Chapitre 381 : Le souverain légitime
Esliard avait toujours été un homme méticuleux, du genre à prévoir les moindres petits détails et à les revérifier deux fois. Mais cette méticulosité avait trait uniquement dans le domaine technique : comment mettre en scène, est-ce que les caméras étaient bien placés, est-ce que l'éclairage à tel endroit était optimal, comment devaient être positionnés les gens autour de la personne interviewée, ect... Il n'était pas si méticuleux sur la recherche d'information et de vérité. Un bon journaliste était quelqu'un qui pouvait moduler l'information selon ses propres convictions du moment qu'elle contenait un fond de vérité. Et Esliard avait toujours été un bon journaliste. Autrement dit, il jouait avec la vérité comme un parieur jouait aux cartes.
Mais ses reportages engagés et ses articles partisans pro-Team Rocket avaient fini par déplaire à ses employeurs de la Tour Radio de Doublonville, qui l'avaient envoyé au placard. Il n'en était sorti que grâce à Lady Venamia, qui avait su percevoir son potentiel. En retour, Esliard avait monté toute une machinerie de grande propagande autour d'elle, comme jamais il ne s'en était fait, même dans les régimes les plus autocratiques qui soient. Si on lui avait laissé le temps, et si Venamia avait bien voulu du titre d'Impératrice, Esliard aurait pu porter sa personne au niveau de l'inviolabilité et du sacré.
Mais hélas, à cause de malchance, de décisions malheureuses et d'ennemis qui se sont tous ligués contre elle, Venamia était tombée, en même temps que sa capitale et que tout le Grand Empire de Johkan. Tant de travail, pour tout voir s'écrouler. C'était un crève-cœur pour Esliard. Mais l'homme de passion qu'il était avait refusé de se laisser abattre. Le Grand Empire n'était pas totalement mort. Et avec la FAL occupée contre le Marquis, il avait tout loisir de renaître de ses cendres. Et ça commençait aujourd'hui, ici même, dans le palais impérial de Duttvriff, où le général-en-chef Kasai Tender et ses officiers s'étaient regroupés, et avec eux, des anciens fonctionnaires, GSR et diplomates : tout ce qui restait du Grand Empire.
Esliard, avec ses contacts et son habilité habituelle, avait réussi à faire venir jusqu'ici tous les alliés du Grand Empire lors de la Guerre Mondiale. Mais il ne se faisait pas d'illusion ; ils étaient venus uniquement attirés par la curiosité et l'avidité, croyant pouvoir se partager ce qui restait de l'Empire, et peut-être même le territoire de Lunaris. Le but d'Esliard, c'était de les convaincre de faire bloc autour de Tender et d'unir leurs ressources militaires. Il n'y avait que comme ça que le Grand Empire avait une chance de réémerger.
Esliard faisait le pari qu'Eryl et toute sa bande allait gagner contre le Marquis et la sienne. Mais la FAL sortirait très affaibli de ce conflit, et alors, le Grand Empire, qui aura eu le temps de se restructurer et de se renforcer ici, à Lunaris, bien à l'abri, pourra en finir avec ce pseudo état fédéral monté à la va-vite. Et alors, alors seulement, ils pourront se trouver un chef, un empereur, le premier d'une nouvelle dynastie.
Ça ne sera pas Tender, bien sûr. L'ancien colonel Rocket était un soldat, pas un dirigeant. C'était aussi un homme d'honneur, vénérant l'ordre et la rigueur militaire. Mais c'était lui qui devait mener la partie pour le moment, en raison de ses talents tactiques et du soutient de l'armée. Les restes de la GSR s'étaient aussi rangé de son côté. Mais le hic, c'était bien sûr les civils, et les alliés dispersés. Ils seront durs à convaincre. Cette assemblée était promise à durer plusieurs jours. Et sachant cela, Esliard avait pris des dispositions particulières : toute une armée de caméra et de micros partout dans la salle du trône qui faisait office de salle de réunion. Et le tout diffusé en direct dans le monde sur une fréquence parasite et ultra sécurisée qu'il avait passé des jours à calibrer.
- Voilà qui passe la porte le Premier Ministre de Galar, Bovus Ronchon, accompagné de son ministre des affaires étrangères, fit Esliard à haute voix en parlant à son micro. Il est sans nul doute la personne la plus importante se trouvant ici aujourd'hui, celle dont la voix aura le plus de poids dans les discussions.
Oui, pour cette assemblée, Esliard avait le triple rôle d'organisateur, de participant et de commentateur. Mais, journaliste avant tout, il faisait passer les spectateurs avant les politiques. Ce n'était qu'après ce bref commentaire à l'antenne qu'il rejoignit le général Tender pour saluer le Premier Ministre. Bovus Ronchon était un Chef d’État à l'image des galariens : provocateur, sarcastique et n'ayant jamais vu un peigne de sa vie.
- Monsieur le Premier Ministre, c'est une grande joie de vous accueillir ici à Duttvriff aujourd'hui, pour évoquer le futur du Grand Empire, tous ensemble, fit Esliard avait sa voix de faux-cul qu'il maîtrisait tant.
- Mister Esliard... J'ai été surpris de cette invitation, je dois l'avouer, répondit Ronchon. Mon peuple a pourtant décidé de quitter cette alliance militaire et politique avec le Grand Empire qui nous a tant coûté sur le plan humain et financier. J'ai été élu pour faire respecter ce choix.
Oui, l'alliance avec le Grand Empire n'avait jamais été très bien vu par les galariens. L'ancien Premier Ministre l'avait contracté sans consultation, par le jeu des alliances politiques à travers le monde. Puis quand Venamia a soudainement disparu des écrans radars pendant plusieurs mois, ce Bovus Ronchon avait pris le pouvoir à Galar après une campagne profondément anti-Grand Empire, affirmant que Galar devait retrouver sa liberté et son autonomie.
Mais Esliard ne l'avait pas pris pour lui. Ce n'était pas que les galariens avaient quelque chose contre le Grand Empire. C'était juste qu'ils avaient quelque chose contre tout. Ils adoraient faire chier leur monde en se démarquant toujours des autres et en vantant leur particularisme. Alors que tout le monde roulait à droite, eux roulaient à gauche. Alors que la quasi-totalité des régions dotées d’arènes de dresseurs avaient un Conseil des 4, eux non. Et que dire de leur fameux Dynamax, ce phénomène exclusif à leur région qui permettait à leurs Pokemon d'atteindre une taille astronomique ; ce qui au passage avait déjà provoqué moult catastrophes lors de combat, comme des spectateurs blessés ou tués, ou encore des dégâts matériels importants.
Mais les galariens s'en fichaient. Ils étaient fiers d'être différents, et ne supportaient pas d'être dans un moule. De tous les organismes ou alliance dont ils avaient fait parties, ils n'étaient jamais restés trop longtemps. Ils avaient horreur des étrangers, et avaient même légiféré pour interdire les Pokemon non-recensés de leur Pokedex local dans leur région, ce qui avait provoqué un tollé des dresseurs du monde entier.
Mais le fait est que Ronchon était quand même venu aujourd'hui. Il y avait donc de l'espoir. Galar était une puissance non-négligeable avec qui il fallait compter. Et ça devait arranger le Premier Ministre également, de tenter de s'illustrer sur la scène internationale, après le scandale qu'avait provoqué un puissant homme d'affaire avec qui il était proche : le fameux PDG du conglomérat Macro Cosmos, Shehroz, qui avait failli provoquer une catastrophe en se servant d'un Pokemon apocalyptique afin de renflouer l'énergie Dynamax de la région.
- Nous respectons bien sûr la décision souveraine du peuple de Galar, répondit Esliard en s'inclinant légèrement. Mais comme votre région a grandement contribué à l'effort militaire du Grand Empire lors de la guerre, il m'a semblé naturel que vous ayez votre mot à dire sur son futur.
- Quel futur ? Répliqua sèchement Ronchon. Votre empire est fini, et bien naïfs sont ceux qui pourraient penser le contraire. D'après nos informations, il est même en train de vous être dérobé par un illuminé en armure noire !
Esliard minimisa bien sûr les faits.
- Ce prétendu Sauveur du Millénaire ne s'est contenté que de quelques raids dans les régions les plus pauvres et les moins gardées de Lunaris. Son groupe est hétéroclite et ne repose sur rien. Quand le Grand Empire redeviendra fort et uni, nous l'écraserons, lui et ses rebelles, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
Esliard avait eu vent des rumeurs plus ou moins confirmées comme quoi cet homme masqué serait Erend Igeus, celui qui a posé les bases de la FAL, et l'ancien grand ennemi de Lady Venamia. Vu qu'il portait la Dark Armor qui avait vu le jour dans le laboratoire de Crenden au Palais Suprême – là où Igeus était censé être prisonnier – ça semblait crédible. Mais si Esliard savait très bien qu'Igeus était quelqu'un de très intelligent, il ne voyait pas où il voulait en venir en soulevant quelques lunariens et en retournant quelques impériaux dans cette région si vaste.
- Nous aimerions partager votre optimiste, Monsieur le Ministre Esliard, déclara le Président du Conseil de la Hanse qui venait de les rejoindre. Mais nous voyons bien que votre troupes sont totalement désorganisées et à la merci du premier opportuniste venu.
Comme vous, Président Madrow ? Manqua de répliquer Esliard. Mais ce serait assez mal passé en direct, aussi se retint-il. Il n'y avait pas plus opportuniste que le Royaume de la Hanse, qui jonglait dans ses alliances selon le sens du vent. Ce petit État-île était l'un des trois pays qui composaient la région Pertinia. Trois pays en guerre ouverte depuis des décennies. Et tandis que l'Ordre Gueridias et l'Hégémonie Nukurios se battaient face à face sans chercher à s'esquiver, la Hanse elle jouait sur une pseudo neutralité pour éviter le combat, cherchant d'abord à ce que les deux autres camps s'affaiblissent entre eux avant de frapper.
Ce qu'il y avait d'étrange, c'était que l'Hégémonie Nukurios faisait aussi partie des alliés du Grand Empire de Johkan. Son émissaire, le Haut Commodore Mittermayer, était un peu plus loin dans la salle, en train de discuter avec Kasai Tender. L'Hégémonie était le pays le plus puissant et le plus grand de Pertinia. Elle était la fusion du Saint Empire Nuk avec la Colonie d'Urios. Si elle n'avait pas trop attendu avant de signer un pacte avec Venamia, c'était parce qu'elle partageait nombre de valeurs, comme l'ordre, la puissance militaire et la haine des étrangers. L'Hégémonie était gouvernée depuis des lustres par une dynastie d'empereurs tout aussi tyranniques les uns que les autres, et par une haute aristocratie qui passait le plus clair de son temps à se donner des coup de poignards dans le dos.
Son grand rival, l'Ordre Gueridias, l’appelait avec mépris « le Reich ». Comme l'Ordre avait rejoint d'abord la Confédération d'Igeus, puis la FAL d'Eryl Sybel en tant que pays allié, il était naturel que l'Hégémonie soit du côté de Venamia. Et comme le Royaume de la Hanse détestait encore plus l'Ordre Gueridias qu'il ne détestait le Reich, il avait suivi le pas. Mais Esliard se souvenait très bien que lors des réunions stratégiques de l'Alliance Impériale, il était toujours impossible que ces deux pays tombent d'accord sur quoi que ce soit.
- Je laisse les questions militaires au général-en-chef Tender, se contenta de répondre Esliard. Il est bien plus compétant que moi. Mais à l'inverse, je m'y connais plus en question politique. Et ce faisant, je peux affirmer préférer avoir comme ennemi intérieur un malade mental en armure plutôt qu'une armée surnaturelle sortie tout droit des ténèbres, comme c'est le cas pour la Fédération des Alliances Libres actuellement. Et c'est la raison pour laquelle le Grand Empire est promis à vite retrouver la juste place qui était la sienne dans l'ordre mondial, si ses dirigeants et ses précieux alliés prennent la décision qui s'impose.
- Et qui serait ? Demanda Ronchon.
Esliard sourit et prit un verre de champagne au serveur qui passait juste devant lui.
- Ne nous précipitons pas, Monsieur le Premier Ministre, dit-il. Nous parlerons politique assez tôt, quand tout le monde sera là. En entendant, n'hésitez pas à profiter de la nourriture et des boissons.
Esliard constata que l'envoyé de Riluvi n'avait pas attendu son invitation pour commencer à descendre les verres. Le journaliste se félicita d'avoir fait préparer un stock de vodka spécialement pour lui. Les gens de Riluvi, cette lointaine région enneigée du nord, ne tournaient pas à l'eau, même leur hauts diplômates. Militairement parlant, la région Riluvi avait bien trente années de retard, mais il s'agissait en l'occurrence de l'allié du Grand Empire qui serait sans doute le moins difficile à convaincre de cette salle. Les riluviens avaient toujours vécu sous le joug de dirigeants autoritaires, mais ils aimaient ça. Ils vénéraient l'ordre et un gouvernement fort. Ce fut donc tout naturellement qu'ils se sont rangés derrière Venamia lors de la Guerre Mondiale.
Galar, le Saint Empire Nuk, la Hanse et Riluvi... A eux quatre, ces pays imposants possédaient bien 30% du potentiel militaire mondiale. La FAL en avait plus, certes, mais cette dernière était unie que sous les lettres d'une constitution. Rien de bien solide, en somme. Esliard voulait lui réunir ces pays avec le Grand Empire en faisant appel à leur avidité. Il n'escomptait pas les réunir tous d'un coup ce soir, mais ce petit sommet était le premier pas dans son petit projet politique visant à miner les fondations de la FAL pour renverser progressivement la balance. Venamia serait fière de lui !
***
- Quelle putain de blague, fit Anna Tender en secouant la tête devant l'écran. On dirait de la télé-réalité.
- Ce connard de journachiasse a toujours aimé la comédie, commenta Zeff.
- On est pas vraiment en droit de critiquer, après toute la mise en scène qu'on a faite pour CTL, leur rappela Galatea. À chacun sa petite propagande. C'est de bonne guerre.
- Sauf que la guerre, ils l'ont perdu, cracha Anna. Ces gros débiles ne peuvent tout de même pas espérer recréer leur empire de merde après tout ce qui s'est passé et ce qui est en train de se passer maintenant ?!
Alors qu'ils revenaient de Kanto après leur combat et qu'ils guérissaient de leurs blessures, la X-Squad avait été conviée sur le pont du Giovanni par le Général Tender, pour assister à ce direct inattendu depuis Lunaris, où les impériaux rescapés et leurs alliés s'étaient réunis. Esliard était parvenu à diffuser ça dans le monde entier. Comment ? Arceus seul le savait. Et même si ça dégoûtait la Team Rocket que de voir les vestiges de cet État criminel qui était née d'elle-même en train de se reconstituer, tous les membres d'équipage le regardaient, car ça avait son importance.
- Quelle ignominie que ces faquins eussent commis en souillant la noble salle du trône de Sa Majesté Octave pour leur assemblée indigne ! Tonna Djosan. Que je ne pusse croire que certains de mes compatriotes aient pu se joindre à ça !
En effet, parmi les militaires, les hauts fonctionnaires, les anciens Rockets et dignitaires d'autres pays, il y avait quelques lunariens, reconnaissables à leurs tenues moyenâgeuses. Certains avaient sans doute gobé les mensonges du Grand Empire, comme quoi la bombe Arctimes et la mort de leur prince-héritier Julian était du fait de la FAL.
Mercutio ne voyait pas bien ce que pouvait espérer Esliard et les autres. Ils ont eu de la chance de pouvoir se tirer en vie et libre de la chute du Grand Empire, et voilà qu'ils voulaient réitérer leur folle aventure qui avait coûté la vie à des millions de gens et permis à Horrorscor d'avancer masquer tout en récupérant sa puissance ? Les plus écœurés, c'étaient sans nul doute Anna et le général Tender. Si Anna ne mâchait pas ses mots contre les impériaux, et en particulier contre son propre père qui avait pris leur tête après s'être échappé de Doublonville, Tender lui n'avait pas ouvert la bouche, mais son regard traduisait toute la répulsion qu'il éprouvait. Lui, plus que quiconque, haïssait le Grand Empire, pour diverses raisons légitimes, la première étant bien sûr que Venamia avait été sa fille.
À Doublonville, la reine Eryl et les Hauts Conseillers de la FAL étaient eux aussi devant un écran. Tandis que plusieurs techniciens s'activaient en interne pour tenter de trouver l'origine de se piratage de fréquence, Wasdens ne perdait pas une miette des paroles prononcées par chaque participants. Aucun d'entre eux ne semblaient se rendre compte que le monde entier pouvait les entendre. Esliard ne les avait sûrement pas prévenu qu'ils étaient en direct. Et le connaissant, lui et ses méthodes, ce n'était sûrement pas dans un souci de transparence.
- Comme toujours avec Esliard, il s'agit de manipuler le grand public, expliqua Silvestre. Il se doute que les anciens alliés du Grand Empire n'oseront jamais le soutenir à nouveau. Ce n'est pas eux qu'il vise, mais l'opinion publique. En les montrant tels qu'ils sont, sans filtre et en direct, il pourra se targuer de démontrer que l'échec des négociations ne vient pas du Grand Empire, mais des autres, égoïstes et cyniques. Il compte ensuite sans doute prospérer sur les difficultés que nous rencontrerons contre l'Armée des Ombres, pour que les citoyens du monde voient le Grand Empire comme leur dernier espoir. Alors, et alors seulement, les pays comme Galar et les autres seront bien obligés de revenir dans les rangs.
Eryl écouta à peine l'analyse de Silvestre. Elle se fichait aussi des négociations concernant le Grand Empire. Elle se forçait à regarder cette farce uniquement pour grappiller des informations concernant Erend. Ça devait être la même chose pour Imperatus, dont les yeux noirs en amandes n'avaient pas cillé une seule fois.
Elles n'eurent pas trop à attendre, et furent gratifiées de bien plus que de simples citations. En effet, quand tout le monde fut visiblement arrivé, et que Esliard attira leur attention en tapant avec une cuillère sur son verre de champagne, les portes de la salle du trône s'ouvrirent dans un grand fracas, comme si elles avaient été défoncées de dehors. Les gardes à l'intérieur se précipitèrent, armes au poing, et plusieurs participants se mirent à gémir de peur. Accompagné d'une dizaine de gardes – de guerriers lunariens en passant par des soldats du Grand Empire – Erend Igeus, terrible et effrayant dans son armure noire intégrale, entrant dans la salle du trône, sous le regard du monde entier... et sous celui d'Eryl, qui ne manqua pas de remarquer son œil rouge, comme celui de Venamia ou du Marquis. Devinant les implications de cela, elle ne put retenir ses larmes de couler.
***
- Que signifie tout ceci ?! S'écria Bovus Ronchon, son tempérament galarien le poussant à être plus outré qu'effrayé.
Esliard, lui, recula précipitamment sous le regard bleu et rouge d'Igeus. Il se demanda même s'il devait arrêter la diffusion en direct. Mais il se retint. Si ce vengeur des ténèbres compter tous les massacrer, autant que le monde entier admire. Ce serait une scène qui rentrerai dans la postérité.
Des soldats de Kasai Tender arrivèrent de tous les côtés de la salle. Ils étaient bien plus nombreux et bien plus armés que les quelques gardes d'Igeus, mais après avoir lu les rapports narrant la façon dont bien des place-fortes impériales étaient tombés, Esliard savait que c'était futile. Même s'il était venu seul, Igeus aurait facilement pu tous les tuer. Intérieurement, il se maudit de n'avoir pas pu penser à un tel coup de folie de la part de l'ancien rival de Venamia. S'en prendre quasiment seul à la capitale des vestiges impériaux, à des lieux des régions où il avait monté sa révolution, était si dingue qu'Esliard ne l'avait même pas envisagé.
- Il n'est nul besoin de violence en ces lieux, dit pourtant Igeus de sa voix artificielle. Je ne suis pas venu me battre. J'ai juste constaté avec une certaine déception que je n'avais pas reçu d'invitation pour participer à cette assemblée. J'imagine qu'elle a dû se perdre en chemin.
Esliard fronça les sourcils. À quoi jouait-il ? Tender s'avança vers lui, apparemment sans peur. Son esprit purement militaire n'étant pas calibré pour tenter de deviner des intentions cachés derrière les paroles, il demanda simplement :
- Et pourquoi auriez-vous été invité ? Vous êtes tout sauf un allié du Grand Empire, monsieur Igeus. Vous n'êtes plus rien, d'ailleurs. Juste une épave qui désormais doit assassiner et détruire pour exister.
Beaucoup de monde crurent que le Sauveur du Millénaire allait tuer Tender sur le champs pour ces paroles, mais étrangement, un rire amical s'échappa du masque cybernétique effrayant.
- Vous avez à moitié raison, général-en-chef. Effectivement, je ne suis plus qu'une épave. Tout le mérite en revient à ces chers messieurs de la GSR, Naulos en particulier. Votre brave ex-Dirigeante Suprême éprouvait un certain intérêt à voir mes différentes parties du corps être arrachées, voyez-vous ? Mais je ne la juge pas. À chacun ses petits plaisirs de la vie.
Son léger ricanement se changea et véritable éclat de rire tout bonnement effrayant, et Esliard eut la certitude que cet homme était fou. Mais après ce que Venamia lui avait fait subir pendant presque un an, c'était tout à fait normal.
- Mais vous avez tort pour le reste, reprit Igeus après s'être calmé. Je suis bien un allié du Grand Empire. Je ne souhaite que son bien. C'est à cet effet que j'ai entrepris de commencer à le nettoyer de sa vermine corrompue. Ceux qui me suivent, lunariens comme impériaux venus de Johkan, sont prêts à le refonder à mes côtés, en un pays fort et juste. J'ose espérer que c'est aussi le cas pour certains d'entre vous ici.
Esliard savait que c'était à lui d'agir maintenant, avant que d'autres insultes fusent. Il devait être professionnel, toujours. Il s'avança vers Igeus et lui posa sa question de la même façon qu'un journaliste aurait questionné un homme politique.
- Monsieur Igeus, veuillez nous éclairer. Le monde entier vous écoute. Même si vous n'étiez pas convié, nous voulons entendre vos justifications et la nature de vos projets.
- Ah, ce cher Esliard... Votre idée de tenter de refonder le Grand Empire en réunissant tous ses protagonistes était louable, mais n'aurai abouti à rien de concret. Tout simplement car aucun d'entre vous ici n'a la stature ou la légitimité pour prétendre diriger ce pays. Un État ne reposant pas sur des bases solides n'a aucune chance de survivre longtemps. Faire chuter la FAL et repousser le Marquis des Ombres ne doivent pas être des buts en soi. Il faut voir plus loin.
- Vous étiez le numéro un de l'alliance adverse lors de la Guerre Mondiale, lui rappela le Haut Commodore Mittermayer, du Saint Empire Nuk. Vous n'aviez pas la possibilité de « voir plus loin », alors ? Pourquoi êtes-vous ici, et non avec votre FAL ?
- Ce n'est pas ma FAL, répliqua Erend. Elle a été fondée sans moi. Un pays fédéral accordant tant de liberté et de choix décisionnels à ses différents états-membres ne pourra devenir qu'un nid bureaucratique impossible à diriger. Il ne correspond pas à l'idée que je me fais de l'unification du monde.
- L'unification du monde ? Répéta Tender, estomaqué.
- Naturellement. C'est ce à quoi j'aspirais depuis le début. Un seul pays, pour une seule planète. Que tout le monde marche à l'unisson, dirigé par un seul individu éclairé, fort et sage. Plus de guerre, plus de rivalité. La pleine et entière harmonie. Un ordre éternel.
- C'était ce à quoi aspirait aussi Lady Venamia, si je peux me permettre de vous le rappeler, indiqua Esliard. Et pourtant, vous n'avez cessé de la combattre. Est-ce parce que vous vouliez être ce dirigeant éclairé, fort et sage vous même ?
- Pas nécessairement. Mais je ne voulais surtout pas que ce soit Venamia. Soyez sincères envers vous-mêmes, messieurs dames. Venamia était une despote tyrannique qui ne se souciait aucunement du peuple qu'elle dirigeait. Elle était également très instable. Mon apparence actuelle devrait vous servir de preuve. Quelle personne saine d'esprit aspirerait à visionner des sévices physiques des mois durant ? Et cette fameuse bombe Arctimes, c'était aussi son idée. Non, Venamia n'était pas digne de diriger ce monde. Il n'aurait été qu'un lieu de misère et de répression sans fin sous son règne. Voilà pourquoi je l'ai combattue. Mais je n'ai jamais condamné son idéal. Je l'ai même approuvé depuis le début, même si je devais montrer en public le respectable visage d'un amoureux de la démocratie.
Il n'y eut pas grand monde pour protester d'indignation, sur ce coup là. Tout le monde ou presque ici savait à quoi s'en tenir concernant Venamia.
- Et donc maintenant, qu'est-ce que vous suggérer ? Demanda le Premier Ministre de Galar. Qu'on se rallie à vous pour cette fameuse unification mondiale ? Simplement parce que vous avez une belle armure noire et quelques traîtres qui vous suivent ? Ou bien parce que vous arborez ce titre ridicule de Sauveur du Millénaire ?
- Mon titre ne regarde que moi. Mais effectivement, je sauverai ce millénaire, avec ou sans votre aide. Mais concernant votre question : non. Je ne demande pas que vous vous ralliez à moi. J'ai un candidat naturel et légitime pour prendre la tête du Grand Empire. Je l'ai même amené avec moi, car son fauteuil se trouve juste ici.
Il désigna le trône de Lunaris au fond de la salle. Au même moment, l'un des guerriers lunariens à côté de lui se mit à s'avancer. Il retira sa cuirasse brune, ses gants et ses épaulières, révélant une tenue richement brodée de rouge et de bleu, les couleurs du Grand Empire. Il enleva aussi son casque, laissant tomber sur ses épaules une chevelure bleue claire.
C'était un adolescent qui ne devait avoir pas plus de quinze ans qui s'avançait tranquillement au milieu des convives, en direction du trône. Les autres le regardèrent passer avec des murmures d'incompréhension. Esliard aussi était perdu, mais quand le jeune homme passa devant lui, et qu'il vit son visage de près, il en resta pétrifié. Il ne fut pas le seul. Le monde entier vit cet adolescent monter les marches du trône et s'asseoir dessus. À bord du Giovanni, la X-Squad resta perplexe devant ce qui était en train de se passer.
- C'est qui ce gus ? Demanda Bertsbrand.
Personne ne sut répondre, mais quand l'écran zooma sur le visage du jeune homme, Galatea s'approcha, plissant les yeux pour l'observer de près, puis mit les mains devant sa bouche en un geste d'ébahissement horrifié.
- C'est... Impossible…
Mercutio lut la réponse dans l'esprit de sa sœur avant de reconnaître le garçon. Le général Tender manqua de perdre l'équilibre sous le choc, et Djosan tomba à genoux. À Doublonville, les membres de la FAL étaient aussi abasourdis, surtout Imperatus et Eryl qui avait passé beaucoup de temps avec le garçon en compagnie d'Erend.
- Doux Arceus... jura Eryl. Comment cela se peut-il ?
Entre ceux qui avaient reconnu le jeune homme et ceux qui étaient restés dans l'expectative, le monde entier n'avait plus d'yeux que pour lui. Après s'être confortablement installé sur le trône, en une posture digne et royale, l'adolescent déclara d'une voix puissante et mesurée :
- Je suis Julian oc Lunaris, souverain légitime de l'Empire de Lunaris et héritier du Grand Empire de Johkan.