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Ce qui ne tue pas... [O-S] de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 21/02/2020 à 11:13
» Dernière mise à jour le 06/03/2020 à 17:16

» Mots-clés :   Absence de combats   Kanto   One-shot   Organisation criminelle

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... rend vivant.
Attendre
On donna un ordre. Ou peut-être pas, peut-être que les hommes de main étaient assez autonomes pour agir sans ordres. Quoi qu’il en soit, l’homme fut introduit dans une autre pièce. L’apparence écrasante du grand hall laissa la place à une ambiance plus feutrée, tamisée par les tapisseries pendant au mur. Celles-ci apportaient à l’endroit une touche de prestige, d’ancienneté, que l’entrée moderne du bâtiment n’avait pas, pas plus que ce hall dans les étages.

La porte se referma sur le silence de la salle d’attente. L’homme était seul, désormais. Autant qu’il pouvait l’être… À vrai dire, quelques autres attendaient dans cette pièce ; mais ils ne comptaient pas. Inutile de les étudier ; le temps passerait mieux en examinant les tapisseries. Et peut-être cela ferait-il bonne impression sur le maître des lieux.

Il n’aurait pas trop su dater ces pans archaïques. Vestiges d’une époque lointaine ? Dans leur forme, dans l’absence de nécessité de recouvrir les murs de tissus, c’en étaient. Mais la qualité du fil, l’éclat des couleurs, la précision des détails, faisaient douter de leur âge.

Des scènes étaient représentées, aussi. De la vie. Quelques morts. Partout, la vanité. Ça ne l’avançait à rien, alors l’homme s’amusa à compter les Pokémons représentés.

Ce jour-là
Les routes sont dangereuses. La voiture est la machine qui a causé le plus de morts de toute l’histoire de l’Humanité. Mais un conducteur expérimenté ne ressent pas cela. Il manie son engin, et s’il connaît les risques, il ne les comprend pas. On ne peut pas comprendre sans l’avoir vécu.

Crim gardait les deux mains sur le volant, fixait sa route tout en vérifiant régulièrement ses rétroviseurs et ne prêtait pas attention à la carte routière. Son fidèle Aldebert s’en occupait pour lui. En tant que Spectre, lui ne craignait pas du tout les accidents. Il se permettait donc de signaler à son Dresseur la direction à prendre.

Ou bien il admirait le paysage, comme maintenant. À l’approche d’un pont, la carte ne servait à rien. C’est donc lui qui le vit en premier. Et sans doute ces sens mystérieux dont les Pokémons font parfois la démonstration le prévinrent-ils aussi.

Intrigué par le comportement étrange de son compagnon et rassuré par la ligne droite du pont, Crim chercha du regard le problème. Il le trouva dans le ciel : un Pokémon. À cette distance, il était difficile à discerner, mais il ne semblait pas avoir besoin d’ailes pour voler. Crim s’en étonna un moment, puis fixa à nouveau sa route (après l’habituel coup d’œil au compte-tours).

Cela ne lui servit à rien ; il n’aurait rien pu faire, d’ailleurs. Quand le pont se disloqua, la voiture fut broyée avec lui, avant même d’avoir commencé à chuter.

Temps gagné dans le temps perdu
Le bureau où se déroulerait l’entretien d’embauche aurait au moins deux portes. Cela, il pouvait le dire avec certitude, car aucun de ceux qui n’y étaient entrés n’en étaient ressortis dans la salle d’attente. Ils étaient donc passés ailleurs. Deux portes au moins ; d’autant plus de possibilités en suspens. Fuir, surveiller, voir venir. Ou des gardes. Les gardes couraient les rues, dans ce bâtiment.

Le temps passe quoi qu’on fasse, alors mieux vaut s’en servir. Pour la quatrième fois, l’homme entama une discussion fictive avec son futur interlocuteur. Il s’en réjouirait plus tard, s’il parvenait à prédire une façon dont la conversation tournait. Sur l’heure, l’avantage gagné serait conséquent. Et si ça n’arrivait pas, tant pis.

Un Abo, deux Étourmi, trois… Peut-être n’y avait-il aucun Pokémon représenté trois fois sur ces tapisseries ? Trois secondes, alors. Quatre Galopa, cinq Gaulet. Non, six. Aucune importance.

Un des hommes de main entra dans la salle. C’était pour lui. À moins d’un imprévu incalculable, ou de mille détails inutiles. Il serait vite fixé, de toute façon.

Monsieur Inelle.

Gagné, encore. Mais on était censé appeler avec une phrase interrogative, absolument pas marquée par le sbire. Là encore, l’homme s’en moquait. Il ne corrigerait jamais cette faute, alors... Sans un mot, il se leva.

Autrefois, il aurait signalé au sbire son manquement aux convenances. Il l’aurait un peu titillé, en espérant provoquer un combat. Qu’il aurait gagné… Mais cela n’était plus possible ; et ça n’aurait pas été très intelligent ; et pourquoi songer à un présent alternatif que le passé rendait impossible ? Il suivit le sbire belliqueux dans l’antre de son maître.

Panique
Envoyez un hélicoptère. Nous ne pourrons jamais les ramener à temps.

— Bien. Sandra ! Demande un hélico au directeur, et casse-lui la gueule s’il refuse !

Avec plaisir, mais verbalement !

— Elle vous l’aura, je pense. Dans quel état sont-ils ?

— Critique. L’habitacle a été complètement tordu par la violence du choc. En fait, je suis surpris qu’ils aient survécu. Mais ça ne durera pas. À vrai dire, je ne sais même pas si vous pourrez les sauver. Il s’agit quand même d’une commotion cervicale majeure et d’une dissociation avancée du support…

— Ne pas réussir, ça nous arrive tous les jours… Ne pas essayer, par contre, ce serait criminel.

Allez vous faire foutre, monsieur !

—C’était Sandra, ça ?

— Oui. Une difficulté avec l’hélicoptère, on dirait.

— J’ai confiance en elle. Elle n’a jamais échoué sur ce coup-là.

Pourquoi un bureau ressemble-t-il à un corbeau ?
Peut-être pas deux portes, finalement. Il y avait un couloir avant le bureau proprement dit. Le sbire referma la porte derrière lui, respectueusement. Cela dénotait une autorité doublée d’un charisme certain de la part de leur maître… L’homme retînt ce point. Hors de question de se laisser surprendre.

Parce que c’était en accord avec son personnage, il commença par étudier la pièce. C’était un bureau d’apparat, conçu pour recevoir. Une large baie vitrée occupait tout un mur, reniant par son formidable point de vue sur la ville l’espace modéré disponible dans la pièce.

Sur le mur d’en face, confortablement installée dans la lumière ainsi offerte, il y avait encore une tapisserie. Tout aussi quelconque ; les deux autres murs étaient bien plus intéressants. Le premier comprenait la porte, et un écran géant qui en disait long sur la propension de l’occupant de la pièce à tout voir et tout entendre. L’homme nota aussi que le bureau ne portait pas d’ordinateur, sans y attarder son regard.

Le mur du fond, enfin. Regarder en dernier le mur visible en premier, car il est là pour impressionner et devrait être comparé aux autres. Ici, tout respirait la réussite. Celle du propriétaire de ces multiples titres, contrats, livres. En évidence dans un coin, une rangée de Poké Ball décorées (certainement vides) et une plaque arborant les huit Badges de Kanto.

Le maître des lieux, assis derrière son bureau, attendait calmement que son invité daigne le regarder. Il se tenait au centre du mur de décorations, au centre de tout. Le bureau lui-même, en bois de chêne sombre et vernis, était aussi dépouillé que possible. Là encore, seul comptait celui qui l’occupait.

C’était un homme d’âge mûr, quelque part entre la trentaine et la quarantaine. Peut-être un peu au-delà, mais alors bien conservé. Sous ses cheveux aile-de-corbeau, trop uniformes pour être honnêtes, un regard gris acier transperçait le visiteur comme une lame de couteau. Parfaitement à l’aise dans son costume noir, et en faisant beaucoup pour que son interlocuteur ne le soit pas. Ça aurait pu marcher, s’il n’y avait pas eu…

Lassé de ces examens, l’homme en noir prit la parole.

Monsieur Crim Inelle… Asseyez-vous, et nous allons commencer.

Toujours sans un mot, Crim tira une chaise rembourrée de son côté du bureau. Elle avait l’air confortable, il pourrait y endurer une longue conversation.

Survivre
Les trois médecins les plus expérimentés de l’hôpital étaient un petit peu débordés. En salle d’opération, à vrai dire. Aussi, celui qui était venu accueillir les secours sur l’héliport au sommet du grand bâtiment de béton était-il un petit peu nerveux.

À peine l’hélicoptère posé, ses portières s’ouvrirent, et un secouriste en jaillit comme un diable de sa boîte pour se précipiter vers le comité d’accueil.

Vous avez pris les dispositions nécessaires ?

— Oui. Je peux vous aider à le débarquer, si vous voulez…

— Sauf votre respect, lança le secouriste en repartant déjà vers l’appareil d’où on commençait à débarquer les passagers. Vous nous gêneriez et vous pourriez les tuer.

Choqué par cette gifle, l’autre ne répondit rien. Mais lorsque les secouristes eurent fini leur opération délicate ave un calme, une vitesse et une maîtrise impressionnantes, il reprit la parole.

Suivez-moi, par ici.

Il prit la direction de l’ascenseur, suivi par une civière dotée de sangles et une unité lourde de maintien en vie. Une fois que les portes se furent refermées sur le staccato de pales, il prit à nouveau la parole, en montrant d’un signe de tête le patient sur la civière, et la machine encombrante située à côté.

Ils sont plus qu’à moitié morts… Vous pensez qu’il y a quelque chose à faire ?

— Je ne sais pas, lui répondit-on. C’est vous le doc’… Mais il y avait un papier dans le portefeuille de l’homme.

— Trop de gens ne pensent jamais à ce genre de précaution… Que dit-il ?

Je veux vivre. À n’importe quel prix, gardez-moi en vie.

Contrôle
Bien… Vous voudriez postuler chez nous, mais je dois admettre que je ne comprends pas bien pourquoi. Votre CV est clair, mais un peu trop implicite, et vous mettez en avant d’autres compétences que celles que nous recherchons. Comment me l’expliquez-vous ?

Crim aurait pu le dire tout de suite… Mais il voulait sonder son interlocuteur, au risque de l’irriter. Contrôler la conversation valait bien cela.

Implicite ? Je n’aurais pas songé à cela… Cela peut sembler contradictoire, un CV implicite, non ?

— Vous vous écartez de la question, Inelle. Si votre réponse me convient, en revanche, nous pourrons envisager de jouer à ce petit jeu-là.

Voilà au moins qui était clair.

Je ne postule pas à la Silphe.

Derrière le bureau, l’homme leva un sourcil interrogateur. Le genre de geste qui n’était rien, mais voulait tout dire… Enfant, Crim avait souvent envié ceux qui en étaient capables. Maintenant, c’était son cas aussi… Mais le prix à payer avait été lourd.

Ma candidature concernait la Team Rocket, monsieur Giovanni.

Que faire ?
Le médecin contemplait la salle où s’affairaient les techniciens. En cet instant, il regrettait cruellement de ne pas être meilleur, plus vieux, plus expérimenté. À cause de sa jeunesse, il allait peut-être échouer à sauver ces deux patients. Mais la situation était si critique… Il pensa qu’à l’inverse, il pourrait peut-être réussir là où les anciens auraient échoué ; mais il n’était pas médecin pour raisonner ainsi.

L’homme voulait vivre. Avec une rupture de la moelle épinière au niveau du cou, et de nombreuses blessures, hémorragies internes et hématomes… C’était possible. Deux problèmes se posaient : la survie en question se ferait en fauteuil roulant, et serait compliquée à obtenir. Le patient, en effet, présentait également des blessures de nature psychique, nécessitant un traitement particulier. Conjointement avec les substances appropriées en cas de tétraplégie, un choc médicamenteux mortel pouvait survenir.

Le Pokémon, quant à lui… Il était rare de soigner les Spectres à l’hôpital. Ils étaient plus qu’à moitié immortels, et le plus souvent, un simple passage dans une unité légère de soin suffisait. Mais le support cet Ectoplasma avait été disloqué. Cela arrivait parfois, et ce n’était jamais banal. Une Branette pouvait mourir à cause d’une amputation.

Mais ici, c’était encore pire. Les Ectoplasma étaient constitués d’un gaz particulièrement vulnérable aux attaques Psy. En temps normal, celles-ci étaient déjà celles qui infligeaient le plus de dégâts à un support. Et cet Ectoplasma-ci en avait subi une extrêmement puissante. Le gaz qui constituait son corps se délitait, redevenant de l’air. Le Pokémon était littéralement en train de mourir par dissolution dans son unité lourde de maintien en vie.

Il existait peut-être un moyen de sauver le Dresseur et son compagnon. En fait, leurs problèmes étaient complémentaires. Mais le médecin hésita un moment. C’était un moyen terrible, et sans doute les deux patients le regretteraient-ils.

Il hésitait, tout en savant très bien qu’il n’avait pas le choix. Ce message, cet À n’importe quel prix, gardez-moi en vie , tournait en boucle dans ses oreilles, résonant avec la fermeté d’un ordre.

Mafieux, matheux
Pourquoi pensez-vous que j’aurais un quelconque lien avec cette mafia, Crim ?

Le ton était affable, avenant. Le Champion de Jadielle donnait l’impression de parler à un ami de longue date. Pour une menace, c’était une menace très courtoise.

Vous pouvez voir cela comme un avant-goût de ce que j’ai à vous offrir.

— À vrai dire, je serais fort satisfait que vous parveniez à m’expliquer ces deux points en même temps. Ils sont également obscurs…

— Et en même temps, très simples. Quel besoin avez-vous d’un mathématicien, vous demandez-vous ? Dites-moi… Connaissez-vous la loi de Benford ?

— Pas le moins du monde.

— C’est une loi de probabilité, qui permet de prédire la fréquence avec laquelle certains chiffres doivent apparaître dans une liste. Par exemple, si on prend toutes les transactions de la Silphe sur un mois, on peut faire deux listes. Parmi les transactions réelles, près d’un tiers concernent une somme dont le premier chiffre est un. Si, au contraire, on s’intéresse aux transactions fictives, on constate que cette proportion se rapproche d’un neuvième ; ce qui est un cas d’équiprobabilité.

— Je crois voir où vous voulez en venir…

— Vos transactions sont toutes fictives et je n’ai eu besoin que de cinq minutes dans vos comptes publics pour m’en rendre compte.

L’équilibre de la conversation vacillait, bousculé par cette gifle. Crim n’avait pas encore la certitude qu’il menait Giovanni par le bout du nez… mais ça ne tarderait pas trop. Il ne lui en faudrait pas moins, pour intégrer la Team Rocket.

Ouvrir et tourner de l’œil
Monsieur ? Monsieur, est-ce que vous m’entendez ?

Crim se sentait très mal. Quelque chose entre la pire gueule de bois qu’il ait jamais connu, et une sensation qu’il associait au mal de mer. Ou au vertige ? Dans un effort surhumain, il parvint à entrouvrir un œil. Et le referma aussitôt, ébloui par une intense lumière blanche.

Attendez un instant ; je vais réduire l’éclairage.

Derrière ses paupières closes, il sentit la blancheur devenir moins agressive. Il fit une nouvelle tentative.

Devant lui, un néon éteint pendait du mur. À côté, une petite lampe halogène répandait une douce lueur jaune. C’était bien plus confortable ainsi, mais quelque chose le dérangeait. Les lampes sont censées être au plafond, non ?

L’infirmière se pencha au-dessus de lui, et il comprit qu’il était allongé. Dans un lit d’hôpital, sans aucun souvenir de ce qui avait bien pu l’y mener. Il déglutit, puis réussit à ânonner quelques mots.

Que… Qu’est-ce… qui m’est arrivé…

Sa voix, faible et pâteuse, lui semblait étrangère.

Vous avez eu un accident de voiture. Vous êtes à l’hôpital, en salle de réveil. Vous avez subi une opération assez lourde, et vous êtes encore en vie.

— Ah…

— Mais vous devrez vous attendre à des séquelles. Monsieur, je sais que ce n’est pas agréable de l’apprendre comme ça, mais il vaut mieux que vous le sachiez tout de suite. Vous êtes tétraplégique.

Les criminels
Vous êtes remarquablement convainquant, Inelle. Face à de tels arguments, je crois bien que votre candidature m’intéresse. Vous ne m’offrez rien de moins qu’une protection dans un secteur d’activité où je suis démuni, après tout…

— Oui, je pensais bien que vous diriez quelque chose comme ça.

Toujours rester en mouvement. Toujours déconcerter. Aux yeux de la plupart des gens, le mathématicien est une bête curieuse, et Crim comptait bien se servir de cette image pour mener le jeu.

Au fait, vous avez remarqué l’ironie qu’il y a à postuler dans une mafia avec un nom comme le vôtre ?

— J’ai appris à ne plus y prêter attention.

— J’imagine, oui. Bien. Vous vous doutez, je suppose, que malgré un poste qui ressemble à celui d’un comptable, vous risquez en entrant dans ma Team Rocket d’être exposé à une certaine violence. Donc, que ce soit clair tout de suite. Avez-vous déjà été plongé directement dans l’horreur ? Avez-vous déjà ou avez-vous déjà été tué, violé, simplement volé, blessé ? En quelques mots, êtes-vous conscient de ce dans quoi vous vous engagez ?

L’image de demi-Humain en marge de la société fonctionnait, mais Crim ne s’en souciait plus. Les paroles de Giovanni le replongeaient dans son propre passé.

Ce pont, sur une vallée verdoyante. Ce pont déchiqueté par une puissance inhumaine. Sa propre voiture, broyée avec eux à l’intérieur, plongeant dans le vide. L’explosion du moteur, qui avait ralenti la chute et (paradoxalement) permis aux occupants de l’engin de survivre.

La souffrance, les larmes. La mort. Tout cela, causé par un unique Pokémon incapable de contenir son pouvoir.

… Oui.

Pendant un instant, le temps de dire un mot, Crim avait été lui-même. Maintenant il remettait son masque de mathématicien, et écoutait le Champion répondre.

Oui, vous l’avez vécu. Je sais reconnaître quelqu’un qui a frôlé la mort… Je m’en tiendrais là sur ce sujet.

Être vouvoyé
Le médecin était arrivé un peu plus tard. Il était plutôt jeune, un peu trop pour inspirer confiance, mais avec sa blouse sur lui, il parvenait à faire impression.

Monsieur Inelle. Vous vous sentez bien ?

— J’arrive à parler. C’est comme de se réveiller d’un rêve alcoolisé… Est-ce normal si je ne me rappelle pas de l’accident ?

— Tout à fait, oui .

Le médecin manquait d’assurance, mais être ainsi renvoyé à ses études devait le soulager un peu.

Vous avez subi un genre d’attaque Psy, qui a eu des conséquences sur votre mémoire ; mais les souvenirs vous reviendront petit à petit.

— Et mon Pokémon ?

Silence gêné. Pendant une seconde horrible, Crim s’imagina avoir survécu à Aldebert. Impensable.

Il est… Vivant. Mais, un peu dans le même état que vous. C’est-à dire.

— Ah… Vous m’avez fait peur. Il survivra ?

— En quelque sorte. L’attaque a détruit son support. Nous… Pour le sauver, et vous avec, nous avons dû le réincarner ailleurs. En l’occurrence, en vous.

En… Quoi ? Crim eut besoin d’un long moment avant d’assimiler cette idée. Son corps abritait Aldebert. Mais pourquoi ?

Pourquoi ?

— Vous aviez tous les deux besoin d’un traitement contre cette attaque. Dans votre cas, cela provoquait un choc médicamenteux. Mais l’incarnation supprimera un autre traitement, ce qui nous a permis de vous garder tous les deux en vie.

— Dans le même corps.

—Oui.

Soudain, Crim sentit une pression au niveau de son cou. Une peur, un malaise inexplicables et étrangers le submergèrent. Un dégoût de soi. Il essaya de comprendre, vainement — il ne pouvait plus respirer, il sentait déjà l’oxygène manquer. Sa propre main, devenue celle d’un autre, l’étranglait.

Autour du lit, c’était la panique. Personne n’avait anticipé cette réaction du Spectre ; en fait, il n’aurait même pas dû être déjà capable de faire bouger son nouveau réceptacle. Crim n’entendait rien, ni les cris ni les mouvements. Il se noyait dans une mer de sentiments qui n’étaient pas à lui.

Confusément, il réussit à comprendre ce qui arrivait. Il mobilisa alors toute sa volonté. Il voulait vivre, encore. Aldebert, d'habitude si jovial, était tenaillé par une envie de mourir enfin, d'abandonner le monde entier s'il ne pouvait pas rester dans son corps de gaz ; mais Crim ne partirait pas sans lutter. Il parvint à ouvrir la bouche, puis à émettre un son. Quelques mots, à peine articulés.

Aldebert… Laisse-moi… une chance…

Il se sentit partir, sombrer. C’était comme de s’endormir en sursaut…

Banalités
En fait, je pense déjà que je vais vous prendre. Pouvez-vous juste m’expliquer un peu vos motivations ?

L’instant critique. Mais il l’avait prévu, après tout.

Elles remontent au même sujet, justement. Mais rassurez-vous, ça ne me dérange pas.

— Je vous laisse juger.

— C’était un accident de voiture. Un Pokémon a désintégré un pont pendant que je roulais dessus, et a détruit ma vie. Un type Psy très puissant.

Giovanni réprima un grognement. Crim poursuivit, ignorant l’air pensif du Champion.

Je le recherche depuis ce jour. J’ai déjà réussi à comprendre pas mal de choses à son sujet. Il est artificiel, tout d’abord. Et aussi, vous le recherchez. Vous êtes les seuls qui pourraient m’aider à le retrouver.

— En effet. Ce Pokémon, Mewtwo, est un peu… Particulier. Et nous le recherchons. En fait, nous l’avons créé.

Crim savait déjà cela. Il s’attendait à devoir le cacher. À aucun moment il n’aurait pensé que Giovanni l’avouerait directement.

Et sans indiscrétion, vous avez prévu de faire quelque chose en particulier, une fois que vous serez en face de lui ?

— Pas vraiment. Confronté à celui qui m’a tout pris… je ne sais absolument pas comment je réagirai. Peut-être que je vais juste lui raconter mon histoire… Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que je ne pourrais pas tourner la page à moins.

Mensonge. Mais Giovanni n’était plus en mesure de s’en rendre compte. Si rusé soit-il, si immunisé aux problèmes sociaux, il avait mordu à l’hameçon. Maintenant, Crim n’avait plus qu’à ramener sa proie à lui, tout en douceur…

Éducation, rééducation
Ils avaient haï Mewtwo.

Le Pokémon artificiel enfui des laboratoires de la Team Rocket leur avait tout pris. Il avait détruit leurs vies, leurs corps. Tout.

Aldebert avait dû apprendre à contrôler cette forme humaine. Deux ans à l’hôpital, à marcher sur un tapis roulant, à cuisiner, à pianoter sur un clavier d’ordinateur. À apprendre laborieusement tous ces petits riens, ces tâches automatiques qui permettaient de vivre. Et le premier jour hors du bâtiment, il était tombé d’un trottoir. Fracture du tibia. Encore une rééducation. Encore des mois qui s’envolaient dans les couloirs blancs.

Un jour, Crim avait pu rentrer chez lui. Il ne s’était jamais habitué à cette impression dérangeante de ne plus avoir de corps, d’être une tête coupée flottant en l’air. Mais il avait pensé qu’il pourrait vivre avec. Aldebert l’avait souvent vu serrer dans ses bras son fils Red, sa femme Laura, toute sa famille. Il était capable de l’imiter.

Comme il avait grandi, le petit ! Son père le retrouvait à peine un an avant qu’il n’entame le traditionnel Voyage Initiatique de Kanto. Il ne l’avait pas beaucoup vu, quoique régulièrement, à l’hôpital ; et déjà ils se sépareraient de nouveau.

Et puis les jours passèrent, apportant une cohorte de petits rappels désagréables que non, rien ne serait plus jamais comme avant. Crim ne parvenait plus à dormir dans le même lit que Laura ; oh, Aldebert aurait pu, mais qu’est-ce que c’était gênant ! Ils faisaient chambre à part, chacun ignorant que le Spectre, après une journée entière à animer le corps de son Dresseur, perdait en coordination, pour finalement le faire ressembler à un pantin aux fils coupés. Ce qu’il était.

Et Red, et Red… À l’hôpital, Crim n’avait pas vraiment constaté les changements qui avaient affecté son fils. Confronté trop jeune à la face sombre de la vie, l’enfant s’était renfermé sur lui-même. Il avait grandi, oui, mais trop vite. Le bambin perpétuellement surexcité, toujours en mouvement, était devenu un vieil homme avant l’heure, aux paroles rares et cyniques.

Crim et Aldebert avaient haï Mewtwo. Cette haine les avait poussés à survivre, chaque jour, un souffle de plus, un pas plus loin. Et puis ils lui avaient pardonné.

Sous le R rouge
Une année de recherche portait ses fruits, enfin. Et le ver y était entré. Ils appartenaient désormais à la Team Rocket.

Il prétendait rechercher Mewtwo, mais ils n’en avaient pas besoin. Mewtwo n’était pas le responsable de leur état actuel. Et sans doute ne pouvait-il pas y remédier. Le responsable n’était pas Giovanni non plus, qui avait ordonné la création de Génétique.

Comme il avait dû souffrir ! S’éveiller ainsi à la vie, chimère monstrueuse, mélange de tant d’êtres différents, pour apprendre qu’il était un outil… Disposer de pouvoirs et d’une intelligence inaccessibles aux Humains qu’il était censé servir, et le tout en subissant une question, toujours la même… Pourquoi ? Pourquoi exister ? Oui, Crim pouvait ressentir de la compassion envers Mewtwo. Il n’avait rien demandé à personne, avait juste voulu comprendre ce qu’il était. Et dans sa fuite, il avait perdu le contrôle de lui-même ; quoi d’étonnant, avec un équilibre aussi fragile ?

Il n’y avait pas de responsable. On aurait pu voir Giovanni comme ayant détruit les vies de Crim et d’Aldebert, ayant donné une vie vide de sens à Mewtwo. Mais le désigner coupable, c’était déjà contradictoire.

Crim ne recherchait pas — il ne recherchait plus — la vengeance. Ce qu’il voulait, c’était empêcher que cet homme sans scrupules puisse causer à nouveau autant de douleur. Il n’y avait rien de personnel là-dedans ; c’était juste de la prévention.

Il allait biaiser les comptes et les structures de cette Team qui méprisait la vie. La fragiliser, l’affaiblir de l’intérieur. Et donner à son fils, qui montrait déjà des affinités prodigieuses avec les Pokémons, l’occasion de porter un coup fatal à l’organisation. Crim avait passé sa vie à étudier les théories ; celle de Giovanni, celle des Rocket, il l’avait comprise du premier coup. Et il en avait immédiatement vu la faiblesse.

Le ver était dans le fruit, et s’il jouait assez finement, la mafia de Kanto n’y survivrait pas.