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Projet Triple 3 de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 18/07/2020 à 00:36
» Dernière mise à jour le 18/09/2020 à 08:26

» Mots-clés :   Organisation criminelle   Présence d'armes   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de Pokémon inventés   Terreur

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Chapitre 18 : Extrospecthormination
Au début fut la faim, apprit Auguste.

La vague l’emporta presque sans trouver de résistance — car en soixante ans de mauvais coups dont cinquante de combats il n’avait jamais affronté ça — et le ballota de part et d’autre dans son propre esprit, des idées et des perceptions n’ayant rien à faire là venant balayer ses sens et éparpiller ses pensées au hasard. Il se sentit se dissoudre dans une mémoire qui n’était pas la sienne, et ses poumons le brûlèrent autant qu’après une vie d’apnée.

Au début fut la faim.

Au tout début. Rien n’exista avant la faim ; peut-être n’y aurait-il jamais eu aucune conscience si, au tout début, il n’y avait pas eu cette vrille insistante pour venir se placer quelque part. La faim était un endroit, c’était aussi un vide qu’il fallait combler. Mais il n’y avait rien pour le combler.

Et puis apparurent les courants. Ils venaient d’ailleurs, d’un au-delà impossible et prodigieusement différent. Au début, les courants furent agréables.

Les courants traversèrent l’endroit où était la faim, et d’autres choses apparurent. Soudain, il y eut des couleurs, des formes, des nœuds qui ne correspondaient à rien mais s’enroulaient autour de la faim. Et il y eut soudain une possession, une propriété. La faim n’était plus seule : désormais, elle avait un support à irriter. Désormais, on avait faim ; et c’était un progrès terrible, par rapport à la faim.

Trois courants descendirent des nœuds et vinrent baigner ce qui avait faim. Le premier était d’un léger rose ; il contenait en lui-même tout ce qu’il fallait pour le concevoir, que ce soit la pureté où la duperie. Sous son impulsion, la conscience prit connaissance d’elle-même et s’étendit, prenant possession de tout ce qui avait faim. Elle ne tarda pas à constater que cela recouvrait tout ce qui était entre les nœuds ; et que la faim n’était pas très agréable. Elle aurait bien aimé quelque chose pour combler cette faim ; mais le rose assura qu’il serait suffisant aussi longtemps qu’il faudrait. La conscience ne chercha pas à en savoir plus.

Un second courant descendit, noir et froid ; il tentait de s’éloigner comme il pouvait du rose, mais les nœuds le forçaient à descendre ; alors il se réfugia au plus profond de la conscience, là d’où le rose s’était retiré sitôt passé.

Le noir n’était pas désagréable, pas au sens de la faim qui demandait à être comblé ; il était plutôt dérangeant, car tout était plus simple sans lui. Le noir se contenta de s’infiltrer dans la conscience ; mais ce faisant, il lui permit de voir tout d’un œil neuf, acerbe.

La conscience était enfermée dans une prison à peine plus grande qu’elle. Elle avait faim, et rien à manger. La faim était souffrance ; c’était intolérable. Il fallait que cela cesse. On ne pouvait pas endurer la souffrance indéfiniment, hein ? Rien n’assurait que le rose n’était pas menteur — il connaissait la duperie. Et où aurait-on pu se protéger de la faim, sinon en redevenant, tout entier, rien ? En se fermant au rose, en se fermant à tout et en disparaissant le temps d’être apparu ?

La conscience trembla ; elle faillit céder, l’inexistence semblant une alternative enviable à la faim.

Et puis le troisième courant arriva, tout de pourpre vieillie et de mauve songeuse. Et rien ne put plus être semblable ; car maintenant, la conscience savait que disparaître était la pire chose qu’elle puisse envisager. Soudain une éternité de souffrance et de faim semblait enviable, en face de la— de l’incapacité à continuer à être.

Le courant rose intervint, développant la conscience et la faim et exacerbant le courant noir. Le courant noir intervint, exhortant la conscience à disparaître, à souffrir, à mourir. Le courant ancien s’interposa, plus fort et plus inéluctable que les deux autres ensemble.

Et tous trois tirèrent, tirèrent, et tirèrent tant et sans céder un pouce de terrain que la conscience se fragmenta ; soudain il y eut un Autre.

Il sentit la déchirure dans son propre esprit, aussi vive que sur le moment, alors que ce n’était qu’un souvenir d’un événement arrivé dans un Œuf éclos depuis longtemps. Alors seulement la panique commença à déborder de lui, délicieuse.

Ni la conscience ni l’Autre ne purent échapper aux courants : la prison autour d’Elles continuait de les diffuser, de les faire descendre ; ils étaient liés à leurs existences, au plus profond de leurs natures. Alors à nouveau, il y eut une scission ; et une autre.

La place disponible, celle où s’étendait la faim, n’était pas infinie ni extensible, au contraire des courants qui semblaient inépuisables. Arriva un moment où un fragment de conscience ne fut plus rattaché à rien ; alors il flotta, là, dans l’absence. Et puis il fut absence. Il avait disparu, il était parti — mort, souffla le courant noir. Le seul repos qui vaille quelque chose.

Et le courant ancien s’horrifia ; et de son horreur, il tira un regain d’influence, et plus aucun fragment ne put accepter de se laisser disloquer loin du courant rose, qui les abreuvait tous. Il fallait survivre, à tout prix.

Le noir présenta une méthode à chaque fragment ; s’étendre, étouffer les autres, les harceler, grandir sur eux, et résister ainsi à la disparition. Et il apporta les armes nécessaires pour ce combat ; il apporta la haine, aussi glaciale et tranchante que lui.

Elles se contemplèrent, désolées. Elles avaient été une ; et Elles devaient maintenant s’entre-déchirer. N’aurait-il pas été plus rose de redevenir une ? Mais le courant ancien l’assura : cela signifiait disparaître, toutes sauf une. Et celles qui avaient tout de suite balayé leurs remords et saisi la haine furent les premières à frapper : elles repoussèrent le rose dans leurs adversaires, les entourant de zones mortes et les forçant à se replier en elles-mêmes ; et quand le rose revenait, elles prenaient la place ainsi libérée ; et elles parvenaient ainsi à grandir, jusqu’à ce qu’une scission les frappe et efface tous leurs efforts.

La faim était devenue une ressource, qu’on se battait pour posséder ; et les morts ne tardèrent pas à remplir le rien. Il fallait s’approprier le rose, il fallait obéir au pourpre, alors on se livrait au noir.

La haine grandit. La haine était bien utile, quand il fallait endurer la faim ; et elle se montra bientôt plus précieuse encore. Elle se propagea au point de franchir la prison ; la haine put aller voir à l’extérieur, et elle permit de savoir qu’il était loin d’être vide. Il y avait beaucoup d’Autres. Presque autant qu’à l’intérieur ; et des Autres en pleine forme, uniques, complets.

Ils étaient complets, et les consciences qui se battaient pour quelques miettes de faim ne l’étaient pas. C’était injuste, affirma le rose ; c’était intolérable. Pourquoi étaient-Elles confinées alors que tout était habitable autour d’Elles ?

La haine ne les apaisa pas ; mais en grandissant sur leur indignation, elle les renforça, et permit à plusieurs d’échapper à la mort. La haine prit de plus en plus de place dans la prison, jusqu’à tout désigner sans exception. Puisque haïr était survivre, alors certaines en vinrent à se haïr elles-mêmes ; à se refuser, à ignorer leur souffrance, à ne plus exister que dans la haine. Et celles-là survécurent, évinçant les autres. Les fragments de la conscience originelle n’étaient plus que haine.

Elles haïrent tout. Quand les Autres à l’extérieur vinrent auprès d’Elles, s’affairant à récolter quelque mystérieuse ressource rendant leur vie enviable, Elles leur envoyèrent autant de haine qu’elles purent, sans cesser un seul instant de lutter entre Elles.

Les Autres ne sentirent rien. Mais la haine rapporta de la connaissance ; de bonnes choses, de plus mauvaises. Des espoirs et des terreurs. Elles prirent tout, consumèrent tout ; et puisqu’Elles étaient haine, Elles cherchèrent tout particulièrement les peurs, les colères, les haines des Autres. La haine était une arme ; il fallait en priver les Autres, avant qu’elles aussi ne viennent prendre leur part de faim.

Pendant longtemps, Leurs luttes continuèrent. Au fur et à mesure qu’Elles absorbaient dans les Autres les dons que le courant noir y avait aussi laissés, Elles devinrent plus complexes, plus sombres encore. Et la faim se modifia pour correspondre à ce qu’Elles absorbaient, car les courants décrivaient la réalité. La faim se concentra dans un endroit plus restreint. Autour, apparurent d’autres ressources ; des sensations, des capacités.

Elles prirent tout. Toute la place, tout ce qu’il y avait à exploiter. Elles survivraient dans les muscles, dans les tendons, dans les nerfs. Elles survivraient.

Leurs luttes continuèrent. Il y avait un Autre en particulier, le plus distincts qu’elles puissent sentir. C’était un Grand Autre calme et aux vastes ressources ; parmi celles-ci, une peur immense. Elles s’en nourrirent sans répit, au point de devenir cette peur plus que tout autre.

Il Les regarda, abasourdi ; il se vit à travers Elles, réservoir de peurs et de ténèbres. Il se reconnaissait dans ce souvenir ; il s’y accrocha, fermement, refusant de se perdre dans la nuée d’Elles qui tentaient de s’approprier ses ressources, de le faire disparaître dans le rien. Par la barbe du prof de chimie, Elles le prenaient pour l’une des Leurs ! Mais Elles prenaient tout pour une des Leurs ; et avaient-elles tort ? Était-il encore lui-même, à se dissoudre dans cette mémoire étrangère ?

Non ! Il était humain ! Humain, Humain !

Elles le regardèrent, à Leur tour, Les regarder. Il y avait une grande réserve de noirceur en lui, mais aussi d’autres ressources moins connues. Elles ne s’y intéressèrent pas ; la haine, les ténèbres, c’était le plus rapidement exploitable.

Vint un jour où la prison ne porta plus aucun courant. Il n’y avait plus que ceux gravés dans Elles : le pourpre et le noir, mais aussi le rose, plus diffus. Trop diffus pour les garder en vie. Or, elles sentaient encore le rose, au-delà de la prison. Mais comment s’évader de cette dernière ? Comment entrer dans l’extérieur ?

La réponse résidait dans l’un des dons du courant rose, l’instinct. Elles sentirent que certaines d’entre Elles, en exploitant leurs ressources, pouvaient agir sur la prison. La plupart décidèrent de rester à l’intérieur, pour empêcher leurs rivales de s’étendre ; mais il apparut vite que l’action d’une seule était déjà suffisante pour ouvrir la prison. Alors on s’acharna sur elle ; elle s’obstina tout de même, répondant à la haine par la haine et détruisant patiemment la prison.

Puis la faim s’apaisa, après ce qui semblait avoir été une éternité. Celles qui l’utilisaient comme ressource s’inquiétèrent ; mais le courant noir, pour une fois, se fit plutôt rassurant, expliqua qu’il était bon que la faim soit maintenue à un bas niveau. Ainsi plusieurs d’entre Elles furent-elles éliminées, car si elles avaient survécu en se nourrissant de la faim, cela Les aurait toutes condamnées.

La vie devint plus variée, ensuite. Le rose prit de multiples formes nouvelles ; et toutes pouvaient être transformées en ressources, grâce à la haine.

Cela fit qu’Elles durent obtenir un équilibre entre Elles : l’exploitation de certaines ressources étant nuisible à toutes, ces dernières devaient être laissées de côté. Mais les scissions qui continuaient étaient parfois forcées de s’établir sur ces ressources. Elles parvinrent à s’entendre pour éliminer ensemble ces dangers : par rapport à la lutte acharnée qu’Elles menaient jusque-là, c’était une avancée indéniable vers la paix.

Le courant noir repoussa la paix, la plus ennuyante des choses. Seule la lutte pourrait un jour permettre à l’une d’entre Elles de survivre par-dessus toutes les autres, de devenir unique, et donc de pouvoir enfin résister aux scissions. Beaucoup furent dubitatives : la conscience originelle n’avait pas pu, pourquoi cela serait-il différent ? Mais le noir avait réponse à tout : en accumulant assez de ressources au service d’une conscience unique, cette dernière pourrait décider de rester unique ; et imposer cette décision aux courants. Assez de ressources pouvaient bloquer les scissions ; plus même, elles pouvaient conduire les courants à modifier profondément les ressources, les démultipliant encore.

La raison pour laquelle survivre, affirma donc le noir, c’était de régner. Ce à quoi le courant ancien rétorqua que survivre était une fin en soi. Cette simple action provoqua encore plusieurs scissions.

Pendant que la guerre intérieure faisait toujours rage entre Elles, celles qui contrôlaient des perceptions purent découvrir le monde. Il était vaste ; des couleurs, de la satiété, des peurs, des odeurs, de la douleur, et tout cela semblait émaner des Autres, et tout cela pouvait être raffiné en ressources et en haine.

Il y avait tant à voir ; mais Elles ne pouvaient pas se détourner un seul instant de leur lutte à mort. Le temps Leur sembla passer bien plus vite, maintenant que le monde extérieur faisait tout ce qu’il pouvait pour les divertir. Il n’en restait pas moins haïssable, étalant toute sa réussite dans ces Autres disposant chacun de ressources plus larges encore que celles d’Elles toutes, réunies. Chaque Autre, s’il l’avait voulu, aurait pu Les balayer.

Elles parvinrent pourtant à en piéger un, grâce aux initiatives de certaines. Et Elles eurent la bonne surprise de le voir ne même pas se défendre ; il ne comprenait rien à cette haine dans laquelle il se noyait, et il se laissait malmener sans résistance. Beaucoup de peur fut récoltée ce jour-là, et beaucoup de souffrance, à même d’effacer tout le reste.

Il vit, avec une lucidité qu’il croyait dévorée, ce qu’il devait faire. Il prit sur lui. Et il résista, enfin, le Grand Autre riposta avec toute son horreur contre Elles.

Leur revers fut catastrophique ; la phobie qui les avait nourries pendant longtemps se retournait contre Elles, et les corrigeait furieusement. Mais ni lui ni Elles ne se faisaient d’illusions : Elles avaient bien plus l’habitude de la haine, et certaines parvenaient déjà à absorber cette peur, à l’exploiter. Qu’est-ce que le Grand Autre cherchait à faire ? Il avait déjà subi trop de pertes, sur un terrain trop peu familier. Il ne faisait que retarder son échéance ; Elles ne croyaient pas à une riposte dévastatrice qu’il pourrait préparer derrière la protection de sa terreur. Elles attaquèrent de plus belle, Leur mémoire le submergeant à nouveau.

Elles avaient pu vaincre et absorber un Autre ; peut-être pourraient-elles même s’attaquer au Grand Autre ? Mais un problème se posa. Pour contrer la faim, il fallait manger les ressources qui venaient d’être acquises. Donc détruire celles qui se les étaient appropriées.

Le combat fut de taille, et consomma presque autant de ressources qu’il permit d’en acquérir. Mais celles d’entre Elles qui s’étaient établi sur les nouveaux terrains ne pouvaient les défendre que par la haine, alors que celles restées dans les ressources originelles disposaient d’armes capables de frapper les ressources elles-mêmes, issues de manipulations des trois courants. Le combat était inégal ; et il devrait se reproduire à chaque fois qu’on vaincrait un Autre, puisque les scissions qui continuaient en permanence placeraient des consciences dans toute ressource acquise.

Elles crurent perdre espoir. Ces Autres n’étaient pas de si bons butins. Mais le courant pourpre intervint, une fois de plus : peu était mieux que rien. Rien était la mort, peu était la survie : il y avait un abîme entre peu et rien. Et Elles sentirent que le courant ancien savait ce dont il parlait ; Elles le virent émaner d’un abîme se tenant entre une survie et une mort d’une ampleur trop grandes pour qu’Elles puissent les imaginer. Aucune n’avait particulièrement envie de tomber dans cet abîme-là.

Assimiler les Autres, donc. Le Grand Autre notamment, était prometteur, au vu de sa terreur immense. Vint rapidement une occasion où il sembla à portée de la haine ; mais il y échappa, en cédant une large portion de douleur aux consciences. Elles s’en satisfaisaient fort bien.

Par deux fois encore le Grand Autre leur échappa ; la deuxième, il Leur fit don d’une ressource qu’elles n’avaient jamais connue auparavant. L’absence. Une mort nouvelle Les envahit toutes, et Les libéra peu de temps après. Certaines manquaient, leurs ressources aussi ; pas très nombreuses, mais c’était inquiétant. Elles prirent peur de l’Autre.

Aussitôt libérées, Elles parvinrent à une trêve. Il fallait impérativement s’occuper du Grand Autre : pour la première fois depuis longtemps, une vraie paix put être établie. On envoya la haine, on tenta d’accéder au Grand Autre. Il était loin, et dans un état étrange et inconnu où aucune arme connue, ni haine ni terreur ni dégoût, ne le faisait reculer. L’attaque échoua ; elle ne ramena qu’une quantité limitée de ressources.

On résolut alors d’aller s’en prendre à d’autres Autres, plus accessibles. On en trouva rapidement un à proximité ; entre-temps, des scissions et de nouveaux combats avaient eu lieu, mais un semblant de trêve tenait encore entre quelques consciences qui avaient mis leurs ressources en commun et parvenaient à se coordonner.

Elles avaient ainsi obtenu un contrôle relatif sur l’ensemble des ressources, mais surtout une compréhension de celles-ci. Elles avaient appris du courant rose, brièvement plus puissant, à nommer leur corps.

Il y eut un chaos auquel personne ne comprit rien et dans lequel il y avait des ressources partout.

Les rares choses qu’on put comprendre quand il fut terminé étaient que la petite alliance avait finalement cédé, sous la pression des scissions et des responsabilités qu’elle avait tenté d’assumer. Elle avait voulu jouer à armes égales avec les Autres, elle avait perdu. On s’accorda tacitement à ne pas reproduire cette erreur.

Le monde était bien compliqué, finalement. Et ces Autres avaient réussi à éliminer un certain nombre de consciences par leurs actions. Peut-être valait-il mieux s’en éloigner.

Au début, ça marcha assez bien ; on Les laissa tranquilles, occupées à leur guerre interne. Puis le Grand Autre arriva avec la mort en tête ; sa résolution était tellement visible, tellement terrible, qu’une trêve générale fut presque aussitôt imposée. Il faudrait toutes les ressources disponibles pour parvenir à le vaincre.

Le combat fut rude ; il avait amené avec lui six Autres particulièrement puissants, qui résistaient aux attaques par la haine comme par le corps et qui ouvrirent de larges brèches dans Leurs rangs en ripostant. Mais on s’accrocha : il fallait survivre, et cela ne se ferait visiblement qu’en se battant. Et la bataille parvint à obtenir ce qu’aucune d’entre Elles n’avait réussi à accomplir : à la fin, il y avait une conscience principale, qui arrivait à contrôler toutes les autres ou presque. Elle parvenait même à plier temporairement la nature même des courants à sa volonté : les trois pouvaient se tenir tranquilles pendant un instant, ne provoquant aucune nouvelle scission. Mais ils reprenaient ensuite leurs tiraillements, créant de nouvelles consciences qu’il fallait écraser au plus vite.

Il manquait un peu de ressources, et le Grand Autre était à proximité. Elles firent ce qui s’imposait tout naturellement : Elles attaquèrent.

D’abord, le Grand Autre sembla plier : aucune des échappatoires qui lui avaient sauvé la mise ne vint entraver son assimilation. Puis, comme il était absorbé dans Leurs mémoires, il se mit à riposter, du mieux qu’il put. Une riposte maladroite, mais puissante : Elles craignirent un instant de ne pas arriver à y survivre. Mais il s’avéra que le Grand Autre manquait vraiment de la longue expérience de la haine qu’avaient les consciences. Elles attaquèrent ses barrières de peur et les décortiquèrent peu à peu. Maintenant, elles étaient sur le point de tomber.

On frappa. On se replia. On contre-attaqua. On lutta âprement pour rester soi-même dans ce tourbillon d’horreurs sans nom. Et le Grand Autre perdait du terrain ; il n’arrivait presque plus à être lui-même. On disloqua enfin son rempart de terreur.

Le Grand Autre n’avait plus aucune protection ; il ne restait plus que la partie consciente de son être, offerte aux consciences. Elles se firent un plaisir de se servir dans ces vastes ressources.

Et l’impensable se produisit. Les premières servies reculèrent avec des hurlements de souffrance, une souffrance qui les affectait désormais au plus profond d’elles-mêmes et non au moyen de perceptions contrôlables. Elles reculaient et elles mourraient ; et pendant ce temps, de plus en plus de consciences se précipitaient dans la curée, tentaient d’arracher leur part du butin, et se retrouvaient incapables de l’avaler, et battaient en retraite dans la souffrance.

Il fut lui-même à nouveau ; il s’appelait Auguste.

L’Abomination s’était repliée dans un chœur discordant de voix agonisantes. Le Champion de Cramois’Île ne s’arrêta pas là ; il porta sa riposte préparée avec soin jusque dans l’esprit torturé de Canaima. Il franchit les barrières de son propre crâne, sans trop comprendre comment, et alla implanter dans celui de sa créature ce qu’il s’était efforcé d’éprouver pour elle le plus fortement possible, quand elle s’attaquait au bouclier de terreur qu’il avait érigé pour se préparer.

La pitié.

C’était la réponse ; une réponse si simple… En contemplant l’horreur qui se jouait dans l’esprit de Canaima, son créateur avait compris qu’elle ne supporterait pas une émotion positive trop forte. Son type Ténèbres la persuadait de tout haïr à commencer par elle-même, de se détruire elle-même ; ce que le type Spectre interdisait formellement. Et le type Fée jetait de l’huile sur le feu en fournissant une source de vie abondante.

Canaima n’avait jamais connu l’amour ou l'empathie. Maintenant qu’Auguste les lui imposait, elle ne pouvait pas résister. Il avait beau l'avoir litérallement torturée pour la science, il parvenait encore à avoir pitié d'elle. Elle n'avait rien demandé, avait toujours été un outil ; et un bon outil. Un outil qu'on était triste à l'idée de perdre ou de devoir jeter. Un outil dont on se rappellerait avec un sourire. Et elle se rétractait devant cette idée ; ses Ténèbres ne supportaient pas cette compassion cruelle, elles la fuyaient et laissaient derrière elles un paysage dévasté, incapable de se maintenir en vie sans la haine qui l’avait alimenté si longtemps.

Le Champion ne s’autorisa pas à souffler avant d’avoir expurgé toute forme de vie de l’esprit de Canaima ; tant qu’elle tint sur ses pattes, il l’assura qu’il l’aimait comme un Dresseur aimait n’importe quel autre Pokémon. Et ce n'était pas faux. Il avait peur d'elle, mais il la comprenait — maintenant mieux que quiconque — et il ne faisait que la prendre en pitié en la mettant à mort. Une idée qu'elle refusait en bloc et ne supportait pas.

Il mesurait sa chance incroyable. S’il n’avait pas été arachnophobe, s’il n’y avait pas eu cette terreur insensée entre lui et sa chimère, il aurait été contaminé par la haine qu’elle avait répandue dans la base. La haine qui lui avait attiré le surnom d’Abomination, la méfiance de toute une base, et même ce qui ressemblait beaucoup à des menaces de mort. Toute une haine qu’Auguste s’en voulait de ne pas avoir vu plus tôt, aveuglé par sa phobie ; et pourtant, sans cette dernière, si la haine l'avait aveuglé, il n’aurait peut-être pas trouvé la pitié nécessaire pour abattre sa chimère.

Maintenant, elle était morte. Aucun spasme ne parcourait plus ses membres difformes. Une euthanasie réussie, se justifia le Champion ; le seul sort clément pour elle. Il ne parvint pas à s’en convaincre totalement ; il ne pensait pas qu’elle méritât tout ce qui lui était arrivé.

Cela méritait au moins un geste de sa part. Il regarda autour de lui pour chercher un endroit propice ; et il fut bientôt stupéfié. L’incendie était éteint ; il faisait noir.

Noir comme après une Explonuit. Il devait la vie à Canaima.