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Traque de deux jours de Ramius



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Informations

» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 12/03/2020 à 18:45
» Dernière mise à jour le 12/03/2020 à 18:45

» Mots-clés :   Absence de poké balls

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Les âmes en peine
Les épées n’ont pas d’yeux. Ni d’oreilles, ni de nez, rien. C’est plutôt embêtant. À la limite, un arbre peut se faire pousser des yeux quand il lui vient l’envie de se déplacer, mais pour une épée, nada.

Ça ne veut pas dire pour autant que l’épée est aveugle. Elle sent ce qu’il y a autour d’elle. Sans trop pouvoir se l’expliquer, et de toute façon elle n’essaie pas. C’est comme ça, point. D’ailleurs, à partir du moment où une épée pense, elle est un peu immunisée à l’incrédulité.

L’épée voit. Autour d’elle, il y a des formes, des courants, des couleurs, un panorama assez splendide. Elle a appris depuis longtemps à comprendre ce que cela représentait.

Déjà, il y a le décor. Partout, les flux sont lents, comme s’ils réfléchissaient avant de bouger. Ils reproduisent des motifs en les bouleversant avec audace. C’est le désert, le sable et le chant des dunes, et l’épée trouve qu’on dirait de l’art. Pourtant, elle n’a jamais vu d’art. C’est un lointain souvenir, comme la vue, un peu nostalgique.

Là, ce nœud bouillonnant, ce lac qui s’abreuve aux flux du désert et dont l’énergie déborde en une course joyeuse et passionnée, c’est le Carchacrok. L’épée le trouve un peu simplet, mais elle l’aime bien.

Entre l’épée et le Carchacrok, il y a Cara. C’est une humaine, ce qui fait que l’épée arrive à comprendre pratiquement tout ce qu’elle pense et fait — même si au début, le calme de Cara a pas mal perturbé l’épée. Pourtant, l’épée elle-même est calme ; plus que ça, le temps n’a aucune prise sur elle, alors elle peut se détacher totalement du monde. Par contre ses pensées ont tendance à s’égarer.

L’épée pense qu’autrefois, elle a été humaine. Déjà parce que les décisions prises par Cara lui semblent logiques, alors que celles du Carchacrok sont parfois… déroutantes. Ensuite, l’épée peut voir par les yeux des humains. Là, par exemple, elle perçoit un trouble autour des courants qui sont Cara : ce trouble, si elle le regarde, il prend la forme d’une fenêtre ovale, et l’épée voit le désert doré.

C’est plus difficile avec les autres ; d’ailleurs, l’épée raisonne en termes d’humains et de non-humains, c’est plus facile. Même si elle n’aime pas beaucoup l’idée d’être animale et d’avoir été humaine, ça ne semble pas élégant. Parce qu’elle n’est définitivement pas humaine. Mais l’épée a la flemme d’adapter ses expressions.

Le désert ne contient pas que du sable, il y a aussi un paquet d’humains. Tout à l’heure, l’épée en a encore senti un paquet, et l’a signalé à Cara. Apparemment, ce ne sont pas des proies, mais un village. L’épée aime bien les villages ; il y a tellement de gens que leurs vues viennent remplacer les formes et les courants. L’épée se retrouve rapidement en train de regarder par des dizaines d’yeux, de voir le village sous tous ses angles, et c’est très marrant. Pour l’instant, le village est indistinct ; proche, mais pas assez.

Ceci dit, dans le désert, rien n’est jamais vraiment loin pour un Carchacrok. Il est le vaisseau du désert, et l’épée trouve qu’un vaisseau avec un aileron a bien plus de classe qu’un vaisseau avec une bosse. En plus elle n’a pas le mal de mer sur ce vaisseau-là ; mais ça fait des éternités qu’elle ne s’est pas sentie malade.

Donc, le Carchacrok ne tarde pas à atteindre le village. Stupeur. L’épée se plonge dans les troubles.

C’est un village au soleil, sans Arbre à contes pour l’abriter. Les tentes se tassent en cercle autour du champ, et des clôtures en os les entourent. Elles ne sont pas là pour arrêter les humains, ou alors seulement les plus jeunes, mais les cailloux qu’ils élèvent.

On pourrait croire qu’il n’y a rien, là. Entre les tentes en peau d’Excavarenne, les rues sont aussi sablonneuses que le désert. Mais il y a un village. Un buisson de Maracachi a décidé de s’établir à cet endroit ; les humains qui les suivent ont planté leurs tentes autour d’eux, monté la clôture, et se sont installés.

Avec eux, s’est installé leur bétail. Quelques Excavarenne, une ribambelle de Sapereau, et même un Donphan. Et les Nodulithe, naturellement ; mais eux, on ne peut pas les faire marcher dans une direction, il faut les porter.

Et un petit village nomade s’est fixé au milieu du désert.

Combien y a-t-il d’humains ? Cinquante, cent ? Adultes, enfants, vieillards, tous confondus. Et combien de prédateurs, au dehors ? Combien de villages comme celui-ci ? L’épée ne le sait pas. Elle a abandonné le temps, elle s’est figée dans l’instant.

Avec le soir tombant, l’activité baisse. Quelques personnes traînent derrière elles des râteaux, au milieu des Maracachi, pour retourner une dernière fois le sable qui demain matin sera aussi propre qu’il est fertile ce soir. L’Alchimiste chatouille un des animaux immobiles avec une tige en bois, le titille, le harasse, pour récolter un des sucs qu’ils produisent. Dans les rues, il y a quelqu’un qui verse un peu partout, dans le sable, quelques gouttes d’une des potions issues des Plantes. Les Nodulithe se ruent dessus, à environ trois mètres par nute. L’épée se dit que même elle peut bouger plus vite.

Ailleurs, d’autres êtres vivent. Le Donphan dort, enseveli sous une montagne de Sapereau. Non loin de lui, un Excavarenne baille ; puis attrape négligemment un Nodulithe qui passait par là, et croque dedans. Le caillou ne ressent aucune douleur ; en fait, autour de lui, les formes et les courants disent son attente de devenir quelque chose de plus grand, sans comprendre que ce n’est pas ainsi que cela devrait se passer. Les Nodulithe ne savent pas que dans ce village, ils n’Évoluent jamais.

Les humains vont, viennent et se prélassent. Il y a des guetteurs, quatre, qui surveillent le désert alentour. En un cri de leur part, dix autres accourront avec une lance à la main. Une maigre défense contre une meute de chiens, se dit l’épée. Ou tout simplement contre un prédateur alpha, comme celui qui s’approche.

Les guetteurs ne voient pas encore le Carchacrok, caché par le sommet d’une dune. Mais ça ne tardera pas ; il en grimpe le flanc, avec un enthousiasme tout sauf feint. L’épée ne serait pas surprise qu’il décolle de quelques mètres une fois au sommet. Bientôt, un cri d’alerte traversera le village.

L’épée s’attarde un instant près des humains, même si elle sera bientôt plongée dans leur foule. Elle voudrait savourer ce moment de calme. Elle laisse traîner sa perception, elle se régale des sens humains qui traînent.

Et elle trouve un petit fragment de sérénité qu’elle croyait perdu. Elle a à peine le temps de faire le compte avant que la mélodie ne l’emporte : ce siècle-ci, c’est la deux-mille quatre cent unième fois qu’elle oublie qu’elle peut aussi entendre ce que disent les oreilles humaines. Et puis la berceuse la noie, le plus tranquillement du monde.

Uh don ov cent hu-y, uh boy bon bai uh lay’…

L’épée se laisse attendrir par cette mélodie plus ancienne qu’elle. Elle se coule dans le flot de paroles, elle se rappelle l’histoire si belle et si triste. La langue s’est perdue, le nom du héros s’est perdu, tout ce qu’il a connu et qu’il a aimé a été enseveli, mais une berceuse a conservé sa mémoire. Un autre vers remonte à l’esprit de l’épée.

Who hides behind 4859 ?

L’épée se rappelle. Elle connaît le nom, elle connaît l’histoire, même si tout s’est éteint dans le passé, même si personne ne lui demandera jamais de transmettre cette mémoire. Elle se rappelle, et immortelle, elle se rappellera pour toujours.

Alors que l’enfant s’endort, dans les bras de la berceuse que l’épée reprend, que son acier fredonne doucement, le Carchacrok s’élance dans le ciel ; reste suspendu dans l’azur carmin, comme un instant d’éternité. Et comme il retombe la sérénité du village vole en éclat, les cris retentissent de deux endroits, la panique se répand comme un hurlement.

DÉMON !

Terreur ! On se lève on cesse toute occupation et on cherche comment survivre, même les animaux lèvent la tête et sont contaminés par la peur primale qui se niche dans leurs entrailles depuis la nuit des temps qui les avertit du prédateur qui sauve les meilleurs d’entre eux quand le requin pointe le bout de son museau, et puis l’épée sent la main de Cara se poser sur sa poignée.

La Guerrière des Sables sent le fredonnement qui parcourt le métal, la vibration qui a bercé son enfance, mais elle reste imperturbable. Elle lève l’épée d’un moulinet du poignet, une longue habitude derrière elle. Elle a l’habitude des frasques de son Démon.

La lame large et épaisse, les deux rubans qui dansent sans se soucier du vent, et le bouclier rond qui passe de l’un à l’autre : l’épée non plus ne craint pas de se donner en spectacle. Mais il faut bien qu’on la reconnaisse !

Et on la reconnaît. Un autre cri s’élève, répété, Guerrier des Sables ! , un cri d’apaisement. Le village ne perdra personne ce soir, ni demain. Pour une précieuse poignée d’heures, il est sous la protection du plus grand pouvoir du désert. Un ascète qui a dompté le Démon et qui s’accompagne d’une épée mystérieuse. Des trois, difficile de dire lequel inspire le plus de crainte respectueuse.

Mais cela, l’épée s’en fiche éperdument. Le moment de calme absolu qui précède la tempête est terminé : maintenant, c’est l’heure de la fête. Ce soir, le village nourrit un Guerrier du Sable, et le plus souvent, les villages accueillent chaudement ces visiteurs-là. Alors qu’ils sont censés être ascètes.

Ceci dit, c’est plus par habitude. La plupart du temps, les Guerriers passent leurs journées à chevaucher, et le soir, ils bivouaquent dans le désert, mangeant des lanières de viande séchée. En pratique, ils font toujours honneur à l’hospitalité des villages.

Et voilà, le Carchacrok ralentit sa course, se redresse ; la Guerrière descend, ils entrent dans le village en marchant, et des nomades émerveillés sortent entre les tentes pour voir de plus près la bête et l’humain — l’humaine ! — qui la maîtrise. Les villages nomades ne peuvent pas être indiqués sur une carte, contrairement à ceux qui s’établissent au pied d’un Arbre à contes. Ils ne reçoivent que rarement de la visite, et plus rarement encore celle d’un Guerrier.

L’épée s’abreuve, goulûment. Des sensations, des images, des sons, volent dans les courants qui l’entourent ; elle n’a qu’à laisser traîner son attention pour être partout, pour être parcourue par la vie de dizaines de personnes. Elle vit par procuration, mais nul ne pourrait comprendre ce qu’elle vit. L’épée, en cet instant, est plus vivante que tous les habitants réunis ; elle est autre chose, une autre forme d’elle-même. Le Torterra savoure la caresse du soleil dans son feuillage, le Flambusard savoure l’embrassade de l’air qui le porte, le Carchacrok savoure la vitesse enivrante de sa course dans le désert ; de même l’épée savoure le flot de perceptions qui lui parviennent, comme si elle était un immense organisme repu et satisfait d’être en vie.

Elle ne sera pas bien active, ce soir, à cette fête improvisée en partie en son honneur. Elle se contentera d’observer silencieusement, de se sentir à sa place au milieu d’un village serein et joyeux.

Chaque instant est éternel, pour elle. Le temps ne la concerne pas — pas de mort, pas de rouille, pas de fatigue — et elle peut choisir de s’attarder sur chaque instant. L’accolade traditionnelle que la Guerrière donne à l’Alchimiste, l’échange des noms avec le village, l’aide que l’invité donne à son hôte pour préparer le repas et qui commémore les empoisonnements autrefois si fréquents. Et aujourd’hui pas forcément disparus.

Il y a un repas, l’épée ne s’en soucie pas. Les villageois se veulent généreux avec leur invitée, mais l’épée ne mange pas. Elle attend. Elle sait ce qu’il y aura ensuite. Elle patiente en se régalant de l’atmosphère même de la fête.

Le soir avance, l’ombre tombe sur le désert. La fatigue se répand silencieusement dans les cœurs, les paupières se ferment, les enfants se calment. Pour l’épée, c’est comme de se sentir ivre : ses perceptions étendues s’émoussent, se fanent. Pourtant le meilleur reste à venir : c’est cette ivresse qui le rend possible. La nourriture est emportée, l’Alchimiste s’avance. Dans un cercle dégagé entre les Maracachi et l’étreinte des tentes, où le village s’est rassemblé, en laissant le guet à l’épée, l’Alchimiste propose à son invitée d’entendre un conte.

Cela ne vaut pas un Arbre à contes… Mais la vie dans le désert est fruste, naturellement. Les humains peuvent essayer de s’adapter aux Maracachi, de les traiter comme un des Arbres millénaires ; ce sera suffisant, ce ne sera jamais pareil.

Cara accepte. On ne peut rien cacher à l’épée et l’épée sent clairement que la Guerrière appréhende ; aura-t-elle encore droit au conte d’Oghonek ? Elle l’a déjà entendue un bon milliard de fois, l’histoire du premier homme à avoir dompté un Carchacrok. Le Guerrier né de la Guerre et de la Sagesse, l’homme qui a repoussé la tyrannie des royaumes côtiers, l’homme qui rétamait des armées (avec son petit doigt), bla, bla, bla.

Mais non. L’Alchimiste est plus malin que ça, il choisit un conte plus ancien et moins susceptible d’être devenu indigeste. Il parle d’un homme normal, et dès les premiers mots l’épée se rappelle la morale. Elle écoute tout de même ; cet homme raconte bien, avec une voix agréable, réconfortante et pas moralisatrice pour deux sous. Le village sombre dans une torpeur hallucinée au fil du conte ; l’épée entre en transe, transportée dans un lointain passé par cinquante imaginations qui recréent un paysage précis au grain de sable près.

Il y a bien longtemps, à l’époque où les Regs tombaient du ciel en flammes… Quand le désert n’avait rien d’accueillant, quand les Humains se cloîtraient dans leurs villes côtières, quand ils craignaient la mer, les dieux du désert existaient déjà. Ils contemplaient le monde depuis les dunes, et ils attendaient que les fous cessent de quérir la pitié de la mer meurtrière. Les dieux offraient des vies nouvelles, et les fous ne les saisissaient pas. Les fous ne faisaient que tourner en rond, sans fin.

Il y avait un homme, qui ne parvenait pas à nourrir sa femme et son fils. Il était pêcheur, et il avait beau demander à la mer de le prendre en pitié, elle ne faisait qu’abîmer son bateau un peu plus chaque jour et perçait des trous dans son âme à chaque trou dans la coque. Alors cet homme se tourna vers les dieux du désert.

Il marcha dans le désert, escaladant vaillamment les dunes, et à chaque crête, et à chaque creux, il tombait agenouillé dans le sable, et il priait. Il implorait les dieux de prendre en pitié une pauvre âme errante. Il marcha jusqu’à tomber d’épuisement, jusqu’à sentir sa langue se dessécher sous la soif, et il continua de marcher. Quand il estima qu’il fallait rentrer, il lança une dernière prière dans l’air du désert. Et à peine avait-il fini de parler, qu’une langue de flamme déchira le ciel. Au loin, un Reg tombait.

L’homme y vit un signe, un signe qui réconforta son cœur. Il ne lui avait pas semblé particulièrement remarquable d’être resté en vie si longtemps ; maintenant qu’il contemplait le ciel qui donnait naissance à l’Acier, il comprenait qu’il n’était rien. Que dans le désert, tout était un signe, et que les dieux l’avaient entendu depuis longtemps ou ne l’entendraient jamais. Alors il fit demi-tour et rentra chez lui.

Sur son chemin, il croisa deux monstres aux prises pour leur survie. Un Scorpion de la Terre, tout jeune encore, tentait de vaincre un Serpent-Tempête, aussi jeune que lui, pour le manger. Aucun des deux n’avait l’avantage. L’homme s’approcha, mû par l’idée qu’en ce jour où les dieux avaient été bons envers lui, il se devait d’être bon envers une créature du désert. Alors il choisit ; il se saisit du Scorpion, l’immobilisa, et lui écrasa la tête de son talon.

Le Serpent le regarda un instant, puis enfouit son museau dans la carcasse et en fit son repas. Assuré d’avoir fait une bonne action, l’homme rentra chez lui. La soif et l’épuisement le tuèrent deux jours plus tard.

Son fils prit sa place dans son bateau, et parvint à nourrir sa maigre famille. L’homme qui mangeait tant s’en était allé, la vie devenait plus facile. Mais la mer, rancunière, refusa de se contenter d’une seule victime, et deux ans plus tard, c’était au tour du jeune homme de se rendre dans le désert pour implorer ses dieux. Il marcha tout le jour, suivant le tracé des dunes, priant les dieux, comme son père avant lui. Ce jour-là, un Reg fendit les cieux, et vint se déposer sur le sable du désert. Le jeune homme y vit un signe, et décida de rentrer.

Sur son chemin, il fut attaqué par une meute de Chiens des Enfers. Mais alors qu’il était encerclé, le sable se souleva tout autour de lui, et il fut enveloppé par un Serpent-Tempête adulte. Face à cet esprit du désert bien plus redoutable qu’eux, les Chiens s’enfuirent sans demander leur reste. Le Serpent se retourna vers le jeune homme, et s’écoula tout autour de lui, pour le laisser partir. Ce jour-là, il avait payé sa dette de sang au père du jeune homme.

Ce dernier rentra chez lui, et y arriva sans attache. Il porta son deuil, puis retourna dans le désert dont il avait appris la clémence, pour rejoindre les nomades qui y survivaient tant bien que mal.

Les dieux savent. Ils veillent sur les âmes en peine, et assurent la sauvegarde de ce qu’elles ont de plus précieux. Ils sont cruels, aussi, car la vie dans le désert est cruelle, et la cruauté des dieux est là pour nous rappeler que nous ne sommes qu’une partie d’un tout. Les dieux savent ce qui est le plus important, et ils le sauveront quand le moment sera opportun.

Est-ce fini ? Il est temps de remercier le conteur, de se disperser, de rejoindre une natte ou d’étendre la sienne, et de s’étendre pour la nuit. En espérant qu’on ne sera pas réveillé au milieu des ténèbres parce que les Maracachi ont décidé d’aller se planter ailleurs.

Mais au moins, cette nuit, personne n’aura à faire le guet, et on n’aura pas à craindre les animaux sauvages qui rôdent dans le désert. Il y a un Guerrier des Sables dans le village ; il est intouchable.

Alors on baisse la garde, comme on le fait si rarement, quand on se rappelle comment faire, on se détend, on reste immergé dans l’histoire, on s’imagine les lignes de vies tracées par les dieux pour les enfants de ce jeune homme qui a eu les grâces d’un Serpent-Tempête. On se demande si en soi, profondément, on ne porterait pas encore une trace de cette bienveillance dont le désert a fait preuve.

Le village s’endort, sortant l’épée du flot de sensations dont elle n’est plus dotée. La nuit tombe, et avec elle un seul être reste éveillé. L’épée ne connaît pas le sommeil, seulement le repos et l’action.

Le village peut dormir sur sa centaine d’oreilles : une épée antique veille sur lui.