CHAPITRE 2 : Préparatifs
Suite au départ de mes parents, je passais mes journées au travail. Keiko avait accepté de m'embaucher à plein temps pour que je pusse rapidement déménager à Unionpolis. Bien qu'elle était ma patronne, je la connaissais depuis toute petite. Elle avait toujours été là pour nous aider, notamment quand nous étions livrés à nous même avec Takeshi. Je pouvais vraiment la considérer comme ma seconde mère. Keiko était assez connue dans Sinnoh, surtout dans le milieu de la culture et de la préparation des baies. Derrière sa demeure, son grand jardin déstructuré ressemblait à un mystique labyrinthe verdoyant, parsemé de multiples baies de toutes formes et de toutes couleurs. Etant une vraie passionnée, elle était vraiment incollable dans ce domaine. A chaque baie, elle connaissait les conditions d'entretien de sa plante, ses propriétés thérapeutiques ainsi que la manière de la cuisiner pour en faire ressortir au maximum sa saveur. Au fil du temps, elle m'avait transmis tout son savoir, et surtout sa passion. J'étais encore loin de son niveau de connaissance, mais je maitrisais déjà toutes les notions de base pour les associations de baies en cuisine.
Les matins, j'étais chargée d'arroser tous les plans à baies du jardin de Keiko. Cette tâche était longue et fastidieuse. Afin de ne pas abimer les fruits ou de ne pas trop inonder la plante, le Kwakarrosoir se montrait parfait au niveau de la dose d'eau et du débit. Je devais ainsi faire de nombreux allers-retours pour le remplir au robinet incrusté dans la façade arrière de la maison. Selon Keiko, l'arrosage était le point clé pour avoir les meilleures baies. D'ailleurs, je mangeais de temps en temps quelques baies Pêcha en cachette. Le goût sucré de leur chair tendre et rosée me motivait à travailler efficacement. Les après-midis, j'assistais Keiko en cuisine pour préparer les plats et les desserts qu'elle vendait. Certains touristes venus à Verchamps pour le Grand Marais passaient souvent dans son stand. Bien qu'assez fatigante, chaque journée de travail était enrichissante.
Je n'avais plus hâte de rentrer. Un vide immense envahissait ma maison. Mes soirées étaient consacrées à la recherche d'un appartement à Unionpolis. Les prix là-bas étaient nettement plus élevés que Verchamps, ce qui semblait assez logique quand on comparait la modernité et l'attractivité de ces deux villes. En rajoutant mon salaire de cette semaine, mes économies me permettait d'accéder à des loyers de premiers prix. J'avais surtout récupéré les économies de Takeshi, son héritage me permettrait de réaliser mon rêve. Il m'avait aussi laissé ses deux bestioles. Je devais d'ailleurs les nourrir tous les soirs, cela me faisait perdre du temps dans mes recherches. Je versai rapidement leur pâtée nauséabonde dans leur gamelle sur le pallier de la porte. Sorti de sa Ball, Vortente bondit sur son repas et l'engloutit d'une seule traite, il avait plein de restes tout autour de sa bouche béante. J'étais écœurée. Cradopaud, quant à lui, était plus lent, il faisait le difficile. Il osa même jeter ce qu'il ne mangeait pas sur le sol de la maison. Déjà que j'avais pris cinq minutes pour m'occuper d'eux, voilà le remerciement. Il ricanait même face à mes réprimandes. Je les rappelai dans leur Ball. Une colère profonde m'habitait quand je faisais face aux pokemon de mon frère, surtout face à Cradopaud. S'il n'avait pas été si faible, mon frère serait surement en train de voyager dans Sinnoh pour gagner ses badges.
Ce soir encore, je ne trouvais pas le sommeil. Mon cerveau était en ébullition, je voyageais entre la tristesse, la colère et l'espoir. J'avais réussi à trouver un appartement à Unionpolis dans mes prix après de nombreuses heures de recherches devant mon PC, j'appellerais le lendemain à la première heure le propriétaire pour ne pas le rater. Sur cette plateforme d'annonces, comme de partout maintenant sur le net, des publicités en tout genre pullulaient. L'une d'entre elles présentait un site d'annonces de propositions et de recherches de pokemon pour des dresseurs souhaitant faire des échanges. C'était un signe du destin. Je m'empressai de m'inscrire pour déposer une annonce. Les touches s'enfonçaient brutalement dans le clavier, sous mes doigts qui les mitraillaient, guidés par un esprit de vengeance. Cradopaud me servirait au moins à quelque chose. Malgré son apparence, je savais qu'il était assez recherché à cause de sa rareté. Les Cradopaud représentaient même la mascotte de la ville de Verchamps, je n'avais jamais compris pourquoi d'ailleurs. Même le champion de la ville était déguisé en ce crapaud bleu, je trouvais cela assez ringard. Pour Vortente, je ne connaissais pas trop sa côte mais cela ne coûtait rien de le mettre. J'étais comme apaisée. Après cela, je m'endormis sans même m'en rendre compte, un léger sourire aux coins des lèvres.
Le lendemain, avant de partir chez Keiko, je sautai sur mon téléphone pour contacter le propriétaire du petit appartement cosy d'Unionpolis. Il faisait 28m² et avait un agencement idéal. Une cloison séparait la chambre de la pièce à vivre. La lumière du jour s'infiltrait dans le salon à travers une grande baie vitrée qui donnait sur un petit balcon fleuri. Certes, je ne le décrivais qu'à partir des photos de l'annonce, mais tous les angles de chaque pièce avaient été minutieusement pris. Il était vraiment fait pour moi. Les bip sonores de l'appel me stressaient. Une voix chaleureuse répondit. L'appartement était encore disponible. Je réglai dans la foulée les formalités et la réservation d'un taxi pour transporter mes affaires jusqu'à Unionpolis. Ce genre de service de déplacements était très cher à Sinnoh. La plupart des habitants voyageaient à pied, à bicyclette ou encore avec leur pokemon, mais pour les déménagements, on ne pouvait pas faire autrement. Mon départ se ferrait donc dans deux jours.
Je commençais à voir mon avenir se tracer, j'avais l'opportunité de vraiment tourner la page, de passer à autre chose. J'avais la certitude que Takeshi aurait été très fier de moi. Je le voyais encore, son visage s'était encré dans mes pensées. Il était toujours souriant, ses yeux se plissaient même tellement qu'il respirait la joie et la bonne humeur. Ses cheveux bruns et courts se dressaient sur son crâne de manière désordonnée. Il ne se préoccupait pas vraiment de son apparence, je veillais toujours à ce que ces vêtements ne fussent pas salis et j'aimais bien le peigner.
Lors de la pause déjeuner, après avoir entretenu le jardin à baies, je discutais avec Keiko de la pluie et du beau temps. Je m'étais empressée de lui montrer les photos de ma future demeure. Telle une seconde mère, j'avais eu le droit à tous les conseils et à toutes les mises en garde pour ma vie en ville, seule, dans un milieu que je ne connaissais pas. La petite Akimi s'approcha de moi et me tendit un beau petit dessin. Elle m'aimait beaucoup et pleurait de mon départ imminent. Je la serrai dans mes bras. Au premier plan se situait quatre personnages. Avec le soin qu'elle avait pris pour les dessiner au plus en détail, je reconnus Keiko, Takeshi, moi-même et la petite artiste. Elle avait un sacré coup de crayon pour son âge. Des plants de baies multicolores meublés le fond du dessin. Je vis après qu'elle avait également représenté le Cradopaud. Je n'avais pas encore parlé de mon intention d'échanger Cradopaud à Keiko, je savais pertinemment qu'elle m'en dissuaderait. Il faisait peut-être parti de l'héritage de mon frère, mais justement, s'il me servait à obtenir un pokemon mignon capable de remporter des concours, ça ne dérangerait pas tant que ça Takeshi ?
Un jour avant mon grand départ, je préparais mes cartons de manière organisée. Vêtements, matériel de couture, boutures de baies, appareils High-Tech, tout était soigneusement rangé et étiqueté. Je faisais également un grand ménage dans toute la maison, à l'exception de la chambre de Takeshi, ma mère avait souhaité la laisser telle quelle. Mes parents gardaient toujours cette maison à Verchamps, ils comptaient bien y retourner à la retraite. Cette journée fut épuisante, mais il me restait encore à alimenter les deux monstres abjects. Etant donné qu'ils n'avaient aucun savoir-vivre, je mis leur pâtée dehors, à même le sol. Le bruit de mastication qu'ils produisaient me révulsait. Mon portable vibra dans ma poche, une notification de la plateforme d'échanges pokemon s'afficha. Je reçus un message d'un Pokemaniac, il me proposa un Chaglam contre Cradopaud. Ce pokemon chat était vêtu d'un joli pelage cendré. Sa silhouette reflétait un côté raffiné et gracieux, il répondait bien à mes attentes. Sans trop réfléchir, j'étais entrée en conversation avec lui pour proposer une rencontre à Unionpolis dans la semaine. Je jetai un coup d'œil par la fenêtre pour vérifier qu'ils finissaient de manger. Cradopaud se retourna et me dévisagea bien plus que d'habitude. On disait que les pokemon ressentaient les émotions bien plus que les humains, il avait peut-être compris ce qu'il l'attendait. Quoi que, s'il comprenait vraiment ce que je ressentais, il n'aurait pas une attitude aussi irrespectueuse, déjà qu'il n'avait pas été gâté par la nature ...
Quelques secondes. Il avait fallu quelques secondes, le temps de me déplacer de la fenêtre du salon à la porte d'entrée, pour que Cradopaud disparût. Vortente restait planté là, en me regardant d'un air idiot. J'appelai, je criai, je regardai aux alentours de la maison, mais il n'y était pas. De plus, la nuit commençait à tomber et la fatigue alourdissait tout mon corps. Les chances de le retrouver dans la soirée étaient quasi nulle, surtout sans la coopération de Vortente. J'irais le chercher demain avant l'arrivée des déménageurs. Cette saleté de crapaud ne savait pas se débrouiller tout seul bien longtemps dans la nature, il n'avait jamais été sauvage : quand Takeshi l'avait reçu, il était bébé. Il se représenterait demain, au moins pour la nourriture, j'en étais persuadée.
Le dernier levé de soleil que je voyais sur Verchamps éclairait l'entrée de la maison, mais Cradopaud n'était pas là. Le bruit soudain d'un klaxon me fit sursauter. Le taxi était en avance. J'avais rapidement chargé mes cartons dans le véhicule. Le chauffeur m'annonça qu'aujourd'hui il avait beaucoup de clients, et qu'il ne pouvait pas se permettre de prendre trop de retard. J'avais donc une heure pour retrouver ce fichu Cradopaud. Pour une fois que j'avais vraiment besoin de lui, il s'était enfui. Je ne laisserais pas gâcher ma nouvelle vie.
A cause de sa disparition, je n'avais pas pu rester prendre le petit-déjeuner chez Keiko comme prévu. Inquiète de la situation, elle m'aida à chercher le Cradopaud de partout dans Verchamps, à commencer par mon quartier. Le porte à porte n'avait rien donné d'intéressant. Keiko alla vérifier pour moi vers le Grand Marais, elle savait que je n'aurais pas supporté de retourner sur les lieux de ce drame. L'heure allait bientôt être écoulée, il ne nous manquait plus qu'à inspecter les berges de la ville. Je me souvenus qu'à l'époque, avec Takeshi et Cradopaud, nous nous posions sur une petite rive écartée du port pour admirer les couchés de soleil qui coloraient la mer d'un rose apaisant. Ah, le bon vieux temps ... Il était assis là, face à l'horizon, puis se retourna quand il sentit ma présence. J'avais l'impression que ses joues étaient particulièrement humides. Contrairement à ce que je voulais lui dire pour le réprimander, je m'étais seulement contentée de le renvoyer dans sa Ball. Parfois, le silence pouvait être le plus grand des mépris.
Malgré tous mes efforts pour régler cette affaire au plus vite, le taxi ne m'avait pas attendu. Laisser en plan une jeune fille comme moi ? Ce chauffeur avait-il de la compassion pour ses semblables ? Il avait laissé un vulgaire message sur la porte de mon domicile pour me prévenir qu'il laisserait mes cartons à la boutique relai d'Unionpolis. Il avait eu l'audace de me laisser le numéro de son agence pour demander un taxi d'urgence, dont les tarifs étaient exorbitants. Il ne me restait pas beaucoup de monnaie sur moi. Je ne laisserais pas le désespoir m'atteindre, j'étais motivée comme jamais. J'avais vraiment décidé de tourner la page aujourd'hui. Il ne me restait qu'une chose à faire : traverser la route 212 à pied. Si je m'y mettait tout de suite, je pourrais arriver à Unionpolis avant le coucher du soleil. Je savais que la pluie s'abattait régulièrement sur cette route, je devais donc me préparer intelligemment avant de partir.
Lors de mes 18 ans, Takeshi m'avait offert une tenue de Sœur Parasol avant de partir en voyage. C'était une tenue tendance de dresseuse de pokemon composée d'un joli manteau imperméable et de longues bottes en caoutchouc, ainsi que d'un grand parapluie rose. Je l'avais laissée intacte dans mon armoire pour ne pas l'abîmer, et je n'avais pas encore eu l'occasion de le mettre pour une telle sortie. Je l'enfilai délicatement en versant une dernière larme pour mon grand frère. Il n'aurait pas supporté de nous voir le pleurer de toute façon. Je fis un crochet à la boutique de Verchamps pour acheter quelques repousses avec le fond de mon portefeuille afin d'éviter les pokemon sauvages. Je n'avais aucune compétence en combat, cela me faisait même peur, et je ne pouvais pas non plus compter sur ces deux vermines pour m'aider. Néanmoins, ma détermination me guidait, j'étais prête à réaliser des exploits que jamais je n'aurais pu imaginer.