Chapitre 4 : À huis clos
Aurore aurait bien voulu pouvoir se rassurer, se dire que tous ces ennuis liés à la traque d’Hélio se résoudraient d’eux-mêmes. Pendant le trajet retour, vers le portail, elle eut le temps de raisonner à son rythme.
Le temps, dans le Monde Distorsion, ne tournait pas rond. Elle avait été la première à le remarquer, avant Cynthia (ce dont elle était encore fière) ; elle en avait averti les FPI ; et pourtant, elle se faisait régulièrement avoir.
Non, se dit-elle. Pas régulièrement, puisque le temps n’avait pas l’air régulier. Il fluctuait ; c’était pour ça qu’il était aussi peu fiable. Des mots simples sur un phénomène incompréhensible, et tout était plus clair.
Quoi qu’il en soit, elle avait peut-être pensé trop vite qu’Hélio risquait de les rattraper. Le temps pouvait jouer contre lui : Giratina, grâce à son statut d’habitant du Monde Distorsion, devait pouvoir échapper à certains de ses phénomènes étranges (elle n’osait pas penser surnaturels). Peut-être qu’en fait, le Nostenfer d’Hélio n’avait aucune chance de battre le grand dragon à la course. Peut-être que le chef déchu de la Team Galaxie n’avait aucune chance d’échapper aux policiers.
Peut-être. Peut-être pas. C’était la meilleure estimation à laquelle elle pouvait parvenir, pendant que le Pokémon de l’Ombre se hâtait vers l’entrée de son monde. Et cette estimation, qui lui avait souvent suffi en combat, même dans les moments les plus tendus, se révélait maintenant insuffisante à l’apaiser.
De son côté, Beladonis menait ses propres pensées vers les hommes qu'il poursuivait. Il avait renoncé à tenter de se glisser dans les pensées de l'ancien chef de la Team Galaxie ; des fois, il valait mieux éviter de chercher à comprendre ce que l’on traquait. À la place, il tentait de deviner les motivations de Pluton — et surtout ce qui pouvait terrifier aussi sensiblement un vieillard capable de rire de sa propre mort en prison. Au point de le faire collaborer de bonne grâce — presque efficacement — avec le policier qui l’avait envoyé au trou, non sans l’avoir humilié au passage.
Pluton, de son côté, était assez téméraire pour envisager les choses du point de vue d’Hélio. Et il doutait de pouvoir révéler toutes ses conclusions à ses… comment pourrait-il bien appeler ça poliment…
Compagnons d’infortune ? Ça sonnait bien. Il leur servirait ça la prochaine fois qu’il devrait les désigner de façon un peu générale.
Restait, à côté des trois agents qui se contentaient de faire confiance à Beladonis, le Commandant Mars. Elle n’avait toujours pas de menottes ; ce qui, à son grand étonnement, ne lui avait pas attiré d’autres récriminations de Pluton. Saturne n’y aurait jamais coupé quelle que soit la situation, et probablement Jupiter y aurait-elle aussi eu droit ; pour sa part, Mars avait toujours essayé d’ignorer au maximum ce que disait Pluton. A fortiori s’il commençait par « Le grand, le génial Pluton ! » Et apparemment, cela lui valait un peu plus de respect ? Elle ne s’y serait jamais attendue.
Quoi qu’il en soit, Mars était à peu près libre. Dans la même galère que les autres, confrontée à un Hélio auquel elle ne pouvait plus se fier comme au bon vieux temps de la Team Galaxie ; isolée parmi les FPI, à cause du mandat d’arrêt à son nom…
Seule dans le Monde Distorsion, au milieu de gens pour qui elle ne comptait sans doute pas. Sans le soutien indispensable de Jupiter.
Elle baissa discrètement la tête, les yeux mi-clos. Elle ne voulait pas y penser. La blessure était trop fraîche. Il faudrait qu’elle la panse, qu’elle trouve un moment de solitude pour pleurer sa comparse — mais là, sur le dos de l’autre ombre vivante aux yeux rouges, entourée de gens qui la considéraient à peine comme une alliée de circonstance, le moment était mal choisi. Il fallait, elle en était sûre, il fallait qu’elle garde toute cette tristesse en elle, et qu’elle ne s’en débarrasse qu’ailleurs, loin de ces gens, loin de cet endroit atroce.
À peu près libre. Elle ne pouvait pas sérieusement fausser compagnie aux FPI, elle était bien obligée de les aider comme elle pouvait — et on la laissait trouver comment. Elle était libre de trouver comme se rendre utile sans protester, et de se taire le reste du temps. Bah. Elle l’avait été pendant des années avant de rejoindre la Team, elle supporterait bien de l’être pendant quelques jours encore. Non ?
Giratina volait silencieusement, dans le froid mortuaire de son Monde Distorsion. Autour de lui, les îlots flottants défilaient à toute vitesse ; bientôt, devant eux, ses passagers purent reconnaître l’îlot par lequel ils étaient arrivés.
Une large pièce de roche carrée, présentant une vague ressemblance avec un iceberg ; une large masse de stalactites en-dessous, un large monticule de roche noire dessus. Dans la façade de ce dernier s’ouvrait un large disque lumineux, blanchâtre, autour duquel trois agents des FPI montaient la garde. Le portail. Il semblait petit, vu d’aussi loin. Et particulièrement blême.
Le vol n’avait pas duré bien longtemps ; peut-être dix minutes, peut-être une heure. Une éternité pour Beladonis, qui bondit à terre aussitôt que possible en hélant ses agents.
« Ravi de vous voir, les gars ! Personne n’est passé ?
— Non, chef ! assura l’un d’eux (était-ce Orian ou Wallace ? Aurore n’aurait pas su le dire). Vous êtes les premiers à arriver. »
Pluton ricana ostensiblement, avant de se reprendre en toussotant sous le regard noir de Mars. La présence de cette dernière, et surtout son absence de menottes, surprit assez visiblement les agents présents ; Beladonis n’en tint pas compte, et appuya la menace implicite de la Commandante. Parle ou crève.
« Quoi ? riposta-t-il. On vous dit qu’on n’a pas vu passer un homme invisible, personnellement je trouve cela assez drôle pour mériter un ricanement. »
Il marquait un point.
« En d’autres termes, traduisit Beladonis. Il faut qu’on envoie quelqu’un, et de préférence plusieurs personnes à travers ce portail, et qu’elles s’assurent qu’Hélio n’y est pas passé. Pluton, sers à quelque chose et rassure-nous : il ne peut pas rester invisible dans le monde normal, n’est-ce pas ?
— Bien sûr que non, s’agaça le vieillard. La façon dont il fait ça… importe peu, sauf si vous avez le courage d’entendre ce genre d’explication scientifique de haut niveau…
— Pas vraiment, non.
— Croyez-moi, surenchérit Mars. Quand c’est lui qui explique, c’est jamais intéressant.
— Hum, grommela Pluton. Tu ne fais quand même pas allusion aux Éoliennes ? Non ? Bien. »
L’air renfrogné de Mars arracha un sourire à Aurore. C’était elle qui avait battu la Commandante à la station énergétique de Sinnoh, lors de leur première rencontre — et Mars la rancunière n’avait apparemment jamais digéré d’être humiliée devant Pluton ce jour-là.
Beladonis s’impatientait.
« Bref, reprit Pluton. Hélio est un homme normal, et hors de cet endroit absurde, il se comportera normalement. Au sens physique, je veux dire ; pas d’invisibilité.
— Je préférerais envoyer des volontaires, poursuivit l’inspecteur. Ce coin est encore plus usant que prévu, aussi si quelqu’un ne se sent pas de continuer, c’est votre chance de—
— Le portail se referme ! »
Elliane avait presque hurlé. Et en se retournant de concert vers le disque lumineux, les neuf autres occupants de la plate-forme le virent avec horreur rétrécir rapidement. Bientôt on ne pourrait plus y passer les épaules.
L’un des gardes du portail — définitivement Orian — s’élança aussi vite qu’il put, prenant son élan pour plonger tout droit dans le disque— mais au moment où il allait sauter, Beladonis lui agrippa fermement le bras, et se laissa à moitié entraîner avant de plaquer ses chaussures de marche au sol. Orian faillit se tordre le bras dans le mouvement, mais l’inspecteur parvint à l’arrêter ; juste à temps. La silhouette lumineuse du portail n’était plus que de la taille d’une tête humaine, et elle continuait de se contracter. Un poing.
Un fraive. Une tête d’épingle scintillante, et puis plus rien. Ils étaient enfermés.
« Tu te serais fracassé la colonne vertébrale en atterrissant, nota Beladonis comme pour consoler son agent.
— J’aurais pu essayer, s’excusa Orian avec une trace de remords dans la voix.
— Ou te tuer. Ce n’était pas nécessaire, l’assura l’inspecteur. Je préfère perdre du temps plutôt que perdre un agent. On a déjà bien assez de types bien qui se font caillasser et passent au tribunal ensuite.
— … Ouais. »
Les sept policiers présents sur la plate-forme semblèrent méditer un instant sur la vérité de ces paroles. Comme un secret qu’ils seraient les seuls à partager, et qui serait inaccessible aux autres spectateurs ; aux deux anciens Commandants Galaxie et à l’adolescente devenue Maître.
Laquelle décida que pour une fois, cette satanée tête de Tiboudet de Giratina allait l’écouter. Elle s’écarta du groupe, s’asseyant les jambes dans le vide juste en face du dragon antique ; une fois de plus, il s’était posté avec la tête à hauteur d’îlot, et regardait sa Dresseuse d’un air absent.
« J’ai juste deux questions, lui annonça-t-elle doucement. D’abord, si tu peux rouvrir le portail ? Et ensuite, si Hélio y est déjà passé ? Voilà. Maintenant, je les répète jusqu’à ce que tu en aies marre. »
Puisqu’elle pouvait fixer Pluton indéfiniment sans cligner des yeux, elle devait bien pouvoir parler en continu, non ? Après tout, elle n’avait pas eu besoin de boire depuis qu’elle était revenue dans ce monde bizarre. Elle commençait à en apprécier l’absence totale de règles ; avec un minimum de réflexion, elle pouvait les utiliser à son avantage. Pratique.
Son babil entêté qui s’installait confortablement dans le silence éternel du Monde Distorsion lui valut d’abord quelques regards plus ou moins excédés de la part des autres occupants de l’îlot. Mais bon… C’était le Maître. Elle, plus que tout autre, gérait ses Pokémon comme elle l’entendait.
Et peu importait que ce ne soit qu’une adolescente à laquelle ses fonctions donnaient des dispenses de cours spéciales au lycée. À moins qu’elles ne portent systématiquement la mention « Affaire d’État » ? Beladonis préférait ne pas la savoir. C’était si facile d’oublier cette partie de la vie de leur guide, quand on voyait avec quelle assurance tranquille elle pouvait mener un combat, si nerveux soit-il. En fait, l’inspecteur était assez flatté de deviner que le Maître elle-même le prenait en modèle ; même si cela ajoutait à sa propre envie de bien faire, et donc à la pression reposant sur ses épaules.
Peu importait. Il avait un Pluton à cuisiner — il était plus que temps que ce satané croûton mégalomane serve à quelque chose et apprenne aux autres ce qu’il devinait de la façon dont se sortir de ce trou.
« Bon, lança-t-il hargneusement. Pluton. Tu souhaite nous aider, oui ou non.
— Vous souhaitez envoyer Hélio au tribunal, et moi en prison, ironisa Pluton avant de prendre son cher ton grandiloquent. Je dirais donc que nous sommes compagnons d’infortune : si je veux arriver sain et sauf en prison, oui, j’ai intérêt à vous aider.
— Peu convaincant, jugea Beladonis.
— Parce que vous n’êtes pas le grand, le… commença Pluton, avant de s’arrêter sans même qu’on ne le fusille du regard. Hmm, oubliez. Je préfère largement la prison à Hélio. »
Mars eut une moue de désapprobation assez significative à ces mots ; ce qui arracha à l’une des agents restés garder le portail la question que tous trois se posaient.
« Au fait, inspecteur, et sans vouloir m’y opposer… La Commandante Mars est-elle notre alliée ?
— De circonstances, grommela Beladonis. Hélio a apparemment réussi à s’aliéner ses Commandants après les avoir menés à la baguette pendant des années, donc on laisse une marge de manœuvre à Mars. »
Il n’interpréta pas bien le rictus renfrogné de la concernée ; certaines de ses paroles l’avaient blessée sans qu’il ne puisse le comprendre.
« Et je ne vous le cacherai pas, lui admit-il. Il y aura probablement un procès quand nous… rentrerons. Mais vous améliorez votre cas.
— Ravie de l’entendre, murmura-t-elle d’une voix pincée.
— Quelque chose à ajouter, Pluton ? reprit l’inspecteur.
— Hmoui, je vous vois bien me traiter d’irrécupérable. Mais là n’est pas le sujet et vous avez raison : nous nous égarons quelque peu, alors que le temps ne joue pas forcément pour nous. À vrai dire je doute qu’il vous soit très utile de savoir exactement comment fonctionnent les… Ahem. Je vais appeler ça des aptitudes ; les aptitudes d'Hélio. Pas très utile, disais-je, sauf peut-être pour le Maître, qui n’écoute pas.
— Si, j’ai entendu ça !
— Là, nota Mars. Elle marque un point.
— Bah. », l’ignora Pluton.
De leur côté, les six policiers s’éclipsèrent discrètement pour aller expliquer la situation aux deux autres groupes de trois, qui arrivaient de concert. L’inspecteur les remarqua, sans le montrer. Le temps tournait.
« Ne venez pas vous plaindre si vous n’êtes pas capables de suivre, avertit Pluton. Tout d’abord, savez-vous ce qu’est une dimension ?
— Vaguement, admit Beladonis. Cynthia a vaguement parlé de ce monde comme d’une dimension inversée, quand elle nous a briefés sur ce qu’elle en avait appris.
— C’est faux mais c’est pas grave, commenta le scientifique. Définir une dimension n’est pas simple, il y a pas mal d’algèbre linéaire là-dessous et ça pèse son poids. Vous savez ce que sont un cube et un carré ? Sans vouloir vexer.
— Merci de préciser.
— En fait non, se ravisa Pluton en ignorant les grimaces dépitées de Beladonis et Aurore. Je vais prendre un immeuble. Vous avez un terrain et un immeuble dessus. Ce terrain est plat, c’est une surface… et d’ailleurs ça marche avec n’importe quel étage… Mais l’immeuble, lui, a un volume. Et tout ce volume tient sur la surface du terrain.
» Jusque-là, pas de difficulté. Maintenant, imaginez-vous un hypervolume : des étages supplémentaires, en fait des immeubles entiers, qui tiennent tous dans l’immeuble de départ. Ils occupent le même volume, mais sont décalés. Vous pouvez voir ça ?
— Euh… bafouilla Beladonis. Non.
— On a ajouté une dimension, tout simplement. Bon, voilà où je veux en venir. Imaginez des créatures plates comme des feuilles qui vivent dans les étages de l’immeuble normal. C’est pas trop abstrait ?
— Ça l’est moins, persiffla Mars.
— Ces créatures, c’est vous.
— Je retire. »
Pluton ne releva même pas ; une fois lancé, il ne s’arrêtait plus.
« Si vous étiez dans cet immeuble, vous résonneriez en termes de surface de l’étage, et non de volumes comme en réalité. Vous verriez le monde en une dimension, comme une ligne droite, et ainsi de suite. Et vous ignoreriez que d’autres gens vivent à l’étage d’au-dessus, car il vous est inaccessible. Vu d’en haut, des gens vivent sur la même surface que vous : le terrain de l’immeuble ; et vous ne pouvez pas le voir.
» Eh bien ce Monde Distorsion possède au minimum quatre dimensions. Et Hélio a trouvé le moyen de se glisser dans une dimension supérieure. Si nous étions ces créatures plates en deux dimensions, Hélio serait celui qui pourrait voler à quelques centimètres au-dessus du sol : invisible, capable de franchir tous les obstacles, et ainsi de suite. Des questions ? »
Il avait dû être prof, se dit Mars. Horrible perspective.
« Deux, commenta Aurore en s’interrompant dans son propre flux de questions. D’abord, comment peut-on lutter contre lui ? Et c’est moins important, qu’est-ce qui te rends si sûr de ça ?
— Ça n’a rien d’anecdotique, considéra Pluton en répondant d’abord à la seconde question. Le froid qui mort immédiatement jusqu’aux os : c’est comme si on envoyait un courant d’air glacial aux créatures en deux dimensions, par en-dessus. Ce froid nous signale qu’il y a des dimensions supplémentaires à côté de nous, aussi froides que le reste du monde. »
Ils s’entre-regardèrent, muets. Si le froid pouvait en apprendre autant sur la nature de ce monde, qu’en était-il de ses autres caractéristiques ? Le silence, la gravité aberrante, les disparitions de rochers, que pouvait-on en conclure ? Que pouvait en conclure Pluton ?
« Quant à la première question… reprit ce dernier. C’est complexe. Non seulement je n’ai que des réflexions théoriques sur de interactions entre dimensions différentes, aucune preuve expérimentale ; mais en plus, cela dépendra beaucoup de la capacité d’Hélio à appréhender un monde quadridimensionnel. Ou plus, mais qu’il y en ait quatre ou neuf cents, ce sera pareil pour nous. Il a probablement le bagage scientifique nécessaire. Et il semble s’en être servi pour a… contre Jupiter. »
Mars grogna d’une façon à peu près aimable, ce qui pouvait passer pour un remerciement.
« Quoi qu’il en soit, reprit Pluton. Se déplacer dans une dimension supérieure n’est pas possible pour nous autres misérables créatures tridimensionnelles. Nous n’avons tout simplement pas l’épaisseur nécessaire, nous n’avons aucun muscle qui permette ce déplacement. Une feuille, du moins une feuille parfaite, ne peut pas se plier elle-même. Les capacités d’Hélio sont donc, fort heureusement, limitées. »
Cela aurait pu avoir l’air rassurant. Pour sa part, Mars n’était en rien rassurée — pas alors qu’elle devait soudain lutter pour refouler hors de son esprit le souvenir terrible de l’exécution de Jupiter. Son esprit répugnant, aurait sans doute dit Hélio. Cette tare de l’Humanité.
Elle secoua la tête — vivement, sans se soucier qu’on la voit. Le Chef n’avait pas dit ça, jamais ; elle se faisait des idées. Mais les paroles étaient là. Exagérées, parce que c’était son propre esprit qui les imaginait, et il exagérait le ton impassible d’Hélio pour en faire une voix morte, atone, inhumaine, horrible. Ce genre de pensées morbides qui n’étaient pas arrangées par la présence silencieuse de Giratina, lui aussi bonne source de mauvais souvenirs. Rien de plus terrifiant qu’une gamine parlementant avec un Pokémon Légendaire aussi brutal pour tenter de s’en faire obéir, sans obtenir de résultat.
Un signe de tête appuyé suffit à Beladonis pour faire comprendre à ses troupes que c’était déplacé de fixer la Commandante d’un air suspect. On soupçonnait Hélio d’endoctrinement, après tout, inutile d’en rajouter. Il fixa l’attention sur Pluton en reprenant son interrogatoire.
« Un point de vue objectif, c’est rassurant. À quoi devrait-on s’attendre ?
— Ça, rétorqua Pluton. Je n’en sais rien, je ne suis pas omniscient. Il a le cerveau tordu, Arceus sait ce qu’il pourrait en sortir. »
De plus en plus troublée par le tour que prenait ce nouvel interrogatoire, Mars fit discrètement quelques pas en arrière, vers le monticule rocheux au centre de l’îlot. Assez discrètement pour ne pas être repéré par Beladonis ; lequel n’aurait pas dit non à quelques explications de Pluton sur le fonctionnement de la Team. Ses deux années de prison n’avaient pas été instructives à ce niveau-là.
« Je ne m’attendais pas à entendre ce genre de paroles dans la bouche d’un Commandant de la Team Galaxie. »
À la surprise générale, Pluton éclata de rire ; un rire nerveux, presque gêné, bien différent de ses habituels ricanements méprisants.
« Excusez-moi, se calma-t-il rapidement. C’est juste que je n’ai jamais été un admirateur d’Hélio. Je n’admire que moi-même et l’argent.
— Voilà pourquoi personne le sacquait, intervint brutalement Mars.
— Certes. Je suis venu ici en prévoyant de faire chanter Hélio, à vrai dire ; les codes bancaires de la Team Galaxie me tentaient assez. »
Les quelques grimaces stupéfaites qui volèrent entre les agents signifiaient toutes « Ce type est-il si infâme que ça ? »
« Et puisqu’on en est à la question de mes intérêts, autant vous expliquer pourquoi je vous aide. »
Mimiques intéressées. Ça, c’était un point important.
« Ça ne vous surprendra pas, ironisa le vieillard. C’est pour ma propre pomme. »
Il marqua une pause, hésitant visiblement à continuer. Pouvait-il leur dire ? Jusqu’où supporteraient-ils d’être effrayés, avant de perdre courage et de s’enfuir ? Difficile à dire… Mars semblait sur le point de craquer. Si elle, la brute arrogante de service, cédait, les autres risquaient d’être durement affectés aussi. Autant se contenter d’indices. Préparer le terrain. Ne pas tout dire.
« Hélio est la dernière chose au monde qui puisse me faire peur, annonça Pluton d’une voix solennelle, débarrassée de toute trace de moquerie. Je ne crains ni la mort, ni la prison, ni même la pauvreté ; à mon âge, ces trois spectres n’ont plus guère de consistance. Et je ne craignais pas non plus Hélio en venant ici.
» Maintenant, je sais que j’aurais dû fuir comme un Rattata terrifié en apprenant le projet de Mars et Jupiter. Maintenant, mon seul désir est de sortir d’ici au plus vite, et de préférence avant qu’il ne me trouve. »
Une nouvelle pause. Une nouvelle hésitation — qu’entendait-il par ces mots lourds de sens, allait-il enfin le dire ?
« Je sais ce qui m’attend s’il m’attrape, prononça le vieil homme. Et croyez-moi, c’est un sort que je n’aurais pas souhaité à cette garce de Jupiter. »
Mars songea sérieusement à le baffer. Elle n’en eut pas le temps ; coupant presque la parole à Pluton, Giratina projeta sa voix dans les esprits des seize humains présents. Et Mars se sentit dégoûtée par ce souffle qui frottait contre ses pensées, comme un chuchotement assené depuis l’intérieur de son crâne.
« Je peux répondre, Aurore, en quelques secondes. Hélio est bien ici, et il n’est pas possible de maintenir un portail ouvert pour le moment.
— Ah, formidable, commenta le Maître. Tu as un moyen de le localiser plus précisément ?
— Je l’ai dit : il est ici. »
Pluton lâcha un couinement d’effroi.