Chapitre 23 : Les karkastiens
An 1675, 8 novembre, 22h23, Mont Argenté, Château Royal de Johkania, quartier royaux
D'un œil distrait et pensif, je regardai mes deux enfants rire joyeusement au sol devant les pitreries du petit Pokemon semblable à un chat, qui avait le rôle d'amuseur attitré de la princesse Myrevia. Elle avait sept ans, et son visage présageait de la beauté de sa mère. Son petit-frère, Kieran, de deux ans son cadet, me ressemblait un peu plus, mais je ne trouvais rien de la force et de la vigueur qui étaient la mienne à son âge.
Bah, il se solidifiera sans doute avec l'âge. Contrairement à lui, je n'avais pas eu la chance d'avoir une mère présente et aimante, ce qui a forgé mon caractère indépendant assez tôt. La mère en question, ma douce épouse Elsora, souriait au bonheur des deux bambins et jouait avec eux. Je devais l'admettre ; mes propres enfants m'indifféraient quelque peu, mais rien que pour ce sourire, j'étais content de les avoir. Ma reine avait le droit à ce simple bonheur.
Les babillages et bruitages comiques du Pokemon se poursuivirent et commencèrent à me donner la migraine. Ce n'était pas courant, un Pokemon qui parlait. La plupart de mes serviteurs au château m'avaient déjà conseillé de me débarrasser de cette chose probablement démoniaque, mais je n'en avais rien fait, car cette créature était la propriété d'Elsora. Elle l'avait rencontré un jour alors qu'il l'avait sauvé de brigands de grands chemins. En remerciement, elle l'avait amené au château, puis en avait fait une sorte de bouffon destinée à notre fille. Ma foi, s'il n'y avait que ça pour leur faire plaisir, je la leur laissait, leur créature poilue et parlante. Les femmes avaient de ces lubies, parfois...
- Mère ! Se plaignit soudain Kieran. Myrevia m'a pris mon doudou !
- Tu étais en train de l'éborgner, cette pauvre peluche, se contenta de dire la princesse. Je lui sauve la vie.
- Rends sa peluche à ton frère, jeune fille, ordonna Elsora. Il en est responsable, et s'il l'abîme, c'est son problème.
Elle caressa les cheveux blonds du petit garçon.
- Tu dois apprendre à prendre soin de ce qui t'appartient, Isaris...
Mais à peine eut-elle prononcé ce nom qu'elle se mit les mains devant la bouche comme si elle avait laissé échapper le plus grossier des jurons. Puis elle eut les larmes aux yeux. Pour ma part, j'eus un soupir agacé. Elsora venait de se tromper et avait appelé Kieran comme notre premier né, dont j'avais proscrit le nom entre les murs de mon château. Ce n'était pas la première fois. Malgré ses deux enfants normaux et en bonne santé, elle ne pouvait pas effacer Isaris de sa mémoire.
- Pardonnez-moi, mon roi, fit-il pitoyablement.
- Mère, c'est qui Isaris ? Demanda Myrevia.
- Personne, décrétai-je. Je ne veux pas qu'on prononce ce nom devant moi.
Myrevia, en dépit de son jeune âge, savait reconnaître les ordres royaux de son père quand elle les entendait, et n'insista pas. Je me levais pour tenter de réconforter ma reine, quand quelqu'un tapa à la porte de notre chambre.
- C'est moi, fit une voix sombre. Je dois te parler, et non, ça ne peut pas attendre.
J'avais prévu d'aller envoyer balader quiconque souhaitant me parler à cet instant. Quiconque... sauf lui. L'une des deux seules personnes de ce royaume qui pouvaient se permettre de me tutoyer, et la seule capable de devancer ma pensée. Quand Breven le Sage voulait vous parler de toute urgence, c'était que ça en valait le coup.
- Allez-y, mon époux, soupira Elsora. Je reste avec les enfants.
Ma reine n'appréciait guère Breven, je le savais. Elle se méfiait de lui, de ses pouvoirs évidents et de ses intentions. Mais je considérais cette méfiance comme une vieille résurgence religieuse fanatique de celle qui fut jadis Oracle. Les religieux n'aimaient pas quand quelqu'un avait plus de pouvoirs qu'eux sans qu'il ne puisse l'expliquer. Mais pour moi, la loyauté de Breven était une évidence. Il m'avait épaulé et soutenu par ses judicieux conseils depuis près d'un siècle. Sans lui, je n'aurai certainement pas été le souverain de Johkania qui avait régné le plus longtemps, tant les complots contre ma personne se sont multipliés au début.
- Je l'ai perdu de vue, me signala le grand homme masqué dès que je fus sorti.
Je n'avais pas besoin de lui demander qui. Je le savais fort bien, car c'était moi qui lui avait demandé de garder à l’œil cette personne, depuis maintenant six ans.
- Comment ça, perdu de vue ? Elle aurait quitté Johkania ?
- Pas forcément. C'est plutôt que ses pouvoirs primaires ont fini par ne plus transparaître, et je n'arrive plus à la distinguer d'un humain ordinaire.
- J'y verrais bien là une bonne nouvelle, mais ça ne me plaît pas de la savoir dans la nature sans que l'on sache où. Envoies des hommes au dernier endroit où elle t'es apparue. Qu'ils la retrouvent et qu'ils établissent une surveillance rapprochée... mais sans se faire voir.
Breven hocha la tête et alla transmettre mes ordres. Et comme à chaque fois que je pensais à cette personne, mon cœur se pinça de regret.
***
- Votre Altesse, si je peux me permettre... C'est un plan de merde.
- Naturellement, puisqu'il est de Spookiaou, répondit Ametyos. Mais j'ai eu l'occasion de me rendre compte que ses plans merdiques et lâches donnaient en général de meilleurs résultats que les façons disons... plus conventionnelles. C'était après tout le chef d'une bande de voleurs qui a réussi à échapper à la justice pendant des années.
L'interlocuteur d'Ametyos, un grand gaillard roux nommé Pelwins, eut un marmonnement qui n’engageait à rien. Tous deux attendaient au bout d'une crique peu connue et un peu éloignée de la ville de Carmin. Cinq autres personnes montaient la garde autour du lieu, empêchant les badauds d'approcher. Ametyos, lui, regardait la mer au dessous de lui, se regorgeant les poumons de cet air marin salé qui ne lui déplaisait pas.
Aujourd'hui, il partait en mission, avec quelque uns de ses camarades. Une mission essentielle à sa cause, quoi que personnelle. Cela faisait un an qu'il avait récupéré le morceau du corps de son grand-père détenu par le Troisième Héros Duancelot à Safrania. Un morceau qu'il avait durement mérité après plusieurs péripéties, notamment dans cette Grotte Sombre, avec cette Adepte de la Fatalité et cet écuyer de la Sainte Garde.
Ça avait été la quatrième partie du corps du Roi Zephren qu'il volait aux Héros. Après celle-ci, il avait étrangement suivit le dernier conseil de ce Garneth, et s'était fait plutôt discret. Mais il était temps que les affaires reprennent. Aujourd'hui, il repartait en quête des morceaux de son grand-père. Et sa cible était celui que gardait Reomarinus, le Septième Héros et Roi des Pokemon Eau, dans son palais sous-marin.
- Ce que j'veux dire, insista Pelwins, c'est que tout repose sur de foutus Pokemon, qui pourraient bien nous trahir à tout moment.
- Ne le répète jamais devant lui, mais Spookiaou m'a sauvé la vie assez souvent, en un an. Je me méfiais de lui le premier mois. Plus maintenant.
- Je ne parle pas spécialement de lui – même si on ignore toujours pourquoi il vous aide – mais il vous a promis des Pokemon Eau qui pourraient nous amener jusqu'au Palais Sous les Flots. Qui nous dit que ces bestiole...
- Si on fait confiance à Spookiaou, il faut faire confiance aux Pokemon qu'il ramènera, l'interrompit le prince. Nous n'avons pas d'autre solution de toute façon. Il ne sert à rien de repousser constamment le morceau de Reomarinus en attendant qu'une tombe du ciel.
Pelwins n'insista pas, mais Ametyos sentit clairement sa désapprobation. Il n'avait rien dit au prince, mais il n'était clairement pas emballé par cette idée fixe de réunir les morceaux du cadavres de Zephren. C'était, somme toute, une œuvre symbolique, qui n'apporterai pas grand chose de concret à leur cause. Et leur cause, c'était le retour de la monarchie, en faisant tomber le Conseil des Héros et en plaçant Ametyos sur le trône.
En un an, Ametyos avait fini par se ranger à la proposition de Spookiaou, qui consistait à commencer à recruter. S'il comptait faire un Coup d’État, il n'arriverait à rien tout seul. Tout en voyageant incognito, ils s'étaient donc mis en quête des mécontents, des royalistes, et de tous ceux qui avaient une bonne raison de combattre le régime instable et faible qu'avaient mis en place les Dix Héros à la chute de Zephren.
À l'heure actuelle, ils n'étaient qu'un groupe de trente personnes. Pas de quoi faire le siège de Safrania, certes, mais c'était un début. Les trente qui avaient fait allégeance à Ametyos avaient au moins l'avantage d'être parfaitement loyaux ; Spookiaou s'en était assuré avec ses pouvoirs mentaux. Parmi eux, il y avait d'anciens soldats royaux qui avaient pris le maquis et leurs enfants, des anti-religieux qui reprochaient aux Héros d'avoir laissé Destinal et les Agents de la Fatalité prospérer, ou encore de simples paysans conservateurs qui regrettaient la stabilité et l'ordre qui régnaient lors du règne des Karkast. Et le groupe avait pris le nom de karkastiens.
Pelwins, lui, faisait partie de la première catégorie. Il était un soldat du royaume appartenant à la garnison de Jadielle, qui avait eu le bon sens de se débarrasser de ses armoiries un peu avant la chute de Zephren, mais qui n'avait jamais accepté le résultat de la Révolution. Il avait espéré que le prince Kieran revienne un jour d'Irisia avec une armée de fidèle qu'il pourrait rejoindre pour reprendre la métropole. Kieran avait effectivement fini par revenir, mais enchaîné et vaincu, et avait été tué lors d'une exécution spectacle organisée par Valrika. Pelwins avait donc fini par perdre espoir, jusqu'à qu'Ametyos ne le trouve.
L'ancien soldat n'avait été que trop heureux de trouver un Karkast en vie et libre auquel jurer allégeance. Il avait son franc parler et n'était pas la personne la plus gracieuse qui soit, mais c'était un gaillard solide et de confiance. Il avait même commencé à donner du « Votre Majesté » à Ametyos avant que celui-ci ne l'arrête. Pelwins ne pourrait l’appeler ainsi que lorsqu'il serait véritablement roi, même si techniquement, il était devenu le roi légitime de Johkan dès l'instant de la mort de Kieran.
- Tu peux me dire ce que tu as sur le cœur, fit Ametyos. Je ne suis pas mon grand-père, à faire exploser le crâne de tous ceux qui s'avisaient de me contredire. Tu penses que ma quête est inutile. Que rassembler le corps de Zephren ne nous apportera rien et nous tuera sans doute tous. Et que même si nous réussissons aujourd'hui, les cinq morceaux qui restent, comme ceux d'Alysia, d'Iskurdan ou pire encore de Breven nous serons inaccessibles. Que quitte à absolument les rassembler, autant attendre d'abord de reconquérir le pays.
- Votre Altesse lit en moi comme dans un livre ouvert, dit Pelwins en s'inclinant.
- Nul besoin, car ce sont mes propres doutes que j'ai énoncés. Je ne les connais que trop bien. Je sais que j'ai eu énormément de chance jusqu'à présent, mais que ça ne durera pas étant donné les prochains Héros qu'il me reste à voler. Et oui, ce serait plus logique de d'abord recouvrer le trône. Mais je ne peux pas, Pelwins. Car j'ai fais une promesse. Je l'ai faite à ma mère, à tous mes ancêtres Karkast et à moi-même. J'ai promis de me venger des Dix Héros, et de Valrika en particulier, en rétablissant l'honneur de mon grand-père, traité comme un amas de trophées. Je ne saurai prétendre au trône de Johkania avant d'avoir tenu cette promesse. Le peuple ne nous suivra que si nous montrons notre force et notre détermination. On ne peut pas juste profiter du schisme grandissant entre Destinal et les Agents de la Fatalité, et maintenant de la guerre contre Sinnoh, pour s’accaparer le trône par derrière. Je ne passerai que pour un usurpateur opportuniste et lâche. Si le peuple ne se soulève pas à nouveau, ce sera une puissance étrangère qui viendra nous envahir. On peut penser ce qu'on veut des Dix Héros, mais leur réputation est désormais le seul rempart qui protège Johkan de l'avidité des autres pays. Pour m'imposer comme un souverain qu'il ne vaut mieux pas venir défier, je dois faire tomber les Héros dans les règles, les écraser autant physiquement que symboliquement ! Comprends-tu ?
L'ancien soldat royal, aujourd'hui rebelle, s'inclina à nouveau, la main sur le cœur.
- Votre Altesse est vaillante et noble. Qu'importe les dangers, où même si la quête que nous menons est impossible. Nous vous suivrons jusqu'à la mort. Néanmoins, sire, si je puis me permettre... vu qu'on ne sait pas combien de temps nous allons attendre ici, et que nous sommes que tous les deux... il serait bon de reprendre cette discussion à propos de...
- Par Arceus Pelwins ! Je pensais que l'affaire était close !
- Vous êtes le dernier espoir de toute une dynastie, altesse ! Insista Pelwins. Nos chances d'y passer sont grandes. Un héritier donnerait de l'espoir à nos gars et vous permettrez d'aller au combat le cœur plus léger, sachant que même si vous mourrez, le sang des Karkast ne s'éteindra pas.
Voilà un petit moment que certains des hommes d'Ametyos, Pelwins en particulier, s'étaient mis en tête de le convaincre de faire un enfant au plus vite. Il y avait deux filles dans le groupe de loyalistes d'Ametyos, dont une qui avait une vague ascendance noble. Pelwins n'avait cessé de les encourager, en secret, de faire du charme au prince pour tenter de le faire céder. Mais Ametyos était toujours resté de marbre.
- Qu'est-ce que tu t'imagines, Pelwins ? Ricana Ametyos. Moi, le dernier des Karkast ? Je suis le dernier dans la liste de succession officielle, c'est tout. Mon grand-père a vécu cent cinquante ans, et sa virilité était aussi célèbre que ses pouvoirs. Il a produit je ne sais combien de bâtards, petit-bâtards et arrière-petit-bâtards ! Malgré tous ses efforts, Valrika et ses Vengeurs ne pourront jamais remonter jusqu'à tous. Certains doivent vivre à l'étranger à l'heure actuelle, et d'autres sous un autre nom, ne sachant même pas de qui ils descendent.
- Que nous importent ceux qui se terrent à l'étranger et ceux qui ignorent tout de leur sang ? C'est d'un Karkast assumé et présent ici, à Johkan, dont nous avons besoin. Si Kaelin et Neera ne vous intéressent pas, alors choisissez n'importe quelle putain dans n'importe quel bordel, ou besognez la première paysanne venue dans sa grange !
C'en fut trop. Ametyos se retourna et envoya son poing dans le visage du géant roux. Il dut se faire plus mal à sa main qu'au visage de Pelwins, mais il ne regretta pas son geste. Pelwins, lui, resta de marbre.
- J'ai offensé Votre Altesse, constata-t-il.
- Effectivement. Tu parles bien trop librement d'enfants fait du mauvais côté des draps en ma présence. Kaelin et Neera ne sont pas le problème. Dois-je te rappeler d'où je viens ?
Pelwins cligna les yeux, perplexe.
- De Sa Gracieuse Altesse la Princesse Myrevia.
- Ouais. Sa Gracieuse Princesse, qui s'est laissée culbuter à seize ans seulement par un gueux quelconque, dont personne, pas même elle, n'a jamais voulu me parler. J'étais une erreur, Pelwins. Un Karkast contrefait, qui causait le mépris dans les yeux du Roi Zephren à chaque fois qu'il me voyait. Par Arceus, j'ai toujours détesté ce père inconnu, et j'en ai toujours voulu à ma mère d'avoir fait cela. Je ne souhaites pas ça pour un enfant. Je ne veux pas qu'un nouveau bâtard Karkast grandisse avec un nom trop lourd à porter et un père disparu qui lui a tout refourgué sur ses épaules pour aller se faire tuer héroïquement. Si je dois engendrer, ce sera quand je serai roi, et ce sera dans les règles, après un mariage en bonne et due forme.
Pelwins haussa les épaules.
- Soit, Votre Altesse. Je n'évoquerai plus ce sujet devant vous. Mais, sauf votre respect, y'a aucun mal à être un bâtard. Mon paternel en était un, et foutre dieu, c'était un homme, un vrai, avec plus d'honneur que nombre d'enfants légitimes !
- Ce à quoi je répondrai, sauf ton propre respect cette fois, qu'il n'y a peut-être aucun mal pour le petit peuple, mais chez les nobles lignées, encore plus les lignées royales, il y en a un.
- J'ai toujours dis que les nobliaux se prenaient la tête pour des foutaises. Et vas-y qu'il faut qu'une femme reste vierge jusqu'à son mariage. Et vas-y qu'il faut calculer le nombre de centimètres pour avancer son pied droit avant de faire la révérence. Et vas-y que cette fourchette là, c'est uniquement pour les fruits de mer. Et vas-y que... FOUTRE ARCEUS DE MES DEUX !
La mer venait comme de s'ouvrir devant eux, trempant Pelwins de la tête au pied. Ayant plus de réflexes, Ametyos avait sauté en arrière à temps. Quelque chose d'énorme venait de surgir des flots, comme une bosse bleue géante. Ametyos empoigna son arc derrière lui quand il vit que la « bosse » en question le regardait avec de petits yeux noirs. Il ne l'avait fait que par instinct bien sûr, il ne comptait pas tirer. Une flèche n'aurait rien fait à cette masse énorme, de toute façon.
- Youhou les copains ! Scanda une voix nasillarde. Me revoici. Et avec un ami pour nous aider, comme promis. Alors, impressionnés ? Allez-y, remerciez-moi, vénérez-moi !
Cette soudaine apparition fit venir les cinq autres karkastiens qui montaient la garde autour de la crique, se regroupant autour d'Ametyos comme pour le protéger. Geste futile, alors que la créature marine géante avait largement de quoi les dévorer tous dix fois si l'envie lui en prenait. Parmi ces rebelles, il y avait justement Kaelin, l'une des deux seules femmes du groupe d'Ametyos.
- Votre Altesse, reculez ! Lui enjoignis-t-elle.
Ametyos n'aurait pas pu affirmer, en toute sincérité, que la jeune femme aux cheveux cendrés et aux yeux verts le laissait totalement indifférent, quand Pelwins en avait fait la remarque. Elle était belle, forte, intelligente et avait même une partie de sang noble.
- On se calme, les simplets, fit la voix de Spookiaou. Wailord ne va pas vous bouffer. Enfin... pas tout de suite.
Le petit Pokemon Spectre duveteux apparut comme par magie sur le corps de la baleine, tel un capitaine de navire. Pelwins, qui n'en finissait pas de jurer en tentant d'essorer ses habits trempés, s'en prit à Spookiaou.
- C'est quoi ce plan, boule de poil ?! T'avais dis que tu ramènerais des Pokemon pour nous amener jusqu'au Palais Sous les Flots ! DES Pokemon. Genre un Sharpedo à chacun.
- Des Sharpedo... En voilà une idée de génie. Toute la grâce et les arguments que j'aurais mis pour les convaincre n'auraient pas fait long feu quand vous vous serez accrochés à eux et qu'ils auraient senti votre tendre chair humaine. Et non, j'ai jugé qu'il était mieux finalement qu'on ait qu'un seul Pokemon, mais un gros. Un capable de tous nous transporter à la fois, et sans qu'on ait à se tremper et à retenir notre souffle trop longtemps.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? Demanda Ametyos.
- C'est très simple. On va voyager dans sa bouche. Elle est suffisamment grande pour contenir sept humains.
Le Wailord donna son assentiment par un « wooooooaaaaaa ». Sans doute léger pour lui, mais qui fit bourdonner les oreilles de chaque humains présents.
- Ce sera sans moi, fit Pelwins, catégorique. Hors de question que je me laisse bouffer par cette poiscaille géante. Et puis ça doit schlinguer à mort dedans !
Comme si le Wailord avait compris ses paroles, ses yeux se plissèrent comme s'il était vexé ou triste, en un effet presque comique.
- Je suis sûr qu'il pue moins de la gueule que toi, le génie, répliqua Spookiaou. Mais si tu veux rejoindre le palais du Roi Eau à la nage, personne ne t'en empêchera. Ce serait même faire preuve de pitié envers ce brave Wailord que d'éviter de devoir l'intoxiquer avec ta présence à l'intérieur de sa bouche.
Kaelin retint un ricanement, mais sans pouvoir s’empêcher de sourire. Pelwins devint rouge, comme à chaque fois que Spookiaou le rabaissait en public. Il devait pourtant savoir, depuis le temps, qu'il ne pouvait pas l'emporter dans un concours de rhétorique avec le Pokemon Spectre. Et ce qui agaçait le plus l'ancien soldat, c'était qu'il ne pouvait pas faire ravaler son insolence à Spookiaou de la manière classique qu'il maîtrisait bien : avec un poing dans la gueule. Et pourtant, il avait essayé, mais n'avait fait à chaque fois que lui traverser le corps sans le toucher, au grand amusement de l'intéressé.
- Moi, ça ne me dérange pas, fit Huge en s'approchant pour caresser le corps du Wailord. Il a l'air gentil.
Huge était un des plus jeunes de la bande, quinze ans à peine, et avec des traits et une voix tellement féminines qu'on aurait pu penser qu'il s'agissait d'une fille. C'était aussi le jeune frère de Kaelin. Il vouait toujours un grand amour aux Pokemon, quels qu'ils soient. Et les Pokemon l'aimaient aussi. Sans doute ressentaient-ils sont empathie à leur égard. Il avait tout du parfait dresseur de Pokemon, ces gens un peu fous qui s'amusaient à dresser ces créatures pour les faire s'affronter dans des combats, comme Fral, la jeune fille qui faisait office de Huitième Héros.
- Tu trouves tous les Pokemon gentils, même ceux avec des crocs et des griffes énormes, souligna sa sœur.
- Allez, tout le monde embarque, ordonna Ametyos.
- Foutredieu, Votre Altesse ! Commença à protester Pelwins. Vous ne...
- Il n'y a pas de différence entre risquer de se faire avaler et digérer par ce Wailord que bouffer ou noyer par les autres Pokemon qui auraient pu nous amener. Nous serons impuissants à cette profondeur, quel que soit le Pokemon.
Ametyos n'était pas aussi confiant qu'il voulait le montrer, bien sûr. Lui-même n'avait qu'une confiance limitée envers les Pokemon. Avec la vie sauvage et clandestine qu'il avait vécu depuis la Révolution, ces créatures n'étaient pour lui que soi des prédateurs, soit des proies pour se nourrir. Pourtant, quand il était plus jeune, il se rappelait avoir adoré les Pokemon et avoir souvent joué avec ceux, domestiques, du Château Royal. C'était justement à ce genre d'occasion, quand le petit Ametyos s'esclaffait sans crainte avec des Pokemon à ses côtés, que sa mère avait pu sortir une remarque nostalgique du type : « tu es décidément comme ton père ». Ametyos en avait conclut que son géniteur était une sorte d'amoureux des Pokemon.
Le Wailord ouvrit largement sa gueule, et Ametyos montra le chemin en sautant le premier. Même s'il n'en menait pas large, il tira un certain soulagement en constatent que les dents de Wailord n'étaient pas pointues, même si elles faisaient deux fois sa taille. Il fit attention de ne pas glisser sur son immense langue, et trouva un endroit relativement plat pour s'asseoir. Les autres le suivirent, et Pelwins fut le dernier à sauter, bon gré mal gré. Spookiaou se contenta de traverser le haut de son corps pour arriver jusqu'à eux.
- C'est bon, vous êtes confortablement installés ? Alors c'est parti, copain Wailord !
Le Pokemon Eau poussa un son d'assentiment qui résonna tellement que tous durent se boucher les oreille, puis referma la gueule. Ils furent tous dans le noir jusqu'à que Spookiaou fasse apparaître trois Feu Follet autour de sa main, ce qui leur accorda assez de lumière pour que tous puissent se voir. Ils sentirent Wailord plonger, et la pression environnante changer.
- On y sera dans cinq minutes, leur dit Spookiaou. Le temps qu'il faut pour que vous remettiez le plan au clair.
- Le plan est suffisamment clair, renchérit Ametyos. Pour une fois qu'il n'y aura pas besoin de forcer un coffre et de faire une diversion, on ne risque pas d'oublier quoi faire.
Et pour cause : pour la première fois depuis que le prince avait entrepris de rassembler les parties du cadavres de son grand-père, celle-ci, il n'allait pas la voler. Il allait tout simplement l'acheter. Reomarinus avait beau être un Héros, c'était plus un titre qu'autre chose pour lui. Il ne se rendait quasiment jamais à la surface pour participer à la direction du royaume avec les autres. Aussi, il devait totalement ignorer qui était Ametyos et son but, pour si peu qu'il en ait quelque chose à faire. Il se fichait en effet totalement des histoires des humains. Mais il les acceptait avec joie dans son palais, justement pour marchander et faire du troc.
Tout ce mois passé, Spookiaou avait profité de sa nature de Pokemon – qu'il avait cessé de nier mais qui ne l'enthousiasmait guère non plus – pour réunir toutes les informations qu'il pouvait sur le Roi des Pokemon Eau. Ses conclusions étaient sans appel : Reomarinus était un idiot. Un idiot sympathique, naïf, vénal, et qui adorait les objets rares et insolites de la surface, dont il faisait la collection. Malgré son titre, il ne dirigeait nullement les mers et encore moins tous ses habitants. Il était juste une sorte de figure de proue des Pokemon Eau locaux, qui au final vivaient comme ils l'entendaient, sans directive royale d'aucune sorte.
Pourquoi donc un tel Pokemon, à la base, avait-il rejoint la Révolution et combattu le roi Zephren aux côtés des autres Héros ? Durant ses dernières années de règnes, qui furent les plus brutales et despotiques, Zephren s'étaient aliénés la grande majorité des Pokemon de la région par une politique cruelle à leur égard, les considérant tout bonnement comme du bétail pour l'effort de guerre royal. Ça avait été particulièrement vrai pour les Pokemon marins justement. Les royalistes s'étaient mis à pécher sans aucune limite ni considération pour la faune, avec la bénédiction de Zephren, pour nourrir l'armée.
Iskurdan avait profité de l'occasion pour se mettre Reomarinus de son côté, avec l'aide de cette gamine, Fral, l'héritière d'une famille bien connue d'amoureux des Pokemon. Probablement que le Seigneur Aura Gardien avait dû dire à Reomarinus ce qu'il voulait entendre. Et ça avait marché. Pour soi-disant sauver les siens, le Roi Aquatique était entré en guerre contre les Karkast. C'en fut alors fini de son contrôle sur les mers du royaume. Quasiment tous les navires de la couronne furent coulés en un instant. Et un nouvel Héros avait rejoint les autres, un de plus qui avait combattu Zephren lors de ce duel mémorable devant le château royal. Et ça avait dû jouer sur le résultat. Car aussi naïf et stupide soit-il, Reomarinus n'en demeurait pas moins l'un des dix-huit souverains immortels des Pokemon, dont la puissance était tout sauf négligeable.
- Ce dont j'aimerai être sûr, moi, si c'est ton intermédiaire était digne de confiance, reprit Ametyos en direction de Spookiaou.
Le Pokemon Spectre se mit la main sur le cœur en une parodie d'indignation.
- Tu me vexes, Ta Sérénissime Altesse. Toutes mes connaissances sont dignes de confiance. J'avais déjà fait des affaires avec le Palais Sous les Flots quand je dirigeais les Détrousseurs, et cet Akwakwak a toujours été un intermédiaire réglo.
- Y'a que moi qui trouve bizarre qu'un des Dix Héros protecteurs du royaume fasse des magouilles avec une bande de voleurs ? Demanda Jakel, l'un des karkastiens présents.
Spookiaou haussa ses petites épaules.
- Reomarinus fait des magouilles avec tout le monde du moment qu'il en tire des bénéfices, c'est à dire des articles rares pour sa collection. Et puis, le concept de « hors-la-loi » est assez difficile à comprendre pour les Pokemon vivant sous la mer.
- On est sûr alors que cet Akwakwak avait bien eu l'autorisation de Reomarinus quand il nous a invité à venir pour commercer en toute amitié, insista Ametyos.
- Sûr de sûr ! Arrête de t'en faire, tu me rends nerveux. Les sujets de Reomarinus sont toujours accueillants et gentils, et se contrefichent de la politique de la surface. Vous verrez. Dès que Wailord ouvrira la bouche, la première chose que l'on verra sera tout pleins de gentils Pokemon Eau terrestres qui nous réserverons un accueil royal !
Ils ne tardèrent pas à le savoir. En effet, ils eurent l'impression que Wailord traversait une matière plus résistante que de l'eau ; sans doute le champs de force qui entourait le palais de Reomarinus pour retenir l'eau tout autour. Puis la pression diminua nettement, ce qui provoqua un curieux sifflement dans les oreilles de chacun.
Wailord s'arrêta, et ouvrit sa gueule peu après. La prédiction de Spookiaou se révéla être à moitié exacte. En effet, dans la cours sous-marine de cet immense palais aquatique, parsemé de coraux multicolores, il y avait bien une petite trentaine de Pokemon Eau pour les accueillir. Mais quant à qualifier cet accueil de royal, il y avait un peu plus qu'un pas. Les Pokemon étaient tous en position de combat. Deux Tortank avaient leurs canons à eau directement pointés sur eux. Et leurs cris à tous n'avaient en rien l'air d'être amicaux. Ils ressemblaient plutôt à une injonction de se rendre sans résister. Et justement, parmi eux, il y avait un Akwakwak, qui les pointait du doigt avec l'air satisfait de celui qui venait de livrer de dangereux criminels.
- Ah ! S'exclama Spookiaou, l'air penaud.