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Entre Destinée et Fatalité de Malak



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» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 12/04/2020 à 08:41
» Dernière mise à jour le 12/04/2020 à 08:41

» Mots-clés :   Aventure   Guerre   Médiéval   Mythologie   Présence de Pokémon inventés

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Chapitre 22 : Les jours sombres
An 1676, 14 août, 11h00, Mont Argenté, Château Royal de Johkania, salle du conseil



Comme tous les mercredi, je réunissais mes plus proches collaborateurs autour de moi pour une réunion sur les divers problèmes qui menaçaient le royaume. Nous étions une dizaine, penchés devant une carte de Johkania et de ses voisins. Il y avait bien sûr mon Haut Conseiller Breven, impressionnant dans son manteau noir et sous son masque argenté. Mon fidèle ami et protecteur G-Man, Iskurdan. Mon général en chef Malchevis, ainsi que trois de ses officiers. Puis deux de mes ministres. Ah, et ma reine, également. Bien qu'Elsora n'avait pas réellement son mot à dire sur les affaires du royaume, en tant qu'ancienne Oracle de Provideum, elle avait une certaine expérience sur la façon de gérer la vie des gens du commun. Je me fiais à ses conseils, même si ça ne plaisait pas à certains membres de ma cour un peu trop conservateurs et misogynes.

La réunion d'aujourd'hui était consacrée à la défense du royaume, et aux informations recueillies sur les pays alentours, qu'ils soient alliés, partenaires, neutres ou hostiles. Je tirais fierté qu'en un siècle de règne, aucune guerre ne soit venue frapper Johkania, alors que c'était monnaie courante avant. La guerre n'était qu'une forme de diplomatie, mais pour moi la plus inefficace de toute, et la plus coûteuse. Je préférais de loin soumettre les dirigeants étrangers par un mélange de peur et d'appât du gain que par la conquête.

Je pourrais bien sûr m'emparer d'autres régions si j'en avais eu la fantaisie, mais je savais que je ne serai pas capable de bien les gouverner depuis Johkania. Et je n'avais pas l'utilité de m'emparer de terres que je ne pourrais pas diriger. Quant aux autres pays, s'ils n'avaient jamais osé nous attaquer malgré de vieilles et éternelles rivalités, c'était parce que mon nom possédait une force que n'avaient pas ceux de mes prédécesseurs.

- Les vriffiens deviennent de plus en plus sournois derrière leurs frontières, fit le général Malchevis en désignant les montagnes qui séparaient le nord de Johkania de la région Elebla. Nos soldats ont eu plus d'une fois à affronter leurs provocations. Ils espèrent pouvoir nous faire craquer et nous pousser à la faute pour avoir une raison de nous attaquer sans que ce soit de leur faute, pour ne pas encourir la colère de nos alliés…

- Humph, comme si j'avais besoin d'eux pour bouter ses barbares si jamais ils s'avisaient de franchir nos frontières ! Répliquai-je.

Je n'avais jamais aimé les vriffiens. Personne ne les aimait bien sûr, mais il serait plus juste de dire que moi, je les méprisais. Je ne remettais pas en cause la puissance de leur armée et la force de leurs guerriers. C'était bien d'ailleurs la seule qualité qu'ils avaient. Mais c'étaient des fanatiques qui avaient subi des siècles d’endoctrinement à une religion violente qui rabaissait l'humain à un état des plus vils et qui glorifiait la douleur et la mort. Je ne les aimais pas, car il était impossible de négocier intelligemment avec eux. Ils n'avaient pas l'intelligence nécessaire pour cela. Ils ne comprenaient que la force des armes. Ils se tenaient à carreau pour le moment car ils me craignaient, mais je savais que ça n'allait pas durer éternellement.

- Nos espions affirment que l'Empereur Eremorg vul Vriff serait mourant, intervint Iskurdan. Il aurait deux fils qui se disputeraient le trône. L'aîné, Vilchegoz, l'héritier présomptif, mais qui serait faible et passif selon les standards vriffiens. Et le cadet né hors mariage, Durvan. Il est tout jeune, mais est déjà reconnu pour sa force et sa témérité.

- Les Élus se fichent d'avoir un empereur bâtard ou non, mais ils préféreront un souverain facile à manipuler comme Vilchegoz, plutôt qu'un électron libre comme Durvan.

C'était Breven qui venait de parler. Et quand Breven le Sage affirmait quelque chose, ce quelque chose allait forcément se passer. Cet homme savait tout sur tout, comme s'il voyait l'avenir. Même si je n'aimais pas l'admettre, c'était en grande partie grâce à lui que j'ai pu me maintenir si fortement à mon trône durant toutes ces années.

- Nous ne craindrons pas d'attaque de la part de Vriff si Vilchegoz s’assoit sur le trône, leur assura Iskurdan. Mais il est possible que l'Empire soit frappé d'une guerre civile si les deux frères ne trouvent pas un terrain d'entente.

- Les Élus mettront vite le holà, ricana Breven. Vilchegoz sera empereur, et si ce Durvan veut survivre, il devra se retirer et disparaître. La menace actuelle ne sont pas les vriffiens, même si ce sont les plus remuant. En revanche, nous devrions nous inquiéter de nos voisins de l'Est.

Malchevis cligna des yeux en regardant la carte, perplexe.

- Sinnoh ? Le Shogun est pourtant notre allié.

- C'est ce qu'il se plaît à nous faire croire, à force de courbettes mielleuses. Mais ses généraux l'encouragent de plus en plus à agir contre nous pour tester notre force réelle. Ils ont secrètement capturés et soumis un Pokemon Légendaire et forment actuellement une armée de Pokemon. Ils ne seront pas prêts avant des années, mais leur première cible sera Johkan, c'est une certitude.

Je retins un sourire devant la surprise de mes conseillers, et je me dis, encore une fois, que tant que j'aurai Breven avec moi, rien ne pourra jamais m'arriver. Tant qu'il sera à mes côtés, je serai un roi intouchable et réellement éternel !


***




- Allez, bouge ta carriole toi, fils de putain ! Cria le Saint Garde Garneth Tenzio au beau milieu de l'Allée de Rubis de Safrania. Tu vois pas que tu bloques tout le monde, pauvre maraud dégénéré ? Par Provideum, en plus t'es si moche qu'il est à se demander si t'as pas un Scarabrute parmi tes ascendants !

Le marchand – qui se disputait avec un autre – se retourna, prêt à redoubler d'insultes ou carrément à envoyer son poing dans la figure de l'insolent. Mais quand il vit l'armure et la cape typique des chevaliers de Destinal, il baissa vite les yeux, marmonna une excuse et se dépêcha de dégager sa charrette du passage, à la grande satisfaction de Garneth. À ses côtés, Spinellie, qui regardait les étals se mettre en place, lui signala :

- Tu parles vraiment mal aujourd'hui.

- Hein ? Mais non je parle pas mal, c'est le champs lexical des marchés et de la rue. Ces braves gens ne me comprendraient pas si je parlais comme au Saint Monastère. Eh toi !

Il interpella un vieux paysan qui menait quatre Tauros, sans doute pour les vendre. Mais l'un d'entre eux venait de produire une bouse de taille considérable en plein milieu de l'allée.

- Tu vas me faire le plaisir de ramasser ce gros tas de merde en quatrième vitesse, grand-père, sinon je te le fais bouffer. Ou bien comptes-tu affronter les conséquences devant les Inquisiteurs si d'aventure Sa Sainteté l'Oracle venait à glisser dessus lors de son passage ici ?

Le vieil homme se rependit en excuse après s'être incliné trois fois devant Garneth et empoigna la bouse lui-même en veillant à ce qu'il n'en reste pas une miette. Encore une fois, Garneth se retint de sourire de bonheur devant la magie que lui conférait son nouveau statut de Saint Garde de Destinal. Tous ces individus qui jadis lui auraient ri au nez ou tabassé à la moindre réflexion se prosternaient quasiment devant lui.

Non pas que le jeune homme eut envie d'abuser de cette nouvelle autorité. Ça n'aurait été ni noble ni digne d'un véritable Saint Garde. Il faisait juste ce qu'il devait pour accomplir sa mission : maintenir l'ordre public au centre ville de la capitale tandis que se préparait le grand marché annuel de la Sainte-Oracle. Ce jour férié était fêté en l'honneur de l'Oracle de Provideum, et était un moment de prières intenses pour tous les fidèles de Destinal. Mais pour les commerçants en tout genre, c'était le jour où leur chiffre d'affaire était le plus élevé. On en entendait généralement près de cinq cent à chaque fois, mais cette fois ci, ce serait une Sainte-Oracle spéciale, car Sa Sainteté Joanne allait quitter le Sanctuaire de Rosalia pour venir ici même, à Safrania, bénir le Saint Monastère, ses fidèles Gardiens de la Destinée, et s'exprimer devant le Conseil des Héros.

Inévitablement, la nouvelle de la venue de la dirigeante de Destinal s'était rependue à une vitesse folle, et pendant toute une semaine, Safrania allait être le centre de tout ce secteur du globe. Les rues étaient déjà bondées d'étrangers en tout genre, venus de diverses régions dont certaines étaient même inconnues de Garneth. Tous ces gens voulaient voir l'Oracle de leurs propres yeux, chose qu'ils ne pouvaient pas faire à Rosalia. L'entrée du Monastère était interdite sauf office religieux spécial, et à ce moment là, les places étaient limitées et réservées. C'était chose très rare que Sa Sainteté daigne se déplacer en public.

C'était sans doute révélateur du climat religieux qui régnait actuellement à Johkania. Plus que jamais, Destinal gagnait du terrain. C'était devenu la religion d’État de la région, même si le Conseil des Héros se refusait à l'admettre. Le partage de pouvoir entre Destinal et les Agents de la Fatalité n'était plus du tout équilibré. Karion du Tonnerre, le Dixième Héros, avait fini par devenir un Gardien à part entière, annihilant ainsi l'égalité de siège des Agents et des Gardiens au Conseil. Et ça n'avait été que la première d'une longue série de nouveautés qui avaient, en un an, plaçait Destinal au sommet de toute la structure du pays, réduisant les Agents à exercer leur foi dans un quasi-exil.

Sur le papier, c'était toujours le Conseil des Héros, et plus particulièrement Iskurdan, qui dirigeait Johkania. Mais dans les faits, la plupart des décisions importantes provenaient du Monastère à Rosalia. Garneth aurait dû se réjouir de cet état de fait, qui lui avait en outre permis d'être adoubé assez rapidement, mais il n'y arrivait pas. Les Agents de la Fatalité devenaient de plus en plus mauvais en réaction de cette main mise de Destinal sur le royaume, et la paranoïa de certains fidèles de Provideum, en particulier Bicéphargue et ses Inquisiteurs, frisait parfois la démence. Il n'était plus rare d'assister à des arrestations sommaires juste par la simple dénonciation d'un voisin. Et si le suspect était amené dans les cachots de l'Inquisition, on avait toutes les chances de ne plus jamais le revoir.

- Allez bandes de gueux puants, fils de Ponchien, je ne veux plus voir personne au milieu de cette putain de route ! S'exclama Garneth avec force et autorité. Exposez donc vos bibelots merdiques et votre nourriture avariée pour tous les Poichigeon que vous prendrez plaisir à arnaquer, tas de fumier que vous êtes !

Naturellement, Spinellie n'avait pas attendu avant de se faire « poichigeoner ». Elle tenait déjà une bonne part d'une espèce de gâteau de seigle fait maison qu'elle dévora avec gourmandise.

- J'ai rien payé, dit-elle avec joie. La brave dame qui vendait ça me l'a offert parce que j'étais avec le Saint Garde béni de Provideum, qu'elle a dit.

- Le Saint Garde béni de Provideum ne recherche pas la charité des petites gens, répliqua Garneth. Son destin est de les servir. Va payer.

Il lui lançant une pièce, sans doute bien trop grosse pour ce morceau de gâteau. Mais il savait qu'il aurait à débourser bien plus d'ici la fin de la journée, connaissant son amie. Mais il savait aussi que sa nouvelle solde de Saint Garde tiendrait le choc. Garneth n'avait jamais eu autant d'argent depuis qu'il a été adoubé. Il trouvait ça presque scandaleux alors que tant de gens vivaient dans la misère dans ce pays. Alors autant en utiliser pour faire marcher le commerce. De toute façon, après en avoir envoyé une bonne partie à sa mère, il ne savait pas trop quoi faire du reste.

Ça faisait deux mois que Garneth n'était plus le simple écuyer de Sainte Alysia, mais bel et bien un véritable Saint Garde de Destinal. Ça avait été le plus grand honneur de sa vie que de sentir l'épée de la Sainte sur ses épaules tandis qu'elle lui faisait réciter ses vœux. Se faisant, il était devenu l'un des plus jeunes Saints Gardes jamais adoubé. À dix-sept ans à peine, voilà que les badauds s'inclinaient devant lui et qu'il pouvait même donner des ordres aux Soldats de la Paix.

Honnêtement, et même s'il n'était pas du genre modeste, Garneth n'avait jamais pensé devenir Saint Garde si tôt, surtout avec les lacunes inhérente à son statut de paysan illettré. Certes, Alysia avait été contente de lui après son retour de la Grotte Sombre il y a un an. Il avait un peu embelli l'histoire en affirmant qu'il avait empêché l'Adepte de la Fatalité Palyne de livrer le prince Ametyos à ses maîtres de la Tour Sombre. La fuite d'Ametyos était fâcheuse, mais nul doute que les Gardiens de la Destinée préféraient le voir en liberté plutôt qu'entre les mains du Prédicateur Nukt.

Mais Garneth croyait plutôt que son adoubement express venait du fait que Destinal voulait renforcer ses troupes au plus vite, de crainte d'un affrontement avec les Agents de la Fatalité. Ils ne voulaient toujours pas attaquer les premiers, mais plus Destinal gagnait du terrain, plus il y avait des chances que les Agents passent à l'action. C'était d'ailleurs pourquoi on avait chargé un Saint Garde de gérer les préparatifs de la venue de l'Oracle à Safrania, alors que l'ordre public était d'ordinaire du domaine des simples Soldats de la Paix.

Enfin, qu'importe les circonstances et les missions qu'on lui confiait : devenir Saint Garde était le rêve de Garneth. Il n'avait qu'un seul regret : ne plus pouvoir accompagner Sainte Alysia partout comme il le faisait quand il était son écuyer. Il avait vu et appris nombre de choses à ses côtés. Mais il gardait toujours l'espoir de s'illustrer par ses actes et par sa foi, et un jour devenir l'un des Gardiens de la Destinée. Peut-être même diriger la Sainte Garde en lieu et place d'Alysia quand cette dernière aura cédé sa place ? Seul Provideum savait, mais Garneth avait toujours foi en son destin... même si les récentes démonstrations de violence et de cruauté de la part de Destinal avait un peu altéré son admiration envers l'institution.

- J'ai trop hâte de rencontrer l'Oracle, fit Spinellie en sautillant à ses côtés. Elle doit être terriblement forte si elle est la cheffe des justificateurs comme toi !

- Certes. Forte et sage. Mais nous n'allons pas vraiment « la rencontrer ». Nous ne ferons que la voir de loin, à moins qu'elle ne décide de passer en revue la Sainte Garde. Auquel cas ça ne changera rien pour toi, car tu n'en fais pas partie.

- Maiiiiiieuhhh ! De tout le travail que tu fais, j'en fais la moitié au minimum. Ça vaut bien un petit coup d’œil à Sa Sainteté !

Garneth ne pouvait pas la contredire sur la première partie de sa phrase. Si ses missions étaient généralement couronnées de succès, c'était parce qu'il avait Spinellie et sa force surhumaine avec lui. Étrangement, alors que Garneth pensait que l'installation de Spinellie dans le Saint Monastère ne serait que provisoire, Alysia avait accepté qu'elle demeure ici autant qu'elle le voulait ; elle l'y avait même encouragée. Et malgré le fait que les tâches de la Sainte Garde relevaient du sacré et de la seule responsabilité de Destinal, elle avait également autorisé que Spinellie reste avec Garneth et qu'elle l'assiste dans son travail.

Garneth n'avait pas posé de question, mais il trouvait ça bizarre. Spinellie n'était qu'après tout qu'une vagabonde sans famille, sans guère de mémoire de son enfance et avec une conception du respect des lois élémentaires très variable. Il n'y avait aucune raison qu'elle bénéficie d'un tel traitement de faveur. Garneth devenait peut-être paranoïaque, mais il lui semblait même que les différents Gardiens du Saint Monastère, Alysia en tête, la dévoraient souvent des yeux.

Il n'avait pourtant rien dit, à aucun d'entre eux, ce qui s'était passé il y a un an dans la Grotte Sombre. Il n'avait pas dit à ses supérieurs que Spinellie avait eu une soudaine prise de folie qui l'avait momentanément changé en sauvage à la force surnaturelle. Il aurait dû le faire, mais il s'était abstenu, de crainte de ce que des Gardiens fanatiques comme Cilis ou Bicéphargue pourraient faire de cette information. Il avait supplié Provideum de lui pardonner, mais il avait gardé le silence.

Comme Spinellie avait quasiment tout oublié de cet épisode, Garneth n'avait certainement pas cherché à le lui rappeler. Mais il y avait une personne à laquelle il avait parlé. Le Maître Aura Gardien et Second Héros Iskurdan. Il l'avait fait dans l'espoir que Spinellie soit examinée et qu'un potentiel d'Aura Gardien qui aurait expliqué cette soudaine crise soit révélé. Mais le Seigneur Iskurdan n'avait rien ressenti chez la jeune fille. Elle ne semblait n'avoir aucun don dans les arts Aura Gardien. Iskurdan avait promis de ne rien dire aux Gardiens à ce sujet, l'avait remercié de sa sincérité et de sa confiance, et lui avait demandé de garder Spinellie à l’œil. Ce qu'il n'avait jamais manqué de faire, même pour dix minutes. Il était constamment à ses côtés. Garneth savait qu'il serait responsable si elle devait péter à nouveau les plombs.

- Sa Sainteté risque de trouver bizarre une femme parmi les chevaliers de Provideum, commenta distraitement Garneth.

- Ah ? Sainte Alysia a bien caché son jeu depuis tout ce temps alors. C'est en réalité un homme, dis ?

Voilà le genre de remarque ironique que la Spinellie que Garneth avait rencontré il y a un an à côté de Bourg de Geon n'aurait jamais prononcé. Elle avait changé. Elle sortait encore de temps en temps ses fins de phrases sans queue ni tête avec un nom de Pokemon dedans certes, mais elle semblait... moins bizarre. Ou alors un peu plus mature. Elle était toujours d'une naïveté grandement supérieure à la moyenne, mais Garneth pouvait désormais faire usage du second degrés avec elle sans qu'elle prenne ça au pied à la lettre. Sans doute que vivre une année durant au Saint Monastère, entourée de gens cultivés et instruits, c'était autre chose que de vagabonder dans la campagne avec un Rattata pour seule compagnie.

Sans que Garneth ne le remarque vraiment, Spinellie était plus ou moins devenue une vraie fille à qui il pouvait parler de façon quasi-normale. Avant, il la considérait comme une amie à protéger, quelqu'un qui serait totalement paumée sans lui, comme une petite sœur. Une fille, certes, mais pas une « femme » dans le sens sexuel de la chose. Aujourd'hui, ce n'était plus le cas. Elle était devenue une égale, une femme dans tous les sens du terme, et Garneth ne pouvait plus la regarder trop longtemps sans rougir. C'était de plus en plus gênant pour lui de devoir partager sa vie avec elle à tout moment... Diable, ils dormaient à deux mètres l'un de l’autre ! Mais Spinellie, elle, semblait n'en avoir rien à faire. Elle ne comprenait même pas pourquoi Garneth se tournait quand elle se déshabillait le soir pour se mettre en robe de nuit.

En un sens, c'était plutôt rassurant. Que Spinellie ne voit pas en lui un jeune homme de son âge, mais seulement son copain Garneth le Justificateur, ça permettait à ce dernier de continuer cette étrange vie commune. Si Spinellie avait commencé à se sentir gênée de sa présence masculine, Garneth aurait déjà pris les jambes à son cou. Mais d'un autre côté... ça le dérangeait aussi. Que Spinellie n'éprouve absolument rien en sa présence, comme si elle ne le considérait pas comme un homme. Était-elle seulement au courant des relations hommes-femmes d'ailleurs ? Savait-elle seulement comment on faisait les bébés ?

Garneth se reconcentra sur son travail quand il entendit de loin les prémices d'une bagarre. Ce n'était pas la première de la journée, et de loin. Quand on réunissait trop de marchants en un même endroit, et que les meilleures places étaient chères, forcément que certains en venaient aux poings à un moment ou un autre. Garneth s'avança donc devant l'attroupement avec son regard le plus hautain et digne de l'autorité qui était la sienne. Mais il se stoppa d'un coup quand il reconnut la voix d'un des protagonistes, celle d'une femme au parler pas très distinguée.

- Répète un peu, jean-foutre ! Que je t'arrache les petits pois qui te servent de couilles si jamais j'ai bien entendu la première fois, espèce de pignouf !

- User de violence ne fera que confirmer mes dires ! Les Agents ne sont pas les bienvenus ici, et plutôt jeter ma marchandise aux Grotichon que de vous vendre quoi que ce soit !

- Pauvres Grotichon…

- Vous insultez ma marchandise, dame ?!

- C'est toi que j'insulte, nodocéphale. Chiabrena, t'es vraiment lent du bulbe…

Garneth jugea préférable d'intervenir sans délai avant que le marchant ne dise une parole malheureuse qui pousse la « dame » en question à faire usage de ses pouvoirs volés de Pokemon. Il en fallait peu pour la faire sortir de ses gonds. Mais avant qu'il n'ait eu à intervenir, l'Agent de la Fatalité se calma d'elle-même quand Spinellie surgit devant elle avec un grand sourire.

- Ah, Paniche !


***


Palyne étouffait dans l'appartement pourtant luxueux de Lord Despero, et avait donc décidé de sortir profiter des débuts du grand marché de la Sainte-Oracle pour y marchander deux trois trucs. Elle l'avait regretté dès qu'elle avait senti cette odeur de merde, propre aux rues de Safrania, mais encore plus présente aujourd'hui avec tous ces marchands et paysans amenant leurs Pokemon en tout genre. Mais elle était restée, car rentrer cinq minutes après avoir dit au Héros qu'elle sortait aurait été stupide.

Palyne était un Agent ordonnée dans les règles depuis trois mois. Une pleine et entière servante du Seigneur Falkarion. Elle n'avait pourtant aucun problème d'aller faire des emplettes dans un marché levé en l'honneur d'un jour férié de la religion adverse. Elle n'était pas fanatique à ce point, loin s'en fallait. Et elle avait pensé que ça ne dérangerait pas non plus le moins du monde les commerçants de lui vendre leurs marchandises. Après tout, l'argent n'avait pas d'odeur. Mais elle s'était visiblement trompée, quand le premier d'entre eux vers qui elle s'était approchée avait fait avec ses mains un symbole censé repousser le mauvais œil et lui avait demander de s'éloigner rapidement... ce qui avait un peu énervé Palyne et l'avait poussé à répondre quelque chose de peu gracieux sur la mère du marchand en question. Et le dialogue avait dégénéré.

Évidement, comme Palyne était l'une des deux seuls Agents en poste dans la capitale, on la reconnaissait très vite dans les rues. D'ordinaire, les gens préféraient s'éloigner en la croisant, par crainte de son statut d'assistante personnelle du Cinquième Héros. Sans doute qu'on parlait d'elle en mal, qu'on marmonnait des insultes qu'elle ne pouvait pas entendre. Mais qu'on vienne l'agresser de la sorte à haute voix et en public, c'était une première, et très significatif de la montée en puissance de Destinal partout dans cette fichue région. Elle était prête à en venir aux mains avec le marchand – même si ça n'allait pas plaire à Lord Despero – quand une jeune femme se plaça devant elle avec l'air de revoir sa meilleure amie de toujours.

- Ah, Paniche !

Palyne recula instinctivement. La fille en question – prénommée Spinellie – avait en apparence l'air totalement inoffensive, mais Palyne faisait encore parfois des cauchemars de leur petite virée dans la Grotte Sombre d'il y à un an, quand cette même Spinellie inoffensive avait massacré à mains nues plusieurs Pokemon dans un élan de sauvagerie que Palyne n'aurait jamais imaginé chez un être humain. Aussi depuis prenait-elle garde à se tenir à distance de cette fille.

- Tu es là aussi ? Poursuivit Spinellie. Tu as vu comme il y a trop de trucs chouettes à manger aujourd'hui ? Viens voir là-bas, y'a un brave monsieur qui vend des queues d'un Pokemon étranger nommé Iguolta. En manger augmenterai quelque chose appelé « fécondité », m'a-t-il dit. C'est drôlement bon !

Palyne l'avait jamais compris cette fille, et ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait commencer. Elle aussi était connue en ville pour être l'éternelle ombre du petit nouveau de la Sainte Garde, auparavant écuyer d'Alysia. Mais ça ne semblait pas du tout déranger Spinellie de se montrer amicale envers elle, une Agent de la Fatalité. Et pourtant Palyne n'avait jamais rien fait pour encourager cela. Naturellement, les badauds ne comprenaient pas, se demandant quel lien il y avait entre elle et Garneth.

En parlant de Garneth d'ailleurs, le voici qui arrivait, dans sa belle armure de la Sainte Garde. Il dispersa le monde avec un semblant d'autorité pompeuse mêlé à des jurons qui sonnaient faux, faisant lever les yeux au ciel à Palyne. Mais le marchand qui avait refusé de vendre sa marchandise à Palyne en l'insultant presque accourut s'incliner devant lui, tout fier.

- Sire chevalier, je n'ai pas cédé à cette femme du mal ! Je suis un pieu servant de Destinal et de notre Sainte Oracle. Jamais je ne céderai mes principes contre de l'argent, comme vous l'avez vu ! Cette vile engeance de la Fatalité m'a agressé, moi, un homme qui…

- Ouais ouais, c'est bon, l'arrêta Garneth. T'es un saint homme, je n'en doute pas.

Visiblement, le marchant n'avait pas saisi l'ironie des propos, et s'inclina une nouvelle fois, ravi. Palyne retint un sourire. Elle n'avait aucun amour pour la Sainte Garde bien sûr, mais ce péquenaud de Garneth n'était ni un lèche-botte ni un fanatique, elle le savait. Il avait le plus grand dédain pour ceux qui pensaient pouvoir s'attirer ses grâces en lâchant des insultes à l'adresse des croyants de la Fatalité. Mais son ouverture d'esprit ne l’empêcha pas de plisser ensuite les yeux à l'adresse de Palyne en l'engueulent ouvertement.

- Non mais t'es pas bien toi ?! Qu'est-ce que tu crois faire ici ? C'est un événement pour les fidèles de Provideum ! Tu veux te faire lapider en public ?!

- Ce serait marrant ça, tiens, répliqua Palyne. J’attends le premier débile qui osera me balancer la moindre pierre à la gueule.

Si Garneth et Palyne pouvaient se parler si familièrement sans pour autant se défier en duel du fait de leurs statuts opposés, c'était qu'ils se connaissaient suffisamment. Il y avait eu cette triste aventure commune dans la Grotte Sombre oui, mais même après ça, ils s'étaient revus plus d'une fois. Lui avait été l'écuyer d'Alysia, et elle l'assistante de Despero. Si les deux Héros se méprisaient cordialement, ils se voyaient quand même souvent pour les travaux du Conseil des Héros... et donc, leurs protégés aussi. Une fois, ils avaient même travaillé et combattu ensemble, lors d'une arrestation d'un petit groupe de royalistes terroristes au sein de la capitale, il y a cinq mois.

Leur relation de mépris affiché avait évolué peu à peu vers une sorte de rivalité. Et Palyne était plus que ravie d'avoir été la première à monter en grade, à devenant Agent un mois avant que lui ne soit adoubés Saint Garde. Bien sûr, ils ne manquaient jamais de se rabrouer voir de s'insulter quand ils se croisaient, mais c'était presque par habitude, pour donner le change. En fait, même si elle ne l'aurait avoué à personne et sans doute à elle-même, Palyne respectait ce petit idiot. Parce qu'il était le seul fidèle de Destinal qu'elle connaissait à ne pas la regarder avec dégoût ou avec peur. Et parce qu'il faisait passer son respect de la vie et de l'être humain avant ses conviction religieuses.

- Ne vas pas provoquer d'emmerdes juste avant la Sainte-Oracle, lui conseilla Garneth. Les Gardiens vous ont particulièrement à l’œil. Ils craignent une action de type attentat quand l'Oracle Joanne arrivera.

- Ce que vous n'avez jamais compris, vous autres de Destinal, c'est qu'on ne tue pas une religion en tuant son prêcheur. Nous sommes plus intelligents que ça.

Du moins, Palyne voulait le croire. Elle n'avait aucun doute qu'un Agent comme Lord Despero ne tente rien de stupide ce jour là, mais elle n'avait aucune certitude concernant certains francs-tireurs de la Tour Sombre, surtout que le Prédicateur semblait encourager à demi-mots ce genre d'actions... pour ensuite faire mine de les dénoncer via Despero, qui bien sûr en prenait plein la gueule au Conseil.

La politique était vraiment une création de Wrathan, de Giratina, ou de quelques autres dieux maléfiques. Palyne ne la supportait pas, pas plus qu'elle ne savait la pratiquer. Elle faisait une bien piètre assistante à Lord Despero à ce niveau là. C'est Rufio qu'il aurait dû garder. Mais le grand-frère de Palyne était retenu à Lavanville pour une mission spéciale du Prédicateur, et ce depuis maintenant presque un an. Palyne l'avait vu un peu, quand elle était rentrée pour son ordonnation comme Agent. Il semblait allait bien, quoi qu'épuiser. Il n'avait rien pu lui dire concernant son travail à la Tour Sombre, signe que c'était sans doute assez sensible. Et comme Despero voulait un Fedoren à ses côtés à Safrania, autant pour avoir des Ascacomb que pour préserver cette précieuse famille, c'était à Palyne qu'il advenait de rester auprès du Héros à la capitale.

Toutes ces années à vouloir quitter Lavanville et cette tour pourrie pour enfin voir la civilisation et le luxe de Safrania, et maintenant, Palyne aurait tout donné pour revenir à la Tour Sombre et être aux côtés de son frère. Surtout que d'après ce que la jeune femme avait compris, elle ne lui manquait pas spécialement, car sa fameuse fiancée, la fille d'Iskurdan, avait pris poste à Lavanville peu de temps après que Rufio eut été rappelé là-bas. Certainement pas une coïncidence, de l'avis de Palyne…

Bon, elle ne pouvait pas aimer cette Zali, c'était une évidence. Elle était consciente d'être jalouse et d'avoir voulu garder l'amour de Rufio pour elle seule à tout jamais. Mais elle avait fini par être assez mâture pour reconnaître que si Rufio était heureux avec elle à ses côtés, eh bien ainsi soit-il. Palyne ne comptait pas tenter de monopoliser Rufio si ça le dérangeait. Elle ne le pouvait pas, de toute façon. Rufio était un homme et prenait ses propres décisions, sans qu'il n'ait à se soucier de ce que sa sœur pensait. Palyne devait faire de même. C'était le libre arbitre que les Agents de la Fatalité encourageaient. Encore fallait-il que Palyne sache ce qu'elle voulait faire de sa vie…

- Tu ferais mieux de rentrer, fit Garneth du ton de celui qui ne voulait pas plus de problèmes. Ta présence ici ne sera pas vue d'un très bon œil par nombre de…

- Je m'en cogne, messire le Saint Chevalier. À ma connaissance, la loi de Johkania permet encore aux personnes de circuler en ville quelque soit leur religion. Et si je me fais agresser, ça donnera juste une occasion à Lord Despero de protester au Conseil.

Même si je doute que ça serve encore quelque chose... ajouta-t-elle pour elle-même.

- Oui Garneth, laisse Paniche rester avec nous, ajouta Spinellie. Ce sera marrant à trois !

Elle avait bondi pour prendre la main de Palyne entre les siennes, et cette dernière se dégagea rapidement.

- Euh... t'es bien gentille, mais t'approche pas trop s'il te plaît. Et non, je ne reste pas avec vous. Ça me désolerait de ternir la brillante réputation de ton noble Saint Garde si les gens le voyaient en si mauvaise compagnie que la mienne.

Elle laissa ces deux zigotos sur place, mais au final, elle suivit le conseil de Garneth et s'éloigna du marché, errant sans but dans les ruelles moins fréquentées de Safrania. Mais même ici, les mendiants et les brigands la regardaient d'un air mauvais. Et si elle se faisait agresser, violer ou même tuer, inutile de compter sur l'aide des Soldats de la Paix ; c'est limite s'ils ne prenaient plus leurs ordres que de la Sainte Garde !

Ça allait de mal en pis dans cette région. La montée du fondamentalisme de Destinal n'était qu'une des conséquences du délitement du royaume. La pauvreté et le chômage gagnaient de plus en plus de terrain. L'autorité du Conseil des Héros était bafouée à de multiples occasions. Ci et là, des groupuscules violents prônant le retour de la royauté multipliaient des actions de sédition. Et pour ne rien arranger, la région Sinnoh avait enfin déclaré la guerre à Johkania, après des années passées à se préparer en secret. Ce n'était pour l'instant qu'une guerre de territoire pour la prise de possession des îles Sevii, situées entre les deux régions. Le front était donc éloigné, mais Palyne ignorait si Johkania avait les ressources suffisantes pour repousser Sinnoh longtemps. Ces samouraïs étaient des durs à cuire, sous leurs façades de code de l'honneur. Et ils possédaient une armée impressionnante de Pokemon. Eux n'avaient jamais eu les scrupules des Karkast pour s'en servir au combat.

La seule calamité qui ne s'était pas encore ajoutée aux autres, c'est Ametyos, le prince déchu. Il s'était fait drôlement discret, depuis un an. Mais Palyne pressentait qu'il n'allait pas le rester longtemps. Il n'avait sûrement pas respecté le dernier conseil que Garneth lui avait donné quand ils étaient sortis de la Grotte Sombre. Dans tout le pays, de plus en plus de gens appelaient de leurs vœux le retour du roi. Beaucoup savaient qu'Ametyos étaient en vie, et n'attendaient que son appel pour se ranger sous sa bannière. Vu l'état lamentable dans laquelle se trouvait Johkania, si le prince-gueux s'avisait de tenter un Coup d’État, il avait pas mal de chance de réussir. Surtout s'il avait ce fameux caillou magique dont lui avait parlé Lord Despero, qui avait été la source de la puissance de son grand-père Zephren. Ametyos Karkast allait passer à l'action, ce n'était qu'une question de mois... voir moins que ça.