Chapitre 382 : Le début d'une dynastie
Il fallut un petit moment pour que la phrase prononcée par l'adolescent sur le trône atteigne le cerveau des convives et qu'ils digèrent cette information. Mais quelques secondes après un silence de plomb, ce fut l'explosion :
- Quelle est cette farce grotesque ?!
- Le prince Julian est mort. On se moque de nous !
- Gardes, veuillez faire descendre cet imposteur, et escortez monsieur Igeus de la salle !
Esliard resta en retrait de cette indignation collective. Il était lui-même plus que sceptique, et pourtant... ce prétendu Julian ressemblait drôlement au fils disparu de Venamia, ou du moins à ce qu'il aurait pu devenir dix ans plus tard s'il avait vécu. Ayant eu le mérite de conserver son air neutre, le général Kasai Tender se tourna vers Igeus.
- Vous devez être content de l'effet que votre petite plaisanterie a provoqué, Igeus ? Mais de grâce, si votre but est de tous nous tuer pour vous accaparer le pouvoir, veuillez le faire sans vous payer nos têtes. Julian oc Lunaris est décédé lors de l'explosion de la bombe Arctimes à Veframia. La FAL elle-même l'a annoncé.
Igeus ne répondit pas ; ce fut le jeune homme sur le trône qui le fit.
- Et pourtant, je suis bien vivant, mon oncle. On peut dire que je suis revenu du plus profond des enfers.
Tender se retourna vers lui, sa mâchoire crispée signe de sa colère.
- J'ignore qui vous êtes, mon garçon, mais qui croyez-vous berner avec cette comédie ? Le prince Julian avait cinq ans lorsqu'il est mort, et ce il y a deux mois à peine !
- Cinq ans oui. C'est précisément l'âge que j'ai, répliqua le garçon aux cheveux lavandes. Mais je peux comprendre votre étonnement. Je fais actuellement un peu vieux pour mon âge, en effet. Mais je suis bien Julian oc Lunaris, fils de feu l'Empereur Octave et de Siena Crust. Je suis prêt à me prêter à toutes les analyses génétiques que vous jugerez bonnes. Vous pourrez sans problème y trouver un ADN commun avec le vôtre, mon oncle.
Esliard commençait à avoir de gros doutes, à présent. Igeus n'aurait jamais présenté ce garçon au monde s'il n'était pas certain de son coup. Et l'ADN était impossible à falsifier. Et puis... il y avait vraiment quelque chose chez ce jeune homme, dans sa voix, dans son regard, qui rappelait à Esliard le gamin vif d'esprit qui courrait autrefois dans les couloirs du Palais Suprême. Tender aussi dut commencer à se poser des questions, car il dit, d'un air plus très sûr de lui :
- Comment cela serait-il possible ? Vous étiez... Le Prince Julian était un gamin pas plus haut que ça !
- Permettez que je vous raconte le peu dont je me souvienne. Le Seigneur Igeus prendra la suite. Sachez d'abord que je dois ma vie à deux hommes, dont l'un d'entre eux nous a hélas quitté. Erend Igeus ici présent, et l'ancien numéro deux du Grand Empire, Vilius Chen.
Veframia, deux mois plus tôt…
- M-monsieur Vilius… Est-ce qu’on va m-mourir ?
Le compteur de la bombe Arctimes affichait trente secondes, et Vilius était à terre, vaincu par le Maître des Cauchemards et souffrant de blessures multiples et très probablement mortelles. Si Vilius avait encore pu parler, il lui aurait dit que non, qu’il n’avait rien à craindre, qu’il allait le protéger. En gros, il aurait menti, comme il avait passé sa vie entière à le faire. Oui… une vie passée à tromper les gens, et à se faire tromper lui-même. Il n’avait rien fait, rien accompli de grand. Même le gamin à qui il avait juré allégeance, il ne pouvait pas le sauver.
Trente secondes.
Pourquoi n’avait-il pas fait disparaître cette bombe quand il le pouvait encore ? Pourquoi n’avait-il pas fui avec Julian avant que Venamia ne revienne ? Pourquoi avait-il tué son père, un homme bien plus grand que lui qu’il avait toujours admiré en réalité ? Pourquoi avait-il laissé passer le meurtre de sa jeune sœur Kyria, qu’il aimait bien ? Pourquoi n’avait-il pas arrêté Venamia avant qu’elle ne devienne ce qu’elle est devenue ? Pourquoi avait-il pris sous son aile cette jeune Siena Crust en espérant qu’elle lui servirait plus tard ? Pourquoi était-il si inutile, si incapable, si méprisable ?
Vingt secondes.
Sa faute, encore et toujours. Mais alors qu’il était à l’article de la mort, que pouvait-il faire de bien pour racheter tout ça ? Pour que quelqu’un se souvienne de son nom de la bonne façon, et pas à cause des erreurs qu’il avait commises. N’était-il pas un foutu Chen ? La très vieille famille dont on disait que tous ses membres ne mourraient pas avant d’avoir accomplis de grandes choses ? Alors que pour une fois, il ne songeait qu’au jeune enfant effrayé près de lui, et pas à sa propre personne, il ne s’était jamais aussi impuissant.
Dix secondes.
Vilius Chen s’élança vers la bombe, avec un cri de rage et de désespoir. Mais c'était inutile. Blessé comme il l'était, il n'arrivait pas à l'atteindre. Mais il n'était pas impuissant. Il ne l'avait jamais été, tant qu'il portait les brassard qui étaient les siens. D'un ordre mental, il pouvait utiliser son Sombracier pour se créer une carapace imperméable, et espérer que ça le protégerait des effets de la bombe. Mais il n'avait pas assez de Sombracier pour recouvrir deux personnes à la fois. En fait, il n'en avait sans doute pas assez pour lui-même.
Mais pour Julian ? Il était assez petit pour que le Sombracier qui lui restait l'entoure parfaitement. Vilius ne réfléchit pas plus longtemps. Il n'était même pas sûr que ça serve à quelque chose d'ailleurs, mais de toute façon, il était persuadé qu'il avait mourir sous peu des blessures que Vrakdale lui avait infligées. Alors, autant laisser toutes ces chances au gamin. Un petit geste d'honneur avant de mourir, histoire de faire bonne figure quand il retrouverait son vieux dans le royaume de Giratina…
Sous l'ordre mental de son maître, le Sombracier se désolidarisa de ses bras pour recouvrir Julian d'une file pédicule en forme de sphère. Le garçon ne comprit pas bien sûr, et être plongé d'un coup dans le noir le terrifia encore plus qu'il ne l'était. Il tapa contre le métal en pleurant et appelant toutes les personnes qu'il connaissait, dont sa propre mère qu'il avait pourtant renié en direct devant le monde entier il y a peu.
C'est alors que la bombe explosa. L'onde temporelle balaya Vilius en un instant, faisant vieillir son corps de cent ans en une seconde. Il ne sentit rien du tout, et son dernier sourire se refléta sur celui, macabre, de son squelette. Pour Julian, ce fut différent. Le Sombracier autour de lui, métal aussi dense que résistant et ayant des propriétés surnaturelles, bloqua effectivement l'accélération temporelle. Mais pas entièrement. Des particules parvinrent à passer la sphère. Environ 10% de leur totalité.
Julian ne mourut donc pas. Mais à la place, il vécu un calvaire sans doute bien pire que la mort. Son corps prit dix années d'un coup, déchirant ses vêtements désormais trop petit pour lui, le compressant dans la sphère de Sombracier, faisant réagir son organisme de façon si désordonné qu'il se retrouva en état de choc, incapable de respirer, chacun de ses membres souffrant le martyr.
Il s'évanouit en quelques secondes, trouvant le salut dans l'inconscience, tandis que le Sombracier qui enveloppait retomba au sol, inerte, privé de maître pour le commander. Ce fut ainsi qu'Erend le trouva une demi-heure plus tard. Lui-même, malgré son état, avait réussi à échapper à Ithil et aux autres de la FAL pour atteindre le laboratoire de Crenden. En fait, il ne cherchait pas réellement le laboratoire ; il était juste attiré par la présence de Triseïdon qui se trouvait là. Leur lien profond faisait qu'ils pouvaient se sentir à distance, et dans l'état de pure détresse dans laquelle Erend se trouvait, il ne souhaitait qu'une chose : retrouver le réconfort de la présence de son Dieu Guerrier. En mode Revêtarme, son corps brisé pourrait fonctionner un peu mieux avec l'aide de Triseïdon.
Il avait bien retrouvé le Pokemon Légendaire, mais également cette étrange armure noire façon high-tech. Il ne savait pas pourquoi, mais sur le coup, il avait préféré revétir cette armure plutôt que Triseïdon, et c'est ce qui le sauva. La Dark Armor était en effet capable de dématérialiser son porteur, rendant ainsi Erend insensible à la bombe Arctimes. Et ce fut cette même armure qui, équipée de senseur, repéra la seule et unique forme de vie aux alentours : Julian.
En voyant le squelette de Vilius et le Sombracier autour du garçon prématurément vieillit, Erend comprit rapidement ce qui s'était passé ici. Il enveloppa un Julian tremblant et suant, mais toujours inconscient, dans la cape de Vilius, et l'amena hors de ce lieu. Il le porta très facilement en débit de ses bras décharnés aux muscles atrophiés. La Dark Armor lui faisait office de nouveau corps : un corps puissant, rapide et théoriquement invincible tant qu'il était dedans.
Erend ne savait pas trop quoi faire, et agissait par instinct. Il avait encore l'esprit relativement brisé suite à son séjour dans la salle de torture de Venamia, mais revoir Ithil l'avait à nouveau éclairé, comme si tout ce monde extérieur que la douleur lui avait fait oublier était réapparut d'un coup. Pour l'instant, il n'avait qu'un objectif : mettre Julian et lui-même à l'abri. Puis après, et seulement après, découvrir tout ce qui avait bien pu se passer durant sa longue absence.
Comme Julian et lui étaient momentanément les deux seuls humains encore en vie dans l'enceinte de Veframia, se déplaçait discrètement n'était pas bien compliqué. Erend croisa au passage nombre de squelettes, et son dégoût pour Venamia ne s'en trouva qu'augmenté. Comment avait-elle pu faire fabriquer une arme pareille ? Et pourquoi s'en être servi ici, dans sa propre ville ?
Une fois dehors, il demanda à Triseïdon d'amener Julian au nord, et qu'il les retrouvera plus tard. Il avait encore une chose à faire ici. Une chose à vérifier. Il revint en ville. Les militaires de la FAL et quelques civils avaient commencé à investir les lieux, hébétés après cette catastrophe. Erend usa des pouvoirs de la Dark Armor pour traverser les murs et ne pas se faire voir. Et une fois de retour au Palais Suprême, il la vit, celle qu'il cherchait. La Dirigeante Suprême Venamia, blessée et aussi sous le choc que les autres, errant comme un zombi, le regard éteint, et se servant de l'éclair d'Ecleus comme d'une canne.
Erend se retint de la tuer ici et maintenant, et décida de la faire souffrir avant. Une douleur encore plus terrible que les sévices physiques que Naulos lui avait infligés. Il savait qu'elle cherchait son fils. Il revint donc à la base des GSR où la bombe Arctimes s'était trouvé. Mais avant cela, il était parti chercher le squelette d'un jeune enfant. Il habilla le squelette en question des habits déchirés de Julian, et pour faire bonne mesure, mit juste à côté la peluche d'Ecleus que le fils de Venamia portait sur lui alors.
Et il attendit. Il laissa son esprit se noircir alors qu'il se réjouissait à l'avance de la souffrance de Venamia. Erend n'avait jamais été le genre d'homme à tirer plaisir de la douleur des autres, mais pour la première fois, il trouva ça fichtrement appréciable. Cela étant, quand Venamia arriva, il fut un peu déçu. La réaction de la Dirigeante Suprême ne fut pas celle qu'il attendait. Devant le squelette qu'elle imagina être celui de son fils, il tomba à genoux et éclata de rire. Ce n'était même pas un rire nerveux symbolisant une grande souffrance, non. C'était un rire de fou. Un rire d'une personne brisée qui n'était plus capable de ressentir quoi que ce soit.
Erend décida donc d'en finir. Il s'avança vers elle, ne prenant plus garde à se cacher. Venamia l'entendit, et se retourna. Ils restèrent un moment comme ça, immobiles et silencieux, à se regarder. Erend n'eut rien à lui dire. Il était incapable de parler de toute façon pour le moment, avec sa bouche ravagée sans langue. Et de toute façon, Venamia avait le regard éteint de ceux qui ne se souciaient plus de rien, pas même de leur vie.
Erend Igeus leva alors l'épée noire qu'il faisait partie du kit de la Dark Armor.
***
- Et je l'ai donc tuée, conclut Erend devant l'assemblée médusée. Rapidement. Un geste de compassion qu'elle ne méritait pas. Puis je me suis débarrassé du corps, pour que personne ne le trouve, et qu'elle n'ait droit à aucune funéraille ou lieu de recueillement qui aurait servi à ses soutiens fanatiques de lieu de culte. Que son nom soit effacée de l'Histoire à jamais. Le Grand Empire de Johkan commence ici, aujourd'hui. Celui de Venamia n'a jamais existé.
D'un geste théâtral, Igeus lança au milieu de la salle deux Pokeball. Triseïdon et Ecleus apparurent sous leur forme normale en un flash de lumière, faisant reculer précipitamment les convives un peu trop près d'eux. Les deux Dieux Guerriers se tournèrent alors vers Julian en un parfait accord, et se transformèrent pour prendre leurs formes Arme. L'éclair boomerang et le trident partirent se loger dans les mains du jeune homme, preuve de leur soumission à leur nouveau maître.
Esliard s'y connaissait en mise en scène, et devait bien admettre que celle-ci était excellente. En donnant son propre Dieu Guerrier à Julian, ainsi que celui de sa mère, Igeus lui conférait une sorte de double héritage : sa légitimité à régner sur le Grand Empire du fait de son sang, et la sagesse politique et le charisme qu'Igeus a inspiré au monde en s'élevant contre Venamia et sa tyrannie. Le journaliste qu'était Esliard observait les éventements avec un œil émerveillé, et l'homme politique qu'il était y voyait déjà les opportunités. Pour lui qui cherchait à rassembler le Grand Empire sous une bannière commune et populaire, cette soudaine apparition ô combien théâtrale tenait du miracle.
- La suite n'a pas été facile pour moi, poursuivit Julian sur son trôle, un Dieu Guerrier dans chaque main. J'avais le corps d'un adolescent, mais mon esprit était resté celui d'un enfant de cinq ans. Heureusement, tout comme mon corps a grandi, mon cerveau s'est lui aussi développé. Le Seigneur Igeus m'a donc enseigné le minimum que je devais maîtriser avant qu'il ne me présente au monde. Lire, écrire, et parler comme un personnage public important. Bien sûr, ce fut un apprentissage éclair. Je suis loin d'être encore au point sur tout, aussi je vous prie de m'excuser à l'avance si je vous paraît parfois enfantin dans mes paroles. Et dans mes actes aussi d'ailleurs. La maturité et la sagesse ne peuvent pas s'acquérir en accélérant le temps. C'est pourquoi le Seigneur Igeus me secondera énormément durant les premières années de mon règne.
Ça paraissait sensé dit comme ça, mais Esliard ne vit là qu'une excuse bien pratique pour qu'Igeus soit le vrai dirigeant du Grand Empire. Julian n'était qu'un symbole d'autorité pour lui, une marionnette. Mais Esliard décida qu'il s'en fichait. L'occasion était trop belle, et ce duo avait le charisme et la puissance nécessaire pour rassembler autour d'eux. Ce ne fut pas en revanche du goût de nombreux autres, dont le général Tender se fit le porte-parole :
- Votre Altesse ! Fit-il en s'avançant. Si toutefois vous êtes vraiment celui que vous prétendez être... Cet homme était le dirigeant de l'alliance ennemie lors de la guerre, et on vient de l'apprendre, le meurtrier de votre mère ! Comment pouvez-vous lui accorder ainsi votre confiance ?! Il est totalement insensé de…
Julian leva lentement un doigt, lui intimant le silence. Ce geste d'autorité ne manqua de surprendre ceux qui le virent, et ils furent encore plus surpris quand Tender se tut.
- Déjà, ce sera « Votre Majesté » à présent, mon oncle, ou bien « Mon Empereur ». Quant à votre question... Avez-vous oublié le discours que j'ai tenu à la fin de la bataille de Veframia, qui a forcé le Grand Empire à rendre les armes sans que ma mère n'en donne l'ordre ? Il était sincère. On ne me l'a pas soufflé dans les oreilles. J'aimais ma mère, comme n'importe quel jeune enfant, mais je répudie son œuvre et surtout ses méthodes. Je ne vais pas vous faire la liste complète de ses crimes ; certains d'entre vous en ont même été les complices. Le Seigneur Igeus a eu raison de s'élever contre elle, et je lui suis reconnaissant de m'avoir pris sous son aile et de m'avoir enseigné ce qui était juste les quelques mois durant que j'ai passé dans la Confédération Libre à ses côtés. Il a ma pleine et entière confiance.
Julian se leva, comme pour donner plus de poids à ses prochaines paroles.
- Le plus grand crime de ma mère, ce ne furent pas les meurtres de masse, l'abolition des libertés ou les conquêtes sauvages. Non. Son plus grand crime, c'est de s'être fourvoyée avec le groupe que l'on nomme les Agents de la Corruption, ceux là même qui mènent cette armée de morts et de fantômes qui ravagent actuellement Kanto. Je suis venu prendre la tête du Grand Empire dans un seul but : les détruire une fois pour toute.
- Si c'est le cas, pourquoi ne pas vous être présenté à la FAL plutôt qu'ici ? Demanda le Premier Ministre Ronchon. C'est elle qui est en première ligne contre eux. De plus, la reine Eryl Sybel et son Haut Conseil sont les pleins héritiers de la vision politique d'Igeus.
- Eryl Sybel n'était qu'un symbole dont se servait le Seigneur Igeus pour rassembler contre Venamia, répliqua Julian. Mais elle a pris d'elle-même l'initiative de créer cette Fédération des Alliances Libres, allant bien au delà du simple rôle de reine d'apparat qu'Erend lui avait donné. Je ne reconnais pas la FAL. Tout au mieux, son rôle était de combattre ma mère et son régime néfaste. Les deux n'existent plus, donc la FAL n'a plus aucune raison d'être. Je leur proposerai sous peu de me rejoindre, en dissolvant leur état fédéral, pour que chaque États qui le composent aient le choix de faire partie intégrante du Grand Empire.
Esliard sourit en imaginant sans peine en ce moment les étranglements d'indignation des dirigeants de la FAL. Merveilleux. Le fils de Venamia était merveilleux !
- Je ne demanderai pas votre adhésion, conclut Julian en se rasseyant. J'espère obtenir votre allégeance à tous, mais je ne vais pas vous supplier pour cela. Je n'ai pas besoin de vous. Les véritables patriotes du Grand Empire me seront fidèles. J'ai déjà le soutient de toute la région Elebla, qui n'a pas oublié qui a assassiné mon père. La majorité des lunariens n'attendaient qu'une occasion de pouvoir se venger du pouvoir de Venamia et le faire s'écrouler à tout jamais. On peut dire que je tombe à pic pour vous sauver la mise.
Les convives marmonnèrent sombrement entre eux, n'appréciant visiblement pas d'être pris de haut de la sorte. Esliard jugea opportun d'intervenir pour montrer le sens du vent. Il s'avança et s'inclina devant Julian.
- Je suis pour ma part ravi de votre retour, Votre Majesté, et vous offre avec joie mon éternelle fidélité. La Team Rocket, l'Empire Lunaris, le Grand Empire de Johkan, la Confédération Libre... Vous êtes l'héritier de tout cela, dans le sang comme dans l'esprit, et le plus apte et digne à pouvoir unifier le monde ! Longue vie à Sa Majesté, l'Empereur Julian oc Lunaris !
Derrière son masque, les lèvres d'Erend s'étirèrent en un sourire satisfait et ironique. Comme prévu de la part d'Esliard. Son opportunisme et son idée comme quoi une bonne gouvernance devait toujours être théâtrale et charismatique en faisait quelqu'un de très facile à manipuler. Mais c'était aussi un allié de poids. Voyant que l'organisateur de cette assemblée avait choisi son camps, de nombreux autres se mirent à l'imiter et à s'incliner devant Julian. Très vite, et bien que parfois à contrecœur, les mêmes cris s'élevèrent dans la salle du trône.
- Longue vie à Sa Majesté !
Ronchon et les autres représentants des pays alliés ne jurèrent pas allégeance, mais assurèrent le nouvel empereur de leur soutient. Erend ne s'attendait pas à plus de leur part. C'était déjà ça. Le moment venu, il saurait comment les faire rentrer dans les rangs. Seul bémol sur le tableau, le général-en-chef Kasai Tender, qui ne joignit pas sa voix aux cris d'allégeance, restant silencieux et stoïque, défiant son petit neveu du regard. Se rappellant qu'ils étaient en direct, Esliard se permit un petit commentaire à tous ses téléspectateurs dans le monde.
- Mesdames et messieurs, nous vivons actuellement un moment historique. Le commencement d'une nouvelle dynastie, et le début de l'unification du monde !
***
Au Pic Démoniaque, dans l'ancienne prison qui servait désormais de base pour les Réprouvés, Lord Vrakdale et ses plus proches fidèles suivaient également les événements de Duttvriff sur internet. Voir tous ces impériaux et leurs alliés se prosterner devant ce gamin tandis qu'Igeus croisait les bras d'un air satisfait fit serrer de rage les poings de Vrakdale, et le commentaire grandiloquent d'Esliard fit déborder le vase. Il transperça l'écran d'ordinateur d'une flèche de ténèbres sortit de son Gantelet des Ombres.
- Hum hum, ricana Altheï. On dirait que tu as salopé le travail, à Veframia. Ce n'est pas ton genre pourtant.
La Bloodmod était l'une des rares ici à pouvoir charrier le Maître des Cauchemars sans craindre pour sa vie. Sans doute parce qu'elle était sa maîtresse, mais aussi un des éléments les plus puissants de l'organisation terroriste.
- Je n'ai pas pensé au foutu Sombracier de Vilius, admit Vrakdale.
Quelle négligence. Et quelle humiliation. Il débarquait exprès à Veframia après la bataille pour éliminer un seul enfant, et au final, c'était le seul qui survivait au plus grand massacre que les Réprouvés ont pu donner. Un massacre qu'il n'avait même pas prévu. Mais bon, au moins il avait la certitude que Venamia était morte, et qu'elle l'avait été en s'imaginant que son fils l'avait précédé. C'était surtout pour cela que Vrakdale avait voulu éliminer Julian. Pour la faire souffrir elle, qui lui avait tout pris. Mais la situation actuelle ne plaisait pas du tout à Vrakdale. Ce qu'était en train de devenir Julian, sous la tutelle d'Igeus, était le summum de ce contre quoi les Réprouvés luttaient : un système autoritaire dirigé par des puissants de haute naissance.
- On change nos plans, fit Vrakdale à ses lieutenants. Je pensais laisser le Marquis des Ombres écraser la FAL et ce qui reste du Grand Empire à notre place, mais il est hors de question de laisser la moindre petite marge à ce pseudo empereur et à cet arriviste d'Igeus pour fédérer le monde autour d'eux. Que ce soit annoncé à toutes nos troupes, à tous nos soutiens infiltrés... Julian oc Lunaris est notre ennemi numéro un. Je le veux mort au plus vite ! Et je le tuerai moi-même si possible, pour rattraper mon erreur.
Julian et Igeus pensaient pouvoir monter un nouvel ordre à leur image ? Tant mieux pour eux. Mais Vrakdale abhorrait l'ordre. Plus encore maintenant qu'il servait le Chaos.