Chapitre 12 - Le Village Sombre
Les habitants de Grivon s’étaient rapprochés pour assister à la scène. Une bonne partie d’entre eux étaient des pokémon poison ou ténèbres, mais on trouvait là encore une bonne diversité de types ; certains semblant même provenir de contrées assez lointaines.
La plupart d’entre eux présentaient des traces d’une existence assez mouvementée, et Wozza comprit rapidement que ce village servait sans doute de refuge à des hors-la-loi en tous genres ; aussi valait-il mieux trouver les bons arguments avant que la situation ne devienne critique.
La Dardargnan avait rapproché son dard du museau d’Arya, qui la fixait sans broncher.
« Qui êtes-vous ? Nous ne vous avons jamais vu par ici ! »
Un Nidorino s’avança, méfiant :
« Qu’est-ce qu’une Feunard d’Alola fait ici ? Ce ne serait quand même pas la Princesse du Royaume Cristallin ? »
Une partie des pokémon éclatèrent de rire, tandis qu’une Avaltout rétorqua :
« Ca ? Une Princesse ? Laisse-moi rire ! On dirait plutôt une boule de chiffon qu’on aurait laissée trainer dans un coin. »
Les rires s’amplifièrent. Il était certain que la pokémon glace, entre ses blessures et son pelage sale et négligé, n’avait plus vraiment fière allure. Mais le Magirêve vit cela comme une opportunité à saisir.
Alors que la Feunard allait répliquer, il se joignit à l’hilarité générale et lança :
« J’en ai entendu de bien bonnes, mais celle-là, c’est la meilleure ! Une princesse ? Et puis quoi encore ? J’ai l’air d’un sorcier maléfique, moi ? »
La Dardargnan, qui ne riait pas du tout, s’avança vers lui :
« Eh bien, oui, figure-toi ! Si vous ne me dites pas rapidement ce qui vous amène ici, je…
- Du calme, Zuhra ! Ces visiteurs m’intriguent. »
Les habitants de Grivon s’écartèrent, afin de permettre à un nouvel arrivant d’émerger des ombres. Le pokémon s’avança lentement, d’une démarche fatiguée par le poids des années, mais assurée par l’expérience. De nombreuses cicatrices parcouraient son corps, et permettaient de déduire que ce vétéran avait traversé bien des épreuves pour pouvoir se tenir devant eux aujourd’hui.
De sa voix grave et profonde, le Gouroutan se présenta :
« Mon nom est Kirambu. Je suis le doyen ainsi que le chef de cette petite bourgade appelée Grivon. »
Le vieux pokémon pencha sa grosse tête de côté, fixant les étrangers.
« Vous semblez avoir parcouru des chemins difficiles pour arriver jusqu’ici. Puis-je savoir dans quel but ? »
D’un signe de tête rapide, Wozza fit comprendre à Arya qu’il préférait prendre la parole lors de cette conversation. Il ne connaissait pas ce village, mais avait rapidement compris de quel genre de lieu il s’agissait.
« Nous avons été poursuivis par des gardes et des explorateurs, et avons jugé bon de trouver refuge dans les Marécages Fleuris. Nous sommes tombés par hasard sur votre village, dont nous ignorions l’existence jusqu’à présent. Si nous vous importunons, nous pouvons rebrousser chemin. »
La foule retenait son souffle tandis que Kirambu s’approchait d’eux en plissant les yeux :
« Pour quelle raison êtes-vous en fuite ? Et de quel Royaume venez vous ? »
C’était le moment de prendre un risque, qui pourrait peut-être s’avérer fatal. Cependant, Wozza savait que sa réponse avait de grandes chances de fonctionner. Il éluda partiellement les deux questions, et déclara :
« Nous avons eu une altercation avec le Royaume de l’Ombre. »
Des grognements et divers propos qu’il serait grossier de rapporter jaillirent du groupe formé par les habitants de Grivon. Le Gouroutan lui-même laissa échapper une grimace, avant de répondre, d’un air dégouté :
« Le Royaume de l’Ombre, dites-vous ? Ces imbéciles feraient mieux de se terrer dans leur trou, ça leur éviterait de répandre leur stupidité à travers le monde. »
Le Magirêve sourit intérieurement. C’était plutôt bien parti. Il avait pris le pari que les relations entre Grivon et le Royaume de l’Ombre n’étaient pas au beau fixe, et avait vu juste. S’il n’en avait pas eu la certitude, il savait en revanche que l’ambiance de ce village ne correspondait pas vraiment aux habitudes du Peuple de l’Ombre, et avait misé sur un principe simple : « les ennemis de nos ennemis sont nos amis ». Même si ce n’était pas systématiquement vrai, cela pouvait quand même aiguiller une relation sur de bonnes bases.
« J’ignore qui vous êtes, tous les deux. Mais je sais en revanche que les intentions du Royaume de l’Ombre, en cette époque, sont aussi obscures que leur maudite cité d’Andor. »
Le doyen se tourna vers Zuhra :
« Tu peux les laisser passer. »
La pokémon insecte poison hocha la tête et disparut de nouveau entre les branches.
« Faites ce que bon vous semblera. Telle est la devise de ce village. A vous de voir ensuite où cela vous mène. »
Kirambu se détourna, après que les deux visiteurs l’aient remercié d’un hochement de tête. La foule se dispersa, tandis qu’Arya s’approchait de son compagnon.
« A présent, que fait-on ?
- Visitons un peu les lieux. Je ne suis pas sûr de totalement comprendre ce que signifie cette devise, mais concrètement, Grivon semble être une sorte de refuge à des pokémon reclus ou hors-la-loi. Si les explorateurs nous suivent jusqu’ici, ils auront une mauvaise surprise qui les attend. »
La Feunard frissonna :
« Je ne me sens pas très à l’aise non plus, pour tout dire. Et nous devons toujours nous rendre jusqu’à Sylis.
- Peut-être que quelqu’un pourra nous aider à ce sujet. »
Les deux pokémon s’avancèrent au cœur du village, dont on pouvait facilement faire le tour, tant il était petit. De nombreux habitants les observaient depuis les allées ou l’intérieur de leurs maisons précaires, qui n’avaient l’air de tenir debout que par miracle. Les regards allaient de la curiosité à l’hostilité, mais personne ne vint leur chercher querelle.
Wozza avait compris que la cohésion d’un rassemblement d’individus louches ne pouvait se faire que s’ils étaient dirigés par un meneur ayant acquis leur respect et leur confiance, ce qui semblait être le cas de Kirambu. Le Magirêve était très curieux de connaître l’histoire du Gouroutan et de Grivon en général, mais il était surement trop tôt pour demander plus d’informations, et ils n’en auraient probablement pas vraiment le temps.
La bourgade était accolée à la montagne, et on pouvait apercevoir des lueurs provenant d’un creux au ras du sol. En s’approchant, ils virent des escaliers menant à un sous-sol, et à ce qui semblait être une sorte de taverne. Il y avait juste une salle, très faiblement éclairée, avec quelques tables tordues autour desquelles des individus consommaient des mets aux odeurs étranges, qui se mêlaient les unes aux autres, formant ainsi un fumet peu appétissant.
Derrière un comptoir de fortune, un Fourbelin observait sa maigre clientèle d’un air ennuyé, dans l’attente d’une quelconque requête. Il leva la tête en remarquant la présence des deux nouveaux arrivants.
Wozza s’approcha, et jeta une pièce au maître des lieux, en précisant :
« Nous venons d’arriver ici, et souhaiterions savoir à qui nous adresser pour nous rendre… Quelque part. »
Le pokémon ténèbres hésita. Le Magirêve plaça deux nouvelles pièces sur le comptoir.
« Si vous ne pouvez pas nous aider, je reprends tout, bien sûr. »
Le Fourbelin acquiesça et empocha les trois pièces, avant de murmurer :
« Longez la paroi sur la droite en sortie d’ici. Quatrième maison.
- Merci bien. »
Alors qu’ils s’apprêtaient à quitter les lieux, un groupe de pokémon, menés par un Baggaïd, vint à leur rencontre et leur coupa la route vers la sortie.
« Dites-donc, étrangers, lâcha ce dernier. Moi, j’ai bien envie de savoir qui vous êtes.
- Grand bien vous fasse, répondit Wozza.
- Je n’ai peut-être pas été assez clair, insista le pokémon combat. Je veux savoir qui vous êtes. Surtout elle, là, ajouta-t-il en pointant Arya du doigt. Je suis presque sûr d’avoir déjà eu affaire à elle, quand je trainais sur les routes vers Freljörd. »
C’était à craindre. En tant qu’exploratrice à ses heures perdues, la Princesse déchue avait sûrement déjà eu affaire à certains des hors-la-loi présents dans ce village. S’ils pouvaient prétendre qu’il ne s’agissait pas de la même personne, la supercherie n’ôterait probablement pas les doutes dans l’esprit de tout le monde.
La Feunard avait reculé d’un pas, tandis que le groupe hostile la fixait d’un air menaçant. Wozza soupira, puis déclara :
« Très bien. Je vais me présenter. Je suis un esprit s’amusant à hanter les lieux sinistres, et à tourmenter les âmes égarées. Je nourris ma joie dans le fait d’infliger de terribles malédictions aux êtres que je croise, notamment ceux qui ont le malheur de m’importuner. Les voir périr dans d’atroces souffrances, qui les poursuivront jusque dans l’au-delà, est une conséquence aussi fâcheuse pour eux que réjouissante pour moi. »
Il marqua une pause tandis que ses interlocuteurs le fixaient, partagés entre le doute et la crainte.
« Avez-vous des questions, ou souhaitez-vous une petite démonstration ? »
Il termina sa phrase en faisant briller ses yeux et en levant lentement ses bras devant lui.
Les gêneurs tournèrent les talons en hurlant et en lui jetant des regards apeurés. Lorsqu’ils eurent quitté les lieux, Wozza éclata de rire en se tournant vers la pokémon glace :
« Jamais je ne m’en lasserai. Tu le connaissais vraiment, ce Baggaïd ?
- Oui… Je les avais mis en déroute, lui et sa bande, alors qu’ils s’en prenaient à des marchands près de la Forêt Cristalline. Il ne faut vraiment pas qu’on s’attarde ici. »
Ils sortirent de la taverne et suivirent les indications du Fourbelin, qui les menèrent devant une tanière au fond de village, établie entre la paroi rocheuse et une épaisse barrière végétale constituée de ronces et autres plantes auxquelles on évite de se frotter.
Arya signala leur présence en frappant doucement à une vieille porte en bois, et les deux pokémon attendirent. Un léger mouvement se fit entendre tandis que la porte s’ouvrait dans un grincement presque sinistre.
Une élégante Léopardus se tenait sur le seuil. Son pelage soigné et son allure noble contrastaient totalement avec l’ambiance de Grivon, à commencer par sa propre demeure.
« Que me vaut l’honneur de votre visite, étrangers ? »
Son ton était courtois et assuré. La Feunard la salua, puis répondit :
« Nous souhaiterions nous rendre… »
Elle s’interrompit, jetant des regards aux alentours, pour vérifier que personne ne les épiait.
« Entrez, déclara la pokémon ténèbres. Nous serons plus tranquilles à l’intérieur. »
Les deux visiteurs la remercièrent, puis pénétrèrent dans la tanière.
Une lanterne éclairait faiblement l’espace, qui était empli de livres et d’objets en tous genres. De nombreux parchemins étaient étalés sur un petit bureau. Un lit de feuilles et de plumes était disposé au fond de la pièce. Des escaliers menaient vers un étage, duquel on ne pouvait voir rien d’autre que l’obscurité.
« Mon nom est Lizyra. Je peux vous mener où bon vous semble… Dans la mesure de vos moyens. »
Un regard appuyé accompagnait la fin de sa phrase. Trois pièces ne suffiraient probablement pas pour cette requête-là. Il était temps pour Wozza d’avoir recours à une nouvelle « résolution magique ».
Il sortit de sa besace un nouvel objet sphérique, de couleur jaune cette fois-ci.
« Cette pépite d’or fera-t-elle l’affaire ? » questionna-t-il avec un sourire.
Lizyra hocha la tête.
« Je n’en attendais pas moins, mais n’en demanderai pas plus. Suivez-moi. »
La Léopardus se faufila jusqu’au fond de la tanière, puis écarta les feuilles et les plumes composant ce qui semblait être un lit, pour révéler une trappe dans le sol. Elle l’ouvrit, mettant ainsi à jour un escalier de pierre.
« Après vous. »
Ils descendirent les marches, menant à un tunnel qui se scindait en plusieurs embranchements.
« Où souhaitez-vous aller ?
- Sylis, répondit Arya.
- Ainsi soit-il. »
Lizyra emprunta l’un des couloirs après avoir saisi une torche dans sa gueule, et ils la suivirent pendant un bon moment sous terre. Par moment, plusieurs directions s’offraient à eux, mais la pokémon ténèbres semblait connaître les tunnels par cœur et n’hésitait jamais quant au chemin à emprunter. Finalement, la galerie déboucha sur un nouvel escalier de pierre, qui menait à une nouvelle trappe, elle-même sous un buisson.
Ils sortirent à l’air libre, pour constater qu’ils se trouvaient dans une forêt située entre les montagnes, et d’immenses arbres reliés entre eux par des ponts et au sein desquels on pouvait apercevoir de nombreux bâtiments.
« Sylis, souffla Arya.
- En effet, confirma leur guide. Je ne peux pas vous amener plus près, mais vous devriez y parvenir assez vite. N’essayez pas d’emprunter les galeries dans l’autre sens ; vous risquez très fortement de vous y perdre, comme de nombreux pokémon avant vous. Je vous souhaite bonne route. »
Elle les salua puis s’en retourna dans le tunnel, en fermant la trappe derrière elle. Cette dernière était invisible une fois qu’on s’était extirpés des buissons en dessous desquels elle se trouvait.
« Un revers de fortune plutôt avantageux, si tu veux mon avis, déclara Wozza. Ne reste plus qu’à se rendre jusqu’à la ville… Et y entrer. »
La Feunard leva les yeux vers le soleil, qui commençait à décliner.
« J’imagine qu’il serait préférable d’attendre la nuit, à présent.
- Ah ! Je constate que tu apprends vite. La nuit sera une fois de plus à notre avantage. Mettons-nous en route, nous aviserons d’un plan une fois que nous serons plus proches de la cité. »