Chapitre 374 : Les menaces pour le monde
Bertsbrand, commandant de la X-Squad, attendit patiemment que le général Tender eut fini de lui transmettre ses ordres par radio, avant de déclarer :
- Sauf votre respect, monsieur général, ça put le non-swag à plein nez.
- Ça pourrait puer le pet d'un Moufflair que ça ne changerait rien, répliqua Tender. Ce sont les ordres de Madame Boss, qui elle-même les tient du Haut Conseil de la FAL.
Ouais, c'est facile à dire ça quand on est à l'abri sur le Giovanni, à plusieurs kilomètres du sol au-dessus de Kanto, là où les zombies ne peuvent pas l'atteindre.
- Selon Mercutio, on parvint à peine à rester dissimulés d'Horrorscor et des Démons Majeurs, qui peuvent sentir le Flux ou leurs comparses à une certaine distance. S'approcher davantage est une très mauvaise idée, et le faire en se divisant est too much mauvais.
- Eh bien réfléchissez un peu, commandant ! Si Mercutio et Gluzebub sont si facilement repérables par l'ennemi, vous pouvez retourner ça contre eux.
- Comment ça ?
- Il veut dire qu'on peut se servir d'eux pour en attirer pas mal quelque part et attaquer ceux qui restent pendant ce temps, ducon, expliqua patiemment Anna, la seconde de Bertsbrand. Une diversion, en gros.
- Mercutio et Gluzebub sont une part importante de notre force de frappe, femme, répliqua Bertsbrand.
- Tu veux dire que tu ne peux pas aller massacrer quelques zombies habillé de ton Excalord sans eux ? On ne nous a pas demandé de décimer l'armée en un coup, mais d'aller les titiller pour les ralentir et avoir une meilleure vue d'ensemble de leurs forces.
- Il se trouve que j'envisage tous les cas de figures. Si on tombe sur de trop gros morceaux sans possibilité de fuite…
- Ta prudence flirte avec la couardise depuis que Venamia t'a foutu une branlée, tu le sais ça ? Je te préférais même comme l'insupportable casse-cou que tu étais avant.
Mercutio bailla ostensiblement tandis que les deux s'enguirlandaient. Comme il avait été absent presque une année entière, il n'avait fait la connaissance de ces deux là que depuis deux mois. Et même si, à l'inverse de sa sœur jumelle, il ne se considérait nullement comme un génie des cœurs, ça avait été clair dès la première semaine que ces deux abrutis en pinçaient l'un pour l'autre. Leur façon de se chamailler et de se traiter de tous les noms au moins cinq fois par jour n'en était qu'une évidence. Ils étaient tous les deux trop fiers pour avouer leurs sentiments et préféraient se taper dessus à la place. Bah, c'était à eux de voir, sauf que leurs prises de bec constantes sur tout et n'importe quoi commençaient un peu à lui taper sur le système.
- Dîtes, chers supérieurs, intervint-il, je peux facilement utiliser une poussée de Flux à un endroit et me retrouver à un autre cinq kilomètres plus loin en quelques secondes si Galatea s'y trouve.
- Votre transfert-aimant fonctionne même si elle ne peut plus utiliser le Flux ? Demanda Solaris.
- Qu'elle ne puisse pas momentanément s'en servir ne change rien à sa présence en son sein. Je peux la repérer à plusieurs kilomètres à la ronde et axé ma téléportation vers elle sans souci.
Évidemment, Bertsbrand et Anna, qui n'étaient guère familiers de la science du Flux et des capacités gémellaires de Mercutio et Galatea, froncèrent les sourcils à l'unisson.
- Transfert-aimant ? Répéta Bertsbrand. C'est quoi ce truc au nom si ringard ?
- Téléportation instantanée d'un jumeau vers l'autre grâce au Flux, expliqua Galatea. Le nom est en effet pourri, parce que c'est Mercutio qui l'a choisi, mais le concept est tout sauf ringard.
Ils avaient oublié le général Tender à la radio, qui commençait à s'impatienter.
- Débrouillez-vous comme vous voulez. Je vous fais confiance. Tender, terminé.
Après un mois passé à observer de loin l'armée ennemie et à se cacher, la X-Squad en avait assez vu pour redouter l'instant où elle devrait se battre. Mais enfin passer à l'action restait quand même un soulagement. Zeff, qui était assis à aiguiser sa pistolame, se leva en s'étirant.
- Bon, on va enfin pouvoir découper des cadavres alors ? Je commençais à en avoir assez de rien foutre, à observer ce décor lugubre…
Pour être lugubre, il l'était. La X-Squad se plaçait toujours derrière l'Armée des Ombres, et avait donc une superbe vue sur les dégâts qu'elle provoquait en avançant. Une bonne partie de Kanto n'était plus que cette terre aride et sombre qui donnait la nausée aux jumeaux Crust. Kanto était leur région natale, et la voir ainsi les désolait.
- Que je craignisse que les découper ne serve guère, Zeff Feurning, signala Djosan. Ces putrides macchabées continuent à bouger ensuite, quel que soit le nombre de morceaux.
- Suffit de les découper en tellement de petits morceaux qu'ils deviendront inutiles, raisonna Zeff. Ou alors... J'ai une meilleure idée ! On s'approche suffisamment pour buter cette nana, Lyre. C'est elle qui ranime les morts. Dès qu'elle clamsera, ils redeviendront tous de gentils cadavres inoffensifs. Eux, et ptet même tous ces anciens Marquis. Eh, l'assassin de mes deux, t'es partant ?
Il s'adressait à Ithil, qui depuis la bataille de Veframia, était encore plus sombre et lugubre, si c'était possible.
- Tu te glisses dans ta dimension spectrale, tu surgis derrière elle et tu l'égorges, poursuivit Zeff. Le plus gros de cette armée de merde disparaîtra en un seul coup de couteau. Elle ne peut même plus se battre, d'après ce qu'a dit Cosmunia. Divalina lui a coupé sa main qui servait à voler la force vitale de ses ennemis.
- Je doute que ce soit si simple, soupira Galatea. C'est une armée de Pokemon Spectre. Ils sentiront Ithil arriver bien avant. Et Lyre sera sûrement avec le Marquis des Ombres : un gars possédé par Horrorscor, qui a les même propriétés qu'un Pokemon Spectre et Ténèbres et qui est aussi le G-Man mutant d'un Munja... Les ombres et la dimension spectrale ne sont sûrement pas nos alliés contre tout ce beau monde.
- Et mon unité n'est pas une unité d'assassinat, ajouta Bertsbrand d'un ton sans réplique. Venir à bout de son ennemi en combat singulier et loyal, de préférence avec une réplique badasse, c'est swag. Se faufiler dans les ténèbres pour tuer quelqu'un par derrière, qui plus est une femelle, ça ne l'est pas.
Mercutio les laissa argumenter et s'envoyer des piques en songeant à cette Lyre Sybel. Une jeune femme des plus désagréables et dangereuses, à en croire les différents rapports. Pourtant Mercutio ne l'avait que peu croisé sur son chemin. En fait, il l'avait même embrassé par mégarde, pensant qu'il s'agissait d'Eryl, encore sa petite-amie à l'époque. Elle était son portrait craché. Du moins physiquement. Mentalement, elle était dérangée, cruelle, vicieuse, et tout plein d'autres qualités du même genre.
Zeff disait vrai en affirmant qu'elle était le point faible de l'Armée des Ombres, et que la tuer lui porterai un coup fatal. Néanmoins, si Mercutio avait le choix, il préférait la capturer vivante. Dans toute cette armée de tarés, zombies, démons et autres revenants affiliés aux ténèbres, Lyre Sybel était peut-être la seule personne qui pouvait être excusée. Elle n'avait pas choisi de naître Enfant de la Corruption, et de ce fait avoir l'esprit pollué par cette noirceur et ces pouvoirs qui la rendaient dingues petit à petit. Selon Cosmunia, c'était le triste destin de tous les enfants qui ont été engendrés par une personne partageant son âme avec Horrorscor.
S'ils pouvaient la capturer vivante, et quand le Pokemon de la Corruption aura enfin disparu, peut-être trouveraient-ils un moyen de soigner Lyre, pour qu'elle puisse vivre enfin une vie normale. Un espoir sans doute naïf, Mercutio en convenait. Mais il ne pouvait s’empêcher d'avoir pitié de cette fille, malgré tout ce qu'elle avait fait. En revanche, il n'aurait aucune pitié pour son acolyte, Silas Brenwark alias Mister Smiley. Lui ne pouvait prétendre à aucune excuse. C'était un psychopathe d'un degré rarement atteint, qui avait choisi de l'être par pur sadisme. Le hic, c'était qu'il était responsable de la transformation de la Pierre des Larmes en Eryl grâce à ses pouvoirs d'Imaginatus. Le tuer reviendrait à tuer Eryl, ou du moins à la ramener à l'état de caillou. Silas en personne le lui avait dit quand ils s'étaient affronter lors de la bataille de Veframia.
Mercutio ne l'avait pas dit à Eryl, mais il se doutait que la Reine de l'Innocence en avait parfaitement conscience. Probablement qu'Eryl n'aurait aucun problème à se sacrifier pour le triomphe de l'Innocence, comme Erubin l'avait fait jadis face à Horrorscor. Mais la FAL pouvait-elle se permettre de perdre sa souveraine face à un sbire comme Brenwark ? Eryl ne devait-elle pas plutôt faire face au Marquis et le défaire, en annihilant au passage Horrorscor en lui ?
Mercutio était plongé dans ses pensées quand le Flux lui murmura quelque chose. Il avait repéré, de très loin, une ou plusieurs présences qui n'étaient certainement pas celles des soldats du Marquis. Ça ne dura qu'un court instant, mais Mercutio en eut la certitude : il y avait dans les environs quelqu'un ou quelque chose qui n'était pas un ami de la Corruption. Une présence quelque peu familière, mais tellement diffuse que Mercutio ne put pas mettre de nom dessus.
- On n’est pas seul, prévint-il les autres.
- On le sait, pour sûr, acquiesça Goldenger. Il y a devant nous toute une armée de méchants pas beau.
- Non, c'est différent. Je crois... que ce sont des alliés. Ils résonnent dans le Flux et ne puent pas la Corruption.
- S'ils ne puent pas, ils doivent être bons à manger, théorisa Gluzebub.
Leur Démon Majeur allié sous sa forme d'enfant humain rondouillard était, comme d'habitude, en train de vider un flacon de mayonnaise. Il portait sur le dos un gros sac qui en contenait plus d'une dizaine. Mercutio avait toujours un peu de mal à se faire à sa présence, alors qu'il était un Pokemon millénaire et démoniaque, mais il n'y avait aucune tromperie chez Gluzebub, seulement une naïveté aberrante et une gloutonnerie éternelle.
- On va éviter de manger nos alliés si possible, fit Solaris. On en aurait besoin de bien d'autres contre ce qui se trouve devant nous…
***
En dépit de ce que l'Ordre G-Man aimait déclarer sur l'égalité des chances à la naissance, il y avait eu très peu, dans l'Histoire, de Grand Maître qui était né de deux parents humains. Il y en avait encore moins eu qui étaient né d'humains ET orphelins. L'ordre millénaire des Aura Gardiens formait tous les G-Man potentiels, d'où qu'ils viennent et sans distinction, mais rechignait à ce qu'un G-Man sorti de nulle part accède à une haute position en son sein.
C'était pourtant le cas de Peter Lance. Né de parents humains, il avait été abandonné très jeune et avait grandi en alternant la rue et des familles d'accueil. Quand il fut en âge de débuter un voyage initiatique de dresseur, il n'a pas hésité. Ses pouvoirs s'étaient déjà manifestés, et grâce à eux, il avait pu se forger un lien très fort avec les Pokemon, jusqu'à devenir rapidement un dresseur acclamé. Il s'était ensuite engagé dans l'armée de Kanto, espérant s'y forger un nom et une place. C'était là qu'il avait été repéré par l'Ordre G-Man, et amené ici, à Alamirgo, leur forteresse antique, il y a de ça une cinquantaine d'années.
Il était devenu le Grand Maître de l'Ordre moins de dix ans plus tard, à un âge très jeune pour ce poste. Pas grâce à son nom : il n'en avait aucun. Le nom de Lance, il se l'était donné lui-même. Pas grâce à son influence : il venait de nulle part et n'était célèbre que parmi les dresseurs Pokemon de Kanto. Pas grâce à son argent : il était fauché comme les blés. Non. Si Peter était devenu Grand Maître si tôt et alors même qu'il n'avait aucun atout politique, c'était grâce à une seule chose très simple. Peter était devenu Grand Maître des G-Man, car il était le plus puissant d'entre eux.
On n'avait plus vu un G-Man de sa trempe depuis près de trois cents ans. Sa maîtrise de l'Aura surpassait celle de G-Man qui avaient trois fois son âge. Le Pokemon dont il partageait l'ADN, Dracolosse, était réputé pour sa force et sa rareté extrême. Qui plus est, Peter avait inventé de nouveaux concepts d'Aura, réformé l'entraînement des G-Man pour le rendre supérieur à 200%, et lui-même bénéficiait d'une condition physique optimale, fruit d'un entraînement militaire poussé. Sa sagesse, sa droiture et sa soif de justice avaient impressionné jusqu'aux plus sceptiques et honorables maîtres G-Man. Bref, Peter Lance était l'Aura Gardien ultime.
Mais même le titre de Grand Maître n'avait pas suffit à Lance. Il avait refusé de s'enfermer dans son bureau de la forteresse pour y signer des décrets et serrer des mains de Chefs d’État. Il était un homme action. Il était donc retourné à ses deux occupations avant que l'Ordre ne le recrute, à savoir les Pokemon, et la guerre. Plus que ravis de compter le Grand Maître G-Man en personne dans leur armée personnelle, les Dignitaires en avaient fait leur général en chef. Et peu de temps après, Peter avait fondé le Conseil des 4, pour protéger le trône vacant de Maître Pokemon de la région Kanto.
Avec toutes ces fonctions, Peter ne venait plus que très rarement à Alamirgo, et laissait le soin à ses fidèles conseillers G-Man de diriger l'Ordre en son nom. Une situation qui avait déplu à nombre de G-Man, courroucés de voir leur Grand Maître servir qu'une seule région, alors qu'il aurait dû se vouer au monde entier dans un principe de neutralité. En cela, Peter était conscient d'avoir été un Grand Maître déplorable. Et aujourd'hui, alors qu'il avait le plus besoin du soutien de ses pairs, il allait le payer.
- Nous comprenons bien le caractère urgent de votre démarche, Grand Maître. Mais en l'état actuel des choses, je crains que nous ne puissions y répondre favorablement.
Ce parler distingué était celui de Shayor Marghul, probablement le G-Man le plus puissant derrière Lance, et également le chef de file du Parti Gémanique Traditionnel, un groupe clairement opposé au Grand Maître actuel. Lance aurait pu se passer d'eux, mais beaucoup d'autres G-Man de l'assemblée, sans être ses membres du PGT, soutenaient Marghul.
Lance était venu à Alamirgo pour tenter de mobiliser l'Ordre contre l'armée du Marquis des Ténèbres qui étaient en train d'envahir Kanto. Malgré les divers conflits et rivalités qui l'opposait à pas mal de G-Man nobles et traditionnels, il avait pensé que ce serait une affaire entendue, que la menace que faisait peser cette armée sur le monde entier justifiait l'intervention de tous les G-Man. Mais il avait sous-estimé le mépris que lui vouaient Marghul et ses fidèles, et l'emprise qu'ils avaient sur l'Ordre.
- Et moi, je crains de ne pas saisir les raisons de votre refus, Lord Marghul, répliqua Lance avec toute son autorité de Grand Maître dans la voix. N'est-ce pas du ressort de l'Ordre d'intervenir contre tout ce qui menace l'équilibre du monde ? Une armée de millions de cadavres et de centaines de milliers de Pokemon Spectre ne vous semble pas suffisante pour justifier la mobilisation générale ?
Marghul lui fit un de ses sourires insolent dont il avait le secret. Sapé comme un roi de jadis, dans un costume scintillant aux couleurs du Pokemon dont il partageait l'ADN, le chef du PGT, avec ses longs cheveux violets et son visage parfait, était l'incarnation même de la noblesse et de la grâce. Il descendait d'une très longue lignée de G-Man qui avaient pris l'habitude de toujours rechercher le partenaire G-Man idéal pour renforcer leur patrimoine génétique, via des combinaisons complexes. Lance avait le plus grand dédain pour ces pratiques eugéniques, qui, selon nombre de généticiens sérieux, étaient totalement sans fondement. Pire : selon ces mêmes études, la restriction du patrimoine génétique aux seuls G-Man avait tendance à affaiblir le gène en question et la maîtrise de l'Aura.
Mais la bande à Marghul, fiers comme des paons de leur sang pur, croyaient totalement l'inverse. Plus ils se reproduiront exclusivement entre eux, des G-Man purs de longues lignées, plus ils se renforceront. Leur chef était le parfait exemple pour eux. Il était le premier G-Man d'un Pokemon Légendaire depuis le grand Methesker Valderous, dit le Bâtisseur, en personne, il y a près de six cents ans. Mais si Lance ne contestait aucunement la puissance de Marghul, pour lui, elle ne provenait seulement que du hasard de la génétique, et pas de générations de reproductions ciblées.
- L'équilibre du monde ? Répéta Marghul. Pardonnez-moi mon seigneur, mais la seule chose que menace cette armée pour le moment, c'est la seule région de Kanto. Et la raison de son attaque est évidente : la chute du Grand Empire de Johkan et la catastrophe qui en a découlé à Veframia. Une catastrophe dont votre chère FAL n'est pas étrangère, à ce qu'on a cru comprendre.
Lance ne chercha même pas à argumenter contre ça. Si Marghul avait décidé que l'activation de la bombe Arctimes et la mort de la quasi-totalité des gens de Veframia étaient de la faute de la FAL, il ne le ferait pas changer d'avis. Et tristement, c'était ce que pensait pas mal de gens dans le monde.
- Votre... nouveau pays, intervint Lord Fushard, le second de Marghul, est entièrement responsable de ce qui se passe actuellement à Kanto, du fait de ses actions constantes à vouloir désorganiser le pouvoir légitime du Grand Empire. Il ne fait aucun doute que cette armée sortie de nulle part n'aurait pas osé montrer le bout de son nez si Venamia contrôlait encore Kanto du haut de sa toute puissance.
Lance savait que Marghul et ses partisans désapprouvaient son engagement auprès d'un Etat en particulier, et ça, le Grand Maître pouvait le comprendre. Mais qu'ils furent des partisans du régime autoritaire et meurtrier de Venamia, ça c'était aberrant.
- La légitimité de Venamia reposait sur la guerre, la conquête et le meurtre, répliqua froidement Lance. Votre parti est tombé bien bas pour en arriver à soutenir ce genre de personnage.
- Laissons de côté les convictions de chacun, fit Lord Termain Argoin, un autre fidèle de Marghul. Chaque G-Man peut penser ce qu'il veut, du moment qu'il agit de façon neutre... ce que vous n'avez jamais fait, Grand Maître. Votre présence aujourd'hui, à tenter de nous recruter au nom de la FAL et de sa prétendue Reine de l'Innocence, le prouve à nouveau.
- Je suis ici au nom de personne, protesta Lance. J'offre mes conseils et mon aide au gouvernement de la Fédération des Alliances Libres, mais je n'y ai aucun poste officiel et ne prend aucun ordre d'eux. Je suis ici en tant que Grand Maître de l'Ordre, pour convaincre mes frères et soeurs de la menace qui nous guette. Soyez-sûr que cette armée ne va pas s'arrêter aux frontières de Kanto. Le but d'Horrorscor est de recouvrir le monde entier sous la Corruption. Il n'a que faire des pays et de la politique de chacun. C'est un ennemi global qui menace le monde entier, et donc il est de notre devoir d'intervenir.
- Ah oui, le fameux Horrorscor, ricana ostensiblement Marghul. Ce mythique Pokemon de la Corruption que personne n'a jamais encore confirmé. La raison pour laquelle Venamia aurait été si peu recommande. Un Pokemon censé être mort mais qui chercherait à ressusciter. Et donc nous sommes censés vous croire sur parole, Grand Maître ? Vous avez choisi un tissu rouge à agiter bien pratique…
- Seigneur Marghul... fit Lance lentement. Dois-je comprendre que vous me traitez de menteur ?
- Allons, tout de suite les grands mots, Seigneur Lance... Je dis simplement que l'existence de ce Pokemon est non-avérée, de même que ses objectifs. Or, nous avons un Pokemon à l'existence tout à fait avéré et aux objectifs de plus en plus clairs qui menacent réellement les humains, et ce depuis plus longtemps que cette armée spectrale. Je veux bien sûr parler de Suicune, qui réunit de plus en plus de Pokemon dans son Palais de l'Aurore dans la région Tishgard. Son assaut contre l'humanité est imminent !
- Vous voulez faire passer un Pokemon idéaliste et quelques fidèles qui ne restent qu'entre eux aux confins du monde comme plus menaçants qu'une armée gigantesque, bien réelle et qui dévaste en ce moment même une région des plus importantes du monde ?
Bien sûr, Lance avait eu vent des problèmes que créaient le Vent du Nord, à propager parmi les Pokemon une haine des humains, et à réunir peu à peu un nombre assez important de partisans. Les G-Man allaient devoir s'en occuper un jour ou l'autre. Mais ce n'était clairement pas le moment. Sauf que Marghul pensait différemment. Il n'avait jamais caché son hostilité aux Pokemon et à la toute puissance qu'il souhaitait aux humains. Dès lors, quelqu'un comme Suicune était pour lui l'ennemi ultime.
- Je crois que nous allons en rester là, Grand Maître, soupira Marghul. Nous allons encore sombrer dans des débats idéologiques sans fin et inutiles. Vous avez le droit et l'autorité de recruter tous les G-Man que vous voulez, si toutefois ils sont d'accord pour vous suivre. Mais nous ne vous accorderons pas les voix nécessaires pour sonner la mobilisation générale de l'Ordre entier. Ça n'a plus était fait depuis des siècles, et c'est bien trop tôt étant donné l'incertitude de la menace que vous évoquez. Sur ce, nous vous souhaitons une agréable journée. Profitez-bien des joies d'Alamirgo avant de partir, surtout. Nous savons que vos visites chez nous sont fort rares…
Et il quitta l'assemblée, entraînant avec lui les membres de son parti, et donc près de la moitié de la salle. D'autres G-Man sortirent aussi. Beaucoup. Il ne restait à la fin que des G-Man fidèles à Lance, une petite trentaine. Bien loin de la moitié de ce que Lance avait espéré ramener à la FAL... Il descendit tout de même de l'estrade et alla saluer avec chaleur les G-Man restant. Un d'entre eux était la dernière disciple qu'il avait formée, Marion Karennis, G-Man de Noctali. Jadis une adolescente paumée qui avait été manipulée par la Team Rocket et qui contrôlait à peine ses pouvoirs, aujourd'hui un Maître G-Man à part entière.
- C'était pire que je le pensais, lui avoua Peter. Je n'aurai jamais imaginé que le PGT avait acquis assez d'influence pour bloquer un vote de mobilisation... Mais c'est ma faute. À trop jouer au soldat et au dresseur ailleurs, on ne voit plus ce qui se passe chez soi.
- Accepter une mobilisation générale, et accepter d'aller combattre avec vous sont deux choses différentes, répondit Marion. Je pense que nous sommes plus nombreux que ça. Si vous alliez en convaincre certains, un par un…
Lance hocha la tête, mais nota l'absence d'un autre de ses anciens disciples dans la pièce, qui quittait pourtant rarement Marion d'une semelle.
- Où est Clément ?
La G-Man de Noctali eut une moue gênée.
- J'ai peur qu'il ne se soit fait de nouveaux amis. Je l'ai vu souvent parler avec Argoin d'autres figures du PGT ces jours-ci.
Lance ouvrit les yeux comme des soucoupes.
- Il aurait rejoint le parti ?!
- Pas encore. Disons qu'il se laisse flatter, sachant que Marghul cherche à le recruter pour mieux vous atteindre. Mais il est vrai qu'il m'a fait savoir, il y a quelques jours, qu'il en avait assez de combattre dans les éternels conflits de Johkan. Je suis désolé, maître. Je suis sûre que si vous allez lui parler, il…
- C'est bon, Marion, soupira Lance. Chaque G-Man est libre. Clément est longtemps resté auprès de moi par reconnaissance et loyauté, mais je n'ai pas le droit de lui forcer la main.
Peter alla à la rencontre des autres G-Man qui étaient restés pour le suivre, et eut la surprise de tomber sur un intrus notable.
- Agent Beladonis ? Vous seriez-vous trouvé des pouvoirs G-Man sur le tard ?
Il serra avec un sourire la main d'un homme austère en imperméable marron. En tant que général des armées de Kanto, il avait souvent travaillé avec Beladonis, un inspecteur spécial des Forces de Police Internationale. Un homme très professionnel... parfois un peu trop. Il était accompagné d'une jeune femme en costume noir et aux cheveux mauves.
- Mes respects, général, fit Beladonis. Je suis venu à Alamirgo pour une affaire spéciale, et comme j'ai entendu que vous étiez rentré et que vous teniez un discours ici, je me suis permis de venir écouter.
- J'aurai préféré que vous vous absteniez, soupira Lance. Vous n'auriez pas vu ce spectacle désolant…
- J'ai souvent été en réunion avec les Dignitaires à vos côtés, général, lui rappela Beladonis. Rien de ce que j'ai vu ici ne pourrait me choquer. Je sais que la situation à Kanto est grave et que vous êtes sans nul doute pressé, mais si vous pouviez m'accorder un petit moment... Je préférerai avoir affaire avec vous plutôt qu'aux charmants gentilshommes qui viennent de quitter la salle.
- Que puis-je pour vous, inspecteur ? Quel terrible criminel vous a poussé à mener une enquête jusqu'à notre trou perdu ? D'ailleurs, où vous bossez actuellement ? Ça fait un bail qu'on ne vous a plus vu à Johkan.
- J'ai été muté peu après l'invasion de Vriff. J'ai rejoint une unité spéciale, chargée d'enquêter sur les mystères et la possible menace que représentent les Ultra-Chimères, ces Pokemon provenant d'autres dimensions qui débarquent parfois sur Terre. Le nom de cet unité est le Pôle Lié aux Opérations Ultra-Chimères, ou P.L.O.U.C en abrégé.
- Euh, je vois…
Lance se retint de signaler la stupidité de ce sigle. Les FPI aimaient bien trouver des acronymes originaux pour ses divers groupes ou missions.
- Et voici ma supérieure, la cheffe de notre unité : l'Agent Spéciale Cathy.
La jeune femme à la chevelure violette s'inclina respectueusement devant Lance, qui lui rendit son salut. Et pour la première fois, il sentit une résonance dans l'Aura qui provenait d'elle.
- Cathy-chef est la raison de ma visite chez vous, poursuivit Beladonis. En plus d'être une dresseuse redoutable, elle possède certaines... capacités peu communes, du genre que vous autres G-Man êtes les seuls à pouvoir expliquer. Elle peut communiquer avec ses Pokemon Psy par la seule pensée, et peut, grâce à un contact visuel, lire celles des autres, humains compris.
- Intéressant, fit Lance. Vous pensez posséder des prédispositions aux arts G-Man donc, mademoiselle Cathy ?
La supérieure de Beladonis rougit quelque peu.
- Mon cas est un peu complexe, Grand Maître. J'ai longtemps travaillé avec les Ultra-Chimères et était en contact avec divers pouvoirs paranormaux. J'ai également subi une amnésie partielle du fait d'une présence prolongée dans l'Ultra-Brèche. Mes... pouvoirs pourraient facilement s'expliquer.
- Cathy-chef est un peu trop intimidée pour parler franchement, signala Beladonis. J'ai dû presque la traîner pour l'amener jusqu'ici. Elle n'aime pas parler de ses pouvoirs. Et pourtant, ils sont présents en elle depuis bien avant qu'elle n'intègre le PLOUC. Ça n'a donc aucun rapport avec les Ultra-Chimères. D'ailleurs, vous lui donneriez quel âge, général ?
- Beladonis ! Se fâcha Cathy. Ça ne se fait pas de parler de l'âge d'une femme en sa présence !
- Elle a vingt-huit ans, continua l'inspecteur sans se soucier des remontrances de sa supérieure. Vingt-huit, alors qu'on ne lui en donnerait même pas vingt ! Et il est bien connu que les G-Man vieillissent plus lentement que les humains ordinaires.
Lance acquiesça. Ce n'était peut-être pas évident sur Cathy, qui était encore jeune, mais oui, les G-Man avait une durée de vie en moyenne deux fois supérieures aux humains classiques, et donc à partir d'un certain âge, vieillissaient deux fois moins vite. Lance, par exemple, avait soixante-seize ans, alors qu'il avait encore le physique d'un homme de quarante.
- Je ressens effectivement une certaine résonance dans l'Aura de mademoiselle Cathy, avoua Peter. D'après ce que vous me décrivez, il est fort possible qu'elle soit la G-Man d'un Pokemon Psy. Vous devriez rester quelque jours à Alamirgo, le temps qu'on vous analyse et qu'on détermine votre potentiel G-Man.
- Je dois vous prévenir, Grand Maître, que je suis ici simplement parce que Beladonis m'a harcelé pendant des années. Je veux bien passer des tests pour être sûre, mais même s'ils sont positifs, je n'ai aucunement l'intention de devenir G-Man. Je suis et je demeurerai un agent des FPI.
Peter eut un sourire amusé. Combien de fois il avait entendu ce genre de phrase quand il avait annoncé leurs pouvoirs G-Man à de nouvelles personnes ?
- Agent Cathy, vous ferez ce que vous voudrez bien sûr, mais sachez que l'un n’empêche pas l'autre. Les G-Man peuvent pratiquer le métier qu'ils désirent. Ils ont juste quelques obligations et un code à respecter. La formation est toutefois assez longue, et un récent décret – que je n'ai pas approuvé par ailleurs – oblige les aspirants G-Man à la passer ici pour un temps déterminé.
- Un temps que je n'aurai sans doute pas, conclut Cathy. Je me dois à temps complet à mon unité et à mes subordonnés. Je sais que ça paraît secondaire voire risible quand on a une armée gigantesque de zombies et de fantômes à s'occuper comme vous, mais les Ultra-Chimères peuvent réellement constituer une menace sérieuse contre les populations.
- Loin de moi l'idée d'en douter.
Lance avait dit cela par politesse, mais en réalité, tout dresseur d'élite qu'il soit, il ne savait pas grand-chose à propos des Ultra-Chimères, si ce n'était la teneur des événements paranormaux qui se sont déroulés dans l'archipel Alola il y a quelques années.
- Je vais vous mener à notre médecin G-Man qui est spécialisé dans la détection de notre gène spécial. Les examens et tests durent environs trois jours. Vous serez ensuite libre de rester ou de partir.
Après que Lance eut amené Cathy jusqu'au cabinet en question, il tomba sur Marion qui l'attendait derrière la porte.
- Je vous ai vu parler et partir avec cette fille. Elle me disait quelque chose. Pas à vous ?
- Je ne me souviens pas de l'avoir déjà vu, non.
- On ne l'a jamais vu en personne, mais on en a entendu parler. Vous vous souvenez du Battle Frontier ? Cette attraction semblable à une Ligue que ce Scott venu d'Hoenn a voulu importer à Kanto ? Il y avait bien une Cathy parmi les Génies Extrêmes. Une jeune fille spécialisée dans les Pokemon Psy qui gardait la Tour de Combat.
Lance fouilla dans sa mémoire. C'était bien possible, oui.
- Comme quoi, les G-Man ont souvent une belle carrière de dresseurs derrière ou devant eux. Nous sommes intimement liés aux Pokemon. C'est pour ça que les discours suprémacistes de Marghul me révoltent. Tout comme ceux qui, de l'autre côté, font la même chose contre les humains, comme Suicune. Humains et Pokemon sont fait pour vivre ensemble, s'entendre et progresser. Et je le prouverai... une fois qu'on en aura fini avec cet emmerdant Pokemon de la Corruption, qui du coup est une exception à ce que je disais.