement soudés et loyaux envers eux-mêmes.
- Quand Madame Boss a su que nous vous rendions visite, elle m'a demandé de vous faire une... proposition discrète, dit lentement Mercutio. Si tu viens avec nous pour combattre l'armée du Marquis, toi et ceux qui sont valides, il se pourrait bien que la Team Rocket aient les yeux occupés à autre chose quand vous déciderez de nous fausser compagnie.
Trefens ricana doucement.
- Vous êtes une organisation légale et gouvernementale maintenant, je vous le rappelle. Vous ne devriez pas recommencer vos vieilles habitudes de petits marchés sous la table. Et puis de toute façon, que vous nous regardiez ou non le jour où on voudra prendre la tangente, tu es bien conscient que ça ne changera rien du tout, si ?
Mercutio tenta une autre approche.
- C'est vraiment moche ce qui se trouve là-bas. Une armée comme personne n'en a jamais vu, qui n'a besoin ni de repos ni de nourriture. Ça a déjà foutu Kanto sens dessus dessous. Si elle arrive jusqu'à Johto...
Le Shadow Hunter l'arrêta en levant le doigt.
- Désolé de passer pour un insensible notoire, mais je me contrefiche de Johto et de ses habitants, comme de ceux du reste du monde. Nous vous avons aidé contre Venamia parce que nous avions des raisons personnelles de le faire. Et ça nous a coûté. Beaucoup coûté... Od et Furen sont morts. Probablement que Lilura et Kiyomi ne pourront plus jamais se battre comme avant. Les Shadow Hunters, c'est fini. J'attends que Lilura ait ses nouvelles jambes et se réveille, puis je partirai avec elle, si elle le veut bien. J'irai retrouver Gélonée, et nous nous poserons une fois pour toutes.
- T'es conscient que ta femme sera tout aussi menacée que le reste du monde par Horrorscor si jamais il gagne ?
- Je peux protéger les personnes qui me sont chères, pas le monde entier. Et puis de toute façon, même si je venais, en quoi je pourrai bien vous être utile, hein ? Mon Flux n'est toujours pas revenu depuis que j'ai utilisé le Septième Niveau à Veframia. Je ne peux pas trancher de Pokemon Spectres avec mon katana, et paraît que les zombis, ils continuent quand même à bouger même s'ils sont en morceaux. Et même moralement, ce combat m'indisposerait. Je suis un assassin, or je ne peux pas tuer des choses qui sont déjà mortes.
Mercutio n'avait pas grand-chose à opposer à ça. La force surhumaine de Trefens ne lui serait pas d'une grande aide contre cette armée là. Et sans Flux, Pokemon ou autre pouvoir spécial, il ne ferait pas long feu.
- Je comprends, mec.
- Je vous souhaite bonne chance quand même, conclut Trefens en leur serrant la main à tous les deux. Tâchez de faire honneur au Fanex qui coule en vous et à notre enseignement. Et faites sa fête à ce connard de Marquis une fois pour toutes.
***
- Tu vas donc me bouder jusqu'à ma mort, fichue épée ?
L'épée en question resta silencieuse. Bertsbrand soupira et jeta Excalord sur son lit. Depuis la bataille de Veframia, il n'avait cessé d'essayer d'établir le contact avec le Dieu Guerrier. Il s'était remit en question, cessant de considérer le Pokemon comme un outil de luxe qui lui était du. Il y avait mis de la bonne volonté, lui avait parlé avec respect, s'était excusé, avait essayé la supplique... mais rien n'y faisait. Excalord semblait décidé à exercer ses dernières paroles : à savoir attendre en silence qu'il meure pour recouvrer sa liberté.
- On part à la guerre dans quelques heures, marmonna Bertsbrand. Et ce ne sera pas contre des pauvres soldats humains démotivés cette fois. Si tu comptes me la faire à l'envers... Ah, suis-je bête ! Tu n'attends que ça hein ? Que je clamse. Bah quoi ? Tu n’as pas le courage de me redire mes quatre vérités avant, ô puissant Empereur d'Acier ?
Toujours rien. Autant pour la provocation... Après, Bertsbrand pouvait comprendre qu'un Pokemon millénaire et surpuissant comme lui considère ne pas avoir à s'abaisser à répondre à la provoc d'un pauvre humain. Marie-Eglantine, le Parecool chromatique qui servait de mascotte à Bertsbrand, grimpa mollement sur le lit et donna de petit coup à l'épée comme pour essayer de lui parler.
- Je n’ai pas demandé à ce que tu me tombes sur la tête ce jour-là poursuivit Bertsbrand en faisant référence au jour où il avait pris possession d'Excalord. Et j’ignorais tout de ces histoires de déblocage de forme, de loyauté forcée au premier qui t'empoignerai, et autre délires surnaturels au swag plus que douteux. Bon, je le reconnais, j'ai un peu profité de toi, mais quelle importance ? J'étais déjà super populaire et un professionnel des combats Pokemon sans toi. J'étais, et je suis toujours Bertsbrand après tout...
Le commandant Rocket fronça les sourcils, comme s'il venait tout juste de s'en rappeler.
- Oui, parfaitement, JE suis Bertsbrand ! S'exclama-t-il avec colère. Le swag est avec moi, et je fais corps avec le swag ! J'admets ne pas être parfait oui. Je pourrais encore m'améliorer... de disons 2%. Mais j'ai autre chose à foutre que tenter de me justifier auprès une
damn épée qui ne pense trop importante pour m'adresser la parole ! Parce que je te le dis, Excalord, Empereur des Dieux Guerriers, la seule personne suffisamment importante pour que je monologue de la sorte, c'est mon reflet dans un miroir !
La porte de sa cabine s'ouvrit à la volée, laissant entrer la seule personne assez sans gêne pour entrer sans s'annoncer, à savoir Anna Tender.
- Tu parles tout seul, blaireau ?
- Parfaitement, acquiesça Bertsbrand. Tu veux quoi, femme ?
- La Reine Eryl a pris place sur le
Justice d'Erubin, et le Grand Maître Lance est arrivé avec quelques renforts G-Man. La flotte va partir dans deux heures environs.
- Je serai sur le pont aux côtés de Madame Boss dans deux heures alors. La ponctualité est une marque de swag.
- Oui, mais avant ça, t'oublies pas quelque chose ? Ithil est toujours en cellule. Madame Boss veut que t’aille voir s'il est prêt à sortir et à se battre contre l'Armée des Ombres sans risque qu'il nous trahisse. C'est ton boulot de commandant de l'équipe.
Bertsbrand soupira, comme si la perspective de raisonner ce fanatique d'Arceus sombre et chiant ne faisait pas le poids face à celle de continuer à parler dans le vide.
- Très bien, je vais le voir. Mais toi, tu me feras le plaisir d'aller voir ton vieux et de mettre les choses au point avec lui, vu qu'on va devoir bosser ensemble à présent.
- J'ai rien à dire à ce connard, répliqua Anna avec un regard meurtrier. La reine a fait une belle connerie en lui permettant de revenir servir la Team. Et j'suis sûre que le tonton Hegan pense pareil.
- On lui a laissé son grade de général qu'il avait dans le Grand Empire. C’est-à-dire donc que s'il te donne un ordre, t'es censée obéir, et pas lui mettre ton poing dans la figure. Et puis... je crois que ce qui sépare si souvent les pères et les enfants, ce sont les non-dits. Une petite discussion franche à un moment donné peut arranger des années passées à s'éviter.
Bertsbrand avait dit cela avec une nostalgie et une tristesse évidente qui intrigua Anna.
- T'as des problèmes avec ton vieux, toi aussi ?
- Pas spécialement, répondit Bertsbrand en haussant les épaules. C'est juste qu'on est limite de parfaits étrangers l'un pour l'autre maintenant. Disons... qu'il avait un chemin tout tracé pour moi en tête, et que de mon côté, je l'ai toujours jalousé pour ce qu'il était, et que j'ai tout fait pour le surpasser.
- Et tu t'es ramassé, conclut Anna.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? Je suis Bertsbrand ! Il n'y a rien que j'ai tenté dans la vie que je n'ai pas réussi ! Mon père était célèbre et doué dans un domaine, et dans un seul ! Moi, je suis une star dans...
- Ton vieux a eu un gosse, l'arrêta Anna. Il a donc été avec une femme à un moment ou un autre. Et toi, au rythme où vont les choses, tu vas passer à côté de ces deux choses essentielles. Tant que ce sera le cas, tu ne pourras jamais dépasser ton père.
- Absurde ! Je peux avoir une femme quand je veux. Même plusieurs en même temps ! Et niveau enfant, je peux repeupler tout un pays à moi seul avec mes admiratrices ! Mais tu ne me tromperas pas, Anna Tender ! Tu me provoques de la sorte parce que tu es folle de moi, et frustrée à l'idée de ne pas parvenir à me séduire avec tes charmes limités !
- Pauvre crétin. C'est toi qui tomberas dans mes bras quand tu te rendras compte que tu ne dénicheras aucune autre femme qui peut t'aimer pour ce que tu es vraiment derrière toute ta mise en scène : un abruti qui pète plus haut que son cul.
Si Galatea aurait été avec eux à ce moment, elle aurait levé les yeux au ciel. Tout le monde dans la X-Squad savait que Bertsbrand et Anna étaient amoureux l'un l'autre en dépit de tout ce qui les séparait, mais leur fierté respective faisait qu'aucun ne comptait l'avouer en premier. Ils attendaient que l'autre se déclare en premier. Et ils pouvaient attendre encore très longtemps.
Ce fut donc d'assez mauvaise humeur que Bertsbrand descendit à l'étage des cellules du vaisseau, en marmonnant contre les épées millénaires arrogante et les femelles insupportables. Il trouva Ithil dans une position habituelle pour lui : à genoux, les mains croisées, en train de prier. Peut-être même n'avait-il pas cessé depuis qu'il avait demandé à être enfermé ici ?
- Arceus t'a-t-il parlé ? Demanda Bertsbrand ironiquement. T'a-t-il révélé ce que tu devais faire ?
- Le Créateur ne s'exprime pas aux misérables humains que nous sommes si clairement, commandant Bertsbrand, répondit l'ancien assassin. Il n’envoie que des signes. Il convient ensuite de bien les interpréter, avec l'aide de notre foi.
- Bon, tant mieux, car j'en ai quelques-uns pour toi. Interprète-les comme tu veux. Un : la reine Eryl est quasi-formelle : ton cher demi-frère a l'esprit empoisonné par Horrorscor, pour si peu qu'il n'ait pas carrément pété les plombs depuis son long séjour au Palais Suprême de Venamia. Deux : si on descend le Marquis et qu'on éradique son armée de bolosses, il est très possible qu'Horrorscor – c’est-à-dire le seul morceau qui reste en Igeus – tombe en full dépression et qu'Igeus aille mieux. Alors ? Ton interprétation ?
Ithil secoua la tête, son visage toujours aussi inexpressif.
- Cette rhétorique est inutile. Je n'ai jamais douté qu'il fallait arrêter les forces d'Horrorscor. Monsieur Igeus n'a pas contredit cela, j'imagine ?
- Il a dit qu'il comptait les exterminer lui seul, à sa manière...
- Peu importe sa manière. S'il veut l'exterminer, c'est que l'armée d'Horrorscor est son ennemie, ou du moins qu'elle le gène. Donc je n'ai aucun souci avec le fait de combattre l'Armée des Ombres moi aussi, si c'est là votre interrogation. Vous pouvez me faire confiance pour cela, commandant.
- Je n'en doute pas. Ce qui nous inquiète, c'est que tu pourrais à tout moment nous abandonner en pleine bataille si jamais Igeus venait à se pointer, pour exécuter je ne sais quel ordre cinglé de sa part. Je sais qu'à la base, t'es entré dans la X-Squad en tant qu'espion pour son compte, et que t'étais prêt à tous les zigouiller si jamais il t'en donnait l'ordre. Ça a changé depuis, dis-moi ?
Ithil resta silencieux un long moment, et Bertsbrand crut qu'il n'allait pas répondre, jusqu'à qu'il dise à voix basse :
- Oui, ça a changé... Là où avant, il n'y avait aucune hésitation en moi, c'est désormais un éternel conflit entre ma loyauté et ce que je pense être juste. Entre mon cœur et mon esprit. Je ne peux pas vous promettre que je ne trahirais pas la Team Rocket, commandant, car moi-même je l'ignore. Mais je peux vous promettre une chose en revanche : si je dois le faire, ce sera un acte réfléchi, pas juste un réflexe automatique d'un esprit sans libre arbitre. C'est ce que j'ai enfin trouvé aux côtés de la X-Squad : une conscience de moi-même. Je ne suis plus un simple outil. Je suis un individu à part entière, avec des émotions, des envies et des opinions ! Et quoi qu'il fasse ou qu'il dise, Monsieur Igeus... non, Erend ne pourra jamais me l'enlever ! Je suis Ithil Igeus, G-Man de Branette, mais je ne suis plus une marionnette.
C'était la première fois que Bertsbrand entendait Ithil parler autant, et surtout avec un tel semblant de passion. Il hocha la tête.
- C'est suffisant pour moi, fit-il en déverrouillant la serrure avec la clé qu'il avait gardée.
***
Un portail temporel s'ouvrit dans la ville morte de Veframia, au centre de Kanto. Et il n'avait pas été ouvert par Dialga, Celebi, ou un autre dieu tout puissant capable de voyager dans le temps, mais par une simple humaine. Du moins l'était-elle en apparence. Proche de la cinquantaine, des cheveux châtain clair lui tombant sur les épaules, un visage mûr sans pour autant être ridé, et des yeux gris perçants, renfermant une sagesse certaine... mais aussi autre chose, une noirceur bien enfouie et dissimulée, mais qui pouvait ressortir à tout moment. Cette femme s’appelait Eonie, et elle attendit patiemment devant son propre portail.
Une ou deux minutes plus tard, un individu en sortit. Un homme, bien que ce soit difficile à déterminer, en raison de son large manteau sombre et du masque en acier qui recouvrait son visage. Des cheveux blancs lui tombaient derrière la tête, signe d'un âge certain. Dès qu'il posa le pied à Veframia, il respira profondément en retirant son masque, dévoilant un visage noble et âgé, et des yeux vairons : un normal, jaune et chaleureux, et un autre entièrement noir, avec un iris fin et argenté.
- Y'a pas à dire, elle m'avait manquée, l'odeur pourrie des temps modernes, dit-il avec ironie. Enfin, y'a pas ce relent de merde constant qui fait toute la réputation du moyen-âge au moins.
- Non, mais ça pue la mort, surtout maintenant, répondit Eonie.
L'homme fit rapidement le tour des lieux du regard. La métropole silencieuse et largement détruite par les combats, les squelettes victimes de la bombe Arctimes qui jonchaient encore le sol, et le ciel brumeux et noir qui englobait tout Kanto.
- Ah, oui. Tu m'as rappelé juste à temps pour la grosse fiesta apocalyptique.
- Tu t'es pris plus d'un siècle de vacances. On ne perd pas de temps une fois de retour au boulot.
- Eh, je travaillais moi, protesta le vieil homme. C'était pas une sinécure de supporter ce connard arrogant de Zephren tout ce temps, et à la fin de devoir faire face à cette bestiole monstrueuse, dans tous les sens du terme. Puis comme toujours, quelle que soit l'époque où je vais, y'a toujours des chieurs pour me mettre des bâtons dans les roues. Ah, et enlève-moi ce visage d'ancêtre, s'il te plaît. Lui aussi, il me saoule.
Eonie leva les yeux au ciel, mais s'approcha et effleura de sa main le visage de l'individu. Alors, ce fut comme s'il rajeunit à toute vitesse. Les rides disparurent, la peau se raffermit, et ses cheveux blancs raccourcirent en reprenant leur couleur bleu clair normale. Eonie avait maintenant en face d'elle un jeune homme d'une trentaine d'année, connue à cette époque sous le nom de Lord Judicar, ou encore sous son véritable patronyme : Ardulio Crust.
- Alors ? Quelle est la date d'aujourd'hui exactement ? Demanda-t-il.
- Le 7 octobre 2019. La Bataille des Vivants et des Morts, comme on l'appellera plus tard, se jouera dans cinq jours.
- Octobre 2019 hein ? Ah, mais j'ai loupé ta naissance alors ! C'était il y a trois mois. Joyeuse venue au monde du coup, grande sœur.
- Cesse de faire le mariole. On a du boulot. Toutes les pièces importantes vont se rassembler. La dernière est sur le point de partir, je crois...
Eonie croyait bien. En un autre lieu, dissimulé du temps et de l'espace, se trouvait un Pokemon. Il se tenait à quatre pattes, son beau corps gracieux et nacré, ses yeux émeraude profonds laissant transparaître une grande sagesse et une longue expérience de la vie. Outre ses sourcils très longs qui flottaient derrière sa tête, et le losange foncé qu'il portait au-dessus de son crâne, ce Pokemon, Asthyrché, avait quelque chose de remarquable : sa queue – à moins que ce ne soit sa crinière – était telle de la fumée, mais laissant entrevoir un espace étoilée infini nimbé d'une lueur verte.
Car Asthyrché était un Pokemon de type Cosmique, qui pouvaient se compter sur les doigts de la main. Pour diverses raison, il avait choisi de se cacher du reste du monde pendant plusieurs années. Ses pouvoirs le lui permettaient. Il pouvait délimiter une zone d'environ un kilomètre carré, et la déphaser de la réalité. En clair, plus personne ne pouvait la voir ni y entrer. Si quelqu'un la traversait, il arriverait directement à l'autre bout sans rien remarquer.
Dans cette zone inviolable, quelque part dans la région Sinnoh, vivaient plusieurs Pokemon, et un seul humain. Un adolescent, qui n'avait rien connu d'autre du monde que ces un kilomètre carré. Il n'avait vu dans sa vie que deux représentants de sa race, dont l'un d'entre eux en vidéo seulement, dans les nombreuses cassettes que sa mère lui avait léguées et dans lesquelles elle lui parlait. Asthyrché avait élevé l'enfant selon les souhaits de sa mère, et lui avait appris tout ce qu'il y avait à savoir sur ce monde. Mais aujourd'hui, il était temps. Temps de briser cette barrière, et sortir de ce petit monde. Car Asthyrché pouvait sortir et entrer autant qu'il le voulait. Et il avait appris aujourd'hui, grâce à un messager, ce qu'il attendait depuis des lustres : la bataille finale entre l'Innocence et la Corruption allait avoir lieu, à Johkan.
Asthyrché revint donc au centre de la zone, vers la petite et unique maison qu'il avait construite pour son protégé. Comme à son habitude, il était en train de lire. C'était du reste quasiment la seule occupation qu'il pouvait avoir ici. À chaque fois qu'Asthyrché sortait dans le monde extérieur, il lui ramenait des livres. De fait, même si le jeune garçon n'avait jamais rien vu du monde réel, son niveau de culture générale était très largement au-dessus de la moyenne des humains.
- Le moment est venu, dit Asthyrché sans ambages. Au nom d'Erubin est de celui qui est le tient, il est temps d'accomplir ton destin, de secourir ta sœur et de bannir à jamais l'indigne Maître de la Corruption.
Le garçon, d'environ quinze ans, posa son livre et passa sa main dans sa chevelure blanche d'un geste insolent.
- Ainsi soit-il, mon camarade, fit-il d'un ton mélodramatique. Moi, le six-cent quarante-huitième détenteur de l'
Auge Allwisend, ne saurait reculer face aux décisions du destin. Allons-y. Que les feux et les cris de la guerre résonnent !
Et c'est ainsi que la dernière pièce se rendit sur l'échiquier, pour cette partie dont l'enjeu serait l'un des plus importants depuis le commencement des temps.
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Image d'Asthyrché :