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Parce que la vie n'est pas toujours rose de ZoroDaSH



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» Auteur : ZoroDaSH - Voir le profil
» Créé le 28/07/2020 à 14:19
» Dernière mise à jour le 02/08/2020 à 00:05

» Mots-clés :   Drame   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo   Sinnoh   Slice of life

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CHAPITRE 6 : Revers de la médaille
« Le Concours de Grâce Catégorie Normal va commencer ! Je pense que la plupart d'entre vous me connaissent déjà, mais je sais que chaque jour, de nouveaux spectateurs et téléspectateurs se joignent à ces magnifiques représentations. Je suis Denis. Et je serai à la fois votre animateur et Juge ! Les résultats seront annoncés à la fin, alors prenez patience ! Je vous souhaite un agréable moment au sein de notre chère salle de Concours d'Unionpolis. Sur ce, laissez-moi vous présenter nos participants ! »

La foule se calma aussitôt après les paroles de Denis. Ce bref silence me coupa le souffle. Je vis une grande lumière se projeter à la sortie du couloir sombre où je me situais. Je ne pouvais pas trop distinguer les trois autres participants.

« Concurrent numéro un ! Voici Gaston ! » s'exclama Denis. Un vieil homme moustachu portant un béret olive ainsi qu'un gilet de costume marron par dessus une belle chemise blanche se montra sur la scène en saluant les spectateurs. Il avait tout l'air d'un peintre. Le public l'applaudit avec enthousiasme.

« Ensuite, le concurrent numéro deux ! Gaétan ! » poursuivit Denis. Un homme adulte, vêtu d'une casquette et d'un gilet de sauvetage oranges, s'avança calmement. Il participait avec sa tenue de pêche, je trouvais ce choix assez surprenant, surtout pour un concours de grâce. Le public l'ovationnait également avec entrain.

« Le concurrent numéro trois ! Isabel ! » continua le présentateur. Ornée d'une tenue d'écolière à la jupe vermeille flottante, une jeune fille sautilla jusqu'à l'avant du plateau en embrassant de loin les spectateurs. Ils répondirent par des sifflements et des cris bien plus importants que pour les deux autres. Elle semblait vraiment décontractée, je ne devais pas me laisser impressionner. Le public se tut, d'une seconde à l'autre, je devrais me montrer aux yeux de tous. Mes joues commençaient à chauffer, mes jambes ne tenaient plus en place.

« Et enfin, le concurrent numéro quatre. Kana ! » annonça enfin Denis. Je claquai mes joues certainement rouges pour faire baisser la pression, et j'arrivai sur la scène. La lumière éclaira ma belle tenue rose de sœur parasol. Je me plaçai dans l'alignement de mes rivaux, à côté de la fillette. Je lançai un bref regard sur leur visage, par curiosité, car je ne les avais vu que de dos. Je trouvais d'ailleurs leur nom assez atypique, ils devaient peut-être venir des quatre coins de Sinnoh, voire de l'étranger. Puis la foule m'acclama avec élan. L'intensité de cette exclamation n'atteignait pas le niveau de celle faite pour ma rivale. Au centre, devant le plateau, j'aperçus les deux autres membres du jury. Germain me fit un petit signe de salut. Je me demandais s'il s'était souvenu de moi, ou bien s'il le faisait à tous les participants. La deuxième était une jolie jeune femme coiffée d'une rose fuchsia, répondant au nom de Carine. J'étais intimidée face au public immense et agité dans l'obscurité. Impossible de trouver Mme Miyazaki. Je m'inclinai alors pour les saluer poliment. Avais-je laissé une bonne impression ?

« Nous allons laisser les pokemon s'habiller pour les évaluations. Chers concurrents, habillez vos pokemon pour l'Epreuve de Style ! » informa le présentateur en se retournant vers nous. Le grand rideau magenta se referma. Nous devions donc retourner dans les coulisses, où nos accessoires personnels étaient rangés. « Le thème d'aujourd'hui est ... (roulements de tambour) la couleur ! Suivez le thème pour remporter le plus de points ! Vous disposez de soixante secondes ! Vous pouvez utiliser jusqu'à cinq accessoires ! Montrez nous votre sens de la mode ! Que la séance d'habillage commence ! » annonça l'animateur de toute voix. Le public était en folie.

J'appelai rapidement Chaglam pour se préparer. Même si nous nous étions beaucoup préparés, et que la limite d'accessoire n'était "que" de cinq, une minute passait très vite. Je devais me dépêcher tout en m'assurant que la tenue de mon élégant chat cendré fût parfaite. Il me laissa faire sans problème, esquissant un léger sourire. Lui aussi devait attendre le moment de monter sur scène tout autant que moi. Je scrutai Chaglam dans tous les angles. La moindre froissure dans la capuche Tiplouf me porterait défaut. J'accrochai sur son ventre fin deux pompons roses assortis à mon imperméable. J'ajoutai sur le haut de ses pattes avant deux petites plumes arrondies de couleurs blanches. Je trouvais l'harmonie entre le bleu, le blanc et le rose très raffinée. J'interprétais le thème de la couleur non pas comme un mélange gossier de toutes les nuances possibles, mais de la recherche d'un équilibre délicat et gracieux entre deux couleurs principales. Une petite alarme signalant la fin des soixante secondes retentit.

« Très bien ! Merci pour votre patience ! Regardons maintenant quel pokemon nos chers concurrents vont nous présenter, et de quelle manière ils les ont vêtus ! » s'enthousiasma Denis. Des sifflements résonnaient jusque dans les coulisses. Nous nous placions derrière le grand rideau découpé en quatre, accompagnés de nos partenaires.

« Concurrent numéro un, Gaston ! Gaston participe au concours avec Houhou ! » Je me souvenais que le policier qui m'avait accompagné sur la terrible route 212 possédait aussi un Hoothoot. Cinq plumes de teintes vives et différentes se dressaient au-dessus de sa tête, formant un éventail multicolore. Certes, le thème était respecté, mais ce mélange brouillon ne me semblait pas très recherché. Néanmoins, la foule l'applaudit énergiquement.

« Concurrent numéro deux, Gaétan ! Gaétan participe au concours avec Tortill ! » Une petite limace rosée portant une fleur bleu sur la tête et luisant de paillettes rampa sur le devant de la scène. Un Sancoki d'Occident. Pour le coup, il manquait vraiment de couleur, l'ovation était moyenne, il n'avait pas fait vraiment succès.

« Concurrent numéro trois, Isabel ! Isabel participe au concours avec Frimousse ! » Un Pikachu bondit sous le feux des projecteurs. Paré de trois écailles violettes et grises, couleurs qui s'accordaient bien avec le jaune de son pelage, il lança un nuage de confettis multicolores au-dessus de lui. L'éclat du diamant de sa couronne royale faite main m'éblouit. C'était difficile à dire, mais la fillette avait bien mis en valeur la souris électrique. Par contre, je n'appréciais pas du tout cette couronne, superflue et provocante. De plus, bien que mignon, Pikachu était un pokemon vraiment surcoté, je n'avais jamais compris pourquoi d'ailleurs. La foule l'acclamait. Elle marqua beaucoup de points. La popularité de base de son partenaire lui procurait un précieux avantage. Je sentais que l'écolière allait vraiment me mettre des bâtons dans les roues jusqu'au bout, je devais me surpasser.

« Concurrent numéro quatre, Kana ! Kana participe au concours avec Chaglam ! » appela enfin Denis. Passant toujours dernière, j'avais le temps d'observer et de juger - constructivement bien sûr - mes rivaux, mais l'attente demeurait à chaque fois insoutenable derrière les rideaux, sans voir la silhouette du public déchaîné. Chaglam semblait émerveillé sur le plateau.

Comme prévu, il s'avança élégamment sur la scène, croisant délicatement ses longues et fines pattes grises aux terminaisons blanches. Son regard fixe vers les spectateurs, il glissa sur l'un des confettis laissés par le Pikachu. Un élan de panique secoua ma poitrine, mais Chaglam se rattrapa en continuant sa marche, calme et concentré, comme si de rien n'était. Son attitude m'impressionna, je retrouvai aussitôt mon sang-froid. Je vis Isabel me regarder en cachant un sourire narquois. Je respirai profondément afin de maîtriser mes émotions fraichement bousculées et de ne pas céder à ses provocations. Cet esprit de compétition ne me traversait pas l'esprit quand je regardais les concours à la télévision. Le public m'accorda tout de même une ovation honorable, de quoi me redonner confiance.

« C'est l'heure de l'épreuve de danse ! Tout le monde est prêt ? » interrogea comme à son habitude Denis. La foule répondit intensément. « Ok ! Dansons ! Envoyez la musique ! ». A ces mots, les projecteurs se mouvaient sur la piste, nous nous reculions tous pour laisser place à nos pokemon. Nous avions tous préparé deux séries de danse. Le but était de reproduire au mieux la chorégraphie du pokemon devant la scène. Nous pouvions indiquer à nos partenaires quel pas effectuer sur le rythme entraînant. L'épreuve de danse constituait ainsi une épreuve de mémoire. Les gens du public se levaient, chantaient et dansaient. L'ambiance de ce spectacle était magique, surtout en direct. Le son vibrait dans tout mon corps, mon pied battit automatiquement sur le rythme irrésistible.

Nos pokemon se déhanchaient et se balançaient de tous les côtés. Ils donnaient du meilleur qu'ils pouvaient. Chaglam avait fait une belle performance. En effet, l'agilité de son corps svelte et léger ainsi que sa longue queue en tornade lui permettait de faire de grands mouvements souples et amples. Son élégance était incontestable. Le Pikachu de la fillette n'en avait pas démordu non plus.

A la fin de l'épreuve de danse, pendant que Denis annonçait la troisième et dernière épreuve, nos pokemon revenaient à nos côtés. Chaglam s'assit face à moi en agitant sa patte avant. Il lâcha de petits miaulements que je connaissais bien. Il avait souvent besoin de manger, d'autant plus après un effort. Malheureusement, je n'avais pas ma boîte à Poffins sur moi, je l'avais laissée dans la loge, n'étant pas autorisée sur scène. Je le caressais gentiment pour le calmer et lui transmettre mon énergie pour tenir encore un peu. Il me dévisagea un instant, et Denis nous invita à nous approcher pour présenter au jury notre première capacité. J'avais raté le tour d'Isabel et de Pikachu ...

Je demandai à Chaglam d'utiliser "Charme" sur Germain. Il se retourna vers moi et miaula une fois de plus. Le brouhaha presque permanent de la foule s'arrêta soudainement. Seul le ricanement de la fillette parvint à mes oreilles. Ce changement d'atmosphère face à l'attitude de Chaglam me frappa de plein fouet. J'essayai tout de même de faire abstraction de l'environnement extérieur pour me concentrer sur mon pokemon. Avant de ne pouvoir prononcer le moindre mot, le chat se dressa et me visa avec ses pupilles en dilatation, arborant ce regard perfide de la Poffinerie, que je croyais voir pour la première et dernière fois. Par réflexe et par peur, je pris dans ma main sa Ball. Il me sauta littéralement au visage et me donna sauvagement des coups de griffes qui blessaient plus mon cœur que mon corps, avant de retourner dans sa Ball. Je n'avais rien pu faire face à sa rapidité.

La foule criait, sifflait, applaudissait, et surtout, me huait. J'entendis la voix embarrassée de Denis mais je ne voyais pas grand chose. L'attaque du félin déloyal m'avait touché les yeux, je les laissai donc fermés, mais des larmes commençaient à couler à flots. Des larmes de déceptions. Des larmes de désillusions. Des larmes de honte. Face à cette humiliation publique et en direct à la télévision, je tombai à genoux sur la scène, les mains cachant mon visage trempé. Mes larmes coulaient même sur mon cher imperméable rose. Ce rose qui devait définir mon avenir, paisible et rempli de joie. Qu'avais-je fait pour subir une telle humiliation ? Je repensai étrangement à mon grand frère, Takeshi. Tout comme lui, mon rêve venait d'être réduit à néant par un pokemon auquel j'avais accordé une confiance sans limite. Quelle serait la prochaine étape ? Mes larmes incessantes me rappelèrent également la terrible route 212 frappée par la pluie éternelle. Etais-ce vraiment une bonne chose d'avoir survécu à la noyade ? D'un coup, je sentis une étreinte bizarrement chaleureuse m'enlacer les épaules.

Vortente avait bondit des gradins. Il me cacha de la lumière du projecteur et du public. Son attention m'alla droit au cœur. Moi qui le repoussait sans cesse, qui le nourrissait sur le balcon, qui le détestait ... J'avais aussi fait une annonce afin de l'échanger. Pourquoi me protégeait-il et me réconfortait-il ? Je ne méritais clairement pas sa pitié, mais je m'accrochais fermement à son corps végétal en pleurant encore plus. Un malaise profond, provoqué par l'attitude intransigeante que j'avais envers la plante carnivore, s'ajouta à mon humiliation publique. Lequel de ses deux sentiments étaient le plus douloureux à cet instant ? Difficile à dire tellement ma rancœur injustifiée à l'égard de Vortente me bouleversa. J'avais tout faux depuis le début. Je n'avais jamais cherché à les comprendre, les haïssant d'entrée pour leur apparence disgracieuse.

Denis fit taire le public, et Germain m'accompagna dans la loge. Vortente garda son bras en forme de feuille sur ma épaule. J'étais bien entendu disqualifiée, mais le concours se poursuivit après une courte pause, pour se remettre des événements. Il était clair que cette peste d'Isabel gagnerait, mais tant pis. Germain passa un coup de serviette humide sur ma griffure, mais resta assez muet, lui qui était d'habitude très bavard. Il avait l'air embarrassé par la situation. Mme Miyazaki arriva à toute vitesse pour me soutenir. Elle me serra tendrement dans ses bras. Malgré ses mises en garde qui s'étaient avérées, elle ne m'abandonna pas à mon sort. La vie me laissait tout de même une présence maternelle dans tous mes malheurs.

Ma patronne nous amena chez elle. Elle séjournait à l'étage de la Poffinerie. L'odeur fruitée des baies avait imprégné les murs crèmes de son grand appartement aéré et lumineux. La décoration était sobre, cela faisait un drôle de contraste avec les couleurs vives et pimpantes de la cuisine d'en-dessous. Elle m'installa avec Vortente à la table basse en bois du salon, sur des coussins de sol très confortables. Elle nous servit des Poffins et prépara du thé. Son attention me touchait énormément, mais je demeurais muette suite à ce bouleversement qui m'avait secouée de plein fouet.

Mme Miyazaki tentait d'entamer la discussion, mais elle ne savait pas trop comment. Tout ce qui définissait ma vie était tombé en ruine : mon frère, mon tout, m'avait été enlevé brutalement par la Team Galaxie. J'avais concentré à tord ma colère sur les pokemon de Takeshi, sans doute parce que je ne pouvais rien faire de concret pour faire payer ces infâmes terroristes. Puis, mon rêve, Unionpolis, et surtout les concours. Chaglam m'avait blessée et humiliée sur la scène de tous mes espoirs. Les deux semaines à ses côtés m'avaient semblé parfaites, seulement, il se comportait de manière exemplaire tant que je le nourrissais allègrement. Cette illusion m'avait même fait oublier Takeshi. Certes, je n'avais plus fait de cauchemars, mais je ne le voyais plus tout court. Son sourire me manquait tellement !

Je me retournai vers Vortente et m'excusai longuement. Ces quelques mots de réparation ne suffiraient jamais à compenser toutes les injures que j'avais pu lui lancer. Il fallait en répondre par des actes. La plante verte me sourit bêtement. Non. Adorablement. Un air de satisfaction se dégagea du visage de Mme Miyazaki. Elle me proposa de me laisser le lundi pour me reposer, jour de congé que je refusai poliment. Mon travail, c'était tout ce qu'il me restait de bien. Enfin, presque tout.

Ce samedi soir, je laissai Vortente libre dans mon appartement. Il avait retrouvé cette petite agitation qui m'avait toujours agacée, mais maintenant, cela ne me dérangeait plus. Il meublait ce calme oppressant qui pouvait me faire craquer à tout instant. J'avais laissé Chaglam au Centre pokemon. Ne pas s'occuper de lui après cet incident n'était pas la meilleure solution, je me défilais encore de mes responsabilités de dresseuse. J'en étais consciente, mais mon état mental actuel, désorienté, ne me permettrait pas de faire face efficacement à la situation.

Impossible de dormir. Tous les événements de ce dernier mois revenaient dans ma tête. En plus du traumatisme de la mort de Takeshi, de mon humiliation en direct et de ma terrible désillusion, le comportement abject avec lequel j'avais traité Cradopaud et Vortente me rongea de l'intérieur. Je me mis à penser à ce petit crapaud hautain. La mort de Takeshi l'avait autant touché que moi. Je me souvins, le jour du déménagement, où il avait fugué pour s'assoir là-bas, sur la rive secrète de notre enfance, face à l'horizon bleuté. Il avait pleuré. Je ne pensais pas qu'un pokemon ressentait de telles émotions. Egoïstement, je n'avais jamais cherché à les comprendre. Eux, malgré tout, m'avaient sauvée de la noyade sur la route 212. Je ne pouvais passer ma soirée qu'à pleurer et regretter. J'avais finalement échangé Cradopaud, je m'en mordais les doigts. Je finis par réaliser que l'événement d'aujourd'hui n'était pas si injuste. Je récoltai simplement ce que j'avais semé.

Cloîtrée entre ces quatre murs depuis un petit bout de temps, je commençais à étouffer. Les rares rayons solaires, perçant le ciel gris de ce triste Dimanche, illuminait faiblement l'écart entre les volets. Il était 6h30. Broyer du noir toute la nuit avait mis mon cerveau en surchauffe : il fallait prendre l'air. Le calme dehors n'allait pas perdurer longtemps, je profitais ainsi de ce moment pour me ressourcer. La légère brise matinale caressait ma peau encore chaude. Cependant, elle ne m'apportait pas la fraicheur recherchée. Sous ce dense voile grisé, l'atmosphère était d'une lourdeur désagréable et oppressante.

J'inspirais de grandes bouffées d'oxygène pour me vider la tête. Je piétinais sans but précis le long des rues pavées d'Unionpolis. Même le Dimanche, beaucoup de gens se levaient tôt. Les terrasses et les cafés s'installaient déjà, les coureurs du matin défilaient le long des trottoirs, les commérages démarraient. J'avais la nette impression de me sentir observée. D'habitude, je ne prêtais pas attention aux visages des passants, j'observais en général leurs vêtements et leur style. Mais aujourd'hui, c'était différent. Comme si je revivais la honte sur scène face à ce public inconnu et indiscernable. Tout le monde aurait pu me reconnaître. Mon état paranoïaque était tel que je me préparai à affronter les journalistes en quête du moindre scoop pour faire de l'audience.

Je me mis à courir, droit devant, fermant les yeux un instant. Je débouchai soudainement sur la rue perpendiculaire descendant vers la cathédrale. Je repris mon souffle, mon endurance n'était pas top. Cette lacune sportive me fit rire bêtement. Une apparition invraisemblable au loin arrêta mon humeur plaisantine. Un crapaud bleu foncé sautillait en direction de l'immense église gothique. J'y avais pensé toute la nuit : Cradopaud me manquait. Sans me poser plus de questions, je le poursuivis en l'appelant. La distance qui nous séparait ne lui permettait pas de m'entendre. Je le perdis de vue au bout de la rue. Mon cœur battait à toute vitesse, je balayai du regard le quartier tout autour de moi. Ne l'ayant trouvé à l'extérieur, il avait forcément du entrer dans la bâtisse.
En ouvrant la lourde porte d'entrée de l'église, mon corps se figea dans l'atmosphère humide et silencieuse. Bien que l'air intérieur demeurait impalpable comparé au fluide étouffant extérieur, je sentais comme une énergie omniprésente dans la grande pièce peu éclairée. L'ambiance religieuse dans ce calme olympien modifiait peut-être ma perception ?

Je m'avançai automatiquement dans l'allée centrale, bordée de rangées de bancs en bois vernis. Quelques personnes s'asseyaient pour se recueillir. J'observais droit devant le grand vitrail évanescent de couleurs vives et chaleureuses. « Qu'il repose en paix », repensai-je. Si le paradis existait, Takeshi y serait déjà. Il avait du voir mon attitude envers ses chers pokemon, une profonde honte montait en moi suite à cette idée. Le mal était fait, on ne pouvait pas réécrire le passé, c'est mon avenir que je devais tracer pour me rattraper.

Au premier rang se tenait le Cradopaud. Je m'apprêtai à le prendre dans mes bras, mais de prêt, je pus constater qu'il était plus vieux et un peu plus grand que celui de Takeshi. Mon espoir naïf me fit sourire, je le caressai tout de même. Son expression montrait son acquiescement. Le grand homme assis à côté se leva et fit signe à Cradopaud de le suivre en me disant « Désolé mademoiselle, nous sommes un peu pressé. Je ...».

Nos regards se croisèrent, et un temps de latence glacial marquait nos interrogations face à ce visage familier. Il partit en s'excusant, son manteau caramel flottait dans l'air lorsqu'il marchait. Je le regardai, l'esprit déconnecté de la réalité. Je ne pouvais pas oublier la figure du chef de la police qui avait pris en charge l'enquête de l'explosion du Grand Marais, et qui surtout, m'avait annoncé la perte de mon frère. Que faisait-il ici ? Lui aussi s'était rappelé de moi. Surprenant. J'imaginais qu'il en voyait beaucoup, des membres de la famille des victimes aux attentats provoqués par la Team Galaxie.

Mon regard se perdit dans la flammes des bougies disposées sur un petit présentoir face à moi. Je voulais coûte que coûte récupérer le Cradopaud de Takeshi. Mon Cradopaud. J'étais prête à tout. Il était plus que probable qu'il n'acceptât plus jamais de me revoir, mais je comptais essayer et insister dans la limite du raisonnable. Les pokemon aussi sont des êtres sensibles, sans doute même plus que les humains, et ils avaient aussi le droit d'avoir le choix. Il m'avait fallu une vingtaine d'années pour comprendre cette vérité fondamentale.

De retour à mon appartement, j'avais envoyé un message d'urgence à Hiro, le Pokemaniac, pour négocier et récupérer mon petit crapaud fanfaron. J'attendais tout le reste de mon dimanche, affalée sur la table du salon, dans l'attente de sa réponse. Mes paupières s'alourdissaient, mais je refusais de dormir. Le temps s'écoulait trop lentement, j'entendais le tic tac de chaque seconde qui défilait indépendamment de la vie humaine. Plus tard dans la soirée, le son d'une notification fit battre mon cœur à toute allure, Hiro m'avait répondu.