Chapitre 27 : Rencontres à Almia
- Président, c'est un honneur de vous rencontrer enfin. Je suis Maxwell Briantown, directeur du centre du Vert de la Planète d'Unys.
Funerol serra la main tendue à contrecœur, avant de faire remarquer.
- Nous nous sommes déjà rencontrés, monsieur Briantown. Nous étions sur des bancs différents au procès de votre ancien employeur.
L'homme d'affaire sourit, nullement perturbé.
- Certes. Mais nous n'avons pas été présentés en bonne et due forme. C'est chose faite. J'espère que vous ne me tenez pas rigueur de mon ancienne appartenance à la défunte N.W.C ?
- Je ne suis pas un homme revanchard, fit Funerol en lui faisant signe de s'asseoir. Vous ne seriez pas ici dans mon bureau si c'était le cas.
Funerol avait suivi le conseil de son directeur financier et proposé une rencontre à Briantown. Ce dernier s'est empressé d'accepter en venant de lui-même jusqu'à Almia, en deux jours seulement. Funerol lui faisait sûrement trop d'égards en le recevant dans son propre bureau au siège de l'association, mais s'il y avait une chance que Briantown se soit réellement rangé du côté de l'écologie, même si c'était par opportunisme financier, c'était quelqu'un avec qui il fallait compter pour remettre le Vert de la Planète dans le droit chemin. De plus, Funerol n'avait pas oublié que c'était bien cet homme qui avait porté le coup fatal à N.W.C en dénonçant à la presse les agissements occultes de plusieurs de ses collègues, après le procès perdu.
- J'aurai tout de même une question à ce propos, avant que nous entrions dans le vif du sujet, continua Funerol. Qu'est-ce qu'un homme comme vous, qui a siégé au Conseil d'Administration de la plus gloutonne des entreprises du monde, fait aujourd'hui dans une ONG à but non lucratif qui défend tout ce que votre ancienne société a toujours considéré comme négligeable ?
Briantown sourit et croisa les doigts.
- Je ne suis pas un homme de conviction, Monsieur le Président. Je me contente d'exercer dans le domaine qui est le mien et que j'apprécie. C'est-à-dire le marketing, les relations avec les partenaires et les clients, ce genre de choses. Quel que soit le produit ou le service, je sais comment le rendre appréciable. Et en défendre un qui soit l'exact contraire de celui que je défendais avant ne me pose aucun problème, si c'est là le sens de votre question.
Funerol haussa les sourcils, à la fois agacé et amusé par ce culot.
- On ne peut pas vous reprocher de manquer de sincérité, au moins...
- Je sais être sincère quand il le faut, et hypocrite quand il le faut aussi. L'art des relations publiques, c'est de savoir jongler constamment avec les deux. Je sais pourquoi vous avez tenu à me voir, monsieur Funerol. Vous n'approuvez pas la façon purement commerciale dont je gère la filiale d'Unys, mais vous ne pouvez pas simplement me mettre à la porte, maintenant que le Vert de la Planète est géré de façon multidirectionnelle.
Funerol devait avouer qu'il ne s'attendait pas à ça. Il avait escompté un dialogue fait uniquement de langue de bois, dont il avait l'habitude avec les politiques ou divers hommes d'affaires du monde entier. L'attitude « droit au but » de Briantown était aussi surprenante que rafraîchissante. Il décida donc lui aussi d'adopter la même.
- J'ai appris il y a peu que ma femme était enceinte. Ce n'est qu'une raison de plus pour moi que de prendre du recul sur la direction du Vert de la Planète et toute la politique qui l'entoure. Je veux être un père présent, et je ne veux pas que mon enfant soit mêlé de prêt ou de loin à toutes les intrigues qu'impliquent un poste actuellement équivalent à celui d'un Chef d’État. Je compte donc rester le temps qu'il faudra pour être certain que l'ONG de mon père préserve son identité, puis je supprimerai le poste de Président, pour ne laisser que ceux des directeurs régionaux qui siégeront égalitairement au sein d'un conseil de direction.
Briantown hocha la tête, tant pour acquiescer que pour rendre hommage à son interlocuteur.
- Une décision honorable. Et qu'il me soit permis de vous souhaiter toute mes félicitations et vœux de bonheur pour votre heureux événement.
- Merci. Mais quitte à laisser les directeurs régionaux régner sur l'ONG, j'aimerai être sûr que l'un d'entre eux ne la transformera pas en société cotée en bourse se lançant dans la construction d'immeubles écologiques à grand prix, ou quelque chose du genre.
Briantown éclata de rire, appréciant ce qu'il considérait comme une blague. Sauf que Funerol n'avait pas fait d'humour, juste énoncé une crainte légitime.
- Vous savez, Monsieur le Président, je ne regrette en aucune façon New World Corporation. Trop de pressions, trop de Sharpedo qui vous tournaient autour... Mon nouveau poste au Vert de la Planète est des plus reposants en comparaison. Loin de moi l'idée d'en faire une nouvelle N.W.C version écologique. C'est juste qu'on ne change pas les vieilles habitudes. Quand j'entrevois une faille dans laquelle me glisser pour vanter ce que nous faisons tout en y récupérant du profit, je ne peux que m'y engouffrer. Mais je sais rester mesurer. J'ai toujours un œil sur le service presse de l'ONG : mes petites affaires à Unys n'ont en rien ébranlé la confiance populaire, bien au contraire. Les gens sont ravis de pouvoir faire confiance à une association comme la vôtre quand il s'agit de consommer plus intelligemment.
Ils discutèrent deux heures durant. La première heure, Funerol ne chercha pas à le contredire plus que nécessaire, car étrangement, les paroles de Briantown sonnaient toujours de façon très raisonnable aux oreilles du Président. Il l'avait accueilli en pensant avoir à faire à un magnat de la finance prêt à tout pour faire du profit, mais il trouva finalement en lui un homme chaleureux, sincère, et aux idées des plus intéressantes, si on faisait abstraction du fait qu'elles étaient mercantiles. Après la seconde heure, ils en étaient au stade où chacun riait des traits d'esprit de l'autre, et Funerol semblait s'être trouvé un nouvel ami.
- Diable, comme le temps passe ! Fit finalement Briantown en voyant le soleil qui commençait à se coucher. Je suis désolé de vous avoir retenu si tard, Monsieur le Président.
- Ne le soyez pas. Ça faisait longtemps que je n'ai pas eu de discussion si ouverte et intéressante sur un sujet qui me tient à cœur. Et je crois que je vous dois des excuses, Monsieur Briantown. Je vous ai accueilli ici avec méfiance et des idées préconçues plein la tête, alors que je ne vous connaissais pas. Je pense sincèrement que nous pouvons nous entendre, et qu'à nous deux, nous pourrons encore plus tirer le Vert de la Planète vers le haut.
Funerol pensait ce qu'il disait. Briantown raisonnait par l'argent, mais quand une organisation atteint le niveau qui est celui du Vert de la Planète actuellement, si personne ne raisonnait par l'argent, ça ne marcherait pas, comme l'homme d'affaire lui avait brillamment expliqué. C'était un homme pragmatique, mais loin d'être un robot. S'il ne crachait pas sur leur argent, il visait avant tout la satisfaction des personnes que le Vert de la Planète souhaiter aider, et même des Pokemon. Il avait de plus soumis à Funerol nombre de perspectives qu'il souhaitait ardemment étudier avec lui.
- J'en suis ravi, Monsieur le Président, sourit Briantown. Je n'ai pas de plus vif désir. Bon, je ne vais pas vous embêter plus longtemps. J'ai un bateau qui repart pour Unys demain matin, aussi vais-je me mettre en quête d'un hôtel pour la nuit.
- Un hôtel, ici ? À Véterville ? Rigola Funerol. Nous n'avons rien de tel, si ce n'est de petites maisons d'hôtes en bois. Mais j'ai bien mieux. Pourquoi ne passeriez-vous pas la nuit chez moi ? Nous pourrons poursuivre notre conversation lors du dîner.
- C'est fort aimable à vous, mais je n'oserai pas m'imposer de la sorte !
- Vous ne vous imposez pas, c'est moi qui vous invite, rectifia Funerol. Nous avons une chambre d'ami, bien que ce soit très rare que quelqu'un l'utilise. Je n'ai que trop peu de visite. Venez donc ! Nous ouvrirons une des bouteilles que mon père gardait depuis des années, et que je n'ai jamais l'occasion d'ouvrir. Des millésimes tellement coûteux que j'ai presque honte de les posséder.
- Vous savez me prendre par les sentiments, Monsieur le Président.
Il suivit Funerol hors de son bureau, toujours avec son sourire affable, ne laissant rien entrevoir de son air satisfait et sournois.
***
- Bon, la première chose que vous devez savoir si vous êtes face à ce gus-là c'est qu'il vaut mieux respirer la bouche.
Le conseil de Dan arracha plusieurs rires et sourires aux élèves Ranger devant lui, alors qu'ils faisaient un cours en plein air. Dan passait en revu avec eux plusieurs Pokemon sauvages de la région Almia qu'ils seraient peut-être amenés à capturer un jour, et ils en étaient à Moufflair, un Pokemon violet à la longue queue poilue, connu et reconnu pour l'odeur pestilentielle qu'il pouvait dégager s'il était en danger.
- Je ne plaisante pas hein ? Poursuivit Dan très sérieusement. L'odeur du Moufflair n'est pas seulement très désagréable, elle est aussi dangereuse. Elle est tellement immonde qu'elle peut vous provoquer un choc olfactif qui peut vous faire tomber dans les pommes. Et ne pensez pas que le Moufflair va s'en aller gentiment si vous êtes évanoui. Elles sont vicieuses, ces bestioles-là. Elles ne perdront pas l'occasion de vous dévorer la gorge et de vous laisser vous noyer dans votre sang.
Les sourires de la plupart des jeunes disparurent, mais certains autres devaient penser que Dan plaisantait encore, avec un certain humour noir. D'autres encore avaient l'air horrifié par ses paroles.
- M-mais, Dan... demanda l'un des garçons, pourquoi un Pokemon irait tuer un Ranger ?
Mais qu'est-ce qu'ils pensent, ces gamins ? Songea Dan. Que les Pokemon sont tous de gentilles petites bébêtes comme dans les animés ?
- Un Pokemon sauvage ne fait pas le distinguo entre un humain normal, un dresseur ou un Ranger, répondit-il. Pour la plupart d'entre eux, les humains sont des nuisances ou des prédateurs. En clair, des créatures hostiles. C'est justement pour ça qu'on a des Capstick. Grâce à eux, on peut faire passer nos sentiments de justice et de bien commun à travers eux, pour qu'ils acceptent de nous aider. Et c'est aussi pour ça que si vous n'êtes pas totalement investis des valeurs de la Fédération Ranger, vous ne ferez pas long feu dans le métier. La capture par Capstick ne marchera pas si vous avez des pensées égoïstes. J'ai déjà vu de jeunes Ranger se faire tuer par le Pokemon qu'ils venaient juste de capturer juste pour crâner.
Là encore, ce fut la douche froide pour la vingtaine d'élèves. Mais l'une d'entre elles, l'adolescente aux cheveux noirs et aux yeux noisettes que Dan avait déjà remarquées, demanda d'un air détaché :
- Vous essayez de nous effrayer, monsieur ?
Dan la dévisagea avec un sourire ironique.
- Pas de « monsieur » avec moi, jeune fille. Je ne suis pas professeur, et je n'ai que quelques années de plus que vous. C'est en tant que futur collègue que je vous parle, et en tant que tel, je ne veux pas vous effrayer, juste vous dire la vérité. Pokemon Ranger est un métier à risque. Oui, le salaire est élevé. Oui, l'uniforme est stylé. Oui, on peut s'inventer des poses cools. Et oui, on a du succès en amour. Mais à chaque fois qu'on part en mission, même pour la plus simple des patrouilles, il y a un risque qu'on n’en revienne pas. Le taux de mortalité pour un Ranger débutant est de l'ordre de 8%, je crois me souvenir. Et il augmente en même temps que la montée en grade et les missions de plus en plus difficiles. Il faut que vous vous enfonciez ça dans le crâne avant de signer, les gars. Et que toujours vous exerciez vos missions avec la plus grande prudence.
À la fin de son cours, les jeunes n'eurent plus l'air si enthousiastes que ça à l'idée devenir Top Ranger au plus vite, comme Dan. Mais c'en était que mieux. Dan ne voulait pas avoir comme futurs partenaires de jeunes casse-cou qui se pensaient immortels, ou qui croyaient que les Pokemon étaient tous inoffensifs. C'était le meilleur moyen d'aller au casse-pipe. Tandis que les gamins retournaient dans leur dortoir alors que le soleil entamait sa descente, Dan s'occupa de ranger tout le matériel et de renvoyer dans leurs Pokeball les Pokemon qu'il avait présentés. Son ami Samuel Chen, le nouveau professeur attitré de Kanto, les lui avait gracieusement prêté pour son cours.
- Pour ce qui est de la prudence, vous ne donnez pas vraiment l'exemple, monsieur.
Dan se retourna, constatant que la fille qui lui avait demandé s'il ne cherchait pas à les effrayer était restée.
- Que veux-tu dire par là ?
- Ce surnom de Héros d'Automnelle, vous l'avez gagné en faisant face à une assassin et à un monstre quasiment tout seul, et ce devant les caméras du monde entier, expliqua-t-elle. Depuis, la majorité des gars de ma classe veulent faire comme vous, ou même encore plus pour vous dépasser. Ce sont les Rangers comme vous qui poussez les jeunes à avoir la tête plein de rêves souvent idiots et dangereux.
Dan haussa les sourcils. En voilà une drôle de fille. D'ordinaire, elles lui demandaient son autographe en rougissant ou en bafouillant. Celle-ci ne semblait au contrairement nullement impressionnée, mais en plus paraissait lui reprocher ses exploits.
- C'est sans doute vrai, admit Dan. Mais pour ma défense, je n'ai pas vraiment pensé aux caméras ou à l'exemple que je donnais quand j'ai affronté ces malades. Il y a des situations où on se doit de réagir immédiatement en laissant parler nos instincts ou notre expérience, et où, effectivement, la prudence n'est plus trop de mise. Mais ça, c'est à l'appréciation du Ranger concerné, et de sa confiance en ses capacités.
- Je présume donc que votre confiance en vous-même est à un niveau appréciable. Comment pourrait-il en être autrement avec le plus jeune Top Ranger depuis que la Fédération existe ?
Dan ne sut un moment que répondre. C'était quoi, le problème, avec cette fille ?
- Dis-moi, euh...
- Marine. Marine Worm.
- Marine... Tu sembles ne pas beaucoup m'apprécier. T'aurai-je offensé d'une façon ou d'une autre ?
- Non. Et ce n'est pas vous en particulier que je ne n'apprécie pas. Ce que je ne n'apprécie pas, c'est ce système de Top Ranger. Nous sommes censés protéger la nature et les Pokemon, combattre les catastrophes naturelles et le mal au péril de notre vie. Mais à côté, il y a cette caste élitiste qui nous pousse à la compétition entre nous pour espérer en faire partie, mettant en danger non seulement nos vies mais aussi notre devoir. Si on pense sans arrêt à devenir l'un des douze Top Ranger, comment on fait pour être totalement désintéressé lors d'une capture ? Vous encouragez la prudence lors des missions, mais j'ai du mal à voir un Ranger prudent et sobre espérer devenir Top Ranger. Je crois que tous les Rangers devraient être pareils, et que la distinction de grade ne devrait se faire que par l'âge et l'expérience. On cesserait cette compétition malsaine entre nous, on serait plus prudent, plus attaché à notre seul devoir, et la mortalité que vous évoquiez ne pourra alors que baisser.
Dan se rendit compte qu'il avait la bouche ouverte depuis un moment, et s'empressa de la fermer.
- Euh... Je peux te demander ton âge ?
- Seize ans. Pourquoi ?
- Parce qu'à seize ans, si j'avais tenu un discours pareil, c'est qu'un Pokemon Spectre m'aurait possédé. Je ne pensais qu'au nombre de cercles minimum qu'il me faudrait avec mon Capstick pour battre mon propre record de capture.
- Comme quasiment tous les garçons de ma classe, fit Marine en haussant les épaules. Vous avez tout dans les bras et dans le pantalon, rien dans le cerveau. Mais je ne comprends pas pourquoi la Fédération a laissé se mettre en place un tel système avec une femme aussi sage que la Présidente Marthe à sa tête...
- Ton point de vue et intéressant et juste sur certains points, admit Dan. Mais il n'est pas la vérité absolue non plus. Un peu de compétition, si elle est mesurée et qu'elle n’empêche pas le travail d'équipe, ne fait pas de mal. Au contraire, elle nous pousse à toujours essayer de faire mieux, de s'améliorer, et cela passe donc par plus d'entraînement. Et tu as tort sur autre chose : il y a, parmi les douze Top Ranger, des personnes tout à fait prudentes et sobres, comme tu dis. Cleo, par exemple, l'une des quatre qui bossent en permanence ici, à la Fédération. Elle est l'incarnation même du sérieux et du respect des règles. J'ignore les critères sur lesquels la Présidente nomme les Top Rangers, mais ça ne s'arrête certainement pas qu'à la vitesse de capture.
Marine hocha la tête, signe qu'elle reconnaissait les arguments de Dan et qu'elle n'était donc pas butée. Cela étant, elle dit quand même :
- Malgré tout, je persiste à croire que les Top Rangers sont inutiles et inégalitaires, et totalement hors sujet avec nos valeurs. Quand je serai une Ranger importante et écoutée, je ferai en sorte de changer ça !
- Alors bon, toi aussi tu as de l'ambition, finalement, rigola Dan. C'est tout ce que je peux te souhaiter, ma chère Marine. Deviens une grande Ranger prudente et avisée qui pourra devenir la future Présidente, qui fera plein de réformes sages et qui vivra longtemps, tandis que les m'as-tu-vu dans mon genre casseront leur pipe à même pas trente ans !
***
Dan et Leslia quittèrent l’École Ranger tôt le lendemain matin, après avoir été hébergés dans l'une des chambres libres de l'internat. Dan ne réitérerai pas l'expérience de dormir avec l'héritière Divalina avant longtemps. Elle était encore plus étrange dans son sommeil qu'éveillée. Elle ne cessait de gigoter, de marmonner ce qui ressemblait à des incantations, et même parfois de crier d'un coup en se battant avec un ennemi invisible.
Mais c'était la faute de Dan. Il avait assuré le directeur qu'ils dormiraient dans la même chambre, alors que d'autres étaient disponibles. Il avait sans doute secrètement espéré pouvoir coucher avec elle ; ils étaient censés être en vacances amoureuses, après tout, ou quelque chose s'y rapprochant. Mais Dan avait très vite renoncé à l'idée après les éternels laïus sans queue ni tête que la jeune femme lui avait tenus avant de se coucher. Elle avait beau avoir un corps parfaitement adulte et développé, son esprit lui faisait trop penser à celui d'une enfant avec un peu trop d'imagination.
- Tu en fais une tête, Dududush-Kloën, remarqua-t-elle alors qu'ils partaient à pied en direction de Véterville. On dirait que tu n'as pas dormi depuis une semaine...
- Non, depuis une journée seulement, répondit Dan en baillant. J'étais trop occupé à suivre ton combat final contre le Démon Millénial Ewige Hölle hier soir. Et puis bon, je n'ai jamais bien dormi dans cet internat. J'étais trop occupé à faire des conneries la nuit avec mes potes de chambre.
- Alors, nous nous rendons chez Gelbzoranim maintenant ?
- C'est ça. Nous allons lui siffler quelque uns de ses alcools hors de prix, après quoi je passerai rapidos à la Fédération saluer la Présidente deux trois de mes vieux amis. Puis nous pourrons faire du tourisme jusqu'à demain. Il y a des coins intéressants avec des Pokemon peu communs, à Almia.
La demeure du Président du Vert de la Planète n'était pas bien compliqué à trouver, surtout dans une ville assez rustique comme Véterville. Mais contrairement au manoir Divalina qui était le cliché même de la villa des nobles d'il y a trois cent ans, la maison de Funerol avait un aspect moderne et écolo. C'était un plain-pied énorme mais bâtie à 80% avec du bois. Elle avait une serre, une véranda géante, et une architecture pour le moins surprenante. Dan y était déjà allé une fois, mais pour Leslia, c'était une première.
- C'est donc ici que vit le Maître du Dépit... Ce n'est pas un cadre qui va bien avec la noirceur millénaire de son âme, fit-elle.
Elle semblait déçue de ne pas avoir trouvé à la place un donjon terrifiant avec des bacs de lave où on jetait les prisonniers.
- J'imagine que c'est cette femme qui lui a obscurci son esprit millénaire, poursuivit Leslia avec aigreur. Elle pense pouvoir remplir les profonds insondés de son âme avec le matérialisme de cette dimension ? Qu'importe ce qu'elle tente, Gelbzoranim est et sera toujours à moi. Elle ne pourra jamais le combler comme moi je l'ai fait durant tous ces siècles !
- C'est bon à savoir... se contenta de répondre Dan.
Il s'apprêtait à toquer à la porte quand cette dernière s'ouvrit avant. Peut-être Funerol l'avait-il vu arriver ? Ou bien les Pokemon Psy de Leonora jouaient le rôle d'alarme anti-intrusion ? Mais ce ne fut ni Funerol ni Leonora qui ouvrit, mais un homme que Dan ne s'attendait absolument pas à voir ici : Maxwell Briantown, l'ancien directeur des relations publiques de N.W.C, celui-là même qui avait démasqué Dan alors que ce dernier s'était infiltré dans leur immeuble, mais qui l'avait laissé partir.
- Vous ? Murmura Dan.
À en juger par sa tête, Briantown était tout aussi surpris que lui de le revoir ici. Derrière lui, il y avait Funerol, qui vraisemblablement s'était apprêter à sortir avec lui.
- Ah, Dan, Leslia ! Ça pour une surprise !
Dan ne répondit pas à son salut, ne quittant pas Briantown des yeux.
- Qu'est-ce qu'il fait ici lui ?
- Oh, Maxwell travaille pour moi maintenant. Je le raccompagne jusqu'à Bonport, puis je reviens tout de suite. Mettez-vous à l'aise !
Il passa devant eux en faisant signe à Briantown de le suivre. Ce dernier, remit de sa surprise initiale, s'inclina brièvement devant Dan avec un sourire mystérieux, et suivit Funerol jusqu'à sa voiture. C'était quoi cette histoire ? D'où est-ce que Funerol fréquentait ce type dont on suspectait qu'il avait eu des liens avec le Marquis des Ombres ?
- Ah, c'est toi, fit Leonora qui venait d'arriver. Un invité de perdu, pour deux de retrouvés.
Dan se tourna vers la femme de Funerol pour lui poser la même question qu'à lui il y a dix secondes. Celle-ci haussa les épaules.
- Oui, je sais... Mais apparemment, c'est le tout nouvel employé du mois du Vert de la Planète. Haysen me l'a ramené hier soir pour causer boulot, et ils sont vite devenus les meilleurs amis du monde.
Avant que Dan n'ait pu dire quoi que ce soit, Leslia prit une pose dramatique et s'exclama :
- Ah, miséricorde ! Gelbzoranim a changé de bord ! Mon âme sœur millénaire s'est ainsi mise à aimer les hommes ? Je le savais ! J'en étais sûre ! Tu n'as jamais su le satisfaire, femme matérielle ! Tu l'as laissé se pervertir, emprunter un chemin inavouable !
Leonora regarda Leslia avec stupéfaction.
- Mais qu'est-ce qu'elle dit, c'te conne ?
- Leonora, je te présente Leslia Divalina, dit Dan. C'est une collègue de travail chez les Gardiens de l'Innocence, et aussi l'ex de Funerol, dans une autre vie immatérielle durant des siècles, parait-il.
- Ah, oui. Haysen m'en a parlé.
Elle ne semblait pas plus en colère que cela, sans doute parce que Funerol l'avait probablement décrite comme une espèce d'attardée mentale contre laquelle on ne pouvait pas vraiment se montrer jalouse. Mais Dan suspectait Leonora d'être capable de trouver cette situation gênante pour Funerol du premier comique.
- Bah entrez, les invita Leonora. Restez pas sur le seuil comme des abrutis. On a bien deux heures avant qu'Haysen fasse l'aller-retour jusqu'à Bonport. Tu pourras me raconter ce que tu fiches ici, et Leslia m'en apprendre plus sur les frontières immatérielles et l'Oeil Omniscient.
Funerol lui avait bien fait la leçon, visiblement, mais Dan la mit très sérieusement en garde :
- On en aura pour bien plus que pour deux heures alors...
Quand Leslia passa devant Leonora, il se passa un truc étrange. La jeune Divalina s'arrêta d'un coup, regarda Leonora d'un air surpris, puis mit lentement la main sur son ventre. Leonora ne s'écarta pas, mais questionna Dan du regard, qui ne put que secouer la tête. Ça faisait longtemps qu'il avait arrêté d'essayer de comprendre tous les trucs bizarres de Leslia. Finalement, la jeune femme retira sa main, et fit :
- Je vois... Je vois, je vois... Je te dois des excuses, femme matérielle. Visiblement, tu as suffisamment satisfaite Gelbzoranim. Je me dois donc de te le laisser durant cette existence matérielle. Mais prends garde : la graine du Maître du Dépit ne doit pas être prise à la légère.
Elle s'éloigna jusqu'au living-room, laissant Dan faire face à Leonora avec un sourire d'excuse.
- Me demande pas, hein ? On comprend rarement ce que raconte Leslia. Mais elle est sympa, quand on la connaît.
Leonora mit ses mains sur son ventre d'un air troublé, là où Leslia avait mis la sienne quelques secondes plus tôt.
- Moi je crois que j'ai compris... Elle aurait senti que j'étais enceinte ?
La nouvelle prit Dan de court.
- En-enceinte ? Sans déconner ? C'est vrai ?
- Oui. Mais ça ne fait qu'un mois. Comment a-t-elle pu...
Dan théorisa que ça devait être dû à la présence de Xivalori. Le Doppelganger avait sans doute une perception bien plus élevé que celle des humains, au point de sentir la vie à l'intérieur d'une femme, même si tôt. Mais il ne le révéla pas à Leonora. L'existence des Doppelganger faisait partie des choses dont le serment à Dame Cosmunia interdisait de parler à un civil, même si ce dernier était la femme d'un Gardien.
- Bah, en tout cas, mes félicitations, vœux de bonheur, et tout le reste, dit Dan. J'espère que t'a des boissons pour fêter la nouvelle.
Leonora leva les yeux au ciel, marmonnant quelque chose à propos des hommes qui ne venaient chez elle que pour s’enivrer.