064. 4x18 - Chaux devant !
Précédemment : Sofian Match, fils du champion d’arène de Clémenti-Ville, Norman Match, voyage dans Hoenn en compagnie de Flora Seko, gagne son deuxième ruban des concours de coordination, et de Timmy, un jeune garçon malade originaire de Vergazon qui ment à ses parents en prenant de faux médicaments afin de poursuivre son voyage. Durant leur périple, ils se lient d’amitié avec les coordinateurs Annick, amie d’enfance de Timmy, et Brice, présent à Vermilava pour prendre soin de sa tante malade. Ils croisent le chemin de la championne d’arène de Vermilava, Adriane, lors de leurs aventures à Poivressel et participent à la capture de son Chartor nigaud. Suite à leurs affrontements contre la Team Magma, Sofian fait une fugue contre les ordres de son père et Sarah Match, sa sœur, quitte l’organisation criminelle à la suite de l’éruption du volcan du Mont Chimnée. Leur mère, Nathalie, les ressoude à Vermilava et ensemble, ils décident d’appeler leur père pour lui demander pardon. Jessie, James et Miaouss s’enfuient de la Team Magma et sont rattrapés par la Team Aqua avec qui ils passent un marché : leur amener Brice afin de récupérer leur montgolfière. Sofian défie enfin Adriane pour obtenir son quatrième badge et il est mis au défi de grimper la montagne avec ses pokémons pour obtenir un ticket d’entrée dans l’arène de Vermilava.
Vermilava
Sans la chaleur étouffante dans cet endroit clos, la vue troublée par l’épaisse vapeur d’eau, ou l’odeur pestilentielle de souffre qui lui attaquait les narines, elle aurait adoré passer une journée entière à essayer chaque espace de détente mis à leurs dispositions. Saunas, hammams, salle de massages aux pierres chaudes, thermothérapies,… toutes les infrastructures de ce spa se trouvaient sur sa liste de détente. Mais aujourd’hui, elle n’avait pas grimpé si haut dans la montagne pour « se la couler douce », comme ses acolytes aimaient le lui rappeler. Son ami l’obligea à se détourner des bains bulles affriolants et leur comparse pokémon guida la route jusqu’à une double porte qui donnait sur un imposant terrain de combat : Jessie, James et Miaouss avaient trouvé la salle principale de l’arène de Vermilava.
Pour ajouter à la température écrasante de l’endroit, une masse de spectateurs s’était emparée des gradins en bois entourant le terrain rectangulaire. Parfait ! Ils allaient pouvoir passer inaperçus. Ceci dit, leur mission allait être plus complexe : comment retrouver un adolescent dans une foule pareille ?
En se faufilant dans les allées bondées, les trois membres de la Team Rocket scrutèrent avec détail chaque personne présente. James repéra un adolescent aux cheveux noirs et au regard sévère et défiant, debout contre le mur du fond sur la plateforme la plus haute de l’arène. Non, ce n’était pas lui. Quelqu’un sembla les fixer un peu trop longuement à leur goût, et les trois acolytes firent mine de manifester du contentement à l’idée de participer à un combat d’arène, auquel ils n’avaient pas du tout envie d’assister en réalité. S’être débarrassés de leurs uniformes de la Team Magma avait été une chose simple, cacher leurs visages connus en était une autre bien plus compliquée. Mais Miaouss s’efforçait à paraître aussi dressé qu’un Pokémon capturé afin de lever tout soupçon sur leur identité, et ils se fondirent facilement dans la masse.
En s’installant sur le plus haut gradin, Jessie repéra le dresseur qui s’apprêtait à combattre et qu’elle détestait tant : Sofian Match était assis seul sur un banc, au centre du terrain, et vibrait de ses deux jambes, comme s’il s’impatientait chaque minute davantage. Heureusement, ce n’était pas lui qu’ils étaient venus chercher, car alors, la mission aurait été de l’ordre du suicide. Cependant, qui disait présence de Sofian dans cette arène, disait forcément présence de sa bande d’amis exaspérants, et ils avaient visé juste ! Quelques étages plus bas, Flora Seko et Timmy Bronam, ses deux insupportables copains, discutaient euphoriquement, participant à l’excitation générale du public. À leurs côtés, quelle ne fut pas leur surprise en reconnaissant Sarah Match, celle qui avait été leur supérieure dans la Team Magma et qui avait mené un putsch au sein de l’organisation criminelle !
Mais la personne qui les intéressait se trouvait un peu plus loin, près de la bande de jeunes insouciants. Il était là, assis, ne se doutant pas du danger qui le guettait. Il avait brillé quelques jours plus tôt sur la scène du concours de coordination pokémon, il avait arraché un ruban que Jessie avait tant convoité malgré son incapacité à participer à la compétition, et il se sentait assez en sécurité que pour éclater de rire jovialement avec ses amis coordinateurs. Jessie aurait tout donné pour effacer du visage d’Annick Furler, sa rivale coordinatrice, sa joie de vivre.
Il fallait qu’elle se concentre, car tout était prêt. À la fin du match, ils passeraient à l’action. Dans une heure tout au plus, la Team Rocket mettrait la main sur Brice Belangelo.
— Il a l’air complètement stressé, mon petit cœur !
— Après tout ce que Sofian a vécu, je doute fort qu’il soit encore capable d’angoisser avant un match pokémon, rassura Sarah en prenant sa mère par les épaules.
— Surtout qu’il ne s’est jamais autant entraîné pour un combat d’arène auparavant, fit remarquer Flora.
— C’est vrai qu’il a été très discret ces derniers jours, ajouta Brice.
— Discret ? Tu veux dire complètement absent ! Je ne l’ai pas vu depuis qu’on a fêté notre victoire au concours. Tu l’as vu, toi, Timmy ?
— Rarement. Il se levait tous les jours avant moi et rentrait se coucher au beau milieu de la nuit.
— Il m’évite, marmonna sombrement Sarah.
— Je pense plutôt qu’il veut vraiment gagner son
badge, dit Annick en ajoutant le plus de mépris possible dans le ton de sa voix. Je ne comprends pas qu’on puisse toujours autoriser ces matches barbares où les pokémons se tapent dessus pour le plaisir pervers de leurs dresseurs. Tout ça pour gagner un bout de métal !
— Et un bon paquet d’argent, précisa Brice. La Ligue Pokémon de Hoenn est le premier employeur de la région. C’est tout une économie qui vit grâce aux profits des combats d’arène et des retransmissions de la compétition. Regarde autour de toi.
Annick jeta un coup d’œil aux gradins bondés en pinçant le nez, comme si l’odeur des spectateurs étaient trop fétide à son goût.
— Ça ne vaut pas notre public au concours de coordination.
— Certes, mais ici c’est quotidien.
Annick préféra ne pas argumenter et garder de l’énergie pour s’en prendre à la compétition sportive plus tard. Du coin de l’œil, elle surprit Timmy en train d’avaler une pilule blanche en toute discrétion. Malheureusement pour le jeune garçon, son amie n’était pas du genre à passer par quatre chemins.
— Je peux savoir ce que tu essaies d’avaler en cachette ?
Timmy sursauta et fourra maladroitement son flacon de médicaments en poche. Mais Annick fut plus rapide et le lui arracha des mains.
— C’est… le… euh… les médicaments que m’ont donnés les médecins pour m’assurer que ma maladie ne revienne pas, se justifia difficilement Timmy en essayant d’empêcher Annick d’inspecter le contenu du flacon.
Annick fronça les sourcils.
— C’est bizarre, il paraît que les médicaments que tu as reçus n’ont pas fonctionné !
— Si, si, je t’assure que ça fonctionne.
— Qui te les a donnés ?
— Mes médecins, je t’ai dit.
— C’est quoi leur nom ?
— J’en sais rien, je te dis qu’ils fonctionnent !
Timmy récupéra son flacon d’un geste brusque et le fourra loin dans son sac, en évitant le regard d’Annick.
— Ça va commencer ! s’exclama Sarah en attirant l’attention de tout le monde.
La championne Adriane venait de faire son apparition depuis la double porte du spa. Elle ôta l’essuie de bain de ses épaules et ajusta sa coiffure en palmier en rejoignant le rectangle dans lequel elle devait se positionner.
— Roooh, je ne sais pas comment Sofian fait pour rester calme, mais je suis toute angoissée ! dit Nathalie Match en se crispant à côté de sa fille. C’est la première fois que je vais le voir combattre en direct !
Et si son fils n’était pas à la hauteur pour reprendre un jour l’arène de son père Norman ?
C’était l’heure. Tout à coup, en voyant Adriane rejoindre son côté du terrain, le stress l’envahit. C’était comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton « play » de son cœur et que son muscle cardiaque s’était lancé dans une chorégraphie périlleuse. L’heure de vérité avait sonné. Après autant de semaines de travail, il allait enfin affronter son amie Addie dans l’espoir de lui arracher son badge d’arène, le quatrième de sa collection.
Sous l’invitation de la vieille dame chargée de l’arbitrage, Sofian se positionna dans le rectangle du challengeur. Le silence se fit dans la salle, comme il était coutume lors des matches de compétition. Sofian repéra du coin de l’œil ses amis qui lui firent un signe d’encouragement. Il ne fallait pas qu’il se laisse déconcentrer, et il fixa avec vigueur la championne d’arène à l’autre bout du terrain. Entre eux, de nombreux minuscules cratères diffusaient de la vapeur brûlante qui devait provenir d’une source chaude sous l’arène, transformant les lignes droites du terrain en courbes irréelles sous leur passage.
— Le combat opposant le challengeur Sofian Match, dresseur du Bourg-en-vol, à Adriane Flaymes, la championne de l’arène de Vermilava, est sur le point de débuter, annonça l’arbitre en montant sur sa chaise haute. Vous aurez droit à trois pokémons chacun. Seul le challengeur a le droit de changer de pokémon en cours de combat, mais il ne pourra le faire qu’une seule fois. À la clé pour le dresseur en cas de victoire : le badge Chaleur.
L’arbitre montra aux spectateurs le petit objet rouge que Sofian préféra ne pas regarder. Attendre son obtention pour l’examiner lui donnerait plus de hargne à gagner son match.
— Comme il s’agit du dernier match de l’année avant les vacances d’hiver, précisa l’arbitre, je constate que nos gradins sont pour une fois très remplis. Cher public, je me permets donc de vous demander de rester le plus calme possible afin de ne pas déranger les combattants, et ce durant toute la durée de leur affrontement
« Dresseur, championne, je vous souhaite un bon match.
L’arbitre prépara son drapeau qu’elle allait lever au-dessus de sa tête d’un moment à l’autre, dès que le calme se serait fait dans la salle. Sofian ne s’était jamais senti aussi peu sûr de lui. Pourtant, il connaissait les forces et faiblesses d’Adriane sur le bout des doigts ! Néanmoins, le doute était présent : malgré les heures de travail à peaufiner les stratégies avec Nirondelle, Écrapince et Dynavolt, et si finalement ses pokémons n’étaient pas assez entraînés ?
— Que le combat commence !

— Comme la règle le stipule, je vais donc te présenter mon premier pokémon, annonça Adriane. Il me semble que tu ne le connais pas encore, celui-là !
Une grosse boule de lave se matérialisa au centre du terrain.
— Un Limagma ! reconnut Sarah qui en possédait un également. Ils ne sont pas spécialement adaptés aux combats sur surface plane, mais quand on sait ce qu’on fait, il peut se révéler redoutable !
S’il avait bien deviné la stratégie d’Adriane, elle allait garder bien au chaud son horrible pokémon surpuissant pour la fin. Il n’avait pas d’autre choix que de réserver Écrapince pour la suite. Et comme il préférait garder son atout pour un effet de surprise…
— Je choisis Dynavolt !
Le petit chiot apparut au centre de l’arène, face à son adversaire, et son pelage vert se chargea très vite d’un courant électrique.
— Je te propose de tester sa rapidité ! Dynavolt, attaque « étincelles » !
Le chien bondit sur ses pattes-avants dans l’espoir de frapper de plein fouet son adversaire, mais Limagma, sans attendre d’ordre, glissa avec vitesse en arrière, laissant sur son passage une traînée de lave. La patte-avant droit de Dynavolt retomba sur une goutte de lave et le chien poussa un petit cri de douleur.
— Si tu le souhaites, Limagma peut te montrer ses talents d’athlètes !
— Pas la peine ! Dynavolt, « vive-attaque » !
Le pokémon de Sofian galopa à toute vitesse, fendant les émanations de vapeur chaude, mais Limagma esquiva dans une deuxième glissade embrasée. Embarrassé, Dynavolt retenta l’expérience, en vain.
— Dynavolt, stop ! ordonna Sofian en se crispant dans son rectangle.
Il venait de comprendre la stratégie d’Adriane. Partout sur son chemin, Limagma avait laissé derrière lui une trainée de lave en glissant loin de Dynavolt. Le terrain était à présent quadrillé de manière anarchique de chaux qui risquait de brûler les pattes de Dynavolt en cas de faux pas.
Adriane lui adressa un clin d’œil amusé. La chose allait être compliquée si en plus, Dynavolt devait perdre son temps à vérifier où il posait ses pattes.
— Tu crois vraiment que ces quelques lignes de lave vont nous empêcher de te toucher ? défia Sofian.
— Absolument pas, c’est pourquoi on va rajouter un peu de piment ! Limagma, « purédpois » !
— Oh non, pas ça ! s’épouvanta Sarah.
— Quoi, qu’est-ce que ça fait cette attaque ? demanda sa mère, horrifiée.
— Limagma envoie une éruption de gaz répugnants, et ça peut aussi empoisonner Dynavolt. Ce qui veut dire qu’il sera vite mis hors d’état de combattre !
Mais Limagma n’avait pas visé Dynavolt. Au contraire, il lui avait tourné le dos et s’était jeté au sol. Sofian remarqua un détail : la boule de lave avait craché son gaz toxique dans un des minuscules cratères du terrain. Tout à coup, ce n’était plus des volutes de vapeur d’eau transparente qui s’élevaient du sol, mais bien d’épais gaz violets qui s’envolaient vers le plafond où ils se réunissaient en un nuage dangereux. Dynavolt était coincé entre des trainées de laves et des volutes de gaz, ses mouvements très fortement réduits.
— Adriane est une effroyable stratège ! commenta Brice. Jamais je n’aurais cru qu’on pouvait utiliser des capacités de pokémons de cette manière aussi détournée ! C’est un exemple à suivre pour améliorer mes stratégies en coordination !
— Un exemple qui est en train de nous asphyxier, se plaignit Annick.
— En effet, c’est vraiment sa marque de fabrique, expliqua Timmy. Elle est très connue pour arriver à détourner les capacités de ses pokémons et en faire ce qu’elle veut pour déstabiliser ses adversaires.
— Et ça fonctionne ! ajouta Flora, impressionnée. Dynavolt n’a plus aucun endroit où aller sans prendre le risque soit de se brûler, soit de s’empoisonner.
— Et sa visibilité est nettement réduite à cause de tous ces gaz, précisa Sarah.
— Incroyable, marmonna Nathalie, dépitée.
Sofian n’allait pas se laisser abattre pour si peu. Certes, Dynavolt ne pouvait plus bouger sous peine d’en prendre pour son grade, mais il était toujours capable d’attaquer à distance ! Si seulement il avait le temps, car Adriane avait déjà lancé l’offensive :
— Amusons-nous un peu ! dit Adriane d’un ton jovial. Limagma, « jet-pierres » !
Son pokémon fit apparaître un rocher devant lui et l’envoya valser vers Dynavolt. Celui-ci bondit en arrière pour éviter l’attaque propulsée et retomba difficilement à un endroit dépourvu de piège mortel. Adrian fit attaquer à nouveau son Limagma, et bientôt, c’était une véritable pluie de rochers qui fusaient dans tous les sens dans le but d’atteindre Dynavolt. Tel un acrobate, le chien sautillait d’avant en arrière, sur une patte, sur deux, puis une, évitant sans cesse les attaques ainsi que les obstacles.
Il ne pouvait pas continuer à jouer à ce jeu. Dynavolt était en position de faiblesse et perdait une énergie incommensurable à viser juste dans ses esquives pour ne pas retomber dans la lave et éviter les émanations de gaz. Et pendant ce temps, Limagma était au plus haut de sa forme et valsait sans problème sur ce terrain miné.
Ce qui devait arriver arriva : Dynavolt calcula mal sa trajectoire et ses pattes-arrières touchèrent la lave. Il glapit de douleur alors qu’un rocher s’abattait sur son crâne. Le chien vola à travers une volute de poison et roula au sol en traversant plusieurs trainées de lave.
— Oh non ! s’écria Nathalie en se plaquant les mains à la bouche.
— Du calme dans le public, s’il vous plait, rappela l’arbitre à l’ordre.
— Mon petit Sofian, chuchota Nathalie, horrifiée.
— Je comprends pourquoi Sofian tenait tant à s’entraîner toute la semaine, admit Timmy.
— C’est fou tout ce qu’on peut faire subir à un pokémon juste pour le plaisir, s’indigna Annick en compatissant pour Dynavolt.
Dynavolt s’était relevé difficilement. Il n’avait pas encore touché une fois son adversaire et il était déjà à deux doigts de perdre son match. Il fallait qu’il retourne la situation, mais comment ? Comment traverser tous ces obstacles ?
La nuit était interminable à Vermilava. Enclavée au centre de la chaîne de montagne du Mont Chimnée, la ville bénéficiait d’une luminosité réduite durant la journée et se retrouvait plongée dans une pénombre écrasante durant la nuit. Pourtant, cela n’empêchait pas la région de souffrir d’une chaleur accablante en toute période de l’année, en témoignait ce début d’hiver aux températures estivales.
Était-ce pour cette raison que Sofian ne trouvait pas le sommeil, ou plutôt parce que la conversation qu’il avait eue avec Adriane quelques heures plus tôt lui hantait l’esprit ? Grimper la montagne au nord-ouest de Vermilava afin d’être digne de livrer un match contre la championne d’arène, c’était le défi que cette-dernière lui avait lancé. Si ce n’était que ça, il allait lui prouver qu’il en était capable. De toute manière, il avait fait définitivement une croix sur sa nuit.
Sofian sortit de son lit. Il observa la montagne qui lui faisait face depuis la fenêtre de sa chambre. Au sommet, un minuscule bâtiment, pas plus gros qu’un chas d’aiguille, le narguait. Il l’aurait atteint avant la fin de journée, foi de dresseur !
Sans un bruit, il s’habilla et quitta la chambre en évitant de réveiller Timmy qui semblait subir un rêve agité. Au-dehors, dans une brise chaleureuse, les derniers rayons de la lune disparaissant derrière le Mont Chimnée pour annoncer l’arrivée du matin, Sofian affronta son adversaire titanesque d’un regard déterminé. Ses pokémons et lui allaient grimper cette montagne à main nue, sans se soucier du petit téléphérique opérationnel, et ensemble ils gagneraient en expérience.
Galifeu, Écrapince, Nirondelle, Balignon et Dynavolt ne lui tinrent pas rigueur pour les avoir extraits de leur sommeil paisible. Le dresseur et ses cinq pokémons se lancèrent dans l’ascension de la montagne.
Les premiers pas sur le sentier rocailleux annoncèrent la difficulté de l’exercice car très vite, le sentier praticable par les randonneurs disparut en faveur d’un pan de montagne seulement accessible par la force des bras et de l’équilibre. Sofian préféra examiner son environnement afin de trouver le chemin le moins dangereux. Comment gravir un mur de roche qui s’élevait sur cinq mètres de hauteur dans un angle de plus de quarante-cinq degrés ? Nirondelle attira leur attention sur les éléments de la nature qui les entouraient : plusieurs arbres rebelles avaient décidé de pousser à l’horizontal sur ce mur rocailleux. La solution était toute trouvée.
Sofian fit preuve d’ingéniosité en détournant les capacités de ses pokémons afin de contourner les obstacles : Balignon utilisa sa « vampigraine » qui se transforma très vite en une liane robuste, et Sofian l’utilisa pour s’accrocher à ses pokémons et aux arbres alentours pour sa sécurité. Galifeu employa sa technique « double pied » afin de creuser dans la roche des trous assez larges pour permettre à son maître d’y glisser ses doigts et ses pieds et d’entreprendre l’escalade. Écrapince et Dynavolt n’étant physiquement pas adaptés à cet exercice, ils grimpèrent sur le dos de leur dresseur. Quant à Balignon, il se laissa porter par Nirondelle qui s’envolait déjà vers le sommet de la falaise.
Cependant, les ennuis arrivèrent bien vite. Alors que le plateau de la montagne n’était plus qu’à quelques efforts de lui, les premiers rayons du soleil matinal éclaira ce que Sofian identifia comme une tanière. Quel que soit le pokémon qui y vivait, son instinct lui indiqua qu’il était préférable de ne pas chercher à le provoquer. Sofian décida donc d’accélérer le pas et termina son ascension du mur de roches.
Arrivé au plateau, Galifeu l’aida à se hisser sur le sol plat et il se laissa rouler sur la terre humide, exténué mais fier d’y être parvenu. Mais le cri d’effroi de son Écrapince le tira de son court repos. Ils étaient entourés d’une horde d’un tout petit pokémon : il s’agissait d’une minuscule boule verte sur le crâne duquel était planté un pétale jaune. Un coup d’œil à son Pokédex lui indiqua l’identité de la centaine de pokémons qui les menaçait : des Gloupti, redoutables pokémons de type poison. Ils semblaient vouloir protéger un jardin de fleurs blanches derrière eux.
— Nous ne vous voulons aucun mal, rassura Sofian en restant sur ses gardes.
Mais les Gloupti n’avaient pas l’air de se soucier de ce que l’humain voulait. Ils avaient interprété sa présence ainsi que celles des pokémons surentraînés comme une menace, et ils avaient bien l’intention de les faire déguerpir de leur territoire. Leur surnombre était un danger que Sofian devait éviter à tout prix, car s’il ne passait pas à l’offensive, les Gloupti allaient bel et bien faire disparaître ses pokémons dans la masse de leur horde et les entraîner vers leur tanière pour n’en faire qu’une bouchée. Mais comment vaincre autant d’ennemis en un seul coup ?
Dynavolt chargea son pelage d’électricité statique par réflexe, prêt à se défendre. L’idée le percuta alors de plein fouet : Dynavolt maîtrisait enfin ses capacités électriques !
— Dynavolt, utilise « cage-éclair » sur le sol ! Tout le monde, sautez !
Ses pokémons s’exécutèrent et seul Dynavolt garda ses pattes bien ancrées dans la terre. Celle-ci étant un bon conducteur d’électricité, les décharges électriques que Dynavolt envoya dans le sol se dispersèrent à toute vitesse autour de lui et tous les êtres vivants en contact avec la terre furent foudroyés. Les Gloupti les moins mal en point chargèrent leurs congénères grillés vifs sur leur dos et s’enfuirent se réfugier dans leurs tanières. Le jardin de fleurs blanches donnait peine à voir : quasiment l’entièreté des fleurs si chères aux yeux des Gloupti avait été carbonisée.
— Eh bien, on peut dire que tu as de la ressource ! félicita Sofian en caressant son Dynavolt.
Le dresseur nota cette information dans un coin de sa tête : Dynavolt était capable de se débarrasser d’un paquet d’ennemis en jouant avec les éléments qui conduisaient son électricité.
— Sofian doit absolument changer de stratégie s’il veut gagner ce premier combat ! indiqua Sarah.
— Est-ce qu’il a seulement une chance de gagner ? s’inquiéta sa mère.
En effet, depuis les gradins, Dynavolt semblait en très mauvaise posture. Brûlé au niveau du dos et des pattes, suffoquant dans des émanations de gaz empoisonnés et séparé de son adversaire par de multiples trainées de laves, le chien électrique n’avait plus beaucoup de solutions qui s’offraient à lui.
— Comme je l’ai dit, les Limagma ne sont en général pas formatés aux combats intenses car ils ont une défense qui laisse à désirer, expliqua Sarah en pensant à son propre Limagma. C’est la raison pour laquelle Adriane joue de tous les stratagèmes pour empêcher Dynavolt de l’atteindre et l’épuiser jusqu’au K.O.
— Oh, je vois ! Comme le fait ton père avec son…
Mais Nathalie écourta sa phrase : mentionner Norman devant sa fille semblait lui avoir apporté de la souffrance. Elle tenta tout de suite de réconforter sa fille.
— Je suis sûre que ton père va finir par entendre raison.
— Maman, tu as vu sa réaction lorsqu’on lui a sonné, Sofian et moi ? soupira Sarah, la voix chancelante. Il ne nous a même pas adressé la parole. Il a tout de suite raccroché l’appel. Le message est clair : je n’existe plus à ses yeux. Pire, il me déteste.
— Ne dis pas ça…
— Je suis une criminelle maman ! Ça s’est vu dans ses yeux. Pour lui, je serai toujours une criminelle. Peut-être que la meilleure des choses à faire, c’est de me rendre à la justice et…
— Non ! Tu es une victime ! Tu as été victime de ce fou de Max Magma qui t’a manipulée. Les prisons grouillent déjà trop d’innocents. Pas besoin de t’y ajouter.
Sa mère aurait beau essayer de la résonner, rien n’effacerait le souvenir du regard hostile de son père.
— On dirait que Sofian a un plan ! alerta Timmy.
Le dresseur savait ce qu’il avait à faire, car il s’était justement entraîné à la chose. Adriane pouvait s’enorgueillir de l’avoir coincé avec sa stratégie, il était assez rusé que pour éviter tous les obstacles, aussi nombreux et variés étaient-ils.
— Connais-tu le point faible de mon Dynavolt ? demanda Sofian à la championne d’arène, comme pour la narguée. Il a un problème avec ses attaques électriques physiques. Il est terrifié par ses pouvoirs. Je peux le comprendre, moi aussi j’avais la phobie de l’électricité. Du coup, ça tombe bien qu’il ne puisse pas toucher ton Limagma directement.
— Non ! s’exclama Adriane en comprenant où son adversaire voulait en venir.
— Je vais te donner une petite leçon de physique ! Dynavolt, utilise « cage-éclair » en dirigeant ton attaque sur les coulées de lave !
Le chien se chargea d’électricité et envoya la dose sur la trainée de chaux devant lui. Le courant électrique parcourut la trainée de lave jusqu’à sa source si rapidement que Limagma ne put éviter l’attaque. La boule de lave fut immobilisée sur place.
— Mais oui ! La lave étant composée de roche en fusion, elle conduit très bien l’électricité ! commenta Timmy.
— C’est incroyable cette facilité qu’ils ont de prendre avantage de tout ce qui les entoure pour atteindre leur cible ! s’émerveilla Brice.
— Il ne nous reste plus qu’à le mettre au tapis avec une « vive-attaque » !
— « Armure » ! ordonna Adriane en improvisant une défense.
Dynavolt fusa vers son adversaire et lui donna un coup de boule puissant qui fit voltiger Limagma aux pieds de sa maîtresse. Mais avoir raidi son corps au dernier instant l’avait protégé d’un coup fatal.
— Qu’à cela ne tienne, ton Limagma est paralysé de toute façon. Tu n’as fait que repousser ta défaite.
— Peut-être bien, et je crois même que tu vas gagner cette manche. Mais Limagma a plus d’un tour dans son sac. Je te présente l’attaque « bâillement » !
Limagma bâilla à s’en arracher les mâchoires et Dynavolt l’imita par empathie. Mais rien d’autre ne se produisit.
— L’attaque « bâillement » a un effet à retardement ! expliqua Sarah. Ce n’est qu’une fois que Dynavolt aura attaqué qu’il va s’endormir.
— Cela veut dire que sa prochaine attaque sera la dernière, en conclut Timmy.
Sofian devait donc viser juste, et viser fort.
— Dynavolt, envoie tes « étincelles » !
Le chien frappa son adversaire de plein fouet et lui transmit son électricité statique qui grilla instantanément Limagma.
— Limagma n’est plus en état de poursuivre le combat, annonça l’arbitre en levant un drapeau vers Sofian. Il est disqualifié. Dynavolt remporte cette première manche !
Le public applaudit poliment le succès de Sofian qui ne se sentit pas plus rassuré par cette première victoire. Car son Dynavolt s’était roulé en boule et avait sombré dans un lourd sommeil.
— Bravo, Sofian ! félicita Adriane, véritablement enjouée. Je ne m’attendais pas à ce que tu aies autant de créativité ! J’aime ça ! Ça me donne encore plus envie de te montrer les progrès de mon Chartor !
Le crabe de feu remplaça Limagma en se matérialisant au centre du terrain. Dynavolt était toujours plongé dans son sommeil. Sofian n’avait plus de choix, il devait brûler son joker et remplacer son pokémon. Malheureusement, ce simple fait de changer de pokémon en cours de route détruisait toute sa stratégie, car à présent tous les pokémons au combat ne le quitteraient qu’une fois vaincus.
Il ne pouvait se résoudre à envoyer son Écrapince qui lui serait si utile pour affaiblir le dernier pokémon monstrueux d’Adriane. Sofian n’aimait pas cette idée, mais il était contraint à utiliser son atout secret.
Sofian avait choisi un plateau plus en hauteur pour prendre sa pause dîner. La première partie de l’ascension de la montagne avait été éprouvante, et ses pokémons avaient bien mérités de reposer leurs muscles. Quelle fierté c’était de les voir se donner avec autant d’énergie dans un entraînement aussi intensif. Malheureusement, la végétation se faisait de plus en plus rare à mesure qu’ils escaladaient la montagne, ce qui les obligea à manger sans se mettre à l’abri du soleil au zénith qui tapait durement sur Vermilava. Écrapince avait beau les arroser d’eau à intervalle régulier, la chaleur était toujours aussi insoutenable.
Mais ce qui l’inquiétait le plus, c’était le comportement de sa Nirondelle. Elle était la seule à ne pas avoir accepté de se reposer. Elle n’avait ni touché à sa part de graines, ni posé ses pattes au sol depuis leur arrêt. Elle continuait obstinément à voler à toute vitesse autours d’eux, essayant sans arrêt de dépasser les limites qu’elle avait déjà franchies.
— Nirondelle, c’est important de se reposer, appela Sofian. Le repos fait aussi partie de l’entraînement, tu dois préserver tes muscles.
Mais rien n’y fit : Nirondelle ignora son maître et poursuivit sa course contre la montre individuelle. Pourquoi s’obstinait-elle tant à produire autant d’efforts ?
Une nuée de Nirondelle traversa le ciel un peu plus dans les hauteurs de la montagne. La Nirondelle de Sofian repéra ses semblables et augmenta sa vitesse de vol afin de les rattraper. C’était comme si elle voulait leur prouver qu’elle était meilleure qu’eux et qu’elle pouvait les dépasser autant de fois qu’elle le voulait.
Sofian explora la base de données de son Pokédex. Il devait bien y avoir une explication sur son comportement aussi inattendu qu’inquiétant.
« Nirondelle défend courageusement son territoire contre ses ennemis, même les plus puissants. Ce vaillant pokémon est toujours prêt à relever un défi. Téméraire, il n’a pas peur d’affronter des ennemis puissants, quitte à combattre un Airmure. Cependant, sa détermination diminue quand il commence à avoir faim, allant jusqu’à le plonger dans un état de dépression. »
Clairement, sa Nirondelle n’était pas comme les autres. Sa détermination à dépasser ses limites était assez puissante pour lui ôter toute envie d’écouter sa faim. C’est alors qu’un nouvel item dans son Pokédex attira son attention. Sofian parcourut la liste des attaques qu’apprenait en règle générale un Nirondelle en bonne croissance, et le comportement de sa pokémon collait avec ce qui ressemblait à une étape dans son apprentissage. Si Sofian avait vu juste, cette étape pourrait se révéler être un atout pour son futur match d’arène.
L’oiseau au plumage bleu se matérialisa à son tour au centre de l’arène. Face à son adversaire, il prit de l’altitude en prenant soin d’éviter les émanations de gaz.
— Avant toute chose, intervint Sofian en volant la priorité à la championne, débarrasse-nous de cette purée de pois !
Nirondelle battit vigoureusement des ailes et un coup de vent dispersa les volutes de fumées empoisonnées qui cessèrent d’enfumer la salle. Les trainées de lave ayant disparu avec Limagma, le terrain était prêt à accueillir un nouveau match.
— Chartor, voyons un peu ce que ce Nirondelle a dans le ventre ! « Flammèche » !
— Nirondelle, toi qui étais impatiente de montrer tes talents en vol rapide, fais-toi plaisir !
Chartor envoya une rafale de boules de feu que l’oiseau évita en fusant dans tous les sens dans les airs, si vite qu’elle semblait se téléporter d’un endroit à un autre.
— Impressionnant ! s’exclama Brice. Je n’ai jamais vu une Nirondelle voler si vite !
— Il me semble que cette espèce d’oiseaux est capable de voler jusqu’à trois cents kilomètres par heure, dit Annick qui ne semblait nullement impressionnée.
— Je dois avouer que je n’avais pas remarqué à quel point les pokémons de Sofian avaient progressé ces derniers temps, admit Flora.
— C’est aussi la première fois que Sofian s’entraîne aussi souvent depuis sa session d’entraînement sur l’île Myokara, remarqua Timmy.
— Ça a l’avantage de nous rafraîchir un peu ! s’amusa Sarah en profitant des coups de vents de Nirondelle sur son passage.
— Continue comme ça, Sofian ! encouragea sa mère avant de se faire rappeler à l’ordre par l’arbitre.
— Nirondelle, on ne va pas passer notre temps à esquiver, cette fois-ci ! Attaque « pic-pic » !
— Du combat physique ? Ce n’est pas un souci pour mon Chartor ! Envoie « brouillard » !
Nirondelle fonça en piqué le bec en avant sur le crabe qui lui cracha au visage une épaisse fumée grise. Nirondelle disparut dans la fumée avant de réapparaître un peu plus loin, ayant complètement manqué sa cible.
— Belle esquive, complimenta Sofian. Si on ne peut pas le toucher de près, autant l’avoir de loin ! Nirondelle, lance « tornade » !
— Chartor, tu sais ce que tu as à faire !
Nirondelle battit violemment des ailes et une tornade se créa au centre du terrain. Le cyclone se transporta jusqu’au Chartor adverse qui s’abrita dans sa carapace. Le vent violent sembla avoir autant d’effet qu’une brise légère sur la lourde carapace grise du Chartor et se dispersa un peu plus loin.
— Ce n’est pas vrai ! s’emporta Nathalie. S’il ne peut pas l’attaquer de près ni de loin, ce n’est vraiment pas du jeu !
— Là se trouve tout l’art du combat pokémon, la calma sa fille.
— Allez, Sofian, tu vas trouver une solution ! cria-t-elle.
— Madame, je vais devoir vous demander de vous calmer ou je vous ferai évacuer ! s’énerva l’arbitre qui commençait à perdre patience.
Sa mère avait vu juste. Comment allait-il pouvoir atteindre son adversaire si aucune des capacités physiques ou à distance ne touchaient leur cible ? Ce Chartor avait décidément fait beaucoup de progrès. L’époque à laquelle il était incapable de viser juste et de se protéger des attaques ennemies était révolue. Ceci dit, cette situation était parfaite pour sa Nirondelle : incapable de toucher sa cible, sa détermination allait l’obliger à produire des efforts qui révéleraient enfin son atout majeur.
D’ailleurs, Nirondelle commençait à perdre patience tandis que la tête de Chartor ressortait de sa carapace et lui renvoyait une rafale de boules de feu.
— Allez Nirondelle, encore quelques efforts ! Allie ta vitesse à ta « vive-attaque » !
Et Nirondelle tournoya à toute vitesse autour de Chartor afin d’éviter son mitraillage de boules enflammées. La scène dura un moment, et Sofian lui-même commençait à manquer de patience.
— Allez… Nirondelle, allez…
— Qu’est-ce qu’il attend ? s’étonna Flora. Pourquoi il n’essaie pas de toucher Chartor ?
— Peut-être qu’il essaie de lui donner le tournis ? supposa Timmy.
— Il peut bien essayer longtemps, les Chartor sont connus pour leur résistance aux conditions les plus invivables, révéla Sarah. Non, on dirait que Sofian a quelque chose derrière la tête.
Pourquoi Nirondelle ne révélait pas son vrai talent ? Pourquoi rien ne se produisait ? Aurait-il mal interprété les informations de son Pokédex ? Il fallait qu’il la mette plus en danger. Mais cela pouvait compromettre l’issue de son match. Tant pis, il ne pouvait compter que sur cette stratégie pour prendre l’avantage.
— Nirondelle, arrête !
L’oiseau s’exécuta et voleta en équilibre dans les airs au-dessus du Chartor adverse.
— Grossière erreur ! s’enthousiasma Adriane. Chartor, ton adversaire est dans une position parfaite pour ta « danse flammes » ! Attention, chaud devant !
En effet, Sofian avait peut-être commis une erreur. Ou plutôt, un sacrifice ?
De l’endroit où s’échappaient des volutes de fumée dans la carapace de Chartor s’extirpèrent des colonnes de flammes qui entourèrent Nirondelle et l’emprisonnèrent dans une véritable tornade ardente. Sa seule issue était vers le plafond, mais alors que Nirondelle tentait de s’extirper de la tornade enflammée, Chartor augmenta l’intensité des flammes qui allèrent lécher le plafond.
— Quelle horreur !
— Nirondelle est emprisonnée dans cette tornade de flammes !
— Sofian vient de se tirer une balle dans le pied !
Les cris de douleur de Nirondelle ne pouvaient pas le déconcentrer. Il savait qu’elle souffrait le martyre, bloquée dans ce cylindre brûlant, mais elle devait avoir confiance en lui. Emprisonnée dans les flammes, Nirondelle n’avait pas d’autre choix que d’affronter le danger en redoublant d’efforts. Et c’étaient justement ces efforts qu’il devait exploiter. Car son Pokédex devait avoir vu juste.
— Allez, Nirondelle ! Montre à quel point tu es déterminée ! encouragea Sofian.
— Tu as perdu, Sofian ! annonça Adriane. Chartor, on va manger du Nirondelle fumé ce soir !
Chartor amplifia l’intensité de ses flammes et l’oiseau piailla de douleur au centre du tourbillon de flammes. C’est alors qu’une lumière blanche aveuglante s’extirpa depuis l’intérieur du cylindre enflammé. Cela avait fonctionné !
Un violent coup de vent fit se disperser les flammes de la tornade et un magnifique oiseau fit son apparition au-dessus du terrain. Nirondelle avait laissé place à une espèce d’aigle de deux fois sa taille, sa queue s’était dédoublée, ses serres avaient pris une forme acérée et dangereuse, et une crinière venait mettre en évidence la détermination de son regard perçant.
— Alors là, si je m’attendais à ça !
— Sofian savait exactement ce qu’il faisait !
— Il savait que sa Nirondelle était prête à évoluer en…
— Hélédelle, déploie toute ta puissance ! ordonna Sofian dont le cœur était prêt à quitter sa cage thoracique.
Son somptueux aigle vola en un large cercle autour du Chartor pétrifié, puis fondit sur sa proie en un éclair. Après un coup de bec qui brisa la carapace du crabe, Hélédelle l’empêcha de fuir à l’aide d’une gifle brutale de sa longue aile brillante, et elle emprisonna son adversaire dans ses serres. L’aigle s’envola en créant sur son passage un coup de vent déstabilisant et envoya valser Chartor qui s’écrasa dans la double porte derrière Adriane. Hélédelle revint alors se poser au sol en adoptant une position de conquérante.
— Chartor n’est plus en état de poursuivre le combat, annonça l’arbitre. Il est disqualifié. Hélédelle remporte cette deuxième manche.
Sofian bondit de joie en courant auprès de son aigle fabuleux qu’il serra dans ses bras. Hélédelle lui tapota affectueusement le crâne avec son bec.
— Je savais que tu étais prête à évoluer ! lui assura-t-il. Maintenant, tu vas pouvoir développer tes capacités que tu tenais tant à utiliser quand tu étais une Nirondelle. Finalement, le hasard a bien fait de ne jamais me donner l’occasion de te ramener dans le Bois Clémenti.
Hélédelle approuva en caressant son visage contre celui de son maître.
— Sofian a vaincu les deux premiers pokémons d’Addie ! compta Flora. C’est la première fois qu’il gagne avec autant d’aisance un match d’arène.
— Rappelle-moi encore combien de pokémons vont se faire torturer ? demanda Annick avec mauvaise humeur.
— Voyons, Annick, tu pourrais admettre qu’il s’agit quand même d’un combat magnifique à regarder, lui dit Brice.
— Tout ce que je vois, ce sont des pokémons qui s’attaquent l’un l’autre sans aucun autre but que d’infliger un maximum de dégâts. Je ne vois pas du tout où se trouve la beauté dans de tels actes.
— En tout cas, ça donne à réfléchir quant à ce qu’on pourrait mettre en place dans une de nos performances en concours de coordination, intervint Flora en essayant de tempérer le débat.
— Le jour où je risquerais de sacrifier mon pokémon en espérant qu’il évolue miraculeusement, c’est que je n’aurais rien compris à l’art de la coordination, maugréa Annick.
— Moi, j’ai hâte de savoir quel est le dernier pokémon d’Addie, dit Timmy pour changer de conversation. J’aimerais vraiment comprendre pourquoi Sofian n’a toujours pas envoyé son Écrapince.
— Probablement parce qu’il a très peur de ce dernier pokémon, supposa Sarah. Connaissant Adriane, je suis certaine qu’elle lui réserve le boss final de l’arène.
— Rien ne peut venir à bout de mon fils ! lança Nathalie, aveuglée par la fierté. Sofian va n’en faire qu’une bouchée !
Sofian reprit sa place dans le rectangle réservé aux dresseurs. Le moment fatidique était arrivé. Adriane allait faire apparaître le monstre le plus dangereux qu’il eût rencontré durant tous ces mois de voyage, et il allait devoir le vaincre. Par chance, il lui restait ses trois pokémons. Mais Hélédelle s’était bien fatiguée contre Chartor et Dynavolt devait probablement toujours dormir dans sa pokéball. Rien n’était joué.
— Je vois qu’on a tous les deux eu une bonne nouvelle cette semaine, lui adressa la championne qui venait enfin de perdre son sourire confiant. Chacun son évolution, chacun ses espoirs. Cette dernière partie de notre match va s’avérer exceptionnelle !
Adriane envoya sa troisième pokéball dans les airs et apparut au centre du terrain, prenant quasiment toute la surface attribuée aux pokémons de la championne, un gigantesque chameau de deux mètres de haut dont le dos était formé de deux cratères de volcan.
Hélédelle recula d’un pas à la vue de son adversaire colossal.
— Camérupt, carbonise-moi cette Hélédelle ! ordonna Adriane.
L’immense chameau envoya une boule de flamme si grosse qu’autant Hélédelle que Sofian durent se jeter sur le côté pour l’éviter. La boule de flamme termina sa route contre la porte d’entrée qui explosa sous le coup, laissant passer de l’air chaud depuis l’extérieur.
— Ce Camérupt pourrait à lui tout seul détruire le terrain ! s’horrifia Nathalie.
— Tu n’as même pas idée de la puissance des Camérupt, lui dit Sarah en frissonnant, l’image du Camérupt de son ancien patron bien ancrée dans sa rétine.
— Avec un peu de chance, Hélédelle est assez puissante pour contrer ses attaques, espéra Flora.
— Le bon point, c’est qu’elle rend les attaques de type sol de Camérupt inefficaces, rappela Timmy.
En effet, Camérupt avait opté pour une stratégie agressive ne relevant que de ses attaques de boules de feu géantes. Hélédelle avait repris son vol circulaire au-dessus de sa cible afin d’éviter les attaques. À intervalle régulier, Sofian lui ordonnait de fondre sur sa proie et de le rouer de coups de becs, de griffes et d’ailes. Mais le Camérupt semblait insensibles aux coups physiques. Sa défense était impressionnante !
— Essaie avec « reflet » !
Hélédelle traversa le mur du son et se métamorphosa à plusieurs endroits du terrain simultanément.
— Tu commences à comprendre que la victoire va t’échapper, Sofian, que tu essaies de diminuer l’esquive de mon pokémon ? nargua Adriane. Camérupt, comme ça n’a pas l’air d’être clair pour notre adversaire, je te propose de te débarrasser d’Hélédelle en un coup ! Envoie ton « éboulement » !
Camérupt s’exécuta. Des dizaines de rochers furent projetées en-dehors de ses cratères sur son dos et retombèrent aléatoirement autour de lui. Les rochers touchèrent toutes les copies de Hélédelle qui en évita plusieurs gracieusement, tournoyant dans les airs et usant de souplesse pour se tordre entre les chutes de pierres. Mais l’un des rochers finit par lui toucher la queue. Déséquilibrée, Hélédelle offrit une aile à un deuxième rocher et fut projetée contre un troisième.
L’aigle s’effondra aux pieds de son adversaire. C’en était fini d’elle.
— Hélédelle n’est plus en état de poursuivre le combat, annonça l’arbitre en levant un premier drapeau du côté de son employeuse. Elle est disqualifiée. Camérupt remporte cette troisième manche.
— Il l’a battue…
— … en une attaque !
— Terrifiant !
Sofian savait qu’il n’avait aucune chance de vaincre ce Camérupt avec Hélédelle, mais la vue de son pokémon évanoui devant son adversaire lui glaça le sang. Comment un pokémon pouvait-il se débarrasser aussi rapidement de Hélédelle qui avait dépassé de loin ses limites ?
Finalement, il avait bien fait de garder son Écrapince sous le coude. Néanmoins, il ressentit une émotion particulière, une qu’il n’avait plus ressentie en combat depuis très longtemps. Pour la première fois en combat d’arène, Sofian se sentit empli de doutes. Et si Écrapince non plus n’arrivait pas à porter des coups fatidiques à son adversaire ? Car Sofian le savait : ce Camérupt ne craignait pas plus les attaques de type eau que n’importe qu’elle autre attaque.
Du coin de l’œil, il repéra l’adolescent aux cheveux noirs et au regard déterminé, appuyé contre le mur, debout sur le plus haut gradin. Sofian ne pouvait pas se permettre de perdre, surtout pas devant lui.
Le bâtiment était enfin là, devant lui, dressé au sommet d’une volée de marches en pierre massif. Les derniers rayons de soleil de la journée resplendissaient sur la façade de l’arène de Vermilava, et son symbole à l’effigie du badge de la championne brillait de mille feux. Il avait mis une journée entière pour atteindre l’arène en grimpant la montagne à mains nues là où de simples touristes y accédaient en quelques minutes via un petit téléphérique. Cela l’emplissait de fierté, pour lui et pour son équipe.
Accompagné de ses pokémons, Sofian pénétra dans l’arène, bien décidé à gagner son quatrième badge. Mais un combat était déjà en cours. L’adolescent se fit discret et s’installa sur le banc en bois de la première rangée des gradins offerts aux spectateurs. Quitte à passer second, autant analyser en détail la stratégie de la championne et observer chaque mouvement de ses pokémons pour en déceler les faiblesses.
Le gigantesque Camérupt d’Adriane était occupé à affronter une espèce de grosse baleine bleue parfaitement sphérique. Ses cinq pokémons se blottirent autour de lui, comme apeurés par la masse colossale des deux pokémons qui s’affrontaient avec violence.
— Wailmer, attaque « vibraqua » ! ordonna le challengeur du jour de sa voix métallique glaciale.
Sofian faillit tomber de son banc en reconnaissant le dresseur. Dans son sweatshirt gris, son regard bleu électrique affublé d’un sourcil levé, dédaigneux comme à son habitude : Steve, la personne qu’il supportait le moins au monde. Son rival affrontait la championne de Vermilava avant lui.
Une trombe d’eau parcourue d’une onde étrange frappa le Camérupt en plein visage, mais le pokémon au double type feu et sol ne sembla pas plus souffrir que cela. Au contraire, il débordait d’énergie et, malgré son corps imposant, galopait à toute vitesse vers son adversaire. Les deux pokémons se livraient un combat titanesque, et Sofian reconnut bien là le style agressif de son rival.
Son Wailmer redoublait de brutalité de violence dans ses attaques aquatiques, ne laissant pas une seconde de répit à un Camérupt qui ne semblait reculer devant aucun obstacle. Le terrain tremblait de toute part à chacun de leurs chocs frontaux.
C’était donc ce pokémon qu’il allait devoir vaincre s’il espérait gagner un nouveau badge d’arène ? Les bras lui en tombèrent.
Un coup d’œil à ses pokémons lui indiqua qu’ils partageaient ses craintes. Écrapince, davantage. Face aux attaques aquatiques de Wailmer, Camérupt semblait inébranlable et le petit crabe orange avait bien compris le message : rien n’arriverait à bout de ce pokémon.
— On peut le faire, Écrapince, assura Sofian en le prenant sur ses genoux. Souviens-toi de la façon dont je t’ai capturé. Tu étais très peu entraîné et pourtant, déjà tu faisais preuve de robustesse et d’acharnement pour arriver à bout de ta mission. Tu es un pokémon déterminé, courageux et assez sournois que pour vaincre un tel adversaire. Tu m’entends ?
Écrapince échangea un regard tétanisé avec son maître.
— Tu n’es pas n’importe quel Écrapince. Et vous aussi, mes amis, vous n’êtes pas n’importe quels pokémons. Vous êtes les meilleurs. Vous vous êtes tous dépassés, vous avez tous vécu de situations qui vous ont permis de grandir et de vous améliorer. Vous êtes une équipe d’élite. Vous êtes mon équipe. Et ensemble, nous y arriverons.
Sofian décida qu’il en avait assez vu. Il quitta l’arène sans attendre, préférant ne pas connaître l’issue du match décisif de son rival Steve. Il acheta un ticket de téléphérique et descendit sur Vermilava. Cette ascension lui aurait été bénéfique : plus qu’un entraînement, il avait vécu une expérience d’unité. Il avait retrouvé ce plaisir d’avancer avec ses pokémons vers un but précis, et ses pokémons ne faisaient plus qu’un, tous ensemble. Quelques jours d’entraînement supplémentaires, et il serait prêt à gagner son quatrième badge.
Ce soir-là, Sofian octroya à tous ses pokémons et à lui-même une séance de détente dans les sources chaudes. Chacun de ses muscles endoloris le remercia pour avoir relâché la pression. Ses pokémons semblaient apprécier le geste, profitant eux aussi des bénéfices de la chaleur de l’eau thermale et du silence de la soirée dans le parc aquatique vide. Tous, sauf un : Écrapince ne s’était pas arrêté. Il s’était éloigné du groupe et s’entraînait sans relâche en solitaire sur le sable fin. Comme s’il ne pourrait se reposer qu’une fois son attaque « abri » maîtrisée.
Sofian préféra ne pas intervenir. Écrapince avait quelque chose à se prouver, c’était un combat psychologique contre lui-même qu’il menait. Et seul lui était capable de le gagner.
Il était temps qu’il lui montre de quoi il était véritablement capable. Sofian fit apparaître Écrapince au milieu du terrain. Le petit crabe orange ne frémit pas devant son colossal adversaire. Son regard ne trompait personne : il était déterminé.
— Très bonne stratégie ! complimenta Flora. Un pokémon de type eau contre un pokémon au double type feu et sol va faire des ravages !
— Ne parle pas trop vite, tempéra Timmy. C’est d’Addie que nous parlons. Elle lui réserve certainement une stratégie originale pour le fragiliser.
— Mais Sofian a des chances de gagner, non ? questionna sa mère, remplie d’espoir.
Personne ne lui répondit.
— Écrapince, « bulles d’eau » !
Le crabe déchargea un torrent de bulles d’eau depuis sa pince qui s’écrasèrent au visage de Cam
érupt. Le gigantesque chameau ne bougea pas d’un poil.
— Oh non, un pokémon de type eau ! s’exclama Adriane en faignant la détresse. Comme c’est original ! Tu penses bien qu’au fil du temps, j’ai trouvé la parade pour éviter ce genre de faiblesses. Camérupt, emploie « amnésie » !
— Et voilà ! Tout juste ce que je disais !
— Quoi ? Qu’est-ce que c’est, « amnésie » ?
— C’est une capacité de type psy qui permet d’augmenter considérablement la défense spéciale du pokémon, expliqua Sarah. Monsieur Magma l’emploie très régulièrement, et cela rend son Camérupt littéralement invincible !
Malgré les bombardements de bulles d’eau qu’infligeait Écrapince à son adversaire, ce dernier ne paraissait pas sentir le moindre coup passer. C’était comme s’il avait décuplé sa capacité à ne pas subir de dégâts. Un véritable monstre !
— Écrapince, ne panique pas !
En voyant l’inefficacité de son attaque la plus redoutable, le petit crabe orange avait perdu le contrôle et envoyait ses attaques dans tous les sens dans l’espoir d’arriver à affaiblir son adversaire. Très vite, le terrain fut rempli de flaques d’eau éparses.
— Mais c’est pas possible, il est imbattable ! s’emporta Nathalie.
— Il doit y avoir autre chose ! dit Timmy, désemparé.
Flora poussa un petit cri surexcité en leur montrant l’écran de son Pokédex.
— C’est bien ce qui me semblait ! leur dit-elle. Les Camérupt ont le talent « Solide Roc ». Toutes les attaques considérées comme « super efficaces » voient leurs dégâts diminués de moitié.
— Et quand on ajoute cela à l’attaque « amnésie », cela transforme un pokémon désavantagé en un redoutable adversaire inébranlable, comprit Brice.
— Écrapince va s’acharner jusqu’à l’épuisement, s’horrifia Annick.
— Camérupt, la baignade a assez duré ! intervint Adriane. « Charge » !
Camérupt galopa dans les flaques d’eau et fonça tête la première contre Écrapince. Sans attendre d’ordre, Écrapince fit apparaître une barrière invisible entre lui et son adversaire et Camérupt s’écrasa dans le vide.
— Bravo, Écrapince ! Ton attaque « abri » était parfaite !
Mais Écrapince ne releva pas les félicitations de son maître. Son honneur avait été piqué à vif. Il devait réparer l’affront que lui avait fait son adversaire. Ignorant totalement son dresseur, il adopta sa propre stratégie. Une fois son abri disparu, il bondit dans les airs et retomba sur le dos de Camérupt. Après un petit ricanement sournois, il ouvrit sa pince au-dessus d’un des cratères volcaniques sur le dos du pokémon et envoya une vague d’écumes. Camérupt hurla de douleur. Écrapince avait tout compris !
— Mais… oui ! C’est bien sûr ! Écrapince, continue à le noyer de l’intérieur !
— Qu’est-ce que… ?! s’exclama Adriane, affolée. Non, mais eh ! Ça ne va pas la tête ! C’est la première fois que je vois ça ! Camérupt, débarrasse-toi de ce parasite, et vite !
Camérupt se cabra, tel un cheval sauvage refusant qu’un humain lui monte dessus, et Écrapince tint bon. Il envoya une seconde vague d’écumes dans l’autre cratère et Camérupt se roula au sol pour écraser le crabe. Écrapince bondit vers son maître, un sourire narquois sur le visage. Sofian avait retrouvé le pokémon rusé qu’il avait capturé trois mois plus tôt.
Cependant, tout n’était pas fini, car Camérupt comptait bien se venger. Il chargea à nouveau et Écrapince se protégea d’une barrière invisible. Malheureusement, celle-ci ne tint pas et se brisa sous le coup de tête du chameau géant.
— Réessaie « abri » ! ordonna Sofian.
La deuxième barrière ne fit pas plus long feu. Écrapince commença à paniquer et recula à mesure que ses tentatives de s’abriter échouaient. Camérupt n’était plus qu’à quelques pas de lui. C’est alors qu’Écrapince hurla de rage et une gigantesque barrière lumineuse se dressa entre Camérupt et lui, du sol au plafond, l’empêchant d’approcher.
— Ça c’est ce que j’appelle une attaque « abri » réussie !
— Très bien, si Camérupt ne peut pas t’approcher, il peut toujours te mettre à terre de loin ! Camérupt, il est temps de montrer la puissance de ton attaque « ampleur » !
Le sol se mit à trembler violemment à tel point que Sofian faillit perdre équilibre. Certaines parties du terrain s’effondrèrent, révélant une source chaude en-dessous. Toujours protégé derrière son mur invisible, Écrapince semblait souffrir le martyre à chacune des secousses. Enfin, le tremblement de terre s’estompa. Mais il avait été trop violent.
Écrapince se laissa tomber en avant.
— Écrapince n’est plus en état de poursuivre le combat, annonça l’arbitre. Il est disqualifié. Camérupt remporte cette quatrième manche.
— Quelle attaque redoutable !
— Aucun pokémon ne peut résister à cette capacité de type sol !
— Et pourtant, Dynavolt va bien devoir y faire face !
— Malgré sa faiblesse de type !
— Oh non, ça sent vraiment mauvais pour mon petit Sofian !
Il était au pied du mur. Un pokémon de chaque côté. Le match final qui allait les départager. Sauf que lui, il allait partir de loin : un pokémon électrique endormi face à un pokémon de type sol aux quadruples protections défensives. S’il avait cru en un dieu, il se serait mis à prier.
Sofian envoya son Dynavolt sur le terrain en espérant de tout cœur que son pokémon se soit réveillé depuis tout ce temps passé dans sa pokéball. Non, le chien était toujours blotti dans un sommeil profond.
— Je n’aurais jamais pensé avoir autant de mal à gagner un combat officiel, avoua Adriane de l’autre côté du terrain et de la barrière invisible. Tu m’as donné du fil à retordre, Sofian. Je suis très heureuse d’avoir passé ce moment avec toi. Mais tu as manqué de stratégie malgré ton originalité et ton opiniâtreté. Camérupt, détruit cette barrière et plie ce combat.
Camérupt fonça tête la première sur l’attaque « abri », mais la barrière résista. Écrapince avait peut-être perdu son affrontement, mais il avait laissé un obstacle infranchissable derrière lui. Le chameau géant multiplia ses tentatives, frappant de plus en plus fort contre la barrière invisible qui allait céder d’un moment à l’autre.
— Allez, Dynavolt, réveille-toi ! cria Sofian.
Mais le petit chien dormait toujours.
— Pourquoi Addie n’utilise pas son attaque « ampleur » ? s’étonna Flora.
— Parce qu’elle a peur de réveiller Dynavolt, expliqua Timmy.
— Ça n’a aucun sens : Dynavolt est de type électrique, ça devrait être une évidence que c’est une attaque telle que « ampleur » qui mettra fin au combat.
— « Ampleur » est une capacité aux dégâts variables.
La bande de jeunes sursauta. Derrière eux, un adolescent aux cheveux noirs et au regard électrique les dévisageait avec mauvaise humeur. En reconnaissant Steve, ni Flora, ni Timmy, ni Annick n’osèrent prendre la parole, tous trois intimidés par le dresseur antipathique qu’ils n’avaient jamais apprécié croiser durant leur voyage.
— Cette capacité peut faire des ravages comme elle l’a fait contre son faible Écrapince, ou bien elle peut être si faible qu’elle procurerait un massage à son pathétique Dynavolt, expliqua Steve sans retenir son mépris pour Sofian. Adriane n’a pas envie de risquer de réveiller Dynavolt car avec la protection qu’il bénéficie du reste de l’attaque « abri », il prendrait l’avantage. Elle préfère l’atteindre dans son sommeil pour garder l’avantage du sacrifice de son Limagma.
— Euh… merci pour cette explication, répondit poliment Flora qui ne savait plus où se mettre.
— Tu as l’air d’être un sacré technicien, complimenta naïvement Brice.
— N’importe quel dresseur amateur serait capable de comprendre sa stratégie, rétorqua Steve sans un regard. Pas étonnant que Sofian ait autant de mal à la vaincre.
— Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? s’interrogea Nathalie.
— Ça veut dire qu’il va perdre.
Et Steve leur tourna le dos en amorçant son départ.
— Parce que tu as gagné ton match, toi, peut-être ? l’invectiva Flora dans une dernière chance de défendre son meilleur ami.
— Mes pokémons ne sont pas adaptés à la défaite, répondit-il en gardant le dos tourné.
Et Steve quitta les gradins avant de se diriger vers la sortie de l’arène, alors que le match se poursuivait sur le terrain.
— Je crois que je ne l’aime pas beaucoup, celui-ci, marmonna Sarah, vexée pour son frère.
— Quel connard, tu veux dire ! insulta Flora.
— Dynavolt, je t’en supplie, réveille-toi !
Aucune des tentatives de Sofian ne semblait fonctionner sur son pokémon. Il avait décidé de ne plus rester sur la réserve et s’était même mis à hurler, en vain.
De son côté, Camérupt s’était dressé sur ses pattes-arrières et martelait la barrière invisible de la force de ses pattes-avants. Tout à coup, il retomba sur ses quatre pattes dans un éclair lumineux : l’« abri » s’était brisé.
— Enfin ! s’enthousiasma Adriane. Combine ton attaque « puissance » à ton attaque « bélier » !
Camérupt renforça ses muscles et cogna de plein fouet le malheureux Dynavolt endormi. Le choc violent fit reculer le chameau de quelques pas tandis que le chien s’envolait telle une poupée inerte et retombait sur le terrain, avant de rouler jusque dans une flaque d’eau.
— Dynavolt, non !!!
— Dynavolt n’est plus en état de poursuivre le combat, annonça l’arbitre. Il est disqualifié. La championne Adriane remporte le match d’arène.
Le public applaudit bruyamment la victoire de la championne bien qu’il sembla percevoir dans ces applaudissements une espèce de félicitations pour avoir tenu tête jusqu’au bout. C’était fini. Il avait perdu. Il baissa la tête tandis que les premiers spectateurs commençaient à quitter les gradins.

— Je ne comprends pas, s’hébéta Nathalie. Il… il menait le match depuis le début.
— C’est de la triche ! s’offusqua Sarah. Les pokémons d’Adriane sont surentraînés pour une arène de niveau quatre !
— Qu’on le veuille ou non, c’est comme ça, dit Timmy en haussant les épaules. Adriane est une trop grande stratège.
— Ce n’est pas la première fois que Sofian perd un match d’arène, rappela Flora. Il gagnera son badge un jour, j’en suis convaincue !
— En tout cas, ils nous auront offert un très beau spectacle, commenta Brice en se levant de son banc. J’ai hâte de m’approprier certaines de leurs techniques et de les adapter à mon Lippouti.
— Le point positif, c’est que cette barbarie n’aura pas duré trop longtemps, se rassura Annick.
— On devrait aller réconforter Sofian, proposa Timmy.
— ATTENDEZ !!
C’était Adriane qui avait crié. Les spectateurs debout se figèrent sur place. L’arbitre interrompit la descente de sa chaise-haute. Tous les regards se dirigèrent sur la championne qui pointait du doigt Dynavolt.
— Ce pokémon est toujours conscient ! fit-elle remarquer.
Sofian releva la tête si fort qu’il sentit une tension dans son cou. Dynavolt avait ouvert un œil et luttait pour se redresser sur ses pattes. Mais la douleur était trop intense pour lui, et il resta couché dans sa flaque d’eau. Blessé, exténué, certes, mais bel et bien conscient.
— Tout n’est pas fini ! s’exclama Sofian en regagnant espoir.
Décidément, ce match avait l’effet d’une véritable montagne russe au niveau de ses émotions. Il était passé d’un état de confiance, à la déprime, et le voilà qu’il ressentait à nouveau de l’excitation.
L’arbitre examina de près le pokémon et afficha une grimace désolée.
— Cher dresseur, je reviens sur mon avis, déclara-t-elle. Votre pokémon est toujours en état de combattre. Le match d’arène n’est pas terminé.
Dans le public, les spectateurs qui tenaient pour le challengeur laissèrent leur joie s’exprimer. L’arbitre leur accorda ce moment de liesse avant de réclamer le calme à nouveau, mais l’excitation du moment était trop intense pour que le silence complet ne revienne.
Sofian bondit de joie. Il était temps de prouver sa valeur de futur champion d’arène. Si Dynavolt tenait le coup, c’est qu’il n’avait pas dit son dernier mot. Ce n’était pas le moment d’abandonner son pokémon !
— Dynavolt, je sais que tu peux te relever ! encouragea Sofian.
— Camérupt, ne lui laisse pas cette chance ! Attaque « ampleur » !
Le sol frémit à peine et Sofian ressentit une sensation agréable dans ses jambes, comme l’effet d’un massage apaisant.
— Steve avait raison ! s’ahurit Flora. Ça ne l’a même pas fait bouger d’un centimètre !
— Sofian a encore l’opportunité de gagner !
— Mais comment toucher un pokémon de type sol avec des capacités de type électrique ?
— Il faut qu’il saisisse sa chance !
— Ce combat est trop stressant ! Je sens que je vais faire un malaise !
Dynavolt avait tenu le coup. Rien ne pourrait plus les arrêter. D’ailleurs, Sofian constata que Camérupt avait faibli considérablement depuis son apparition sur le terrain. Était-ce dû à l’attaque aquatique d’Écrapince dans ses cratères volcaniques, l’épuisement suite à son acharnement contre l’« abri », ou bien les dégâts de recul de son attaque « bélier » ? Quelle que fût la réponse, la seule conclusion était que Dynavolt pouvait gagner son match en un coup. En un seul coup bien placé.
— Tant pis, Camérupt, il faut prendre le risque de réutiliser « bélier » ! ordonna Adriane.
— Parfait ! Dynavolt, ne bouge surtout pas !
— Qu’est-ce qu’il fait ??
— Il veut perdre son match ?
— Il faut absolument que Dynavolt évite cette attaque !
Camérupt galopa de toutes ses forces vers Dynavolt, chacun de ses pas faisant trembler le terrain autour de lui. Le chameau géant allait bientôt entrer en collision avec le chien couché au sol.
— Attends encore un peu… patienta Sofian.
Dynavolt ferma les yeux, prêt à subir le choc du contact avec le crâne de son gigantesque adversaire. Camérupt baissa la tête, frôlant le sol. Plus que quelques pas, plus que quelques centimètres, millimètres,…
— MAINTENANT ! Dynavolt, attaque « étincelles » !
Le chien chargea son pelage vert d’électricité statique. Presque immédiatement, le courant électrique se propagea à la flaque d’eau entourant le pokémon. Camérupt se figea sur place, le regard tétanisé. Ses pattes-avants étaient entrées en contact avec l’eau. Une odeur de viande carbonisée embauma le terrain en asphyxiant les personnes les plus proches. Camérupt, grillé sur place, s’effondra. Le colossal chameau était inerte. Il avait été vaincu.
— Camérupt n’est plus en état de poursuivre le combat, proclama l’arbitre. Il est disqualifié. La victoire revient au challengeur Sofian Match, du Bourg-en-Vol, qui remporte le badge Chaleur !
Le public hurla de joie dans une explosion de décibels. Sofian voulut prendre son Dynavolt dans les bras, il voulut sauter de bonheur, danser dans son allégresse, mais il fut retenu en arrière. Sa mère lui avait sauté au cou en criant à qui voulait l’entendre que Sofian était son fils et qu’il allait vaincre un à un chaque champion d’arène de la région. Ses amis le rejoignirent à leur tour et Sofian perdit le cours du temps, le fil de la réalité.
C’était comme si le monde continuait d’avancer et qu’il faisait un pas de côté pour l’observer de loin, comme détaché de son propre corps. On lui déposa le badge Chaleur au creux de sa main. Il se vit observer le petit objet métallique brillant, sa forme alambiquée, sa teinte orangée, sa perle rouge.
— Te voilà à la moitié de ton parcours dans Hoenn ! entendit-il de loin, phrase prononcée par la championne d’arène, son amie Addie.
Mais rien ne lui importait à présent. Plus rien d’autre qu’une pensée, une seule pensée qui tournait en rond dans sa tête. Une seule pensée qu’il l’avait hanté depuis son départ du Bourg-en-Vol, lorsqu’il n’y connaissait pas grand-chose en dressage de pokémon. Une seule pensée qui guidait sa vie depuis tout petit.
Il était temps pour lui de défier son père et de lui prouver qu’il était digne de prendre les commandes de son arène pokémon, digne d’être le fils d’un champion d’arène, digne d’être son fils. Il était temps pour Sofian de prouver qu’il était digne de porter le nom de famille, Match.
* La nuit était tombée. Vermilava était plongée dans un silence apaisant. Hormis les chants victorieux et les conversations animées d’une soirée festive dans un bar de l’extrémité est de la ville, le calme régnait en maître dans la vallée chaleureuse du Mont Chimnée.
Un jeune adulte sortit du bar et entreprit une longue marche dans les rues sombres et vides de Vermilava. Les mains dans les poches, sifflotant jovialement, il ne se doutait pas un seul instant que trois ombres le suivaient à la trace, discrètement.
Arrivé à une maison de campagne au sud de Vermilava, là où commençaient à s’étendre à perte de vue des champs brûlés par le soleil, le garçon passa le portique de la clôture, traversa le petit jardin et disparut dans l’habitation.
De l’autre côté de la palissade, les trois ombres dégainèrent leurs lunettes longue-vue et espionnèrent leur proie à travers la vitre de la cuisine. Brice Belangelo préparait une camomille en parlant à quelqu’un qui devait se situer dans le salon.
Jessie, James et Miaouss l’avaient cerné. Il était temps de prévenir la Team Aqua et de leur amener le jeune homme aux yeux bleus.
À suivre dans : « Le jeune homme aux yeux bleus 1/2 »