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Jusqu'à ce que les dunes cessent de chanter de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 15/07/2020 à 09:59
» Dernière mise à jour le 29/06/2021 à 13:04

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Conte

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Chapitre 5 : Après la meute
Quand le soleil se coucha, Margar avait déjà abandonné l’idée de recevoir de la visite dans son coin de désert paumé. Ça ne lui faisait ni chaud ni froid.

Les premières fois, ça l’avait toujours blessée un peu. Si enthousiasmante la science soit-elle, c’était un fardeau bien lourd à porter pour une seule personne. Elle avait espéré trouver quelqu’un avant d’enterrer ses parents. Quand son frère avait suivi sa propre voie, elle y était déjà devenue plus ou moins indifférente ; c’était cela qu’elle regrettait. Cette résignation à laquelle elle était contrainte.

Pour la forme, elle patienta tout de même jusqu’à la nuit. Elle aimait presque plus le coucher de soleil que la nuit elle-même : c’était fascinant de voir le ciel s’assombrir, et la lumière des étoiles qui perçait de plus en plus par-dessus celle, vacillante, du Soleil.

L’une des premières loupiotes à apparaître fut Vénus. Pas une étoile, donc, mais une planète dont l’atmosphère jaunasse renvoyait bien la lumière solaire. À sa suite, de petites marques lumineuses percèrent timidement le ciel, un peu partout. Bientôt, la scientifique put discerner des constellations.

Comme elle s’y attendait, Vénus s’intercalait exactement sur l’éclat rougeâtre de Bételgeuse. Cela formait une variation amusante de la constellation du Sarcophage, la flamme bleutée de Bellatrix n’ayant plus de réelle concurrence en face d’elle. Une géante bleue et une planète, quasiment aussi lumineuses… C’était une image tranquille à regarder.

La nuit se refroidissait. Margar ne tarda pas à se réfugier sous la tente qu’elle avait montée dès son arrivée, et à y chercher le sommeil.

Elle tâtonna un peu ; après une trentaine d’années d’essais et malgré des millénaires de science, elle ne connaissait toujours pas par cœur le chemin qui menait au sommeil. Fallait-il rester immobile à tout prix ? Se tourner sur le côté ? Bâiller ? Mystère. Quand elle rouvrait les yeux sans pouvoir déterminer dans quelle position elle était cinq minutes plus tôt, elle considérait qu’elle avait dormi.

Quelque chose la perturbait, tout de même. Elle grommela et se retourna sur le côté, espérant se rendormir vite fait. Ça par contre elle en était sûre : s’agiter un peu trop pendant un réveil temporaire, c’était en faire un réveil définitif.

Un bruit vague résonna dans le lointain, la figeant d’effroi.

Elle tendit l’oreille, et attendit. Pas longtemps ; d’autres cris répondirent au premier, hargneux et inarticulés. Des aboiements.

Tant pis pour le réveil définitif ; elle se jeta à l’extérieur aussi vite qu’elle put et commença à escalader le flanc de la dune. Elle s’était établie dans un creux, bien sûr, le sommet d’une dune était un endroit bien trop exposé à son goût.

Une fois sur la crête, d’ailleurs, elle se coucha au sol pour être moins repérable, si futile cela soit-il en pleine nuit. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver la source des aboiements : l’Arbre à contes d’Yspèri était éclairé par en-dessous. Elle ne voyait pas les feux à cette distance, mais c’était évident comme le nez au milieu de la figure que le village brûlait.

Elle ne resta pas plus longtemps ; il n’y avait rien d’autre à voir ou à entendre. Rien que des flammes et des aboiements, donc des démolosses dans le village. Elle espérait que ce satané Guerrier des Sables était rentré de son expédition meurtrière et défendait son village ; elle avait beau envisager de quitter ces gens, elle ne voulait pas se réveiller le lendemain matin pour apprendre qu’ils étaient tous morts.

Elle retourna à sa tente et fit de son mieux pour se rendormir, mais le sommeil ne vint pas. Elle savait pourtant, qu’elle était sous le vent par rapport à l’attaque (l’odeur piquante de la fumée le lui assurait), que les démolosses ne la trouveraient pas. Que les attaques de prédateurs dans le désert, si craintes soient-elles, étaient statistiquement rares, que la présence ininterrompue des Guerriers depuis douze millénaires (et la discrétion des carchacroks quand ils dormaient) avait appris à la dure aux pokémons sauvages à se méfier des bivouacs humains plantés en plein désert. Elle savait qu’elle ne risquait rien !

Pourtant la peur lui glaçait l’échine chaque fois qu’elle entendait hurler. La nuit fut longue.

***
Le simple fait d’ouvrir les yeux lui infligea un début de migraine. Il tenta vaguement de se relever, sans se soucier du mal de crâne ni de son corps transi comme s’il avait passé une nuit sans abri dans le désert ; en vain. Ses articulations craquaient à chaque mouvement, ses muscles répondaient absent et se hisser sur un coude fut suffisant pour être pris de vertiges. Il abandonna et se laissa réchauffer par les rayons du soleil.

Il ne faisait pas chaud. Ce qui, dans le désert, indiquait clairement le petit matin ; il avait donc vraiment passé toute la nuit allongé là ? Pas étonnant qu’il soit frigorifié.

Et effectivement, il avait pris un coup à la tête. Il leva le bras, grimaçant de fatigue à ce simple mouvement, puis de douleur, comme il tâtait son visage pour constater les dégâts. Un bleu comme un Œuf de Roc-Oreille à la tempe — il se jura que ce Tograz aurait droit au même.

Et pas que, bien sûr. Il avait toutes les raisons de croire Laren et son Démon morts. Mais il gardait espoir quant à son propre monstre, il ne lui avait pas fait la leçon pendant des années sans résultat. Alors il cessa de bouger et attendit.

Ce ne fut pas bien long, mais avec la migraine, le temps passait plus lentement. Il commençait à se demander s’il allait avoir cette crampe au pied qui pointait, quand il entendit un froufrou de sable sur des écailles rugueuses. Son Démon était réveillé. Il émergeait de la dune où il avait passé la nuit, et où il s’était enterré dès qu’il avait vu son Guerrier tomber.

« Eh, croassa ce dernier d’une voix qui appartenait bien plus au désert qu’après un voyage sans imprévus. Viens par là. »

Le monstre s’approcha, en se dandinant sur ses pattes arrière trop courtes. Pas très habitué à ce que son Guerrier reste allongé dans le sable, il commença par lui fureter un peu autour, tentant de le pousser du museau. Pas longtemps. Bientôt, il se tint assez tranquille pour que Gorbak lui attrape le bras.

Quelques efforts laborieux plus tard, il s’agrippait aussi solidement qu’il pouvait au dos de son Démon. Le temps encore de ramasser l’épée, qui gisait un peu plus loin dans le sable, et il put examiner plus précisément les alentours.

Il s’était réveillé à faible distance des ruines du laboratoire, qui avait entièrement brûlé. Les deux sillons tracés par les Démons ne s’étaient pas comblés dans la nuit.

En tenant son épée, Gorbak pouvait voir des traces qui n’existaient pas. L’épée des Guerriers des Sables offrait une clairvoyance souvent pratique. Et en plus, elle ne donnait sa loyauté qu’à un seul porteur : impossible de la lui enlever.

Cette fois-ci, il pouvait voir deux traces. Vers le nord, la piste de l’épée de Tograz ; les deux épées s’étant combattues, elles pourraient se retrouver d’assez loin. Vers l’ouest, la puanteur de la meute de Chiens des Enfers. Ils avaient foncé droit sur Yspèri.

Le choix était vite fait. Gorbak mourrait d’envie de pouchasser ce satané porteur d’épée, mais il appartenait au village. Il devait y retourner.

Il lança son Démon dans sa direction, en lui ordonnant de rester lent. Avec ses membres transis, il ne pourrait pas s’accrocher très solidement. Le retour serait aussi long que l’aller avait été effréné.

***
Au matin, Margar fit longtemps les cent pas devant sa tente. Ce mini-bivouac dans le désert était un endroit sûr, plus que le village en tout cas : les démolosses pouvaient avoir décidé de s’y établir. Et si elle approchait un peu trop, vent favorable ou pas, elle serait repérée et traquée.

Elle attendait donc le vent. Un vent défavorable, qui cesserait de lui apporter le goût âcre de la fumée. Si un tel vent se levait, la meute la repérerait forcément ; il n’y aurait plus à atermoyer, il faudrait aller vers le village. Tant que ce n’était pas le cas, elle tuait le temps en espérant que les pokémons se lasseraient et partiraient, avant que le vent ne tourne.

Ce n’était pas un raisonnement rassurant. Mais c’était le seul que son esprit logique pouvait accepter.

Le temps passa. Le vent finit par tourner, si tôt… Elle avait espéré avoir la journée. Mais le soleil impitoyable et la nuit glaciale chamboulaient constamment les fragiles différences de pression dans l’atmosphère, faisant du vent un phénomène capricieux. Elle n’aurait donc eu que quelques heures.

Tant pis. Elle replia rapidement la tente, et prit la direction du sud, d’Yspèri. Et de tout ce que le village pouvait encore abriter.

La distance était courte, sept dunes seulement. Margar perdit le compte après l’une des quatre premières, puis le retrouva en voyant la cime verdoyante de l’arbre même dans le creux entre deux dunes. Elle tenait à en finir le plus vite possible. À atteindre ce village, à le voir dévasté ou occupé. À partir.

Chaque pas posé dans le sable, chaque murmure du vent à ses oreilles, dans le silence bruissant du désert, était porteur d’espoir. Les démolosses aboyaient dès que quelque chose sortait de l’ordinaire, alors le silence était précieux.

Le village se dévoila d’un coup, comme un mirage au détour d’une crête. L’arbre se dressait sereinement, intouché ; même des chiens fous n’auraient pas osé l’attaquer. Sous sa large ramure, un amoncellement informe de carcasses calcinées étalait une couche de suie autour des racines géantes. L’arbre n’avait pas défendu les villageois, malgré la symbiose qui les liait. Il ne sortait de sa torpeur végétale que quand il était directement attaqué. On ne pouvait guère lui en vouloir : il ne s’était pas montré plus égoïste qu’un humain ne l’aurait fait.

Margar ne s’attendait pas à autre chose. Elle l’espérait, mais la seule chose qu’elle s’était autorisée à espérer, c’était que son esprit rationnel supporterait la vision du village dévasté.

Ce fut le cas, en quelque sorte. Elle tomba à genoux, les jambes coupées par cette vision terrible ; mais en même temps qu’une larme perlait au coin de son œil, ses pensées se dirigeaient déjà vers les impératifs du voyage dans le désert, vers le mode de vie nomade. Cette petite goutte d’eau qui courait sur sa joue était précieuse, trop précieuse pour être gaspillée. Pas de vie sans eau, quoi qu’en disent les coutumes qui attribuaient toute l’eau recueillie entre les racines des arbres à contes au bétail, dont seul le lait abreuvait les humains.

Pas de vie sans eau. Elle laissa tout de même le petit diamant salé se perdre dans le sable. En mémoire de son frère, en mémoire d’Yspéri. Un petit gaspillage inutile, une tradition vieillotte contraire aux modes de pensée du Sèmèrès comme des nomades, mais cela restait réconfortant.

Elle resta agenouillée, ne se sentant pas encore la force de s’en aller, mais releva la tête. Elle voulait regarder une dernière fois cet arbre plus vieux qu’elle et qui lui survivrait plusieurs siècles, sans doute des millénaires, malgré la tristesse qu’elle associerait à ce lieu désormais. Elle voulait embrasser une dernière fois ce panorama tout de sable et de ciel, si semblable à tant d’autres et en même temps unique, qui pendant des années avait…

Là. À l’est, une forme biscornue couronnait la dune. Elle était difficilement discernable dans le soleil levant, ça aurait pu être un bossu transportant une tente… Mais non. Margar en avait la certitude, c’était un carchacrok.

Elle se releva, brusquement, comme prise sur le vif. Contrairement aux démolosses, elle ne pouvait pas échapper au prédateur alpha. S’il décidait de l’attaquer, elle n’y pourrait absolument rien. Elle ne pouvait qu’essayer de partir sur-le-champ. Mais le pokémon se retourna vers elle ; la vit, sans doute ; et tourna encore la tête, dévalant joyeusement la dune, vers elle toujours.

Pas tout à fait vers elle. Il rejoignit une silhouette qu’elle n’avait pas remarqué plus tôt. Une forme humaine qui marchait effectivement dans sa direction.

Un Guerrier des Sables. Alors là, elle était vraiment foutue.

Ce n’était même pas la peine de songer à s’enfuir. C’était une perte de temps inutile pour tout le monde. Elle attendit, figée, de savoir à quelle sauce elle serait cuisinée.

Le pas du Guerrier était lent, mais cela semblait plus dû à sa faiblesse qu’au calme qui caractérisait les siens. Nerveux, aussi ; peut-être était-il lui aussi légèrement affecté par la destruction de son village. Ce n’était pas la première fois que Margar avait à esquiver la surveillance d’un Guerrier, et elle ne voyait pas ce qui pouvait leur remplir le crâne mis à part du fanatisme et une absence totale de pitié. Ils faisaient tout pour ressembler à leurs carchacroks.

Ce qu’elle ne voyait pas, c’était que Gorbak était né à Yspèri, y avait grandi, puis y avait passé le reste de sa vie après son apprentissage auprès de l’Ordre. Il n’était pas dans ce village pour plaire aux Maîtres de l’Ordre, mais parce qu’il était convaincu que sa présence le protégeait et le défendait contre tout mal.

Aucun d’eux ne se souciait de l’abîme d’incompréhension qui les séparait quand ils s’adressèrent la parole pour la première fois depuis l’arrivée de Margar au village.

« Vous êtes vivante, attaqua Gorbak de sa voix rauque, limée par le désert.

— Quoi, ça vous ennuie ? » riposta Margar, acerbe.

L’autre se figea, pris au dépourvu. Envisagea avoir été très peu diplomate — la diplomatie n’avait jamais été son fort. Hésita, cherchant ses mots (une petite victoire qui en valait bien une autre).

« Mes excuses, finit-il par lâcher. J’étais surpris de trouver une survivante après une meute de Chiens des Enfers.

— Hrmph. Je pourrais vous en dire autant.

— Ou plus. »

Le ton maussade sur lequel il fit cet aveu exaspéra Margar, encore plus que cette façon de surenchérir ; il croyait être le seul à avoir perdu quelque chose ? Ce n’était pas parce qu’elle était nomade qu’elle s’en fichait !

« Je prends ça pour une invitation, siffla-t-elle. Où étiez-vous ?

— Je ne… »

Il lui fit le plaisir de reculer d’un pas. Douce victoire. Mais il ne tarda pas à se reprendre, sans rien dire, tandis que son esprit silencieux examinait la situation et se rendait compte de ce qui se passait. Quand il reprit la parole, sa voix avait trouvé la dureté de l’acier.

« C’est courageux de ta part d’interroger un type comme moi, ironisa-t-il. Mais je peux te renvoyer la question. Tu étais dans le désert — impossible d’échapper à l’attaque autrement. Et j’ai un léger doute sur ce qui t’y a amené.

— Le deuil. Vous savez certainement que les nomades ne pleurent leurs morts que dans le sable. »

Margar ne se rendit compte que trop tard que cette tentative de défense improvisée au dernier moment ne tenait pas. Il n’y avait qu’un seul moyen par lequel elle aurait pu apprendre un décès (un message transporté par d’autres nomades) et l’esprit acéré de Gorbak s’en rendit vite compte.

« Je vois. Une mort annoncée par l’arrivée d’un Guerrier des Sables souhaitant attaquer un laboratoire…

— Et ? Ça serait possible d’arrêter de tourner autour du pot ?

— Sèmèrès.

— Et ? »

Elle n’avait aucune idée de la façon dont se sortir de ce mauvais pas. Il ne lui restait que la provocation. Il mordit à l’hameçon.

« Hier, j’ai perdu un frère d’arme par la faute d’un scientiste.

— On va mettre les choses au point, cracha-t-elle avec assez de venin dans sa voix pour faire taire le Guerrier. Je suis en face du meurtrier de mon frère, et il fait des allusions à la façon dont j’ai été élevée avec une envie très sensible de se servir à nouveau de son épée.

— Ça n’a rien à—

— Comme protecteur du village, j’ai vu mieux. »

Il ne reprit pas la parole, outré par l’insulte. Margar sentit une pointe d’amusement à faire tourner cet homme en bourrique ; elle décida de continuer de plus belle. S’il voulait vraiment la tuer, elle n’avait rien à perdre à l’offenser mortellement.

« En fait, maintenant que j’y pense, j’aurais mieux fait d’équiper le village de fusils. J’ai cru comprendre qu’ils avaient servi à quelque chose pendant la guerre, même si la technique des royaumes côtiers laisse à désirer. Pas vrai, le vieux ? »

Impossible de rester de marbre après ça et elle s’attendait à se faire proprement massacrer par cette énorme épée (les hommes, pensa-t-elle, tous les mêmes). Mais non.

Elle n’avait aucune idée de la tempête qui faisait rage dans le crâne du Guerrier, au point de le faire reculer, les bras ballants et l’air hagard. Des souvenirs. De simples souvenirs, qui lui revenaient en mémoire de temps en temps.

Rien de plus inoffensif qu’un souvenir. Même pas un souvenir de la guerre. De cette ligne interminable, deux mille Démons des Sables chargeant aveuglément dans un barrage de mitraille — les côtiers avaient été pris au dépourvu par la soudaineté de l’attaque, mais quelques-uns avaient épaulés leurs fusils, allumés leurs canons. Quand les Guerriers étaient ressortis de l’autre côté du corps gluant de l’armée, de grandes carcasses bleu roi parsemaient la mer de corps en uniformes.

De simples souvenirs. Que pouvaient bien faire ces images de charniers interminables, de sangs ennemis versés sans distinction dans le sable pour la folie d’un seul homme, que pouvaient-elles faire contre un esprit inébranlable et serein de Guerrier des Sables ?

Qu’est-ce qu’il n’avait pas su faire ?

« Ça va ? Vous êtes tout pâle… »

Se moquait-elle ? Il voulut lui retourner un regard noir, il ne parvint pas à y mettre autre chose que sa révulsion à l’idée de cette guerre contre-nature. Mais elle ne s’y trompa pas — elle avait abandonné ce ton acide qui rendait ses paroles si blessantes.

« Ce n’était pas une moquerie, je m’inquiète vraiment. Vous avez l’air d’avoir vu un spectre. »

Elle reçut un grognement pour toute réponse. Intrigué par ce comportement, le carchacrok se mit à la fixer d’un air louche.

« Bon, d’accord, j’aurais pas dû parler de ça. Dîtes-moi juste que vous avez pas l’intention de rester comme ça toute la journée, sinon je pars.

— Affligeant, commenta-t-il d’une voix d’outre-tombe. Un Guerrier des Sables terrassé par des mots. »

Malgré son ton dur, presque acerbe, il avait l’air de s’être repris. Margar décida que ça méritait qu’elle le charrie un peu.

« Ah, dommage. J’avais deux ou trois autres arguments en réserve au cas où ça aurait pas été assez, je ne les utiliserai même pas. Vous pouvez vous montrez assez agaçants, vous autres Guerriers des Sables, des fois ! »

Il esquissa un sourire maussade, mais se prêta au jeu (ce qui ne manqua pas de la faire douter de sa décision).

« Laisse-moi deviner. Me demander si j’avais l’intention de terminer le travail ? Pfft. J’ai assez aimé ce village pour ne pas avoir envie d’effacer toute trace de lui, la trace en question fut-elle membre du Sèmèrès.

— Charmante attention.

— Ironique, non ? poursuivit-il en souriant un peu plus franchement. Une seule survivante, et impossible de voir en elle une trace du village.

— Vous dîtes ça parce que je suis une nomade ou parce que j’appartiens au Sèmèrès ?

— Quelle importance. »

Ce qui ressemblait à tout sauf à une question. La scientifique modéra son envie de répondre quelque chose de bien senti : autant éviter de trop pousser cet homme dans ses retranchements. Et puis sa réputation de taciturne avait tout de même l’air justifiée. Il avait visiblement l’air de préférer le silence à la conversation.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, elle était encore en vie. Elle ne savait même pas s’il y avait déjà eu de telles rencontres entre un Guerrier des Sables et un membre du Sèmèrès, qui ne se soient pas soldées par le décès de l’un des deux. Peut-être, quand même. Restait une question. Où aller, maintenant ? Elle avait sa petite idée de ce que voulait Gorbak ; il la confirma après quelques nutes de silence.

« Dans le désert, un homme dressait ces Chiens des Enfers. Je compte le traquer. Cette proposition ne vaut sans doute rien pour toi, mais si tu veux voir celui qui a détruit ce village et porte une bonne moitié de la mort de ton frère, tu peux venir. »

Et elle savait qu’elle viendrait, oui. Parce que l’Ordre traitait le Sèmèrès en ennemi, et qu’elle avait tout à gagner à apprendre à connaître son ennemi. Parce qu’elle aurait bien plus de chances de survivre aux côtés de cet homme que seule. Parce que comprendre le processus qui avait poussé cet homme à l’épargner était certainement scientifique, et peut-être réutilisable.