Lors de leur veillée, Gvidon se souvint que quelqu'un avait demandé quand est-ce que Feliks aurait un nouveau compagnon.
Il avait eu une sorte de sourire en coin lorsqu'il leur dit :
— Ils m'ont dit qu'au minimum, j'en aurai un dans deux semaines. En attendant, je suis assigné à la mitraillette… Mais je pense que j'ai peut-être une autre option.
Tous l'avait regardé avec un regard oblique, ne comprenant pas ce qu'il voulait dire. Mais il resta muet et personne ne sut ce qu'il avait en tête.
Comme ils s'étaient couchés tard, Gvidon dormit plus que l'accoutumée. Il le sait, parce qu'il n'y avait presque plus personne dans la tente des dresseurs. Il y avait encore l'élékable borgne, un infirmier ainsi qu'un pokémon que Gvidon ne connaissait pas. Il était en train de changer ses bandages, tandis que la créature saumon émettait des ondes rosées aux alentours. Elles n'étaient pas destinées à Gvidon, mais il ressentit tout de même une agréable vague de chaleur le traverser.
Puis, les deux médecins s'en allèrent, laissant les deux pokémons seuls.
Gvidon avait souhaité engager la conversation mais il était vraiment très intimidé par la carrure du pokémon Électrik. Il dégageait une sorte d'aura écrasante de puissance, d'expérience. Le scalpion avait presque le sentiment que sa simple présence le dérangeait.
Mais, le plus ancien lui fit un mouvement d'épaule, l'invitant à l'approcher. Le pokémon Acier jeta un coup d'œil à droite, nerveux, puis se décida à avancer.
L'élekable était assis, une jambe pliée tandis que l'autre se ramenait vers son corps. Comme les médecins ne gênaient plus sa vue, Gvidon pouvait observer clairement l'abdomen du blessé. En haut, à droite, une trace de chair brunâtre faisait tâche au milieu de son abondante fourrure jaune.
Sa voix rauque s'éleva. C'était un démolosse qui lui avait fait cette future (il l'espérait) cicatrice. On s'acharnait tout les jours à apaiser un peu plus cette blessure. Les premiers avaient été affreux ; le moindre mouvement amplifiait sa douleur si corrosive et violente. Puis, petit à petit, à force de soin, le mal s'était amenuisé. Là, ce n'était peut-être pas très joli mais il ne souffrait presque plus.
Il resta un moment silencieux, contemplatif de quelque chose que son interlocuteur ne pouvait voir, avant d’affirmer sur un ton conseillé :
— J'ai connu des pokémons de ton espèce. Méfies-toi de ceux qui maîtrisent le feu. Votre corps empêche de passer la plus part des projectiles des armes humaines, mais il est inutile face aux flammes. De même, prends garde aux coups directs, comme ceux des machopeurs. Ils sont courants dans chez les ennemis. Ils savent où frapper pour briser vos défenses.
Gvidon hocha la tête avec gravité, même s'il n'avait pas très bien en tête la physionomie des dits pokémons.
Ne voulant pas laisser de nouveau un silence entre eux, le plus petit le questionna, avec prudence, depuis combien de temps il était
ici
. Le pokémon Foudrélec poussa un long soupir, comme si cette question venait de lui assener un poids sur ses larges épaules.
— Je suis ici depuis le commencement de ce qu'ils - les humains - appellent la guerre. Je suis rentré ici lorsque je n'étais qu'un élektek, et j'ai été affecté dans un autre régiment que celui de mon humain car
inapte au combat
. C'est très rare, tu sais. Ils prennent le plus de monde possible. Ils ont même reculé la limite d'âge encore récemment pour leur recrutement. Non pas que ça veuilles dire quoique ce soit, mais…
Il soupira de nouveau, moins profondément cette fois.
— J'ai eu des dizaines de dresseurs différents. Certains étaient bons, d'autres moins. Certains étaient juste indifférents pour moi, mais quelques-uns ont été mes amis. J'ai vaincu des centaines d'adversaires, ai fait exploser quelques
tanks
. Une ou deux fois, j'ai même réussi à abattre des machines volantes. J'ai changé plusieurs fois de groupes, et j'ai perdu tellement de compagnons…
Il avait légèrement baissé la tête en disant cela, ému.
— Pour être honnête, je ne sais même pas si je verrai la fin de la guerre. Je suis peut-être très fort, mais je suis lent et de plus en plus fatigué. Je ne sais même pas si mon humain est encore en vie. Je ne sais même pas si je pourrais rentrer à la maison…
Le grand bipède ferma les yeux un court instant.
— Mais j'imagine que je ne suis pas à plaindre. Les humains m'ont en respect. Peut-être suis je trop pessimiste. Du temps où je n'étais pas évolué, nous ne faisions qu'enchaîner les défaites. Aujourd'hui, nous avons enfin réussi à percer. Il n'y a plus qu'à espérer que ça continue ainsi…
Il rouvrit les yeux. Il parut plus serein. Se redressant un peu, il lui demanda :
— Et toi, petit, qui es-tu ?
Le scalpion ne répondit pas tout de suite. Il chercha une bonne formulation. Au final, cela ressemblait à peu près à ce qu'il avait déjà raconté à C405, avec peut-être plus d'informations sur son passé.
Le pokémon simiesque eut une sorte de petit hochement du corps, comme un acquiescement.
— Si ton dresseur…
t'ennuies
une nouvelle fois, n'hésites pas à te mettre à ma portée si tu en as la possibilité. Je sais plutôt bien les intimider, les humains, en général. Il réfléchit un instant avant de reprendre:
Gvidon
, comme le personnage d'une des histories humaines?
L'intéressé confirma.
— C’est original. Le mien est
Grom
. J'imagine que c'est approprié ? sourit paresseusement le pokémon Foudrélec.
Le scalpion se permit aussi d'avoir un rictus.
Puis, n'ayant plus rien à se dire, ils se saluèrent et Gvidon quitta la tente.
°-°-°-°Il n'était pas le seul à profiter de l'offre de Grom. En fait, par principe, tout le monde y avait le droit.
Une fois, un chétiflor affolé s'était précipité dans la tente. Il couinait des paroles incompréhensibles, mais rapidement on saisit qu'il implorait le titanesque pokémon Électrik de lui venir en aide. La seconde d'après, un grand homme moustachu, rouge de colère, pénétra abruptement sur les lieux.
— ADONIS ! hurla-t-il en scrutant vivement les alentours, AU PIED ADONIS !
Puis, remarquant le pokémon Plante mal caché derrière Grom, il s'avança prestement.
L'atmosphère devint brutalement tendu. Littéralement. Des deux appendices noirs de l'élékable s'échappait un faisceau jaune, libérant un bruit sourd mais distinct. Les autres créatures se reculèrent, laissant un ample espace entre l'homme et les deux pokémons.
L'humain parut désorienté sur le moment. Il se ressaisit, marmonna qu'il
n'allait tout de même pas se faire intimider comme ça
et s'avança. Le large pokémon gronda et une petite gerbe d'étincelle bleutée éclata dans son dos.
Cette fois, l'humain hésitait sérieusement. Il jeta des regards noirs à Adonis, mais craintifs à Grom. Enfin, de mauvais grâce, il cracha ces paroles dont la rancœur dégoulinait :
— Tu ne perds rien pour attendre.
Il tourna les talons et s'en fut. Le courant électrique cessa d'être diffusé.
Le pokémon Plante s'écroula alors sous son corps rachitique, prit de violents soubresauts. Il allait encore le frapper, il disait que tout était toujours de sa faute alors qu'il ne faisait jamais rien de mal !
Les autres, qui alors l'encerclaient, lui tendirent des paroles d'encouragement, tentèrent de le rassurer. Gvidon préféra se tenir un peu à l'écart, guignant de temps en temps l'entrée pour vérifier que personne ne rentrait. Ce n'était pas qu'il était indifférent à sa souffrance… C'était simplement… qu'il ne savait pas trop quoi dire, dans ce genre de situation. Et puis, il ne le connaissait pas, ce pokémon. Sa situation était triste, mais il doutait que les paroles creuses de ses compagnons de tente lui soient utiles à l'avenir. Il ne pourra pas toujours se réfugier dans les pattes de Grom. Il recevra encore des coups, de son dresseur ou d'un autre. À ce niveau-là, Gvidon était objectivement plutôt chanceux - que ce soit humain ou pokémon, personne ne l'avait jusque-là provoqué de cette manière. Il supposa que son corps était suffisamment intimidant pour que les quelques idiots abandonnent leurs idées.
Grom, au milieu de cette foule, se taisait lui aussi.
°-°-°-°Depuis leur arrivée en ville, il s'écoula une semaine remarquablement paisible. Gvidon passa la plus grande partie de son temps avec Feliks et son groupe d’amis.
Celui qui s'était amusé à faire peur au gringalet était Lyov, et ce dernier se nommait Matvey.
Lyov était un large et grand homme, aux cheveux noirs qui ne semblaient n'avoir jamais rencontré de brosse. Quand le groupe riait, c'était lui qui émettait le plus de bruit. Il combattait à la mitraillette, mais espérait être promu à la division des tanks.
Matvey avait une carrure plus frêle, et possédait des yeux remarquablement clairs. Lui, il était impeccable peigné et prenait soin d'entretenir sa petite barbe blonde. Il était aviateur. Sur le corps de son engin, il avait dessiné une rousse aux formes voluptueuses qui souriait d'un air séducteur aux passants. Il prenait grand soin de cet avion qu'il appelait
sa femme
avec autodérision.
C'était les principaux membres ; il y en avait quelques autres mais leurs visages ne s'imprimèrent pas dans la mémoire de Gvidon. Mais il y avait deux autres compagnons, qui eux, ne laissèrent pas le scalpion indifférent.
C'étaient les deux soldats qui lui avaient demandé de tuer le prisonnier.
Il ne voulut pas savoir leurs noms, il ne voulut pas connaître leurs raisons - il ne voulait, juste, pas
les connaître du tout. La première fois que Gvidon vit les deux humains arrivés au milieu du groupe, l'air innocent, comme si rien ne s'était jamais passé, le pokémon ne réagit pas tout de suite. Il était si tétanisé qu'il les fixa longuement, cherchant une issue. Les deux autres ne soufflèrent mot, mais il comprit à leurs regards qu'ils l'avaient reconnu aussi. Le pokémon se recula lorsqu'ils tentèrent de l'approcher pour faire
connaissance
. Au final, il prit simplement la fuite, sans écouter ce que ces hommes avaient à dire.
Feliks essaya à plusieurs reprises de le faire
parler
, d'essayer de comprendre pourquoi il s'enfuyait. Mais Gvidon ne lui répondit jamais. À quoi bon ? Il ne comprendrait pas. Peut-être même qu'il cautionnait ce que ces hommes avaient fait par son intermédiaire. Mais le pokémon Ténèbres voulut le croire innocent. Qu'il n'en avait eu mot. C'était plus simple, comme ça. Ça faisait moins mal. C'était moins… déchirant.
Dans ces moments-là, le pokémon Coupant s'en allait explorer un peu la ville. Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait toujours
besoin (sans exagérer) de faire une sorte de patrouille autour de camp. C'était quelque chose qui le prenait et qu'il ne pouvait refuser d’exécuter.
En général, les gens s'éloignaient, voire le fuyaient, lorsque le scalpion s'approchait des habitations. Les mères rappelaient leurs enfants, on fermait les volets. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Mais… il se sentait un peu gêné. Il n'avait pas l'impression de bafouer leur territoire et il n'avait pas d'intention belliqueuse. Il crut que c'était d'abord parce que les habitants ne l'aimaient pas, pour une raison ou une autre, mais, en vérité, ils faisaient la même chose avec les soldats.
Il avait vu une étrange scène qui illustrait bien la méfiance que pouvait porter certains habitants. Un humain, en tenue militaire, un peu devant lui, avait toqué au carreau d'une maison. Au début, personne ne lui répondit. Puis, un peu abruptement, une femme (elle devait avoir une petite trentaine d'années) lui ouvrit, le visage pincé.
— Bonjour. Pardon madame de vous déranger, commença poliment le soldat, est-ce que vous pourriez me donner un verre d’eau ?
— Désolé, monsieur, rétorqua son interlocutrice d'un ton acide, mais nous n'avons pas d'eau, vous avez déjà tout bu !
Et elle lui claqua la fenêtre au nez. L'homme resta muet un moment avant de se retourner vers Gvidon. Ses yeux étaient tellement écarquillés que le pokémon crut qu'ils allaient tombés par terre.
— T'as vu ça, petit ?
Le scalpion hocha la tête.
— Eh bhé… J'ai plus qu'à retourner à la base… murmura-t-il à lui-même.
En vérité, et Gvidon l'apprendra plus tard, les ruraux commençaient à se plaindre de la présence intempestive de l'armée. Des
accidents
avaient été reportées, et ils dénonçaient l'abus dans l'utilisation des ressources qu'ils mettaient à leur disposition. On leur reprochait également de ne pas faire leur
devoir
. Une tension s'était ainsi installée entre les autochtones et eux…
Cela n'empêcha Gvidon de continuer ses petites sorties, une fois qu'il comprit leur raison. Ce n'était tout de même pas de sa faute si les humains n'arrivaient pas à se gérer !
Et puis… c'était juste plus fort que lui. Il fallait qu'il regarde, qu'il vérifie si tout allait bien…
°-°-°-°En revenant de l'une d'elle, il eut la surprise d'être rejoint par Andrey. Il ne sut dire si ce qu'il ressentit le plus était l'agacement ou la joie d'être enfin reconnu. L'amertume fut ce qui triompha lorsque le blond lui ordonna de le suivre. Le pokémon ne savait pas ce qu'il comptait faire de lui, mais il sentait déjà que ce serait pénible.
L'humain l'emmena dans un bar. Il n'y avait pas encore trop de monde à cette heure. De ce fait, c'était plutôt calme. Quelqu'un devait jouer du piano, dans le fond… C'était une mélodie un peu mélancolique. Gvidon ne la reconnut pas.
Ils s'approchèrent du comptoir. Il y avait une femme dans une robe excentrique aux couleurs vives qui se retourna vers eux. Apparemment, elle attendait Andrey.
— Voilà. C'est lui.
C'était Andrey qui avait lâché cette phrase avec un peu d'humeur. L'humaine se pencha légèrement de sa chaise, afin de mieux observer le pokémon. Bien qu'elle semblait plus curieuse qu'autre chose, il devait admettre que cela ne le mit pas à l'aise. Elle empestait le maquillage et le parfum bon marché, en plus d'odeurs d'homme diverses.
— C'est vrai qu'il est… particulier. Qu'est-ce que c'est déjà, comme pokémon ?
Elle avait une jolie voix par contre. Un peu grave et sereine.
— Un scalpion. Type Acier et Ténèbres. Répertorié comme le pokémon Coupant, évolue en scalproie, récita Andrey.
— Hm. Je n'en avais jamais vu avant.
— Ils sont pas super communs… Mais surtout, ils sont difficiles à capturer. À moins de dompter le chef ou de récupérer un-à-un des bannis, c'est un coup à se prendre tout un groupe de bestioles assoiffées de sang sur le dos.
Il avait énoncé cela sur le ton de la plaisanterie. C'était la première fois que Gvidon voyait le dresseur sourire.
La jeune femme eut un rire mélodieux. Elle continua sur la même tonalité :
— C'est vrai qu'ils n'ont pas l'air commode…
Gvidon exhala bruyamment par le nez.
Merci, ça fait plaisir, pensa-t-il très fort.
La femme eut un mouvement de tête, entraînant sa chevelure ambrée légèrement bouclée vers son visage diaphane.
Puis, elle s'abaissa, sans quitter sa chaise, vers le pokémon, tendant une main pour le toucher…
Aussitôt, Gvidon eut un réflexe défensif, présentant ses lames manuelles en sifflant. D'abord elle l'insultait et maintenait elle voulait montrer de la familiarité ? Pour qui se prenait-elle ! Si elle voulait quelque chose à caresser, qu'elle aille se trouver un de ces petits ponchiens de compagnie ! Lui, il n'était pas un jouet !
Il n'en fallut pas moins pour qu'Andrey s'emporte au quart de tour. Une kyrielle de reproches lui tomba dessus : mais quel abruti, quel bâtard, quel connard il pouvait être ! Et pour qui il se prenait pour menacer Dunya de cette manière, il avait intérêt à baisser les lames tout de suite, blablabla…
Une étincelle de colère s'illumina dans le cœur de Gvidon. Si Andrey avait continué sur cette lancée, le pokémon aurait fini par commettre une grosse, très grosse bêtise.
Mais la femme - Dunya, il présuma - se leva de son siège et fit face au dresseur.
— Andrey, je t'en prie, ce n'en vaut pas la peine. Il ne m'a pas blessé…
— Encore heureux, grommela-t-il.
— Andrey, insista-t-elle, les gens nous regardent.
Effectivement, une bonne vingtaine de pairs d'yeux s'étaient retournées vers eux. Andrey baissa les siens, soupira bruyamment et se rassit sans délicatesse, vaincu. La femme rapprocha son siège de lui et s'installa là. Satisfait, Gvidon rétracta ses lames et adopta une posture plus tranquille.
Bien qu'ils lui faisaient dos, le petit pokémon pouvait très bien observer que l'humaine tenait la main du soldat, la caressant de temps en temps avec une certaine tendresse.
— Pourquoi tu t'es emporté comme ça ? lui souffla-t-elle attristée.
— Il m'agace. Il est fort, je ne le nie pas, mais qu'est-ce qu'il est con.
— … Ce n'est qu'un pokémon, Andy. C'est moi qui n'aurai pas dû…
— Non, ce n'est pas de ta faute…
Ils ne se dirent plus rien un moment. La barman leur demanda s'ils voulaient autre chose. Le couple lui fit signe que non. Gvidon tapa un peu des pieds : il commençait à avoir mal aux jambes à force de rester debout.
— … Andrey, je peux te poser une question un peu personnelle ?
Le blond eut un petit rire.
— Je pense que nous avons un peu passé le cap pour pouvoir poser ce genre de question, non ?
— Tsss… J’imagine.
Elle se tut un moment avant de se lancer.
— Est-ce que tu serais, par hasard… de confession Azurienne?
Silence. On entendit des verres tinter.
— Oui, finit-il par lâcher.
— … Oh.
— Je sais ce que tu penses - tu ne serais pas la première. Je ne te demande pas d'y adhérer mais... accepte-le, simplement. S'il te plait.
— Ça ne pose aucun problème ! s'exclama Dunya aussitôt avant de reprendre plus calmement : C'est juste... il me semble que vous avez une vision particulière sur les pokémons… Je me trompe ? J'admets ne pas vraiment m'y connaitre...
Andrey eut un rire amer.
— Ouais, il paraît… Mais en vérité, les autres n'en pensent pas moins. Oui, le Recueil stipule que l'Homme devrait régir sur toutes les créatures terrestres et détruire les spectres, mais sa femme est son égale au moins. Contrairement à l'Arcéuscisme… Enfin. Ça en dérange visiblement trop certains. Mon Recueil a "mystérieusement" disparu pas plus tard qu'hier... Et ça va faire mon deuxième qui disparaît de la sorte.
Le bruit du piano en fond s'arrêta. Dunya s'écarta du blond pour lui faire face. Elle avait un très beau sourire. Un peu triste. Mais joli quand même.
Andrey soupira :
— Les gens si hypocrites…
— Oui…
Gvidon avait fini par s'assoir par terre. Le sol n'était pas vraiment propre, mais tant pis.
— Je suis désolée pour ton Recueil.
— Ce n'est pas de ta faute.
— Non, mais ce doit être particulièrement… enrageant.
— Ça l'est.
Le piano reprit, mais c'était plus maladroit. Il y avait beaucoup de fausses notes.
— C'est moi qui devrait être désolé pour toi, continua le soldat.
Les lèvres rouges vives de la femme s'entrouvrirent, un peu surprise. Andrey la regarda, et à défaut d'être confiant, Gvidon le trouva particulièrement sincère.
— Quand la guerre sera terminée, tu pourrais… venir à la maison. On ne croule pas sous l'or, mais on s'en tire… On pourrait, te trouver un travail…
La femme prit une expression plus mélancolique. Andrey pinça ses lèvres. Gvidon grattait par terre.
— Je suis sérieux, continua-t-il, je…
— Je sais. Je suis très touchée parce que tu dis… Tu es vraiment quelqu'un de bien, Andy. Mais, tu es sûr que ta famille voudra de quelqu'un comme moi ?
— Elle est plus ouverte d'esprit que tu ne le crois, répliqua-t-il du tac-au-tac, je suis certain qu'elle t'acceptera. Ce n'est pas… comme si c'était de ta faute…
Son ton sérieux fit sourire son interlocutrice.
— À propos de travail, il va falloir que j'y aille… J'ai encore des clients à prendre… susurra-t-elle si doucement que Gvidon faillit ne pas l'entendre.
Son visage s'était déformé en une étrange grimace en disant cela. Elle battit des paupières et changea d'expression, plus douce.
— Prend soin de toi, Andy. Reste en vie, et n'oublie pas ta promesse.
— Je ne reviens jamais sur ma parole.
Il lui attrapa la main et l'embrassa avec une grande affection. Il la laissa s'échapper avec un certain déchirement.
Dunya monta à l'étage et Andrey resta assis-là, plongé dans une contemplation rêveuse et quelque peu douloureuse.
Gvidon se demanda s'il pouvait partir maintenant. La conversation terminée, il s'ennuyait de pied ferme. Andrey n'entendit pas ses pensées, mais, par coïncidence, il se décida à partir à ce moment précis.
— Debout, on y va, ordonna-t-il prestement.
Le scalpion ne se fit pas prier. En quelques instants, ils furent dehors.
Ils marchaient vers le campement, lorsqu'ils entendirent derrière eux :
— Hey camarade ! Justement, je te cherchais !
Gvidon reconnut aussitôt la voix de Feliks. Et Andrey aussi ; il se permit de marmonner :
— Oh non, pas lui…
Astérix de Grom et bla-bla sur le chapitreGrom veut dire « foudre » en serbe. Gvidon est quant à lui le héros de Le conte du Tsar Saltan. L’anecdote du soldat qui demande de l’eau est inspirée d’un fait divers dont mon arrière-grand-mère tirait, parait-il, une certaine fierté.