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Projet Triple 3 de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 09/05/2020 à 07:38
» Dernière mise à jour le 19/09/2020 à 16:52

» Mots-clés :   Organisation criminelle   Présence d'armes   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de Pokémon inventés   Terreur

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Chapitre 8 : Gardes du corps
Par un étrange coup du sort, le Sbire qui vit arriver le contingent promis par Giovanni était le même qui, des semaines plus tôt, avait accueilli Auguste. Le temps se faisait de plus en plus froid ; dans cette région, l’hiver commençait à prendre ses quartiers en Octobre, et Novembre était bien entamé. Sans cela, peut-être le quinquagénaire aurait-il posé sa chaise longue à l’extérieur pour profiter du soleil de fin d'après-midi, et peut-être aurait-il ainsi évité bien des soucis.

Mais il s'était installé à l'intérieur, comme toujours. Il était tout de même le premier Sbire informé sur ce qu’il y avait à l’extérieur de la base : on n’avait pas installé de vidéosurveillance de la route qui montait au monastère. Il n’y avait pas d’endroit assez discret.

Ainsi, le garde n’avait pas la moindre idée de ce qu’il y avait de l’autre côté de la porte. Il était simplement le fusible qui pouvait sauter quand on entrait. Un simple classe un. On entra soudain, en ouvrant brusquement la porte.

Eh là, lança le Sbire avec un certain agacement. C’est fragile, ces portes en papier, faîtes gaffe.

Le Sbire qui entra était des plus banals ; juste une autre tête pas très bien visible avec la gavroche qui lui retombait sur les yeux, un autre uniforme maintenu en place par la discipline et l’obéissance. Pourtant, celui-là ne se serait pas abaissé à garder une porte. Il y avait quelque chose, une sorte de pressentiment qui susurrait à l’oreille du garde : ça c’était un classe trois. Un Sbire qui assurait en combat, et qui n’était pas là pour parler à un garde, mais pour combattre au nom du Boss.

Le garde se sentit le prendre en grippe. Ce n’était pas simplement cette certitude que l’autre était meilleur, cette rancœur qu’un Dresseur qui stagnait en bas de l’échelle depuis vingt ans entretenait envers les bons ; non, il y avait autre chose. Quelque chose, dans ce Sbire nouveau-venu, que le garde trouvait rabaissant. Oui, je garde une porte, et alors !

Charmant accueil, lâcha l’autre d’une voix glaciale. Ceci alors que nous arrivons pour régler la situation ; vous n’allez tout de même pas nous laisser dehors ?

En effet ; une vingtaine d’uniformes piaffaient derrière lui, fraîchement débarqués d’un minibus qui s’éloignait déjà. Le garde se contenta de poser sa main sur la porte en prenant un air vache. Elle était grande ouverte, il n’était pas dans le passage et il se sentait une féroce envie de le signaler. Au lieu de quoi il fit pire : il s’entendit attaquer les nouveaux venus du point de vue de la Team.

Ah, oui, on nous a dit que vous arriveriez. Vous êtes les bienvenus, évidemment, mais on vous a peut-être mal renseignés. Il n’y a pas de situation à stabiliser, elle est déjà sous contrôle.

— Avec un mort ? cracha l’autre en faisant bien sentir qu’il n’admettrait pas qu’on critique ses supérieurs en face de lui.

— La situation a été tendue, nota le garde. Maintenant, elle est sous contrôle. Mais je reconnais que vous serez une sécurité rassurante.

Il aurait bien voulu dire, un sacré défi à nourrir ; ou traiter de lèche-botte ce parvenu coincé, ça l’aurait peut-être un peu déridé. Il s’abstint ; l’autre avait l’air d’avoir rencontré une ordure sous sa chaussure, et semblait tout à fait prêt à s’en débarrasser.

Humph, renifla le classe trois avec une élégance détestable. Conduisez-moi au responsable de cette base.

Aïe. Ça serait bien s’il pouvait ne pas trop insister.

Alors, commença le garde. Ça pourrait poser problème.

— Est-ce. Possible. Ou. Non.

— Ce… n’est pas impossible, mais ça—

— Je ne vous ai pas demandé ce que vous en pensiez !

— Je—

— Oui ou non.

— Écoutez—

— Oui ou non.

— Oui.

— Vous voyez !

— Mais !

— Non.

— Si vous pouvez patienter, ça se passera mieux…

L’autre ne l’écoutait plus, il avançait à grands pas dans le monastère. Comme un conquérant. Le garde sentit que tout ça allait mal tourner. Entre ce Sbire imbuvable et les résidents de la base, mis à cran par la semaine précédente, ça risquait déjà bien assez de déraper ; mais en plus, il se mettait en tête d’aller voir le Champion ? Maintenant ? Ça puait.

***
Depuis sa naissance, à peine une semaine plus tôt, la chimère avait pris beaucoup de poids. Elle arrivait déjà au garrot d’Adèle ; et étant plus longiligne, elle était déjà aussi longue que l’Arcanin. Si elle avait à nouveau essayé de sauter sur son dos, le Pokémon Feu aurait eu plus de mal à la faire voler d’une simple Surchauffe.

Cela ne l’avait pas empêché de la mater facilement quand Auguste était entré dans le local 101’. Maintenant, la chimère était immobilisée par la moitié de l’équipe du Champion. Elle se débattait faiblement ; la piqure d’anesthésique qu’Auguste lui avait infligée faisait son effet. Il constata cela avec satisfaction ; il n’aimait pas beaucoup ce qu’il allait faire, et cela le rassurait que le produit chimique fonctionne. Si Canaima pouvait ne pas trop souffrir, Auguste ne s’en porterait que mieux.

Vu la croissance rapide de la chimère, vu la situation complexe dans la base, à cause de la possibilité de devoir écourter la durée des expériences (Giovanni pouvait se lasser du projet, surtout s’il dérapait encore une fois ; alors, comme David l’avait involontairement signalé, des voix pourraient demander la mort de Canaima), et puis grâce à la grande quantité de scans qui avaient déjà été effectués… Auguste avait pris la décision d’accélérer de lui-même la fin du projet, de passer à une sorte de dernière phase. Si l’on pouvait dire ainsi. Cela revenait simplement à augmenter la cadence des expériences, en fait, en gardant à l’esprit (en admettant, pour certains) qu’une fois que tout serait fini, euthanasier la chimère serait effectivement la chose la plus humaine à faire.

Ses tremblements spasmodiques ne cessaient jamais, même quand Adèle l’assommait. Ils ne faisaient que faiblir, s’espacer. Quand cela lui sembla sûr, Auguste demanda à ses Pokémon de lâcher la chimère. Elle ne réagit pas ; il termina rapidement de sortir ses instruments de la trousse médicale qu’il avait amenée, et de les disposer sur un linge à même le sol. Canaima était devenue trop large pour tenir sur une table de la base, au grand dam du scientifique qui devrait travailler agenouillé.

Auguste attrapa un scalpel.

Cela faisait des années qu’il n’avait pas réalisé d’amputations : habituellement, cela ne servait pas à grand-chose. Ici, cependant, pouvoir travailler directement sur le système nerveux de la chimère était indispensable pour le comprendre ; il s’agissait de simuler et de comprendre des signaux nerveux, ce que des électrodes ne suffisaient pas à faire. Peut-être d’ici quelques années ; peut-être grâce aux travaux réalisés sur Canaima. Qui pouvait savoir à l’avance ce qu’il avait à apprendre ?

D’abord, inciser le derme. En douceur et proprement, une coupure très nette était indispensable. Le sang de la chimère, aussi rouge que celui des Pokémon vertébrés, se mit à couler doucement ; puis à flot, comme le Champion prenait une lame plus longue et séparait les tissus. Malgré son manque de pratique, il parvint à réaliser une section propre autour de l’os ; il ne serait pas trop difficile d’y accéder avec la scie.

Selon les scans, les pattes de la chimère comptaient chacune une bonne trentaine d’articulations à l’angle faible, ce qui leur donnait leur flexibilité caoutchouteuse. Cependant, Auguste avait choisi de ne pas en attaquer une ; ce serait moins propre que de sectionner l’os, et la plaie serait plus complexe à réparer. En s’y prenant proprement, il n’y aurait qu’à suturer tous les vaisseaux sanguins, enrober les faisceaux nerveux dans un gel isolant et injecter une faible dose d’un cocktail toxique dans les muscles, puis à poser un bandage. Canaima en sortirait presque sans aucune marque, ni aucun inconfort.

Claire fit irruption dans le local au moment où le Champion s’efforçait d’insérer la scie circulaire dans la plaie sans rien abimer autour. Elle n’eut le temps de lâcher que quelques mots, malgré l’énervement qui la faisait parler à une cadence de marteau-piqueur.

Les Sbires viennent d’arriver et un connard vous demande des ordres, je suis désolée je n’ai pas pu l’empêcher de…

Le connard la repoussa sans ménagement sur le côté, n’accordant pas plus d’attention à cette classe trois moins douée que lui qu’il n’en avait concédée au garde placé à la porte du monastère. Il eut un peu plus de mal à ignorer le scientifique en combinaison de plastique étanche, verte comme celle d’un chirurgien, mais en train de se colorer d’un sang rouge comme celui d’un humain, coulant d’une sorte d’abominable hybridation d’Insecte, de Serpent et d’Araignée.

On avait beau lui avoir donné une description détaillée de la chimère, il eut du mal à s’empêcher de vomir. Claire adressa un clin d’œil à son patron, lequel se remit à diriger délicatement sa scie dans la plaie. Si le Sbire n’était pas commode, autant conserver cet avantage déloyal dans la conversation. D’ailleurs, on n’interrompait pas une opération aussi lourde qu’une amputation.

Bon, c’est pour quoi ? attaqua-t-il d’un ton de Granbull.

— C’était pour inspecter cette base, riposta le Sbire encore plus agressivement. Il s’avère qu’un seul regard suffit pour voir que l’homme censé être mon supérieur hiérarchique est un monstre de laboratoire. En cas de doutes sur le commandement, je vais devoir en référer à ma hiérarchie…

Après un Sbire de classe un et une Claire de classe trois prompte à s’énerver, il avait réussi à s’aliéner le Champion de Cramois’Île en un temps record. Seuls les gens osant envoyer une Araignée en combat contre lui avaient fait mieux ; et il sentait le même type de moutarde venir lui chatouiller le nez en entendant ce Sbire faire comme chez lui.

Écoute-moi bien, tête de Moufouette, grogna-t-il en déclenchant la scie circulaire (mais sans appuyer, il voulait quand même être entendu). Quand j’aurai besoin de quelqu’un pour récurer les chiottes ou pour faire chier un politicien trop con pour savoir épeler Rocket, je penserai peut-être à ta sale trogne. En attendant, je suis un tout petit peu occupé, et si t’as rien de plus constructif à dire, tu fous le camp.

L’autre tenta de surenchérir, mais sa voix ne suivait pas son ambition. Auguste doutait d’ailleurs que quiconque puisse couvrir le hurlement d’une scie en train de découper un os. Peut-être les chanteurs de ces styles de musique de plus en plus extrêmes qui se développaient ces dernières années ?

Bah. Quoi qu’il en soit, ce Sbire prétentieux en était incapable. La vision de ce scientifique en train de désosser une créature monstrueuse comme s’il faisait ça tous les jours ne le fit pas réfléchir pour autant : aussitôt la découpe terminée, il revint à la charge sans même laisser à Auguste le temps de ressortir son outil.

Ça m’embête, mais je vais devoir vous demander des ordres de mission, une affectation sur la base pour chacun de mes Sbires, et les emplacements où déposer nos fusils, afin de la pacifier selon la volonté du Boss.

— Tes Sbires, releva Auguste en agitant la scie dans sa direction. Ce sont mes Sbires, et je pense que tu es aussi imbuvable qu’eux tous réunis. Tu ne les représentes certainement pas, et tu vas te mettre ça dans la tête. Et vous n’êtes pas ici pour pacifier une base hors de contrôle, mais pour en améliorer la sécurité : c’est à vous de vous intégrer, vous n’avez pas à vous imposer ! Je vous accueillerai comme il se doit quand j’aurai les mains libres. Mais si tu veux faire ton coq, n’hésite pas : mon Arcanin s’ennuie !

Cette fois-ci, le Sbire ne réagit pas, ce qui confirma à Auguste que cet idiot ne jurait que par la force de ses Pokémon. Et il osait tenir tête au septième Champion de la Ligue de Kanto !

Incapable d’en soutenir davantage (les mains d’Auguste étant occupées par une scie circulaire et une patte d’insecte dont giclait du sang à l’air humain, et agitée de convulsions), le Sbire tourna les talons, et retourna dans le couloir en essayant de garder un air digne. Le Champion s’attela simplement à recoudre la plaie que sa chimère portait désormais au flanc.

Il devinait bien que l’autre allait rapporter sa version des faits à tous ceux arrivés avec lui, mais que pouvait-il y faire ? Il ne pouvait pas abandonner Canaima là, elle avait besoin de soins ; et il doutait que les autres scientifiques les lui donnent de bon cœur…

***
Cela commença dans la cuisine. Le mot d’ordre s’était répandu rapidement ; les vingt Sbires envoyés par Giovanni devaient se connaître, car ils furent vite au courant de l’altercation de leur pire teigne avec le Champion. Et peu après que ce dernier soit sorti du local 101’, un groupe décidé à provoquer du grabuge investissait le repère d’Ike.

Ce n’était pas une pièce très grande ; Ike et Claire, qui était revenue prendre une leçon de cuisine, y tenaient facilement ; mais avec trois Sbires de plus, la promiscuité aurait été dérangeante même s’ils avaient été animés de bonnes intentions. C’était presque le cas.

Ils comptaient participer au repas du soir ; Ike ne s’en formalisa pas. Avec désormais une trentaine de bouches à nourrir, six bras de plus ne seraient pas de trop dans la cuisine.

Bienvenue ! lança-t-il donc d’un ton enjoué. On a prévu un poisson-riz ce soir, n’hésitez pas si vous voulez faire le riz !

— Poisson ? Bêh, rétorqua l’une des arrivants. C’est pollué, ‘faut pas manger c’tte saloperie.

— Ça sera pas plus pollué que de l’Écrémeuh, intervint Claire avec toute la diplomatie dont elle était capable.

— Ou que la trogne du Champion ! persifla un autre des nouveaux-venus.

Il ne vit pas venir le coude de Claire, et sans doute elle-même ne se rendit-elle compte qu’elle l’avait lancé que quand il atterrit dans la mâchoire de l’autre. Ce n’était pas la chose la plus maligne à faire, mais cette attaque éclair fit perdre contenance aux Sbires. Juste pendant un instant (légèrement allongé pour celui qui avait pris le coup), mais ce fut bien assez.

Il était bien sûr interdit aux Sbires de s’attaquer mutuellement, excepté dans le cas d’un entraînement. Donc tout le monde s’y mit sans attendre : la moindre seconde passée à réfléchir pouvait signifier un coup en traître à prendre.

La cuisine étroite rendit le pugilat très confus. Claire et Ike avaient néanmoins l’avantage de ne pas avoir un Sbire à moitié KO dans les pieds. La victime de Claire n’était qu’à quelques centimètres devant eux, ce qui était bien assez pour gêner surtout son propre camp. D’autant que le cuistot et la responsable de la base ne se gênèrent pas pour lui marcher dessus quand la bousculade l’eut rapproché du sol.

La mêlée se résolut assez rapidement ; il n’y eut qu’une ou deux volées de taloche, une riposte mal organisée, une bordée de jurons et de grognements, et les perturbateurs se faisaient expulser de la cuisine manu militari.

Claire et Ike ne prirent pas une seule seconde pour triompher. Elle avait espéré que l’altercation avec Auguste suffirait ; mais le Sbire remis en place par le Champion avait apparemment convaincu ses camarades de le venger. Ou au moins de mal se comporter. La responsable décida donc de partir prévenir Auguste ; non sans laisser son Malosse à Ike au passage.

Garde-le, enfin, s’ils décident de t’agresser dans les couloirs, tu en aura plus besoin que moi !

— Oui, mais s’ils décident de t’agresser ici, tu en aura beaucoup plus besoin que moi. T’as entendu, Malosse ? Maintenant, Ike est ton jouet ! Tu ne le laisses pas sortir, et tu ne laisses personne lui faire du mal.

Même des années plus tard, Ike ne trouverait jamais que répondre à cela.

Le chemin de la cuisine au local 101’ était plutôt court. La première avait été établie au premier sous-sol, tandis que comme son nom l’indiquait (mal), le local était au second, proche des escaliers. Pourtant, Claire eut le temps de croiser son lot d’ennuis. Le premier frappa alors qu’elle passait devant la porte ouverte de la salle 016, demeure de la console de salon sur laquelle les Sbires avaient passé la moitié de l’automne.

Il y avait tout simplement une demi-douzaine de Sbires nouveaux-venus en train de farfouiller dans les câbles électriques, entre le mur et les meubles. Donc, d’empêcher le bon déroulement de la partie. Et un peu plus loin, un scientifique et deux Sbires les regardaient avec indignation. Une manette encore dans les mains dans le cas du scientifique ; Claire reconnut David. Elle entra.

Heey !

Elle s’était efforcée de prendre un ton enjoué — ces six Sbires se comportant comme des abrutis ivres, autant se faire discrète, peu importe combien elle détestait cela. Toutes les têtes se tournèrent vers elle tout de même.

Dave ! reprit-elle. Je te cherchais ; tu veux pas venir un instant ?

— Je… Ouais, j’arrive.

Les deux autres joueurs comprirent rapidement, et le suivirent. Quant aux six autres, il se retrouvèrent seuls dans une salle, à triturer des câbles sans que cela n’embête plus personne. Eux qui espéraient un peu d’action durent admettre que provoquer un accident comme celui de la cuisine à six, ce n’était pas une excellente idée.

Bien vu, Claire, reconnut David une fois dans le couloir.

— Quelle bande de petits cons ! cracha-t-elle en réponse. Tout ça parce que leur chef n’a pas voulu perdre la face devant Auguste ; j’arrive à peine à croire qu’ils font partie de la même Team que nous !

— Carrément… As-tu besoin de moi ? Je veux, dire, sérieusement ?

— Oui et non. Je pensais retourner voir Auguste, et peu importe qu’il travaille à cœur ouvert, parce que ça ne peut plus durer. En même temps si tu pouvais zoner dans les couloirs et essayer d’apaiser un peu les conflits, ça serait cool.

— Pas de problème !

Ils se séparèrent à l’intersection suivante. Puis David revint précipitamment sur ses pas, rattrapant Claire.

En fait, on peut faire mieux. Occupe-toi des couloirs, je vais toper Auguste. S’il n’a pas terminé, je pourrais… euh, prendre la relève. Enfin — j’espère, mais on a trop besoin de lui.

— Tu sais bien que je n’ai aucune diplomatie, râla Claire. La prochaine fois que je trouve des Sbires en train de jouer à qui est le plus con, je leur casse la gueule, et tant pis si c’est six contre une.

— C’est… bien dit. Mais je viens quand même.

— Tu ferais ça ? Je veux dire… La recoudre ? C’est vraiment pas très joli à voir…

— Je… hésita David . En fait, je — j’avais pensé que, simplement, il allait… Je crois que personne d’autre dans la base n’a pensé à soigner la chimère après son opération.

— C’est vrai, admit Claire. Venant de lui, ça m’étonne…

— Alors qu’il est arachnophobe. Et seul lui a pensé à ça. Et je me sens vraiment stupide, parce que si lui le fait sans rechigner, je n’ai aucune excuse pour ne pas l’avoir envisagé. J’ai l’impression d’être un vrai monstre mais c’est plus fort que moi je n’arrive tout simplement pas à considérer cette abomination comme—

— Oui alors s’il te plaît, les confessions psychologiques gênantes ça sera pas avec moi.

Ils arrivèrent aux escaliers. Ceux-ci étaient occupés par une Sbire qui jouait ostensiblement avec sa ceinture.

Halte ! cria-t-elle. Veuillez m’excuser, mais je dois vérifier votre niveau en combat.

— Sérieusement ? siffla Claire, tandis que David s’emparait d’une Ball avec résignation.

— Mes excuses, c’est la procédure.

Pendant un instant, Claire voulut s’épargner le combat et écraser son poing dans la figure de cette enfoirée. Elle ne supportait pas cette obséquiosité ; c’était pire que des insultes. Puis l’autre envoya un Arbok replet, qui avait toutes les chances d’être un utilisateur de Stockage. David, lui, avait envoyé son Munja. Et l’expression sidérée de la Sbire indiquait bien que son Pokémon n’avait aucun moyen de passer outre la Garde Mystik : ni Toxik, ni Mâchouille… Claire ne se fit pas prier pour s’esclaffer, tandis que David affirmait de son meilleur ton d’enfoiré :

Voilà qui me semble fort mal engagé. Si vous voulez, je veux bien vous laisser un peu de temps pour changer de Pokémon…

L’autre bafouilla, confuse, cherchant un moyen d’éviter le ridicule. Puis une voix tonitruante s’éleva de l’escalier.

Qui est le fils de Tadmorv dégénéré qui se bat dans cet escalier ? Je ne veux voir personne quand je serai monté !

Claire et David reconnurent avec ravissement la voix d’Auguste. Et ils virent la Sbire perdre contenance et essayer de dégager le passage avant qu’il ne soit trop tard — trop tard : il avait beau avoir soixante ans, Auguste était assez bien conservé pour la prendre de vitesse. Il avait passé tellement de temps à courir derrière Adèle sur le flanc du volcan de Cramois’Île qu’un escalier de seize marches le fatiguait moins qu’un ascenseur.

Halte-là, mon gaillard ! Inutile de vous enfuir, je vous ai vue !

— Je, euh, je, euh… bredouilla la Sbire prise entre deux feux.

— Auguste, je te cherchais, lança Claire.

— Qu’y a-t-il ? demanda Auguste en reprenant son sérieux.

— On a besoin de toi ; le Sbire que tu as recadré tout à l’heure a convaincu ses camarades de mettre le boxon. Je sors d’une bagarre dans la cuisine, et comme tu le vois…

— Le boxon ? grogna Auguste avec un demi-sourire qui n’annonçait rien de bon. Le boxon ? Ce Qwilfish rabougri a décidé de mettre le boxon ? Dans MA base ? Ça va. Barder.

Il retroussa sa manche gauche et porta la main à son bracelet-téléporteur, en accentuant son sourire. Avec un soupçon d’effroi, David le vit déclencher l’alerte générale ; une sirène, brève mais insupportablement stridente, déchira l’air dans le couloir.

Ça attire mieux l’attention qu’une lumière rouge au-dessus des portes, se justifia le Champion avant de porter le micro à sa bouche. Votre attention ! Ici le chef de la base. Tout le personnel est appelé à se rassembler immédiatement dans la salle 216.

C’était celle qui avait servi à la Bataille Royale ; on y avait déplacé la salle à manger en apprenant que vingt Sbires de plus arriveraient. Après réflexion, il aurait peut-être mieux valu en aménager une deuxième. Mais qu’est-ce que le vieux fou avait en tête ? se demanda David.

Veuillez abandonner toute activité en cours ; personne n’est censé être en train d’effectuer une action ne pouvant pas être interrompue, alors je ne veux pas d’excuses. On m’a fait état de problèmes disciplinaires dans cette base, alors je vais relâcher mes Pokémon dans les couloirs, avec ordre de brûler les retardataires. Seulement au quatrième degré, ne vous inquiétez pas. Ça ne vous fera pas mal longtemps avant que vous ne tombiez dans les pommes.

— C’est radical, signala David une fois le micro éteint.

— J’ai pas l’intention de sermonner la base ; d’ailleurs, Claire, ma solution risque de ne pas te plaire. Du coup, autant leur faire peur dès maintenant.

— Comment ça, ta solution ? releva l’intéressée. Tu veux dire que tu y as réfléchi ?

— C’était évident que ça tournerait comme ça.

Il avait pris un air blasé, mais David était sûr que le Champion était fier de sa prévoyance. Il n’avait pas forcément tort, d’ailleurs ; c’était tout de même son métier officiel comme ses activités officieuses consistaient à être prévoyant.