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Festival de Nicéphore



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» Auteur : Nicéphore - Voir le profil
» Créé le 27/07/2020 à 15:33
» Dernière mise à jour le 27/07/2020 à 15:33

» Mots-clés :   Alola   Slice of life

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Chapitre 3
Joshua reprend le chemin de chez lui avec soulagement, et une curiosité croissante. Non pas qu’il soit tout à fait impatient de visiter enfin le Village Festival, il se défend de le croire, mais il faut dire que l’idée accapare un grand coin de ses pensées depuis la veille. Même les quelques événements notables de la journée ont été éclipsés par ce résumé plus juste de sa journée : il a attendu le soir.

Plus encore que d’être joyeux de découvrir un potentiel nouveau centre d’intérêt, il se ravit d’éprouver de l’intérêt pour quelque chose de nouveau, tout simplement. En espérant ne pas être déçu. Au moins, c’est une belle journée : il a d’abord affronté Jessica la tête haute (nouvelle étape franchie dans l’optique de lui clouer un jour son bec de Vaututrice) et dit bonjour à Anela (dans la continuité de la discussion amicale de la veille, alors qu’il ne lui adresse que rarement la parole). Bref, tout va bien, et ses perspectives ont retrouvé des couleurs.

Un vent frais atténue la chaleur des pavés de Malié, où Joshua trébuche encore, de temps en temps. La ville n’a cesse de s’agrandir, mais sans que cela ne nuise à l’ambiance que veulent garder les habitants : une ville Johtoïte traditionnelle sous le climat d’Alola. L’architecture y est, du moins dans le centre-ville, même lorsqu’il s’agit d’immeubles de cinq ou six étages ; les portes vitrées coulissent, les façades s’ornent de bois, les poutres s’arc-boutent pour soutenir les proéminences d’étages rajoutés au cours du temps, les maisons se serrent les unes contre les autres, des morceaux de toit dépassant au-dessus de la rue. Mais le tout est solide. Du linge sèche aux volets, agité par le vent, des Picassaut sautillent aux terrasses des cafés, et les gens circulent, naturellement.

C’est le genre de spectacle qui met Joshua de bonne humeur, quand tout se passe bien, que tout est normal, calme, avec un peu de soleil et un ciel dégagé. C’est ce qui le pousse à sortir parcourir les rues, souvent après les cours, juste pour marcher sans but et ne pas parvenir à se perdre dans ces rues qu’il connaît par cœur. Quelques venelles en partant vers la gauche, il y a cette avenue avec des maisons basses et des restaurants ouverts à toute heure, et au bout, un peu caché derrière un immeuble, le parc vert où il s’assied en tailleur sur un banc pour réfléchir à ses projets, une pochette sur les genoux. À droite, c’est plutôt le quartier d’affaires, plus moderne et aux buildings carrés, où les rares passants ne font attention à rien, mais il faut déjà marcher un peu pour y parvenir.

Bref, pour l’heure, il continue tout droit pendant une dizaine de minutes, tourne un peu ici et là, puis pousse la porte de l’immeuble, puis de l’appartement. Son père est à son poste, mais comme à son habitude, il prend la peine de détacher les yeux de son écran pour lui offrir un sourire massif et lui demander si sa journée s’est bien passée (oui). Le garçon fait un saut par la cuisine histoire de piquer une ration de cake aux fruits emballé, puis monte dans sa chambre (où l’on n’a pas vraiment le droit de manger, mais tant pis).

Il pense à Chlorobule, dont il ne sait pas trop si le Village lui plaira. Lui, si ça ne lui dit rien, finalement, ça n’engage que lui, mais elle ? Peut-il vraiment la forcer à venir avec lui ? En a-t-elle seulement envie, et a-t-elle même envie de le voir…? Il s’assied sur son lit, saisit la Pokéball restée sur sa table de nuit — il ferait mieux de l’emmener avec lui à l’école même lorsqu’il n’a pas cours de dressage, mais il a bien trop peur de la perdre — et la fait rouler entre ses longs doigts, le regard dans le vague. Finalement, après une hésitation, il décide de proposer l’aventure de vive voix à la créature et appuie sur le bouton central de la sphère.

Chlorobule se matérialise au pied du lit, somnolente ; elle secoue la tête pour reprendre ses esprits, puis lève vers Joshua des yeux amicaux.

« Salut ? lui sourit-il avec gêne (cela lui fait toujours un peu drôle de parler à une touffe d’herbe). Euh, tu vas bien ? »

La petite plante semble hésiter, acquiesce timidement puis lève les yeux vers les fenêtres au-dessus du lit en minaudant quelques gazouillis.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu voudrais sortir…? C’est ça ?
— Chtriiii !
— Dehors ? Oui, justement… Mon frère — Thomas — m’a parlé d’un endroit sympa pour les dresseurs de Pokémon apparemment… ça s’appelle le Village Festival, et c’est, ben, un village où il n’y a pas de combats. Juste des activités qu’on pourrait faire ensemble. Enfin, je ne connais pas, mais ça te dit qu’on aille voir ? Là maintenant ? »

Chlorobule hoche à nouveau le bulbe de sa tête vert tendre en émettant un son aigu que Joshua prend pour un oui. En espérant bien interpréter.

« Ça marche. Il faut se téléporter, donc il vaut mieux que je te rentre dans ta Pokéball » explique-t-il en espérant se souvenir de la ressortir une fois arrivé au Village.

Sur l’approbation du Pokémon feuillu, il l’emprisonne à nouveau dans sa maison bicolore et se lève pour saisir un petit sac à dos, où il a glissé une pochette, des feuilles et des feutres — le minimum de survie nécessaire à toute promenade — ainsi que son porte-monnaie, ses clés, le morceau de cake emprunté à la cuisine et quelques babioles inutiles. La Pokéball rejoint l’une des poches, et ainsi équipé, Joshua se risque dans le couloir, puis dans la chambre de son frère. L’idée le traverse de prévenir son père, mais entre l’habitude qu’il a d’entrer et sortir de la maison sans forcément l’en informer et un fond de peur de mener une entreprise un peu idiote, il écarte cette pensée pour s’agenouiller devant le téléporteur, les gants de protection aux mains.

Comme la veille, le dessus de l’objet s’illumine d’un bleu pâle. Joshua a déjà utilisé ce genre d’engin, bien sûr, mais plutôt dans des établissements publics où ils sont directement encastrés dans le sol. Il ne sait pourquoi, mais ce téléporteur-ci, plus haut et seulement relié au monde par un câble électrique, l’intimide davantage. Il y a peut-être aussi le fait qu’il s’apprête à parcourir une assez grande distance : se déplacer sur une autre pointe de l’île d’Ula-Ula, c’est autre chose que de monter de deux étages dans un immeuble.

Allez, peu importe. Trois, deux…

Les fourmillements qui commencent à parcourir son corps n’ont pas le temps de vraiment l’importuner qu’il se retrouve face à une cloison orange pâle, dans ce qui ressemble à une cabine d’essayage.

« Vous venez de Malié, Ula-Ula, par le téléporteur n°870 » l’informe une voix synthétique.

Joshua se retourne pour apercevoir un imposant ordinateur, dont il s’approche. La salle où il a atterri, assez spacieuse, donne sur une dizaine de petites alvéoles numérotées où s’alignent les téléporteurs.

« Il vous suffira de scanner ce ticket pour repartir. Bonne visite au Village Festival !
— Merci » marmonne Joshua en tirant sur le morceau de papier qui a effectivement jailli de l’engin.

Les intelligences artificielles l’ont toujours mis mal à l’aise, et il se sent un peu moins sûr de lui. Mais une large porte s’ouvre sur l’extérieur, hors de question de tourner les talons maintenant.


•°•

Le petit bâtiment à l’odeur de neuf débouche sur une grande place à l’odeur de mer. Les pavés clairs et réguliers reflètent la lumière de fin d’après-midi, en lui laissant de légères teintes en nuances de bleu-rosé. La place est vaste, en demi-arc de cercle, bordée par des bâtiments colorés sur son pourtour courbé et coupée par ce que le garçon devine être les fortifications de l’ancienne Kokohio. Si l’imposante muraille grise intimide, elle n’est pas en mesure de rivaliser avec l’ambiance qu’ont voulu instaurer les architectes du Village Festival : des graphes éclatants lui prêtent de la couleur et des drapeaux hissés à son faîte profitent de l’air marin en agitant les leurs.

Au milieu de la place, donc, contre le mur, se dresse un bâtiment que Joshua reconnaît immédiatement. Comme tout le monde, il a quand même essayé une ou deux fois le fameux logiciel de la Place Festival, même s’il n’y a pas trouvé d’intérêt personnel. En tous cas, il se souvient bien du Château iconique de ce programme, ses murs de pierres azurées, ses cinq tours coiffées de cônes bleus en guise de toits : le même qui s’impose devant ses yeux, bien réel. Il ne possède que deux tourelles en plus d’un corps principal plus large, mais la ressemblance est évidente. Joshua commence à mieux saisir l’ampleur du projet Village Festival. Surtout qu’en plus de cette quasi-reproduction de la Place, des avenues, sur les pourtours, s’ouvrent vers d’autres espaces.

À quel point le Village est-il grand ? Il n’aperçoit même pas les coins de la muraille, dont il sait qu’elle forme un rectangle protecteur autour de l’ancien fort militaire. En se retournant, dos aux fortifications, il remarque derrière les bicoques criardes les formes d’autres boutiques (suppose-t-il : ça ne se pourrait pas trop que des gens habitent vraiment ici ?), et plus loin encore, une silhouette plus imposante au toit arrondi. C’est vraiment loin. Même un parc d’attraction, à vue de nez, ne doit pas atteindre une telle superficie…

Un peu impressionné, il reporte son attention sur le château né d’un amas de pixels. L’une des deux tours latérales est surmontée du mot “Accueil” ainsi que d’un pictogramme de point d’information, Joshua s’y dirige donc sans trop attendre, ses baskets claquant sur les dalles plates, ses yeux plissés comme barrage à la lumière.

Il n’y a pas beaucoup de monde pour fouler ces pavés, mais les rares passant qu’il aperçoit se font accompagner de leurs Pokémon, ce qui lui rappelle de libérer Chlorobule. La petite plante retrouve l’air libre avec un piaillement joyeux et lui emboîte le pas en frétillant, les yeux tournés vers le soleil.

L’entrée du bâtiment cylindrique, pourvue d’une porte vitrée que Joshua peine à pousser, est décorée de petits fanions de couleurs. Les mêmes surplombent les départs de rues au-dehors. L’ambiance rappelle à Joshua le petit village proche de la maison de son oncle, au sud de l’île : dénué de vie en semaine, il s’anime et se pare du même genre de drapeaux le samedi, jour du marché.

C’est un peu comme si l’on avait tout décoré pour une fête qui avait eu lieu la veille, et que les parures n’avaient pas été rangées alors que les gens avaient depuis longtemps regagné leurs maisons.

Pourtant, le calme flottant dans l’air n’est pas pour déplaire au garçon. Ce qui l’embête davantage, c’est que le guichet d’accueil est désert. Quelques brochures traînent sur un comptoir de bois, vantant le Village ou ses environs sur différents tons. La pièce est vaste, plutôt chaleureuse en comparant avec les reflets bleutés de l’extérieur, pourvue de fauteuils tressés à l’air confortable, d’une table basse supportant une plante en pot et d’une fontaine à eau. Mais il n’y a personne.

Joshua se sert un gobelet en plastique — l’eau est fraîche — et en propose un à Chlorobule, puis s’intéresse aux tracts publicitaires. Le premier qui lui tombe sous la main, aux tons gris, présente le musée accolé à la muraille du côté extérieur ainsi qu’un bref résumé du passé chargé d’histoire de Kokohio. Comme il a déjà bien appris ses cours, il préfère passer au flyer suivant. Celui-ci semble plutôt s’adresser aux enfants de huit ou dix ans, il est assez laid, mais l’informe néanmoins de l’existence d’un parc d’attraction dans la partie sud-est du Village — Thomas avait raison, des activités sont aussi mises en place pour les plus jeunes. Il repose le papier en relevant les yeux.

Son regard gris parcourt les murs de la pièce. Derrière le guichet est encadré un large plan du Village marqué d’un tampon “VOUS ÊTES ICI” (ceux devant lesquels Tom a coutume de commenter « Mais comment ils le savent ?! ») tout au nord de l’enceinte ; un examen rapide apprend à l’adolescent que l’endroit est effectivement plus grand qu’il ne l’avait imaginé au premier abord. Le rectangle des murailles couvre 900 mètres de largeur pour 1800 de longueur, ce qui lui donne une idée assez nette malgré sa mauvaise perception des distances.

Une légende en lettres minuscules recense par un système de numéros les différents lieux du Village, mais il se contente de repérer l’essentiel : le château où il se trouve, une “Place Principale” à l’opposé, tout au sud ; des espaces verts de part et d’autre de celle-ci, l’aire de l’est étant carrément pourvue d’un étang artificiel ; le bâtiment au toit arrondi qu’il a aperçu plus tôt, qui se révèle être un grand stade couvert accueillant des événements sportifs en tous genres ; et la plage, au nord-est — sans doute qu’ils y ont ouvert un accès dans la muraille. Toujours d’après la carte, il semble se trouver dans une zone plutôt construite du Village, là où la partie nord semble accueillir davantage de jardins.

Fort de ces nouveaux repères et de son sens de l’orientation relativement fiable (selon lui), il quitte la fraîcheur agréable de la pièce climatisée pour retrouver les dalles teintées de la place. Sa compagne feuillue profite immédiatement de l’ouverture de la porte pour s’élancer devant lui, puis soupirer d’aise sous les rayons du soleil. Un peu hésitant, Joshua l’appelle pour attirer son attention sur le chemin qu’il souhaite prendre : celui de la plage. Malié est une ville portuaire, strictement portuaire, avec des quais bétonnés et des ponts de bois — pas de sable, pas de coquillages. Il lui arrive de se déplacer avec son père et son frère sur les côtes pour accéder à ce genre de paysages, mais cela n’arrive pas souvent. Alors autant profiter d’être ici.

Chlorobule le suit donc gaiement alors qu’il tourne le dos au soleil déclinant pour suivre les fortifications vers l’est ; ou plutôt, le suit, puis le précède, puis tourne autour de lui pour s’éloigner, puis revenir, devant, puis derrière, et ainsi de suite. Ses piaillements de joie font plaisir au garçon.

Les bâtiments s’écartent largement, de ce côté, pour laisser apparaître une autre longue place dallée de grands rectangles blancs et gris clair. Sa forme aussi est plutôt celle d’un long rectangle, comparé au cercle de la place du château ; elle se borde de façades plus courtes ainsi que de camions de marchands (?), la plupart fermés. La muraille clôture l’espace en formant l’un des quatre angles de l’enceinte du Village. On y a appuyé des planches peintes en palissades de couleur qui n’atteignent même pas la moitié de sa hauteur, mais perpétuent l’esprit de l’endroit. Surtout, deux grandes arches trouent le mur, côte à côte, laissant apercevoir l’éclat du sable chaud.

La place est véritablement immense, et Joshua a l’impression d’y voir plus de monde qu’auparavant : la terrasse d’un café côté Village remplit presque toutes ses tables rondes, abritées de parasols bicolores, un petit attroupement s’est formé autour d’un marchand de glaces du côté de la muraille, deux enfants font claquer leurs sandales et les pattes de leurs Pokémon vers les décorations en bois pour se cacher derrière, d’autres passants passent, s’arrêtent ou repartent. Un peu étourdi, l’adolescent se recentre distraitement sur son ombre qui s’étire devant lui, tout en continuant vers la mer. Il lui faut tout de même trois minutes de grandes enjambées pour quitter enfin les dalles aveuglantes de l’esplanade et traverser l’une des grandes portes.

Une pente douce de pierre brute se recouvre de sable un peu plus loin, fin d’abord, puis mêlé de cailloux, algues, coquillages, enfin luisant d’eau salée et de lumière dorée. Ces trois lignes de jaunes différents courent à droite et à gauche pour former une côte en courbe douce, qui se limite, de chaque côté, à une digue de rochers lointains. Ce n’est pas une spécialement grande plage, mais pas une spécialement petite non plus. Des couples ou des familles sont installés çà et là, nombreux, avec parasols, serviettes, ballons en plastique et enfants chahuteurs qui courent jusqu’à la mer. Après un temps d’arrêt, Joshua s’engage dans la même direction, en retirant ses chaussures pour grimacer sur le sable piquant. Chlorobule l’accompagne toujours avec enthousiasme.

Quelques Concombaffe traînent sur le sable, les gamins s’amusent à les relancer à l’eau en même temps pour parier sur celui qui reviendra le premier. Le garçon n’a jamais tenté le coup, la texture des envahisseurs, de ce qu’il en voit, le rebute un peu. Surtout, il peine à comprendre l’attrait du fait de balancer un être vivant en l’air — bon, même si cela ne lui fait pas mal. Bref. Il avance vers les vagues timides.

L’eau qui lèche ses orteils puis ses chevilles est froide, bien entendu, mais il est agréable de la sentir là. Le vent soulève des miettes de la mer pour les emmener effleurer ses mèches pâles, il regarde l’horizon, ses chaussures à la main, et se sent bien. On a raison de vanter les teintes de la mer d’Alola : le ciel encore très bleu lui transmet sa couleur, que le soleil rehausse de petits éclats blancs. Enfin, Joshua ne se trouve pas vraiment sensible aux paysages par rapport à sa mère, par exemple, mais il se sent tout simplement agréablement ancré ici par ses deux pieds dans le sable. Un temps indéfini s’écoule ainsi.

À côté, Chlorobule s’amuse à se jeter dans l’eau peu profonde pour se laisser flotter sur les vagues jusqu’à plage.

Les yeux tournés vers elle, Joshua remarque, un peu plus loin, un Concombaffe qui s’approche sous l’eau, en tortillant ses petites écailles roses. Il arrive droit sur le Pokémon Plante qui s’échoue à nouveau sur le sable, mais y reste cette fois, pour observer. Loin de se montrer belliqueuse, la créature sombre sort lentement de l’eau, scrute les environs, avance encore un peu et finalement s’immobilise. Totalement. Impossible de percevoir sa respiration.

Joshua s’avance prudemment, il sait ces bestioles capables de se battre. Aucune réaction. Il s’accroupit, pose ses chaussures sur le sable, tend sa main, alors que Chlorobule curieuse peine à observer une distance de sécurité. Le Concombaffe est plutôt gluant, il doit s’y prendre à deux mains pour le soulever tout en essayant de le garder loin de son visage ; mais sa cible n’oppose aucune résistance. Gardant un œil sur lui, le garçon se relève donc avec précautions, prend un pas d’élan, les mains en coque autour du Pokémon passif, et s’envoie en avant pour projeter la bestiole haut dans le ciel et loin dans l’eau.

Puis, satisfait, il se rince les doigts dans la mer sous les regards admiratif des gamins qui ont suivi la scène. En les remarquant, il leur adresse même un sourire, de bonne humeur. Le Concombaffe a décrit une jolie courbe : il aime à croire que ses deux années de javelot, quand il était plus jeune, lui ont laissé quelques bons réflexes. Et puis il faut tenter des trucs, parfois. Même des petites choses débiles. Hein. Voilà.

Sentant néanmoins les regards des enfants persister, il décide de ne pas trop s’attarder, de peur qu’ils lui demandent de jouer avec eux. Il commence à marcher dans la direction opposée du groupe histoire de reprendre contenance, longe la plage, de l’eau jusqu’aux genoux, les chevilles bataillant contre la pression et évitant les paquets d’algues. Cinq minutes, quelques rochers et un Concombaffe plus tard, il repasse par l’une des deux arches sous le mur pour retrouver la place gris clair. Et le sable qu’il n’a pas réussi à nettoyer frotte sur ses pieds sous ses chaussures.

Le temps de refaire le chemin en sens inverse (afin de constater qu’il y a un peu plus de monde et que le soleil décline lentement), il redécouvre le point d’information désert, tel qu’il l’a laissé. Dommage, il avait l’espoir d’y trouver quelqu’un après son petit tour vers la mer. Un dernier coup d’œil à travers la porte vitrée et il se retourne, hésitant entre visiter encore un peu de lui-même et rentrer chez lui avant que l’obscurité le surprenne.

Indécis, il esquisse quelques pas auxquels Chlorobule s’accroche comme si sa vie en dépendait. Quelle rue ? Vers où ? Est-ce qu’il y a moyen de faire un tour de pâté de maisons rapide ? Et si son père s’inquiète ? Quelle heure est-il ?

Six heures et demie.

Il va plutôt…

« Hé ! »

Il va plutôt se retourner vers la source de l’appel. Le château est bordé de quelques camions ou caravanes, des stands qui ressemblent aussi à ceux de la Place Festival — première du nom. La voix vient de sa droite, d’une boutique sur roues rattachée à un fourgon jaune, et elle appartient à l’homme qui en descend en levant le bras dans sa direction. Intrigué, Joshua part à sa rencontre, vérifiant que Chlorobule est bien à ses côtés.

L’homme marche en boitillant légèrement, d’un pas plus appuyé sur son côté droit ; sa silhouette est trapue, massive, mais pas très grande, plus en torse qu’en jambes. Des boucles brunes encadrent son visage jovial, tombent jusqu’à ses épaules recouvertes d’une chemise pourpre, à carreaux, elle-même coincée dans un jean foncé poursuivi par une paire de baskets. C’est-à-dire que le garçon examine son vis-à-vis de la tête aux pieds avant de lui adresser un sourire confus.

« Bonjour, marmonne-t-il, plus intimidé qu’irrité, en s’arrêtant là où l’inconnu l’a rejoint.
— Ah, bonjour, répond-t-il de l’air de quelqu’un qui n’avait pas prévu de commencer sa phrase comme ça. Alors je t’ai vu revenir devant le bureau d’info deux fois ? Il y a personne ? Tu es nouveau ?
— On peut dire ça, oui ? »

Comment réagir ? Le nouveau venu a l’air sympathique, un peu trop enthousiaste peut-être, le teint métis ou très bronzé, un nez en gros triangle, des fossettes marquées et peut-être la vingtaine. En tous cas, il lui rappelle Thomas, avec les mêmes yeux en demi-lunes.

« C’est un peu délaissé, ce bureau, avoue-t-il. Ils doivent partir du principe que ceux qui voulaient venir visiter sont déjà venus, et repartis, d’ailleurs. On ne voit pas tellement de gens qui arrivent découvrir, enfin, rarement, et… non, la dernière fois… ça devait être en août, je pense… mouais, les gens savent où ils vont, en général, ou alors n’y vont pas. Comme je suis quasiment face à l’entrée, c’est pratique pour remarquer ce genre de choses. Et aussi pour aider si besoin. Enfin. Ah, je m’appelle Brandon !
¬— Joshua » fait Joshua en serrant la large main qu’on lui tend.

Il voyait son interlocuteur plus petit lorsqu’il venait, mais non, il est à la bonne hauteur pour le regarder dans les yeux. Une meilleure raison de se sentir mal à l’aise devant la chaleur de l’accueil.

« Je venais visiter, oui. Enfin, me faire une idée, déjà. On m’a parlé un peu tard de l’endroit. »

Le dénommé Brandon acquiesce à toutes ses phrases, l’air concerné.

« Mais, hmm… reprend-t-il, il y a vraiment si peu de "nouveaux" ici ?
— Alors ouais, s’anime à nouveau le jeune homme en face de lui. Après je sais pas hein, je reconnais pas les gens non plus, et je surveille pas, juste quand j’ai rien à faire. Mais il me semble pas, pas trop en tous cas. Moins qu’avant. Euh, je peux t’offrir, je sais pas, un sirop ? Si tu as le temps ? »

Il hésite (peut-être pas le temps, peut-être pas là comme ça avec un parfait inconnu, peut-être pas si ça implique de témoigner d’un peu plus d’enthousiasme alors que celui de Brandon fait presque déplacé, peut-être pas tout court) puis accepte. L’autre lui propose de s’installer sur l’une des chaises de jardin croisées sur les pavés, accompagnée d’une table ronde du même type, métallique, verte, devant le camion jaune.

L’annexe roulante du fourgon, dans laquelle Brandon disparaît précipitamment, ressemble à une roulotte en métal, sans doute à cause de son toit voûté. Elle aussi peinte en jaune, quoique plus orangé, elle se pare en plus d’une bande rose horizontale, d’un court auvent et de l’inscription "Eskale" en grosses lettres rondes. Vraisemblablement, on y vend de la nourriture : le comptoir aménagé dans la paroi de l’engin abrite sandwiches, gourdes et cannettes (à première vue), alors qu’une ardoise à l’écriture soignée informe Joshua que la spécialité locale est la tourte marinière l’été, les soupes diverses l’hiver, le tout fait maison (ce qui lui fournit l’éclairement nécessaire pour une deuxième vue plus complète).

Brandon semble cacher une légère gêne sous un faux affairement flanqué d’un sourire constant. Redescendu de son wagon marchand (par quelques marches de tôles sur le côté), il pose sur la table deux verres rosis d’un fond de sirop de Ceriz, pour les remplir avec une carafe d’eau puis s’asseoir à son tour.

« Merci » fait Joshua toujours incertain sur la conduite à adopter (sans doute une conduite plus éloquente, dont il est pourtant incapable).

Dans le doute, il décide de plutôt se taire, d’adresser un sourire à Brandon et de porter la boisson à ses lèvres. Le brun l’imite avec un autre sourire et davantage de précipitation. Puis repose son verre, le regarde, sans se départir de sa bonne volonté.

« Du coup, tu voulais demander un truc en particulier au service d’information ? Je connais bien le coin, je dois pouvoir te renseigner. Si c’est la première fois que tu viens… »

Il a croisé ses courts bras sur la table, et son sourire demeure encourageant.

« Hmm. Euh. Je ne sais pas, je veux dire, je ne sais pas si je cherchais quelque chose en particulier, en fait. Juste en savoir plus. Mais… (désarmé, il peine un peu à réfléchir, détourne les yeux, les porte sur une Chlorobule sage au pied de sa chaise, puis lorgne le fond de son verre, et relève enfin la tête)… si tu… vous…
— Tu, rit doucement Brandon.
— Pardon. Si tu as des endroits à mes conseiller, je veux bien. Pas forcément l’incontournable, ajoute-t-il, juste du bon à savoir. »

Parallèlement, il se dit trois choses : d’abord, qu’il a peut-être plus de chance de discuter effectivement avec un habitué du Village qui en connaîtra les recoins qu’avec une hôtesse davantage portée sur les attractions principales ; ensuite, que c’est probablement l’informalité de l’échange qui le gêne, lui qui s’attendait justement à converser rapidement avec un membre du service d’information ; enfin, il se demande quel âge peut bien avoir son interlocuteur.

« Alors ! (l’intéressé se redresse sur sa chaise pour la forme, et repose les coudes sur la table après s’être brièvement étiré pour reprendre contenance) On n’a pas de dépliant avec le plan du Village — c’était pour laisser les gens découvrir vraiment par eux-mêmes — donc, eh bien, il va falloir retenir à peu près. Qu’est-ce qui t’intéresse, en gros ?
— Ah. Je ne sais pas… je viens juste chercher autre chose que les combats Pokémon. En fait. »

Il entrouvre la bouche pour hésiter à fournir une explication, puis la referme pour y renoncer.

« Je ne suis pas trop sport, ajoute-t-il, mais sinon tout me va. Je pense.
— OK. Ben déjà les Quêtes pourraient aller avec ce que tu cherches, ça joue sur la coopération avec son Pokémon, mais sans combats, évidemment. C’est repris du principe de Mini-Quêtes sur le réseau de la Place Festival, mais les Quêtes sont plus variées ! Je suis pas très calé là-dessus, mais le principal bureau qui s’occupe de ça est juste là, dans le bâtiment principal du Château. Il y en a un autre à l’opposé, sur la place du sud, mais moins important. Hmm, attends, faudrait que je te note tout ça… »

Il porte ses mains à ses poches dans l’espoir apparent de dénicher papier et stylo, sans succès, mais Joshua s’est déjà penché pour atteindre son sac à dos, qu’il a déposé à ses pieds. Dix secondes plus tard, il fait glisser stylo-plume et grande feuille blanche devant lui avec un nouveau sourire timide.

« Merci ! fait Brandon en commençant à griffonner. Ensuite, même si tu n’aimes pas en faire, certains sports ici ont un super niveau et sont pas mal à regarder, genre les compétitions de Surf Démanta en milieu de mois et les courses de Tauros un mercredi sur deux. Pour le premier, ça se passe à la plage du nord et c’est plutôt un gros truc avec du monde, les courses ont moins de succès mais l’ambiance est plus sympa du coup, je trouve. Et ça a lieu sur le terrain devant le Village, donc au sud. »

Joshua hoche la tête tandis que le brun résume les informations données en vrac sur son support blanc. À le voir, on dirait qu’il n’a pas l’habitude de se servir d’un stylo-plume.

« Après… Mouais, je te mets ce qui me vient à l’esprit. Déjà, il y a un café hyper sympa dans l’avenue Oran, qui est là-bas (il montre l’ouverture de rue la plus proche de leur table, donc tout à fait à l’ouest du point de vue de la place) : le Severen Lacte Café, c’est des amis à moi qui le tiennent. Dans le même coin, t’as un salon de massage que les Pokémon adorent — il y en a deux autres vers l’est mais plus chers, et les gens qui s’occupent de celui dont je te parle sont vraiment adorables… c’est surtout un bon endroit pour rencontrer des gens, en plus du service de massage. Hmm. Niveau magasins pour les Pokémon, il y a pas mal de boutiques d’accessoires entre l’avenue Prine et la plage, ça vaut le coup de se balader. Ah, et un bon plan aussi, c’est le toiletteur de Couafarel près de la même rue, ils ont un service de teinture pour tous les Pokémon à poils clairs — ça a tendance à plaire aux jeunes » sourit-il.

Joshua essaie de suivre les mots sous sa plume, mais en plus de lire à l’envers, il doit se débattre avec l’écriture plutôt brouillonne de son interlocuteur. En espérant qu’il arrive à le relire : ça lui fera quand même un bon point de départ pour explorer les environs.

« Si tu veux te balader, le sud du Village est plutôt boisé ou aménagé en jardin, et c’est du bon boulot, le coin est vraiment super joli, et tranquille d’ailleurs. Et c’est très naturel, ça devrait plaire à ton Pokémon, ajoute-t-il en souriant à Chlorobule. Ah, j’avais oublié la garderie, mais ça intéresse plutôt les dresseurs en général… »

Il l’interroge du regard.

« Je ne suis pas vraiment dresseur, non.
— Tu n’aimes pas les combats ? demande carrément Brandon.
— Alors… »

Joshua hésite, cherche ses mots en évitant les yeux curieux de l’homme en face de lui. Ainsi, il ne remarque pas que ceux-ci se sont justement départis de leur curiosité et, comme les siens, cherchent à fuir le périmètre de la table. Brandon repose son stylo pour faire craquer ses phalanges, comme nerveux, prend une inspiration ; lorsque le blond relève le regard, prêt à parler, c’est le brun qui le coupe.

« OK. Attends. Stop. Je pense qu’on n’est pas bien partis avec cette conversation mais je n’arrivais pas à rectifier le tir, alors on va… reprendre ? Je pense que je t’ai mis mal à l’aise en t’abordant comme ça, et en proposant de discuter, et tout ? »

Déconcerté, l’adolescent pose ses deux mains à plat sur la table, les yeux presque écarquillés et les lèvres presque entrouvertes, à sonder l’air sincère du visage qu’il contemple. Les poings joints devant son menton, celui-ci semble presque vouloir se cacher, ses yeux sombres incertains et ses sourcils arqués.

« Pour tout avouer, un peu…
— Je me disais. Je suis désolé, s’anime-t-il à nouveau. J’ai des habitudes, je pense, et je suis trop… enfin, je vais vite vers les gens, mais ça ne peut pas aller à tout le monde. Tu trouves que j’ai eu une réaction disproportionnée, c’est ça ? Ça me fait juste plaisir de pouvoir discuter, je ne voulais pas que tu te sentes attaqué !
— C’est… (Joshua cherche ses mots, désarçonné, d’autant que la sincérité est plus difficile à prononcer que les banalités)… c’est moi qui m’excuse de n’avoir pas été très… avenant. Je ne m’attendais pas à être accueilli comme ça. Mais ce n’est pas un mal ! rassure-t-il immédiatement en essayant d’enthousiasmer un peu plus son ton de voix. Je veux dire, c’est cool de venir comme ça à la rencontre des gens. Je ne suis… pas très sociable, c’est tout. Donc oui, j’étais mal à l’aise. »

Un sourire pâle ponctue sa réplique, mais gêné davantage par les mots prononcés que par la situation, cette fois-ci. Il se détend un peu.

« On est tous les deux fautifs, alors, en un sens, conclut Brandon. Il vaut mieux se mettre au clair ! D’ailleurs, je sais aussi que j’ai tendance à parler trop vite, ça te dérange ? »

Le garçon l’avait remarqué, mais sans que ça ne le gêne vraiment. Il commence à reprendre contenance, et retrouve sans s’en douter un visage plus sérieux.

« Ça va ! C’est moi qui ne parle pas beaucoup, mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas intéressé.
— C’est d’accord ! Je préfère que ce soit franc d’emblée pour que personne ne se sente gêné, c’est pour ça que je sentais un faux départ, sourit le brun d’un air un peu ennuyé. Oh, et je ne te retiendrai pas si tu veux partir, je suis désolé…
— Non non, lui assure Joshua, pas de souci. Enfin, je dois juste être reparti à dix-neuf heures, disons, mais ça me laisse un peu de temps.
— Vingt minutes, acquiesce l’autre en posant son téléphone sur la table pour vérifier. Il vaut mieux surveiller l’heure, du coup. (Un court silence suit, rythmé par ses ongles tapotant le métal) Je pense que j’ai aussi été trop familier et que je n’aurais pas dû poser la question sur les combats. Un pote a des soucis avec ça, je devrais le savoir…
— Pas de souci, répète-t-il. J’ai juste un peu de mal à l’expliquer, puisque les gens en général ne comprennent pas tellement qu’on n’aime pas les combats… il n’y a rien de plus à savoir.
— Je comprends, t’inquiète pas ! »

Un léger silence suit, amical. Brandon a retrouvé son sourire, débarrassé de tout malaise, et un autre commence à flotter sur les lèvres de Joshua. Comme Chlorobule semble lui demander, il la prend sur ses genoux avec mille précautions, l’installe confortablement et repose un coude sur la table pour tapoter la surface de son verre.

« Et toi ? Je veux dire, tu es dresseur ? »