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Crocodiliens de Arzonhydre



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» Auteur : Arzonhydre - Voir le profil
» Créé le 31/07/2020 à 02:07
» Dernière mise à jour le 31/08/2020 à 22:01

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II - Cannette et jour, 2
Deux choses se sont bien passées depuis le déménagement.
La première, c'est que je me suis - encore heureux - très bien adapté à la chaleur, ce qui n'est pas spécialement étonnant en ce qui me concerne. Quand j'étais plus jeune, l'un des jobs de ma mère nous a fait aller jusqu'à Flocombe. En hiver. Je n'ai jamais accompli une fusion avec ma doudoune plus vite ou plus complète de ma vie entière, ce qui m'a valu beaucoup de regards amusés des habitants du coin. Être frileux dans la ville de Zhu est après tout, apparemment assez cocasse. J'ai pas trouvé ça drôle du tout, moi, mais j'étais occupé à exprimer ma vexation d'avoir dû déménager de nouveau. Enfin, en tous cas, je n'ai jamais aimé le froid. Je frissonne déjà en dessous de vingt degrés, alors Volucité et le Désert Délassant ne sont pas les endroits où je suis le plus malheureux non plus, d'un point de vue environnemental.
La deuxième, c'est ce Mascaïman, même si, en l'instant actuel j'ai du mal à le considérer comme une bonne chose - plutôt une chose griffue qui essaie de m'agacer par tous les moyens possibles. C'est moi qui l'ai trouvé, et je considère que c'est un fait assez surprenant pour être mentionné le plus souvent possible. Je n'ai jamais été très Pokémon. Le moment où j'ai été le plus proche de l'être, avant Mascaïman, c'était quand un Poichigeon venait me demander des miettes de goûter quand j'étais petit, et le moment où j'étais sur le point de commencer à vraiment l'apprécier, il m'a abandonné pour une fille qui avait des pains au chocolat plus bons que les miens. La fille - et ma mère, quand je lui ai raconté - n'a pas vraiment compris pourquoi je lui en ai autant voulu. C'était quasiment le seul Pokémon de ma vie qui ne me fuyait ou ne m'attaquait pas à vue. Le Tutafeh de ma mère - qui s'est attaché à elle pendant des fouilles au Château Enfoui, il y a longtemps, et ne l'a plus jamais quittée depuis - m'a toujours détesté, lui. De toute façon, c'est réciproque. Après toutes les fois où il m'a réveillé en sursaut en pleine nuit en venant jouer le monstre sous mon lit, je le déteste aussi, maintenant. Au fil des années, on a quand même réussi à en arriver à un relatif et très fragile cessez-le-feu, ce qui est quand même le strict minimum vu la taille de l'endroit où on se côtoie.
Mascaïman, je l'ai trouvé un beau jour de grand soleil sur la route 4, en revenant de Méanville. J'étais assis sur une planche avec mon goûter, et il est venu me voir. Avec un bout de tissu noué autour du museau, depuis un moment, vu le délabrement avancé du vêtement déchiré, et l'air mort de faim du Mascaïman qui le portait malgré lui. Je l'ai libéré, avec beaucoup de jurons et de doigts tordus, lui ai donné mon sandwich, et il m'a suivi jusqu'à chez moi. Ma mère l'a regardé comme si j'avais rapporté un criminel de guerre dans ma chambre. Il a mangé comme quatre pendant une semaine, a repris un air un peu moins agonisant en récupérant des forces, et le temps qu'il soit de nouveau assez en forme pour retourner vivre sa meilleure des vies dans le désert, subitement, elle s'est mise à l'adorer et lui à ne plus vouloir repartir. Du coup on l'a adopté. Un peu par défaut, en fait. Mais il m'aime bien - même si je ne suis pas spécialement sûr de savoir pourquoi - et je l'aime bien aussi, alors ça me va.
N'empêche que ça reste un Pokémon capable de presque mourir de faim parce qu'il a une manche de polo nouée autour du museau. C'est à peu près un bon résumé de sa débrouillardise, de façon générale. Et du nombre d'ennuis qu'il s'attire constamment.
Comme le fait que je viens de le perdre.

§

Tenir un Pokémon agité d'une dizaine de kilos dans ses bras sous une chaleur écrasante est épuisant. C'est pourquoi, en toute logique, quand il a cessé de se débattre et a eu l'air d'être un peu plus sage jusqu'à rentrer, je l'ai reposé par terre. Tragique erreur. Il m'a suivi sur quelques mètres, je l'ai lâché du regard, et l'instant d'après, il disparaissait, l'air de très bien savoir où il allait. Je lui ai couru après en jurant de toute mes forces - pas beaucoup, courir en plein soleil n'est vraiment pas une activité agréable - jusqu'à le perdre de vue à l'entrée du Désert. J'ai erré un peu dans sa partie la plus proche de sa route en l'appelant, jusqu'à accepter l'évidence: ce petit con vient de m'échapper.
Et maintenant, trempé de sueur, épuisé, assoiffé - évidemment, je ne m'étais pas dis qu'une balade rapide sur la route 4 méritait d'emmener de l'eau... - et parfaitement désespéré en anticipant déjà ce que ma mère va dire, je reviens sur mes pas pour au moins la quatorzième fois, à la recherche du moindre signe de sa présence. Les seuls indices que j'ai pour le retrouver sont les rares autres personnes en vadrouille dans le désert par une chaleur pareille, qui peuvent très bien le confondre avec n'importe quel autre membre de son espèce. Rien ne ressemble plus à un Mascaïman qu'un autre Mascaïman.
Ca ne m'a pas empêché de poser la question à chaque personne dans ce désert détestable, et ça ne m'empêche pas d'interpeller sans réfléchir la silhouette que je vois se découper en contrebas de la dune où je viens de grimper.
- Hey!
J'ai un froncement de sourcil surpris quand il se retourne. Tiens, toi, tu me dis quelque chose. Tu me dis quelque chose très très clairement, même. Qu'est-ce qu'il fait encore là? De toute évidence, il avait l'air sacrément pressé, tout à l'heure. Ou alors j'ai vraiment une si mauvaise tête que ça, mais quand même, c'est vexant à penser.
- 'scuse moi, t'aurais pas vu un Mascaïman? Celui de tout à l'heure. Il s'est enfui. Il est quelque part dans le coin. Probablement. Tu l'as vu?
D'abord je laisse mon Pokémon manger des déchets contondants, et maintenant je l'ai perdu de vue. Je dois vraiment pas lui inspirer un grand respect pour mes qualités - inexistantes - de dresseur.
Pantalon Militaire regarde autour de lui, anxieux, avant de bredouiller pour me répondre. Mon froncement de sourcils revient à la charge devant son malaise évident. J'ai peut-être l'air du dernier gars sur cette planète à qui on aurai dû refiler la responsabilité d'un Pokémon, mais je fais pas peur non plus, si?
- Je, non, j-j'ai rien vu. Pardon.
Et il s'éclipse de nouveau, aussi précipitamment que la dernière fois. Excepté que je l'observe s'éloigner avec une suspicion grandissante. Il s'enfuit comme si j'étais le type le plus menaçant à la ronde. Comme si il avait quelque chose à cacher, chuchote la partie la plus paranoïaque de ma conscience. En plus, il pue le mensonge à des kilomètres à la ronde.
Je finis par hausser les épaules en retournant à mes recherches. De toute façon, quoi? Je vais pas aller interroger brutalement un gars dont j'ai le vague sentiment qu'il est pas très net. Autant dédier mon énergie - ce qu'il en reste - à quelque chose d'un peu plus utile. Comme retrouver ce Mascaïman à la con avant que la nuit tombe, par exemple.
Le ciel, resté uniforme une bonne partie de ma recherche, annonce quelques nuages aussi suspicieux que l'inconnu au pantalon militaire au loin, et ça ne me plaît pas du tout.

§

"Près de euh, l'entrée du Château Enfoui. Je l'ai pas vraiment vu. Juste vite fait."
Mouais.
C'est l'indication la plus complète et précise que j'ai eu de la part d'un témoin de sa fuite, et elle n'aide pas du tout. Je suis juste assis sur un rocher pas loin, après avoir fait le tour de l'escalier descendant vers la ruine souterraine une demi-douzaine de fois, scrutant le sol à la recherche de traces de pattes et criant son nom dans le maigre espoir que si il m'entende, il change d'avis et revienne me voir. Evidemment, je n'ai rien trouvé, et il n'est pas revenu de lui-même.
Je fixe le ciel qui s'assombrit avec un désespoir épuisé. Je suis toujours en sueur, toujours assoiffé, et je devrais vraiment rentrer. Il connaît le chemin de Volucité, de toute façon, non? Sauf qu'on habite au cinquième étage, et qu'il ne sait pas encore taper un digicode ou appeler l'ascenseur. Ce qui voudrait dire venir vérifier à la porte sans arrêt qu'il n'est pas revenu. Et puis, ma mère, qui va me tuer en l'apprenant. Oh, et puis de toute façon, je suis en train de prendre sûrement plusieurs heures pour une promenade qui était censée en prendre vingt minutes, grand maximum. Même aussi peu attentive à ma présence qu'elle est, elle l'a forcément remarqué.
La sensation de la sueur de mes mains collant à celle de mon front a fini par me faire abandonner ma pose dramatique, la tête dans les mains en irradiant la lassitude la plus pure. Je regarde juste le soleil menacer de bientôt se coucher, projetant à partir de ma présence une ombre gigantesque derrière moi. La température commence à tomber, doucement mais sûrement.
Crissements de pas sur le sable.
Je tourne la tête avec un espoir de plus en plus vacillant, tout en sachant très bien que ça n'est pas le frottement de petites griffes mais bien le signe d'un autre humain en approche. Et apparaît sous mes yeux - que je cligne plusieurs fois, ahuri - cet éternel gars en vadrouille qui semble tout faire pour me hanter dans cette sortie interminable, l'air de ne m'avoir vraisemblablement pas remarqué ou reconnu. Je reste un moment interdit, en me demandant ce que ce type peut bien faire dans le désert depuis autant de temps. L'endroit n'est pas spécialement connu pour compter beaucoup de choses à voir, à part le Château Enfoui et les ruines alentours - et si il est venu voir ça, pourquoi est-ce qu'il ne s'apprête à y rentrer que maintenant? Et encore lui, au même endroit que mon Mascaïman... non, il y a définitivement quelque chose de louche.
Au diable ma mère qui m'attend, je veux savoir ce qu'il fiche ici depuis autant de temps.
- Eh!
J'atterris sur mes deux jambes un peu vacillantes en même temps qu'il me reconnait, et cette fois, c'est plus que de la nervosité qui se lit sur son visage. Il faut dire que je ne dois pas avoir l'air rassurant, cette fois. Je suis fatigué, je me sens particulièrement poisseux et puant, je suis frustré, et je veux le fin mot de cette histoire. Il recule un peu quand je m'approche, sans même essayer de répondre, cette fois.
- Ca fait trois fois que je te vois. Tu fais quoi, ici? Te faut autant de temps que ça pour trouver le seul truc intéressant à des kilomètres à la ronde?
J'aurais peut-être pas dû être aussi agressif. Il fait volte-face et saute quasiment dans le tunnel vers le Château, et je lâche une énième obscénité frustrée en me jetant à sa poursuite. Il n'y a pas un seul de ses mouvements qui ne hurle pas sa peur de se faire attraper pour, quoi que ce soit qu'il aie à se reprocher pour être aussi nerveux. Et il est hors de question que je le laisse s'en tirer sans savoir.
Le froid ambiant me fait presque me figer quand j'entre à sa suite. Je ralentis franchement, surpris, et je croise mes bras sans même réfléchir face à cette sensation inattendue. Evidemment. Le sous-sol fait bien son travail. La sueur qui poisse à travers chacun de mes vêtements et de mes cheveux mouillés me semble brusquement glacée. Mais si il croit qu'un peu de fraîcheur va m'empêcher de le retrouver... Je serre les dents et cherche du regard sa trace, terriblement visible et claire dans le sable qui recouvre le sol.
Eh, un bon point, je peux de nouveau courir sans surchauffer, au moins, dans ce hangar frigorifique en plein milieu du désert.
Je l'aperçois une première fois au coin d'un couloir, et il disparaît de nouveau aussi sec. Même en étant probablement bien plus en forme que moi, qui vient de passer un temps indécent à courir après un Mascaïman rebelle, je suis confiant - il laisse des traces de pas aussi repérables que si il traçait une flèche droit derrière lui, et il n'a nulle part où tenter de me perdre. Ses mouvements sont étrangement erratiques sur le sol, en bondissant sans cesse d'un mur à l'autre. Tant mieux. Presque sûr que je suis capable de rattraper quelqu'un qui s'amuse à faire des zigzags au lieu de courir droit.
- EH!
Il se tient immobile, devant un couloir partiellement effondré vers l'étage du dessous, et sursaute en m'entendant. Et cette fois, il hésite. Son regard passe du couloir à moi qui me rapproche, plusieurs fois, avant que je sois finalement assez proche pour que je devienne une plus grande préoccupation. Il échappe à ma vue quelques instants en s'y engageant, et je ne vérifie pas spécialement sa présence avant de le suivre.
Aussi suis-je des plus étonnés de ne pas le voir après quelques foulées dans le couloir. Je m'arrête lentement, ahuri, en plissant les yeux pour en voir le bout, en vain - et il est bien trop loin pour qu'il puisse déjà l'avoir traversé. Le bruit de quelqu'un qui se lève précipitamment derrière moi me fait me retourner brusquement. Caché derrière la colonne qui l'a soustrait à ma vision à l'entrée du couloir, il ne m'accorde qu'un regard très rapide avant de détaler de nouveau. Les mots sont insuffisants pour décrire ma frustration et mon humiliation quand j'esquisse le même geste. Tu peux courir autant que tu veux, tu t'es rendu bien assez étrange et suspicieux pour que je n'ai plus aucune envie de te lâcher.
Le sable se dérobe de façon très inattendue sous mes pieds en prenant mon élan, et je m'étale très disgrâcieusement au sol en perdant l'équilibre. L'idée de le perdre de vue est suffisamment motivante pour me faire me relever aussi vite que possible - ou tenter, en tous cas. Les grains dorés s'échappent de nouveau sous mes semelles. Un frisson glacé fige mes jambes. Je tourne la tête juste à temps pour voir l'avalanche de sable s'intensifier. Je n'arrive pas à retenir le glapissement qui m'échappe en essayant de m'éloigner à nouveau, et ma seule récompense pour cette tentative est un craquement terrifiant sous ma poitrine. Panique. Quelque chose tombe en dessous de moi. Je me raccroche quelques instants au sol en face de moi, avant de découvrir sombrement que le sol du désert n'est pas un bon appui du tout. Et de glisser dans une gerbe de sable à l'étage inférieur, en maudissant de toute mon âme les architectes de l'époque aussi amateurs de plafonds hauts.