059. 4x13 - Le nouvel ami
Précédemment : Sofian veut devenir un champion d’arène et part en voyage dans Hoenn en compagnie de Flora, dont le rêve est de devenir une célèbre coordinatrice pokémon. À Clémenti-ville, il rencontre Timmy, un jeune garçon à la santé fragile, qui doit rejoindre Vergazon pour son traitement médical. Durant leur périple, Jessie, James et Miaouss, de la Team Rocket, intègrent la Team Magma qui leur donne la mission de fabriquer une machine mystérieuse. Un incident près de Lavandia rappelle à Sofian sa phobie des pokémons électriques. Flora participe au concours de Vergazon et gagne son premier ruban en affrontant Sofian qui finit par reconnaître l’intérêt de la coordination et le talent de Flora. Après un rendez-vous secret avec le détective mystérieux, Timmy choisit de rester à Vergazon pour tester le traitement médical.

Il existait dans la région de Hoenn une force mystérieuse qui contrôlait le climat, Sofian en était persuadé. Dans tous les cas, ce jour-là, la météo était à l’image de l’humeur de Sofian et non l’inverse. Une épaisse couche de nuages avait transformé le ciel bleu en un voile blanc terne et la température avait brutalement chuté, comme pour leur rappeler l’ambiance pesante et froide qui les accompagnait sur leur route vers Vermilava. Ou alors était-ce simplement l’hiver qui annonçait son arrivée en ouvrant la porte au mois de décembre ? Sofian préférait croire que le ciel lui jouait un vilain tour. Ainsi, il avait une bonne raison pour se cloitrer dans le silence austère de sa mauvaise humeur.
De leur côté, ses quatre pokémons ne s’étaient pas résolus à se laisser envahir par l’humeur de leur maître. Ils gambadaient gaiement le long du chemin décidé par les deux humains et contemplaient la nature comme si elle leur avait été offerte pour la première fois. Balignon se laissait porter sur le dos de Nirondelle qui avait décidé de manière autonome d’entraîner sa vitesse avec un poids, et Écrapince s’amusait à bloquer la route de Galifeu à l’aide de son attaque « abri » en cours de maîtrise.
Loin devant, Flora marchait en silence. Elle avait opté pour la solitude et gardait le regard dans le vague, sans se soucier de ce qui l’entourait. Un coup de vent siffla à leurs oreilles, et la jeune adolescente s’emmitoufla dans son manteau épais, cachant sa chevelure brune dans une capuche capitonnée. Ils passèrent le restant de la journée à marcher en silence, toujours droit devant, le long d’une route plate entourée de jardins floraux.
Le soir était tombé si vite, signe que les journées diminuaient en longueur. Un froid polaire s’était abattu sur la région. Malheureusement pour eux, ils avaient vite découvert que la route qu’ils avaient choisie et qui menait vers Lavandia n’était pas habitée. Ils se convainquirent donc à passer leur première nuit à l’odeur hivernale à dormir à la belle étoile… si seulement il y avait eu des étoiles !
Galifeu avait allumé un feu au centre d’un minuscule puits de grosses roches construit par Écrapince. Nirondelle battait de temps à autre des ailes afin de raviver la petite flamme crépitante. Toujours silencieuse, Flora s’était blottie près du feu, les bras serrés autour de ses jambes. Sofian avait longuement hésité, mais un nouveau coup de vent glacial l’avait poussé à se rapprocher d’elle afin de profiter de la chaleur dégagée par leurs deux corps.
Flora n’avait pas bronché. Bientôt, les deux amis étaient collés l’un à l’autre dans un silence écrasant. Comment la rassurer ? Comment lui donner envie de sourire à nouveau ? Sofian était incapable de trouver une manière d’effacer la tristesse sur le visage de son amie. Il se rendit alors compte que c’était la première fois qu’ils voyageaient seuls, Flora et lui. Son cœur se mit à battre dans sa poitrine. Et s’il finissait par y trouver un avantage ?
Finalement, Sofian se décida à lui adresser quelques mots réconfortants. Mais ce fut cet instant précis que Flora avait choisi pour se lever et déplier son sac de couchage à côté du feu. Sofian se ravisa donc.
Alors que Flora sombrait dans un sommeil paisible, la nuit sembla s’étirer en longueur. Il était devenu évidant que Sofian ne fermerait pas l’œil de sitôt. Il décida qu’il allait veiller sur leur campement improvisé. Le silence de la pénombre autour d’eux n’était perturbé que par le crépitement incertain des bouts de bois sous les flames du feu de camp. Alors, Sofian se mit à penser à Timmy.
Ils s’étaient quittés la veille. C’était la première fois en trois mois qu’il voyageait sans son ami, son tout premier ami à Hoenn. Où était-il à présent ? Bien au chaud à l’hôpital, se souvint-il. Une chance qu’il eût accepté de prendre son traitement, car le froid infernal de cette nuit n’aurait pas été de tout repos pour le jeune garçon malade. Sofian se rendit alors compte des dangers qui menaçaient son parcours dans Hoenn. Comment avait-il pu laisser un jeune garçon aussi fragile l’accompagner ?
Quelque chose craqua derrière lui, et Sofian se retourna à la volée. Galifeu l’avait entendu lui aussi. À côté de son maître, le pokémon balayait les environs de son regard perçant, à l’affut du moindre signe de danger. Le fait que son pokémon ne relâchait pas son attention confirma ce que l’instinct de Sofian lui soufflait à son oreille : il y avait derrière eux, caché entre les arbres, un être vivant qui rôdait. Fallait-il réveiller Flora ?
Si ce n’était qu’un pokémon sauvage, il pourrait gérer la situation. Comme pour l’approuver, Galifeu se positionna à côté de lui de sorte à être prêt à passer à l’offensive. Mais s’il s’agissait d’un être humain, ou pire… d’un membre d’une des deux Teams qui semaient la terreur dans Hoenn…
Sofian secoua légèrement Écrapince qui se réveilla difficilement, perplexe. Sofian lui fit signe de s’apprêter à défendre Galifeu en cas de pépin, et le crabe rouge répondit par l’affirmative tout en restant silencieux. Un autre craquement avait résonné toujours au même endroit, comme si la chose faisait les cent pas. Avait-elle aussi peur que lui ? Attendait-elle lequel des deux allait lancer les hostilités ?
Soudain, le feu de camp derrière Sofian termina la combustion d’une des branches qui maintenaient la structure en place et le monticule de bois brûlant s’effondra dans un bruit sourd. La chose avait bougé entre les arbres à cause du bruit du feu de camp. Sofian posa sa main au sol, prêt à se relever, mais une décharge d’électricité statique lui picota les doigts et il laissa un cri de surprise s’échapper de sa bouche. Le prédateur qui rôdait n’émit plus aucun bruit. L’instinct de l’adolescent s’estompa : la chose s’était enfuie.
Rassuré, Sofian examina ses doigts un instant. Pour une fois, sa phobie de l’électricité lui avait servi à sa propre survie. Mais comment l’herbe givrée de la route avait-elle pu être chargée en électricité statique ? Convaincu que la route devait être peuplée de pokémons sauvages, il décida de veiller sur Flora tout le restant de la nuit.
Le vent s’était levé dès les premières heures matinale du jour suivant. Ils avaient poursuivi leur marche, toujours silencieuse, toujours sous une ambiance morose accablante. Après avoir reconnu le même lac gelé autour duquel ils semblaient avoir tourné durant toute la matinée, Flora décida qu’il était temps de faire une pause. Elle ouvrit son sac à dos en se laissant tomber au sol glacial et en sortit une barre énergétique. Soudain, elle pouffa de rire discrètement. Mais elle ne put se retenir, et éclata bientôt d’un rire aigu.
Désarçonné par ce changement d’humeur brutal, Sofian la dévisagea.
— J’ai acheté ce paquet d’encas quand on était à Mérouville, expliqua-t-elle en essayant de reprendre sa respiration. Le soir-même où Roxanne a donné son nouveau Pokénav à Timmy.
C’était la première fois que Flora parlait depuis qu’ils avaient quitté leur ami à Vergazon. C’était aussi la première fois qu’elle prononçait le nom de Timmy.
— Et aujourd’hui, je m’apprête à manger ma dernière barre énergétique et on n’a plus le Pokénav.
Flora s’était arrêtée de rire aussi soudainement que cela l’avait pris au départ.
— Et on tourne en rond comme des imbéciles parce qu’on a toujours compté sur Timmy et son Pokénav pour nous montrer le chemin.
Sofian baissa les yeux. Lui aussi, il avait pu constater ces deux derniers jours à quel point Timmy avait été l’élément clé de leur survie dans Hoenn.
— Oui, Timmy en faisait beaucoup dans ce voyage, admit-il.
— À quoi ça rime ?
Sofian l’interrogea du regard.
— Où est-ce qu’on est en train d’aller comme ça ?
— A Vermilava, en passant par Lavandia, répondit Sofian, très premier degré.
— On tourne en rond autour de ce lac depuis ce matin ! Il y a un chemin vers Lavandia, un seul, et on n’est même pas foutu de le suivre sans se perdre. Et si on avait fait une erreur, Sofian ?
Et voilà, Flora disait tout haut ce qu’il n’avait pas cessé de penser tout bas. Jamais ils n’auraient dû poursuivre leur voyage sans Timmy, et pourtant ils avaient osé abandonner leur ami dans un moment critique de sa vie.
— Et si on s’était trompé à Vergazon ? Et qu’on était parti vers le sud, plutôt que vers l’est ? J’arrête pas d’y penser depuis hier et j’ai pas l’impression de reconnaître la route vers Lavandia.
— Attends, tu veux dire…
— Je pense qu’on devrait rebrousser chemin, histoire de voir s’il n’y avait pas un autre chemin vers l’est.
Sofian préféra acquiescer. Comme il se sentait bête, tout à coup. C’est alors qu’une idée lui vint en tête.
— J’ai peut-être une solution !
Il ouvrit d’un coup sec son sac à dos et fouilla avec énergie son contenu. Au tout début de son voyage, il s’était procuré un guide touristique de la région de Hoenn qui lui avait bien servi avant l’arrivée du Pokénav dans leur groupe.
— Avec ce guide, on va pouvoir se situer un peu ! Je ne sais pas où je l’ai mis, ça fait tellement longtemps que je ne l’ai plus sorti ! Bah, depuis la première fois qu’on est allé à Mérouville, d’ailleurs. Puis on a eu le Pokénav et… et on a été attaqué par la Team Aqua et… on a échoué en mer… et… et…
Sofian eut alors une image très claire et imaginaire de son guide au fond de l’océan.
— Si seulement il n’y avait pas autant de nuages, je pourrais me repérer avec le soleil, se lamenta Flora.
Les deux adolescents se laissèrent tomber l’un contre l’autre au bord du lac gelé. Un coup d’œil furtif l’un envers l’autre leur indiqua qu’il était temps qu’ils en parlent.
— Sans Timmy, ce voyage n’a plus beaucoup de sens, avoua Flora.
— Oui, c’est ce que je pense aussi, marmonna Sofian.
— Même quand on était perdu ou que la route était longue, le temps passait plus vite, non ?
— C’est sûr que c’est… différent. Et puis, on avait toujours la Team Rocket pour nous distraire de temps à autres.
— C’est vrai, tiens, ça ! Ils sont passés où ceux-là ? Ça fait longtemps qu’on ne les a plus croisés ces trois idiots !
— Depuis le Site Météore, en début du mois.
— Depuis qu’ils sont dans la Team Magma… Tu crois qu’ils sont… fin, tu vois ce que je veux dire ? Qu’ils auraient… échoué une mission ou quoi et puis qu’ils auraient été… éliminés ?
— Tu peux être certaine qu’ils sont aussi incapables en termes de combats pokémon qu’ingénieux en termes de survie, s’amusa Sofian. S’ils doivent sauver leur peau, ils y arriveront toujours.
— C’est pas faux.
Et les deux adolescents laissèrent leur souvenir les envahir.
— Ils doivent probablement être enfermés dans une geôle de la Team Magma pour avoir foiré une mission, ricana Flora.
— Ou bien leur chef à la Team Rocket aura appris leur appartenance à la Team Magma et leur aura envoyé une troupe de miliciens pour s’occuper d’eux !
Flora éclata de rire.
— Tu as déjà une stratégie pour gagner ton prochain match d’arène ?
Sofian était ravi : l’atmosphère s’était enfin détendue entre eux.
— En réalité, je n’y ai pas vraiment réfléchi. J’attendais qu’on soit vraiment en route pour Vermilava pour y penser.
— Je ne peux pas t’aider beaucoup, mais je sais que le type de pokémon privilégié à l’arène de Vermilava est le type feu, indiqua Flora.
— Ça, c’est une bonne nouvelle. Écrapince sera un atout majeur dans la composition de mon équipe. Mais s’il faut combattre à quatre pokémons, je vais avoir un problème avec Balignon.
— Je n’en sais pas plus sur l’arène de Vermilava.
Sofian regretta une nouvelle fois l’absence de Timmy et de son Pokénav bourré d’informations.
— Je suis contente qu’on ait pu enfin régler le conflit qu’on avait autour de la question des concours de coordination, osa Flora en glissant légèrement vers Sofian.
— Oui, moi aussi, répondit Sofian, mal à l’aise.
Flora dessina sur son visage un sourire qui fit fondre le cœur de Sofian et les deux adolescents restèrent un instant à se regarder l’un l’autre. Le cœur de Sofian reprit son battement périlleux dans sa poitrine. Leurs visages n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, leurs nez allaient bientôt se frôler. Sofian ferma les yeux et attendit, pris d’une soudaine excitation nerveuse.
— Qu’est-ce que… ?
Il rouvrit les yeux. Le regard de Flora été fixé sur le centre du lac gelé.
— Je crois qu’il y a quelque chose dans l’eau, sous la paroi gelée, dit-elle en se levant.
— Probablement un pokémon, balbutia Sofian, complètement perdu.
— Non…
Flora posa un pied délicatement sur la surface gelée du lac, mais la paroi tint le coup. Sofian voulut la retenir vers lui, mais Flora posa son second pied sur le lac et avança prudemment vers son centre.
— Fais attention quand m…
Quelque chose craqua avec force derrière eux et Sofian bondit sur place. Flora poursuivit son chemin périlleux vers le centre du lac gelé, ignorant totalement l’état de nervosité de son ami. Galifeu rejoignit son maître, prêt à se battre. Avec la lumière du jour, Sofian était persuadé d’avoir vu une ombre rôder derrière les arbres entourant le lac gelé.
— Quelqu’un nous suit depuis hier soir, chuchota Sofian en essayant d’être le plus discret possible. Écrapince, Galifeu, tenez-vous prêts.
Les trois amis scrutèrent l’horizon à la recherche du moindre indice qui trahirait l’identité et l’endroit où se trouvait la menace.
— Sofian…
— Chuuut !
— Sofian !
L’adolescent se tourna vers Flora qui s’était arrêtée au centre du lac, à une dizaine de mètres de lui. Elle était irrémédiablement attirée par ce qu’elle voyait sous ses pieds.
— Je pense qu’il y a plus important pour l’instant comme urgence, lança Sofian en reprenant son examen des arbres alentours.
Derrière lui, Flora s’agenouilla sur la glace qu’elle frotta à l’aide de ses gants pour enlever le givre qui cachait sa vision. De son côté, Sofian appela d’un signe Balignon et Nirondelle afin qu’ils se tiennent prêts à leur tour. « Où es-tu ? », marmonna Sofian pour lui-même, « montre-toi… ».
— Je crois… je crois qu’il y a un œuf au fond de ce lac ! cria Flora.
Des pas retentirent face à Sofian. Le rôdeur allait attaquer.
— Flora, viens ici ! appela Sofian urgemment.
— Il faut le sortir de là, l’embryon ne sera plus viable s’il reste trop longtemps dans ce froid !
— FLORA !
C’est alors qu’une grosse masse verte fusa hors de la cachette fournie par des buissons et se planta deux mètres devant Sofian. Le chien au pelage vert qui venait d’apparaître lança un regard intimidant aux quatre pokémons face à lui.
— Oh ! Ce n’est qu’un Dynavolt, signala Flora derrière lui.
Quelque chose attira l’attention de Sofian au niveau de la crinière du pokémon sauvage : ses poils verts et dorés étaient parsemés d’éclairs, comme remplis d’électricité statique.
— C’est un pokémon de type…
— ELECTRIQUE !
Sofian sentit ses membres se raidir. Il était tétanisé par la peur.

C’était comme si le Dynavolt sauvage avait compris la phobie de son adversaire. Le chien plongea son regard noir menaçant dans celui paniqué de Sofian et il eut comme un sourire narquois. Le pokémon sauvage fit trembler son corps, comme le faisaient les chiens en sortant d’une baignade, et de nouveaux éclairs, plus lumineux, se dégagèrent de son pelage.
Sofian ne pouvait plus bouger. Ses bras s’étaient pétrifiés, ses pieds avaient fusionné avec le sol.
— Ça va aller Sofian, les Dynavolt sont gentils de nature et n’ont pas une grande expérience au niveau de leurs attaques électriques, tenta de rassurer Flora qui s’était relevée sur la couche de glace du lac.
Sofian ne lui répondit pas. Sa mâchoire s’était elle aussi contractée. Plus aucun muscle de son corps n’obéissait à son cerveau terrorisé. Constatant son état de détresse, le Dynavolt sauvage aboya férocement et le rythme cardiaque de Sofian s’emballa. Dynavolt décida d’ouvrir les hostilités.
Le chien au pelage vert bondit vers Sofian qui resta paralysé par la peur. Instinctivement, sans attendre d’ordre, ses propres pokémons lui vinrent en aide. Galifeu envoya une rafale de boules de feu que leur cible prenait un malin plaisir à esquiver. Écrapince dressa une protection invisible entre son maître et le pokémon sauvage, mais ce-dernier chargea à toute vitesse et le faible mur invisible se brisa sous le choc.
Dynavolt n’était qu’à quelques centimètres de Sofian, ses éclairs toujours aussi menaçants. Sofian n’arriva pas même à fermer les yeux, terrorisé. Dynavolt se projeta dans les airs et Sofian tomba à la renverse, perdant le contrôle de ses muscles. Cependant, le pokémon sauvage avait pris beaucoup plus d’élan qu’il était nécessaire pour lui d’atteindre Sofian. C’est lorsqu’il retomba sur le lac gelé et qu’il se laissa glisser vers Flora que l’adolescent comprit qui était véritablement la cible de cette attaque.
— Flora, attention !
Dynavolt la chargea violemment et la jeune fille s’écrasa au sol sous le choc. La couche de glace se brisa, entraînant avec elle Flora qui disparut dans l’eau glaciale.
— FLORA !! hurla Sofian.
Par réflexe, Écrapince se jeta à l’eau et disparut sous la glace à son tour. Les secondes parurent durer une éternité. Dynavolt chargea son pelage d’électricité en gardant ses yeux fixés sur Sofian qui était immobilisé au sol par la peur. Nirondelle en profita pour piquer sec vers Dynavolt.
— Non !
Sofian savait que la faiblesse de type allait faire des ravages sur sa Nirondelle mais celle-ci préféra protéger son maître plutôt qu’elle-même. Étonnamment, Dynavolt ne lui envoya aucune décharge électrique et préféra éviter son attaque en glissant sur le côté. Balignon intervint alors : il profita de la faute d’inattention de Dynavolt et fracassa son crâne contre celui du chien. Dynavolt fut propulsé à son tour dans le lac.
Sofian sentit à nouveau ses membres bouger. Il se précipita sur le lac gelé et avança prudemment jusqu’au centre, à l’endroit où la glace s’était brisée. Du remous provoqua une épaisse écume à la surface de l’eau.
Soudain, une pince orange sortit de l’eau et Sofian l’agrippa avant de la tirer de toutes ses forces vers lui. Écrapince sortit du lac en emmenant avec lui le corps inerte de Flora. Sofian saisit les mains gelées de son amie et la tira le plus loin possible du lac avant de la faire rouler sur le dos. Galifeu se précipita sur Flora et fit monter la température de son corps afin de la réchauffer.
Le froid avait dû être si intense qu’elle en avait perdu connaissance, mais la jeune fille tenait quelque chose entre ses bras, contre sa poitrine, comme gelée dans cette position. Un œuf. Un gros œuf rose pâle. Sofian approcha sa main de l’œuf. Un aboiement l’immobilisa. Dynavolt avait réussi à sortir du lac, son pelage entremêlé de gouttelettes d’eau et d’électricité statique. Eau et électricité, entourant un chien sauvage enragé.
— Oh non… marmonna Sofian, pris de panique.
Sans réfléchir, Sofian attrapa Flora et la souleva dans ses bras en ignorant la douleur qui lui déchirait le dos. Il se mit alors à courir du mieux qu’il put en direction du premier chemin qu’il vit. Derrière lui, Dynavolt amorça sa poursuite.
— Galifeu, Écrapince, Nirondelle, Balignon ! s’écria Sofian, le souffle coupé.
Balignon n’attendit pas les ordres. Il envoya une vampigraine qui se déploya devant Dynavolt, mais le chien sauta dans sa course à une hauteur impressionnante afin de l’éviter. Nirondelle en profita pour l’attaquer à l’aide de son bec, et le chien répliqua avec un coup de tête chargé d’électricité. Nirondelle s’écrasa sur Balignon tandis que Dynavolt brisait une nouvelle tentative d’attaque « abri » de la part d’Écrapince et se rapprochait dangereusement d’un Sofian à bout de souffle. Galifeu décida d’intervenir et se lança la jambe en avant, prêt à lui asséner son terrible « double pied ». Mais le Dynavolt sauvage semblait surentraîné : il évita avec grâce la première patte de Galifeu, bondit sur la seconde, et sauta au-dessus du crâne de Galifeu pour atterrir finalement contre le dos de Sofian.
Sofian poussa un hurlement qui déchira le ciel gris, avant de se laisser tomber sur le sol craquelé. De son dos s’éleva une douleur indescriptible qui lui parcourut chaque tissu, chaque nerf, chaque os. Paralysé au sol, probablement plus par la peur que par l’attaque électrique, il laissa le corps de Flora rouler dans sa chute. L’œuf fut éjecté hors de la prise de ses bras et termina sa course au pied d’un pin.
Tordu de douleur au sol, Sofian ne put qu’assister impuissant à la victoire du chien enragé qui courait à présent s’occuper du sort de Flora. Mais à nouveau, le chien bondit au-dessus du corps inerte de l’adolescente et réatterrit devant l’œuf. C’était donc cela qu’il convoitait depuis le départ ! Dynavolt renifla l’œuf avec délectation et… s’envola s’écraser contre le pin. Galifeu venait de s’en débarrasser d’un coup de patte fracassant.
Le Dynavolt ne se releva pas. Les muscles de Sofian se détendirent. Allongé au sol à côté d’une Flora inconsciente, le calme avait repris ses droits dans la plaine glaciale.

Il se redressa avec difficulté, une main posée sur son dos endolori. Il lui fallut une bonne minute pour reprendre son souffle, accoudé au comptoir. Son épouse lui adressa un regard inquiet, un regard de ceux qui surveillent de loin si tout va bien, et il la rassura avec un sourire attendrissant. Quarante ans de vie commune et ce sourire aux lèvres de son mari lui faisait toujours autant d’effet.
— Et voilà, petit Azurill, tu peux rejoindre tes parents.
Le minuscule pokémon bleu bondit sur sa queue avec maladresse et tomba sur le côté devant deux Marill qui se précipitèrent vers lui. Mais Azurill se releva avec vigueur et les deux pokémons parents l’accompagnèrent à l’extérieur à travers une petite trappe située sous la porte de jardin.
— J’ai bien cru que cet œuf n’allait jamais éclore, commenta son épouse en aspergeant un peu d’eau sur les feuilles d’un Chétiflor.
— Tu parles d’une épreuve, entre cet Azurill qui refusait de naître et le Galékid du jeune homme qui a mis tout son temps pour évoluer, c’était une fameuse semaine que nous venons de vivre.
— J’espère que tout va bien pour notre pauvre ami…
— Là où il est, il faut l’imaginer heureux…
Les deux vieillards s’autorisèrent un moment de contemplation à travers la fenêtre qui donnait sur le jardin et ils s’émurent face aux nombreux pokémons qui jouaient dans le froid de ce dernier jour de novembre.
La porte d’entrée s’ouvrit à la volée et la clochette tintinnabula.
— S’il-vous-plait, aidez-moi !
Un jeune homme venait de se jeter à l’intérieur en portant dans ses bras une demoiselle.
Sofian avait poussé la porte avec son pied si fort qu’elle avait rebondi contre le mur avoisinant. Les deux vieilles personnes qui lui faisaient face ne semblèrent pas comprendre toute la gravité de la situation.
— S’il-vous-plait, des couvertures, vite !
— C’est une pension pokémon ici, jeune homme, pas un centre pokémon, indiqua le vieil homme. Tu n’as pas vu la pancarte dehors ?
— Je t’avais dit qu’elle n’était pas assez visible ! sermonna la vieille dame.
Sofian déposa Flora dans un fauteuil près de ce qui semblait être un comptoir et enleva son manteau pour emmitoufler son amie dedans. L’adolescente ouvrit faiblement les yeux et lui retint la main dans la sienne.
— Saint Rayquaza, mais cette jeune fille n’a pas l’air bien ! remarqua enfin la vieille dame en pressant son époux à vérifier l’état de Flora.
— Elle est frigorifiée ! s’exclama le vieil homme. Que s’est-il passé, mon garçon ?
— Elle est tombée dans un lac gelé. Vite ! Il faut la réchauffer !
La vieille dame aux bouclettes grises les rejoignit rapidement avec une épaisse couche de couvertures et son époux dissimula quasi entièrement le corps de Flora en-dessous.
— Quelle idée de se balader sur un lac givré ! réprimanda le vieil homme. Nous sommes toujours en novembre, et les premiers jours de froid arrivent. La glace n’est pas encore assez épaisse que pour s’amuser avec vos sports de jeunes sur…
— On ne s’amusait pas ! se défendit Sofian. On a été attaqué par un Dynavolt sauvage enragé et il a littéralement poussé mon amie dans l’eau glaciale !
Les visages des deux personnes âgées affichèrent une expression de surprise mêlée à de la résignation, ce qui intrigua Sofian.
— Un Dynavolt, tu dis ?
Flora s’était tout de suite remise de ses émotions. La chaleur apportée par les couvertures et par la température du corps de Galifeu qui ne la quittait plus d’une semelle, l’avait remise sur pied en très peu de temps. Le vieil homme l’avait installée sur un fauteuil à bascule confortable, et Sofian avait été invité à la rejoindre dans un petit salon de détente chaleureux depuis lequel l’on pouvait admirer une splendide vue sur un magnifique jardin où gambadaient des pokémons de tous types. Un couple de Marill nageait tranquillement dans un lac avec un petit Azumarill qui les suivait sur le gazon, un Teddiursa courait dans tous les sens, poursuivi par un Togépi et un Magby, tandis qu’un tout petit Toudoudou assis dans un bac à sable faisait revenir en Sofian les souvenirs des moments passés avec son Rondoudou à Azuria. Que cette époque semblait si lointaine ! Cette jeunesse à jouer dans l’arène de son père, cette enfance innocente passée à s’éclabousser l’un l’autre avec Rondoudou dans la piscine de l’arène d’Azuria… Revint alors comme un flash dans sa rétine la vision d’un Pikachu déchargeant toute son électricité sur la piscine dans laquelle il se trouvait. Puis, l’image du Dynavolt sauvage, entouré d’éclairs.
Sofian se réveilla en sursaut ; la vieille dame venait de déposer sur une table basse une tasse de chocolat chaud pour Flora et lui. Il s’était assoupi.
— Quand je fais un mauvais rêve, je mange toujours un carré de chocolat juste après, dit la vieille femme en s’installant à leurs côtés. Ça m’apporte du réconfort.
— Merci, répondit simplement Sofian en approchant la tasse près de lui.
Il tendit la sienne à Flora qui la prit fébrilement et la colla contre sa poitrine pour se réchauffer davantage.
— J’ai fermé de manière anticipée, annonça son époux en revenant depuis le hall d’entrée. De toute manière, depuis la coupure de réseaux dans le système de PC, nous n’avons plus trop de clients. Les jeunes n’aiment plus se déplacer. Quelle époque !
— Je ne comprends pas très bien, avoua Sofian, quel service offrez-vous aux dresseurs ?
— L’un des services les plus vieux de la région, cher ami, répondit l’homme avec fierté, le service de Pension Pokémon.
— Mon mari et moi nous occupons des pokémons des dresseurs qui sont dépassés par la charge de travail qu’ils ont, expliqua la vieille dame en sirotant son thé.
— De nos jours, les jeunes veulent absolument avoir une équipe de six pokémons avec eux parce que c’est ce que la loi autorise, ajouta le vieil homme, irrité. Mais ils ne se rendent pas compte que c’est un travail à plein temps ! Et puis, ils ne savent plus ce que c’est que le travail bien fait. Tout ce qu’ils veulent, c’est s’amuser comme si les pokémons n’étaient que des…
Son épouse lui posa une main sur la sienne et le vieil homme comprit le message. Tout de suite, il s’était adouci.
— Ce que mon époux veut dire, c’est que nous venons en aide dans l’éducation des pokémons qui nous sont confiés. Parfois, certains dresseurs ont des recommandations : ils veulent que leurs pokémons soient plus forts lorsqu’ils viennent les rechercher, ou bien ils s’attendent à ce qu’ils aient évolué, ou ils désirent que nous leur enseignions une nouvelle capacité.
— D’autres fois, ils veulent juste s’en débarrasser. Non, mais il faut le dire mon amour ! Parfois, ils n’ont pas assez de courage que pour les libérer et les rendre à la nature !
— Et d’autres fois, ils sont trop inexpérimentés que pour demander de l’aide et ils libèrent un pokémon trop tôt dans la nature, fit remarquer son épouse. Comme ce Dynavolt.
Elle semblait avoir donné un argument qui avait fait sens chez son mari. Mais Sofian n’eut d’attention que pour le nom qu’elle avait prononcé à la fin.
— Vous venez de mentionner un Dynavolt ?
— Exactement, fiston. Un Dynavolt abandonné et rempli de colère.
— Le genre de Dynavolt qui attaquerait deux êtres humains sans raison ? cingla Sofian avec amertume.
— Plutôt le genre de Dynavolt qui a subi un lourd traumatisme et qui ne sait pas comment gérer sa colère, apaisa la vieille dame.
Le vieil homme se leva lentement et se dirigea vers la fenêtre. Il laissa son regard se balader sur les pokémons heureux dans le jardin.
— Voyez-vous, parfois, il nous arrive de recueillir des pokémons abandonnés, expliqua-t-il, la gorge nouée. Cela est très rare, mais cela nous arrive tout de même. Nous avons toujours réussi à leur venir en aide et à les guérir de leurs blessures profondes. Mais ce Dynavolt…
L’homme se perdit dans ses souvenirs et son épouse reprit la narration.
— Il y a dix jours, alors que nous revenions de la Nouvelle Lavandia pour un petit service rendu au champion Voltère, nous avons trouvé un Dynavolt au pied d’un précipice. Il était inconscient et grièvement blessé. Son pelage n’était même plus chargé en électricité. Nous avons d’abord cru qu’il avait trépassé, le pauvre. Le combat qu’il avait livré avait dû être très violent, car il possédait des marques de morsures et d’empoisonnement.
— Encore un dresseur qui voulait capturer un pokémon sauvage, qui a raté sa cible, et qui s’est enfui comme un lâche, commenta le vieil homme avec dégoût.
— Quoi qu’il en soit, nous avons décidé de le recueillir, comme nous le faisons chaque fois qu’un pokémon est dans le besoin. Nous l’avons hébergé, nous l’avons soigné, nous avons pris soin de lui pendant une semaine, jusqu’à ce qu’il se remette sur pied. C’est alors que nous nous sommes rendus compte qu’il n’était pas sauvage.
— Comment ?
C’était Flora qui avait posé la question. Sofian jeta un œil discret en sa direction, soulagé qu’elle aille mieux, mais évita son regard.
— Eh bien dans un premier temps, les pokémons sauvages tendent à s’enfuir dès qu’ils le peuvent, révéla l’homme en revenant s’installer à leurs côtés. Ils n’aiment pas être enfermés entre quatre murs et cherchent toujours à rejoindre la nature.
— Avec notre expérience, nous savions que Dynavolt était un pokémon dressé, et très bien dressé. Il dormait toujours au même endroit dans la pension, il mettait une distance de sécurité entre lui et notre couple de Marill. Le dresseur à qui il appartenait avait fait un beau travail.
— Jusqu’à ce qu’il l’abandonne lâchement ! éructa le vieil homme.
Son épouse ne releva pas.
— Pourquoi s’est-il enfui de votre pension ? demanda Sofian, dont l’histoire du Dynavolt commençait à l’interpeler plus que de raison.
— J’imagine que le traumatisme de son abandon était trop difficile à vivre pour lui, répondit la vieille dame toujours aussi sagement. Voyez-vous, nous nous sommes aussi très vite rendus compte d’une certaine anomalie chez lui. Normalement, un Dynavolt de son niveau n’a aucun problème à maîtriser l’attaque « étincelles ».
— L’attaque « étincelles » ? répéta Sofian en tremblant de tous ses membres.
— Une capacité physique qui a trente pourcents de chance de paralyser l’adversaire, expliqua Flora.
Sofian osa se tourner vers son amie, les sourcils levés. Depuis quand était-elle une si grande connaisseuse en stratégie de combats pokémons ?
— Je te rappelle que je suis la fille du Professeur Seko, dit-elle, amusée.
Et Sofian se souvint que c’était Flora qui lui avait appris à capturer son premier pokémon.
— Maintenant que j’y pense, ajouta Flora, j’ai été très surprise de constater que Dynavolt ne nous avait pas attaqués avec ses capacités électriques.
— Parle pour toi…
— C’est ta phobie qui parle, Sofian. Dynavolt ne t’a fait qu’une petite attaque « charge » dans le dos.
Sofian préféra ne pas répondre, Flora était trop faible pour tenir une conversation argumentative.
— Nous avons essayé de lui enseigner la capacité « étincelles », reprit la bonne dame, mais il avait l’air d’en avoir si peur. C’était comme si le courant électrique qui s’échappait de son propre corps représentait une menace pour lui.
— Allez savoir quel genre de traumatisme il a vécu chez son ancien dresseur. C’est un comble ! Un pokémon électrique effrayé par de l’électricité !
— Dynavolt a dû être trop traumatisé par son abandon que pour se laisser aider par deux vieilles personnes telles que nous, et il a préféré s’enfuir.
Sofian se souvint du regard si confiant de Dynavolt, un regard si menaçant. Tout compte fait, cela n’était que de la provocation. Et dire qu’il avait eu si peur d’un pokémon qui était lui-même terrorisé. Un pokémon traumatisé par un abandon qui avait créé en lui une phobie de ses propres pouvoirs électriques.
— On dirait qu’on a pas mal de choses en commun, lui et moi, marmonna Sofian.
— Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi Dynavolt était aussi intéressé par l’œuf qu’on a récupéré ?
— Un œuf ?
Flora sortit de son sac à dos le gros œuf rose pâle qu’elle avait secouru depuis les tréfonds du lac gelé. Leurs hôtes examinèrent l’œuf un instant, tandis que Flora se mit à leur raconter comment Dynavolt les avait agressés plus tôt dans la journée, et comment il avait tout tenté pour récupérer l’œuf.
— Malheureusement, je n’ai jamais vu cet œuf auparavant, annonça la propriétaire de la pension.
— D’autant plus qu’un œuf n’appartenant pas à la famille des types aquatiques n’est pas censé se retrouver au fond d’un lac gelé. Généralement, les pokémons couvent leurs œufs car ceux-ci ont besoin de chaleur pour éclore.
— C’est mon époux qui s’occupe des œufs que nous trouvons chez nous, expliqua fièrement la dame. De temps à autres, les pokémons que nous hébergeons nous fournissent un petit miracle de la vie, et nous les aidons à en prendre soin.
— D’ailleurs, si cet œuf était dans un lac gelé, il faut vite s’occuper de son cas, indiqua l’homme.
— Comment ça ?
— Mon mari a fabriqué une couveuse qui permet d’accélérer le processus d’éclosion, révéla son épouse.
— Je pensais plutôt l’utiliser pour réchauffer le pauvre embryon qui s’y trouve ! se justifia l’homme. Venez, c’est à la cave. Vous permettez ?
Flora lui laissa prendre l’œuf et le vieil homme les invita à le suivre à travers la porte qui se trouvait à leur gauche. Flora amorça un mouvement pour se lever mais Sofian l’en empêcha.
— Non, toi, tu dois te reposer.
— Je vais mieux, Sofian. Mais c’est gentil de te préoccuper de moi.
— Flora, vraiment, tu dois…
Mais Flora lui posa la main sur la bouche.
— Ce n’est pas ta faute si Dynavolt m’a agressée, rassura-t-elle. Ce n’est pas ta faute si tu as une phobie. Ce n’est pas ta faute si tu n’as pas réussi à me protéger. D’accord ?
Sofian accepta. Flora avait eu les mots justes. Décidément, son amie était épatante.
Tout à coup, un cri suraigu retentit depuis le bas des escaliers où s’étaient rendus les deux propriétaires de la Pension Pokémon, suivi de plusieurs bruits sourds. Alarmés, Sofian et Flora dévalèrent les marches quatre à quatre, suivis de près par Galifeu, et se retrouvèrent dans une petite pièce étroite. Recroquevillée au sol, la vieille dame tremblotait dans les bras de son mari apeuré. Devant le mur du fond, deux silhouettes encapuchonnées dans un uniforme rouge leur tournaient le dos.
— Team Magma !

Les deux silhouettes ennemies se retournèrent à la volée. Sous leurs capuches rouges, Sofian eut du mal à identifier leurs visages, cachés derrière d’énormes paires de lunettes. Cependant, la personne de gauche était une femme à la chevelure rousse tandis que son acolyte était un homme aux cheveux noirs.
— Team Rocket ?
— Ah non, le premier essai était correct ! rectifia Jessie en dévoilant son visage.
— C’est Team Magma, maintenant, il va falloir vous y faire ! s’amusa James.
— Un mois sans nouvelles de vous, et pas même une carte postale, pas un appel ! ironisa Jessie.
— Et nous qui pensions que nous vous manquions, soupira James en faignant la déception.
— Qu’est-ce que vous fichez ici ?! s’emporta Sofian.
— Excuse-moi James, aurais-je manqué un épisode ? Depuis quand est-ce qu’on doit rendre des comptes à des enfants illettrés ?
— Vous êtes sur une propriété privée, et vous venez de vous en prendre à deux personnes âgées ! résuma Flora. Encore une fois, vous êtes clairement en train de commettre un crime ! C’est à la société que vous devez répondre de vos faits !
— Et voilà qu’on a un jugement moral, à présent ! s’exclama Jessie en faignant d’être outrée. Pardon, Madame la Présidente de la Cours de Justice Morale, on s’excuse !
— La dernière fois qu’on s’est affronté, vous faisiez bien moins les malins, rappela Flora. Il me semble que vous étiez trop occupés à me supplier de vous aider à sauver votre peau des griffes de Max Magma.
Le visage des deux compères de la Team Rocket se durcit.
— Très bien, passons aux choses sérieuses, lança Jessie sur un ton beaucoup plus menaçant. James, termine ce que tu as à faire, je m’occupe de ces nabots.
À ces mots, James s’exécuta et leur tourna le dos à nouveau. En se décalant de quelques pas sur le côté, Sofian put examiner l’engin sur lequel James s’afférait. Il s’agissait d’une énorme machine transparente, ovale et verticale, à l’intérieur de laquelle se trouvait un petit socle où l’on devait probablement déposer quelque chose. La machine était reliée par un câble épais à un ordinateur fixé au mur.
Jessie changea sa position de manière à cacher les gestes de son acolyte, et fit apparaître son Seviper et son Papinox. Galifeu adopta une posture offensive. Le combat allait être lancé. Mais Sofian savait qu’ils étaient en désavantage : dans un local si étroit et confiné, avec un seul pokémon en état de se battre face à la Team Rocket, tout ce qu’il arriverait à produire comme résultat n’était pas aussi positif qu’il l’espérait. Il décida qu’il valait mieux reculer le moment où les combats allaient éclater.
— Qu’est-ce que c’est, cette machine qu’on va vous empêcher de voler ? questionna-t-il.
— Petit un, vous n’empêcherez rien du tout, agressa Jessie. Petit deux, cela ne vous regarde pas. Le projet de notre patron est beaucoup trop intelligent pour des cerveaux de votre espèce.
— C’est notre couveuse ! révéla le vieil homme toujours assis contre le mur latéral. C’est la fameuse couveuse dans laquelle nous voulions poser l’œuf que vous avez trouvé ce matin.
— Un œuf ?
Tous les regards se posèrent sur l’œuf rose qui gisait au centre de la pièce, entre les pokémons ennemis et Galifeu. Une flamme d’envie traversa les yeux de Jessie.
— James, non seulement ça pourrait nous permettre de tester la machine, mais en plus… pense au pokémon puissant qu’il pourrait contenir !
— De quoi ? demanda James qui n’avait pas suivi la conversation.
— Cet œuf !
James se tourna vers la scène et découvrit l’œuf à son tour.
— Il est hors de question que vous posiez vos mains sur cet œuf ! Il ne vous appartient pas !
— Si j’ai bien compris, il ne vous appartient pas non plus.
Flora décida qu’il était temps de faire appel à ses trois pokémons : Flobio, Charmillon et Skitty remplirent le reste de la place disponible dans la cave. Jessie et Flora s’affrontèrent du regard. L’objet de leur convoitise : l’œuf au centre de la pièce. Cette fois, Sofian en était certain, c’était la Team Rocket qui redoutait l’éclatement des combats ; le visage de Jessie, perdue dans ses réflexions, trahissait sa volonté de gagner du temps.
— Pourquoi vous avez besoin d’une couveuse pour cet œuf ? questionna-t-elle à son tour à l’adresse des personnes âgées.
— Ne répondez pas ! ordonna Sofian.
— Je vous conseille de répondre !
James avait fait appel à son Cacnéa. La tension monta d’un cran. Intimidée par la menace des deux malfrats, la propriétaire de la pension révéla une information qui semblait intéresser la Team Rocket au plus haut point :
— La couveuse permet de focaliser à un point précis toute l’énergie de l’embryon qui s’y trouve. Ça les aide à éclore plus vite. C’est une invention de mon mari…
— Et on est d’accord que si on calcule bien le point d’inflexion de cette énergie et si l’on dispose d’un objet chargé en énergie suffisante, on peut transformer cette couveuse en… quelque chose de bien plus puissant ? interrogea James.
Sofian se précipita sur la vieille dame pour l’empêcher de répondre, mais c’était trop tard. Son regard apeuré avait trahi une expression d’accord.
— Eh bien nous avons toutes les informations dont nous avions besoin, annonça Jessie. James, débarrassons-nous de ces trois gosses !
— Trois ?
— Bah oui, Miss Valeur-Morale, Monsieur Bravoure et… tiens, qu’est-ce qu’ils ont fait du petit intello ?
— Il aura finalement succombé à sa maladie ? supposa méchamment James.
— Je vous interdis de parler de Timmy comme ça ! s’écria Sofian, hors de lui.
— Ouh, on a touché un point sensible, on dirait.
— Sofian !
— Vous allez regretter de…
— SOFIAN !
Il se tourna vers Flora. Elle avait l’air terrifiée.
— Où est Miaouss ?!
— Piégés !
Sofian poussa un cri de douleur lorsqu’il sentit dans son dos un coup de griffe lui déchirer les vêtements et lui lacérer la peau. Il tomba à la renverse sur son Galifeu sous l’attaque du Miaouss ennemi. Les évènements qui se succédèrent ensuite échappèrent totalement à sa lucidité. Il vit passer un jet d’eau puissant qui s’écrasa quelque part sur un mur, tandis qu’un coup de queue balaya l’entièreté de la pièce. Sofian fut projeté sur le côté, et il roula jusqu’au corps inerte de Skitty. Du coin de l’œil, il repéra l’œuf convoité près du couple de personnes âgées, mais Charmillon s’écrasa devant lui, les ailes parsemées de dards.
Le Seviper de Jessie menaça le couple de vieux avec son regard noir et Jessie s’empara de l’œuf qui se trouvait à leurs pieds. Il fallait qu’ils les empêchent de commettre leurs vols, coûte que coûte ! Toujours au sol, Sofian lança ses autres pokéballs dans les airs. La vision de ses trois pokémons toujours aussi épuisés et blessés de leur fuite un peu plus tôt dans la journée, écrasa ses espoirs. Il ne fallut pas plus de deux attaques pour que les pokémons de la Team Rocket viennent à bout d’Écrapince, Balignon et Nirondelle. Bientôt, Flobio s’écrasait contre l’ordinateur et la couveuse se disloqua du mur.
Lorsque Sofian se remit enfin sur pied, il constata le désastre. Flora était couchée sur le flanc devant les propriétaires de la pension, et leurs pokémons évanouis jonchaient le sol de la cave. Seul Galifeu tenait vaillamment debout au centre de la pièce, entouré par un Seviper, un Cacnéa et un Papinox au plus haut de leur forme.
— C’est tout de suite beaucoup plus facile quand il y en a un de moins ! se félicita Jessie en serrant vigoureusement le gros œuf rose dans ses bras.
— Je suis bien content d’avoir entraîné nos pokémons avec la méthode de la Team Magma ! se réjouit James.
— Je me sens aussi puissant qu’un Persian ! s’exclama gaiement Miaouss.
— Allez, on décampe ! décida Jessie.
— Non !! hurla Sofian.
Papinox immobilisa Galifeu avec ses pouvoirs psychiques, Seviper abattit sa queue sur lui, et Cacnéa envoya une nuée de dards. Les trois attaques combinées eurent raison de Galifeu qui s’effondra à son tour devant les vainqueurs de la confrontation.
Jessie, James et Miaouss affichèrent un sourire dangereux. L’œuf rose dans les bras de la première, la machine dans ceux du deuxième, et les trois acolytes prirent la fuite par les escaliers.
Ils venaient de perdre. Ils avaient échoué face à la Team Rocket. Maintenant, la Team Magma allait pouvoir faire ce qu’ils souhaitaient de la couveuse et l’œuf qu’ils avaient décidé de protéger disparaissait à jamais.
C’est alors qu’un hurlement lointain fit vibrer tous les murs de la Pension Pokémon. Un chien hurlait à la mort.
— Oh non, pas ça !

Le hurlement déchira les entrailles de Sofian. Il dura quelques secondes, une minute, des heures ! Dynavolt les avait retrouvés. Il allait prendre sa revanche et récupérer son œuf.
— Son œuf… marmonna Sofian.
Et si le retour de Dynavolt pouvait être leur carte joker ?
Sofian jeta un coup d’œil à ses pokémons, tous immobiles au sol. S’il allait à la rencontre de Dynavolt, il serait seul. Seul, sans ses pokémons. Seul, sans protection. Face à sa plus grande phobie. Mais c’était l’unique manière d’empêcher la Team Rocket de fuir.
— Sofian…
Flora avait murmuré difficilement son nom. À côté d’elle, Galifeu tremblait de douleur.
— Tu as sorti cet œuf du lac gelé, je vais le récupérer pour toi ! promit Sofian. Galifeu, occupe-toi d’elle !
Et Sofian grimpa les marches à la volée.
Le salon de la Pension Pokémon était vide, mais la porte du jardin laissée grande ouverte indiqua l’endroit par où la Team Rocket s’était échappée. Sofian courut à leur poursuite… et s’immobilisa net au milieu du jardin. Tous les pokémons de la pension s’étaient réfugiés près du lac où le couple de Marill les protégeait. Au centre du jardin, dans le vent glacial de l’automne, un soleil caché au-dessus d’une épaisse couche de nuages blancs : Dynavolt lui faisait face. Le chien avait retrouvé toute sa vitalité et son énergie, car déjà des éclairs menaçants entouraient sa fourrure verte.
— Dynavolt,… je… je ne suis pas ton ennemi, balbutia difficilement Sofian.
Cependant, Dynavolt n’en avait pas après lui. En effet, son regard était dirigé vers quelque chose un peu plus sur la droite de Sofian. Celui-ci tourna le regard et vit la Team Rocket courir vers les clôtures en bois qui entouraient le jardin de la pension. Dynavolt avait repéré l’œuf dans les bras de Jessie.
Le chien hurla à nouveau à la mort, et les trois comparses arrêtèrent leur course, enfin alerté par les cris du pokémon. Ils se tournèrent et observèrent un instant le Dynavolt sauvage et enragé qui les menaçait de ses éclairs.
— Jessie, James… On le connait lui, non ? s’inquiéta Miaouss.
— Oui, c’est bien le Dynavolt de l’autre jour !
— Ça tombe bien, je vais pouvoir lui rendre la monnaie de sa pièce à ce sale clebs ! répliqua Jessie, aussi enragée que le Dynavolt adverse.
Trop d’informations saturaient le cerveau de Sofian. Ce n’était donc pas la première rencontre entre le pokémon sauvage et les trois malfrats ? Au vu de la rage qui parcourait les traits aussi bien de Dynavolt que de Jessie, les deux semblaient avoir des comptes à régler. La Team Rocket était-elle les anciens propriétaires de Dynavolt ? Était-ce eux qui l’avaient lâchement abandonné ? Si c’était le cas, alors ils étaient les responsables du traumatisme chez Dynavolt !
Dynavolt aboya férocement. Tout à coup, il se jeta sur ses pattes-avants et fusa à toute allure vers la Team Rocket. Les trois criminels n’eurent pas le temps de réagir face à une capacité « vive-attaque » maîtrisée, et Miaouss fut chargé violemment. Il s’écrasa contre la clôture tandis que Dynavolt bondissait vers Jessie. D’un coup de tête, Dynavolt frappa l’œuf qui s’envola des bras de la voleuse et retomba mollement sur le gazon. Sofian courut vers le combat afin de récupérer l’œuf avant ses ennemis.
— Tu ne paies rien pour attendre ! hurla Jessie.
À nouveau, Seviper et Cacnéa apparurent sur la scène de combat. En reconnaissant les pokémons adverses, Dynavolt eut un mouvement de recul. Il semblait terrorisé. Quoi qu’il eût vécu contre la Team Rocket les jours précédents, il était devenu évident qu’ils avaient un rapport avec son incapacité à utiliser ses attaques électriques. Se rendre compte de ce nouveau méfait donna à Sofian l’envie de prendre la défense de Dynavolt.
— Dynavolt, tu peux les battre ! s’exclama Sofian en le rejoignant.
Le pokémon entoura son pelage d’éclairs lumineux et Sofian se pétrifia sur place. Mais la terreur dans les yeux de Dynavolt était si similaire à celle qu’il ressentait à présent, que Sofian trouva la force de l’approcher.
— Je ne sais pas ce qu’ils t’ont fait Dynavolt, mais sache que je suis de ton côté, lui dit-il calmement. On va récupérer cet œuf que tu sembles vouloir protéger à tout prix. Je vais t’aider. Tu es d’accord ?
Dynavolt quitta ses adversaires du regard et plongea ses yeux noirs dans ceux de Sofian. Le corps de l’adolescent voulut reculer par réflexe, mais Sofian reprit le contrôle de ses membres et garda sa position accroupie près du pokémon chargé d’électricité. Dynavolt acquiesça. Les deux êtres apeurés s’étaient compris.
— Désolé, mais cette histoire ne te concerne pas, lança Jessie. Retourne dans cette pokéball, Dynavolt.
Jessie jeta une pokéball de toutes ses forces sur Dynavolt qui, prit de court, ne put l’éviter. Le pokémon se métamorphosa en énergie rouge et fut aspiré par la sphère.
— NOOOOOOON !!
Sofian se laissa tomber au sol, les poings serrés. La pokéball chuta devant ses yeux. Dynavolt venait d’être capturé par Jessie.

— Sofian !
Derrière lui, Flora, Galifeu et le couple de vieux venaient de les rejoindre dans le jardin de la Pension Pokémon, mais Sofian ne s’en soucia pas.
— Vous ne pouvez pas… murmura-t-il.
Il venait de créer un lien avec un pokémon sauvage. Il venait de dépasser la plus grande peur de sa vie. Il venait d’affronter ses démons intérieurs. Il avait été prêt à se battre pour un pokémon qui représentait tout ce qu’il avait toujours fui depuis dix ans. Il venait de transformer un cauchemar en espoir. Et la Team Rocket avait tout détruit en un instant. Ils avaient gagné, véritablement gagné.
Jessie ramassa la pokéball devant les yeux de Sofian. L’adolescent ne l’en empêcha pas et garda les poings au sol, les yeux rivés sur le gazon. La criminelle ramassa ensuite l’œuf sous les cris consternés de Flora.
— Vous remettrez notre bonjour à votre ami l’intello, dit Jessie. Seviper, débarrasse-nous définitivement d’eux.
Le serpent ouvrit sa gueule, montra ses crocs et retomba sur Sofian.
« CRAC !! »
Jessie hurla de douleur et retomba dans les bras de James. La pokéball de Dynavolt venait de lui exploser dans les mains et le pokémon s’était matérialisé à côté de Sofian. Le visage de l’adolescent était pile à la hauteur de la truffe du chien, sa crinière remplie d’électricité, mais Sofian ne recula pas. C’était la première fois de sa vie que la vue d’électricité ne le pétrifiait pas.
— Dynavolt, tu…
Le petit chien acquiesça à nouveau. Il était revenu l’aider, tout comme Sofian lui avait lui-même promis de l’aider.
— On se tire ! somma Jessie.
Les trois acolytes coururent vers la clôture, Seviper et Cacnéa les suivant à la trace à toute vitesse. L’œuf et la couveuse disparaissaient avec eux.
— Tu peux sauver ton œuf, Dynavolt, assura Sofian. Si tu es tant attaché à cet œuf, alors tu peux le faire. Mais pour cela, il faut que tu utilises tes pouvoirs électriques.
À ces mots, Dynavolt recula d’un pas, terrorisé.
— Tu ne dois pas en avoir peur. Ils font partie de toi. Ils sont ce qui te définit. Ne laisse personne t’empêcher de vivre à travers ton identité.
Dynavolt trembla de tous ses membres.
— Je suis aussi terrifié que toi face à l’électricité, avoua Sofian. Je suis terrifié à l’idée d’en voir, je suis terrifié à l’idée d’en subir l’attaque. J’ai peur depuis que je suis tout petit. Mais je ne peux pas continuer à m’empêcher de vivre à chaque fois qu’il y a un orage ou que je croise un pokémon électrique. Car comment pourrais-je alors être ami avec ce pokémon ?
Sofian s’approcha de Dynavolt à quatre pattes, afin de rester à sa hauteur.
— Nous allons le faire ensemble. Toi et moi. Nous allons dépasser nos phobies ensemble. Je t’épaulerai et tu me soutiendras. Main dans la main… ou plutôt, main dans la patte. Je vais te prendre dans mes bras, et tu enverras ton attaque « étincelles », à sa puissance maximale. Je serai là jusqu’au bout. Nous souffrirons, oui, mais nous souffrirons ensemble. Et ensemble, nous dépasserons cette phobie. Tu es d’accord ?
Dynavolt hésita. Sofian approcha ses mains du chien, et Dynavolt fit frémir son pelage en l’emplissant de courant électrique. Sofian se ravisa un instant, puis reprit ses esprits. Il posa délicatement ses mains autour du corps de Dynavolt. Le cœur battant, il saisit Dynavolt et le fourra dans ses bras. Fébrile, il se releva tandis que les éclairs lui picotaient les mains. Veillant à ne pas laisser la panique prendre le contrôle, il se tourna vers la Team Rocket qui enjambait la clôture.
— Team Rocket ! appela Sofian. J’ai un cadeau d’adieu pour vous de la part de Timmy !
Jessie, James et Miaouss se retournèrent, effrayés.
— Dyanvolt, envoie tes étincelles ! hurla Sofian en fermant les yeux.
Sa poitrine fut parcourue d’un choc électrique insoutenable, ses mains ressentirent l’effet de millions de poignards minuscules qui lui transperçaient la peau. Il se sentait étouffé. Il sentait le sol s’effondrer sous ses pieds. Il n’arrivait plus à respirer.
Il était dans une piscine. Il était paralysé par la foudre qui s’abattait sur lui. Il coula au fond des ténèbres aquatiques, parcouru par des centaines de décharges électriques fatales. Puis enfin… …le silence.

Des chants angéliques entouraient son esprit enfumé. Des chants étouffés, lointains. Ou plutôt… des cris. Des cris nets, proches.
— SOFIAN !
Il ouvrit les yeux. Étalé de tout son long sur le flanc droit, les bras au-dessus de sa tête dans le prolongement de son corps, Sofian ne sentait plus ses membres. C’était donc cela, la sensation de la paraplégie ? Seuls ses yeux répondaient aux ordres de son cerveau. Alors, il cilla pour focaliser son regard sur la masse verte devant son visage.
Dynavolt était lui aussi couché au sol et le regardait avec la même peur sur le visage. Mais aussi… cette expression du soulagement. Comme rassuré.
— Nous… l’avons… fait… Dynavolt… murmura Sofian, à bout de souffle.
Dynavolt cligna des yeux.
— Quand j’étais petit, un Pikachu m’a attaqué alors que je me baignais dans une piscine, raconta difficilement Sofian.
Dynavolt ne le lâcha pas du regard, plongé dans les souvenirs de l’être humain.
— C’était de ma faute. C’est moi qui ai attaqué ce pauvre Pikachu. Je voulais me venger. J’étais en colère. Je voulais me venger contre une personne qui essayait de convaincre mon père de déménager pour son travail loin de ses enfants. Loin de moi. J’étais terrorisé à l’idée d’être abandonné par mon père. Finalement, il est quand même parti. Et… nous nous sommes perdus tous les deux. Je lui en ai voulu. Et j’ai gardé cette peur au fond de moi. En réalité, je n’ai pas peur de l’électricité. J’ai peur des sentiments que je ressens face à ce vide depuis que mon père est parti.
Sofian versa une larme.
— Je ne peux qu’imaginer à quel point tu as été traumatisé par l’abandon de ton dresseur. Être séparé des gens qu’on aime… décider de se séparer des gens qu’on aime… Quelles que soient les raisons, être séparés des gens qu’on aime, c’est la pire des choses à vivre. C’est le pire des sentiments à ressentir.
Cette fois, ce fut Dynavolt qui versa une larme. Le chien comprenait-il son discours ?
— J’ai perdu ma sœur le jour où elle a décidé de se séparer de sa famille. J’ai dû me séparer récemment d’une personne que je considérais comme mon frère. Je me sens seul, tous les jours de toute ma vie. Quoi que tu aies fait pour être abandonné, quoi que tu aies fait pour être aussi effrayé par tes pouvoirs, je ne te juge pas. Et si tu l’acceptes, j’aimerais que l’on s’épaule mutuellement. J’aimerais être celui qui ne se séparera jamais de toi.
Dynavolt retrouva la mobilité de son corps. Il rampa lentement vers Sofian et lui léchouilla le bout de son nez avant de se blottir contre lui. Malgré l’électricité statique qui chatouilla son torse, Sofian serra le pokémon contre lui.
Le visage de Flora apparut à leur côté. La jeune fille s’était couchée auprès d’eux, de sorte à former un triangle entre les trois amis. Elle fit rouler l’œuf rose vers Dynavolt.
— Je vais prendre soin de ton œuf pour toi, d’accord ? Je vais t’aider dans cette tâche.
Dynavolt accepta d’un petit coup de jus électrique indolore à l’attention de Flora.
Sofian recouvra la sensation dans ses bras. Il apporta sa main à sa poche, en sortit une pokéball et la tapota délicatement sur la truffe de Dynavolt. Le pokémon électrique fut happé au sein de la sphère qui annonça presqu’automatiquement d’un son sourd la capture de Dynavolt.
Sofian croisa le regard de Flora : l’un serrant sa pokéball contre lui, l’autre son œuf. Ils se sourirent.
Et Sofian se promit de veiller sur Dynav
olt comme il avait veillé sur Timmy.
À suivre dans : « L’autre Lavandia »