Chapitre 19 : Coeurs corrompus
Depuis cinq mois que Maxwell avait rejoint – quelque peu contre son gré – les Agents de la Corruption, il s'était efforcé de se faire le plus discret possible et de limiter au strict nécessaire sa fréquentation avec ces tarés. Milton... non, le Marquis des Ombres Vaalzemon avait fait de lui une espèce d'espion infiltré dans le milieu des affaires, censé lui apporter informations et juteux contrats, le tout en faisant prospérer la corruption généralisée au plus haut niveau du monde sociétal. Chose pas évidente quand on était soi-même mouillé dans une récente affaire qui avait défrayé la chronique et fait déposer le bilan à une des plus puissantes entreprises du monde, mais Maxwell était un homme doué et plein de ressources.
Le fait est qu'avec cette tâche assez indirecte, il n'avait nul besoin de supporter la présence des autres Agents ou de rester à Dolsurdus, cette forteresse maléfique située à l'autre bout du monde. Mais hélas, quand le Marquis convoquait l'ensemble des Agents auprès de lui, Maxwell ne pouvait pas s'esquiver. Comme aujourd'hui. Il avait tenu à ce qu'ils soient tous là pour leur présenter leur... nouvelle recrue.
Dolsurdus était techniquement le nom d'une région – très petite et située non loin du Continent Perdu – mais comme elle était totalement dévastée et quasi-déserte, on avait refilé son nom au seul bâtiment encore plus ou moins intact, qui faisait la sinistre réputation de cet endroit : sa forteresse antique, qui avait été construite il y a plusieurs siècles par un des seigneurs de guerre qui avaient dirigé la région. Car Dolsurdus avait toujours été le chef-lieu de barbares sanguinaires, par le passé, qui avaient peu à peu ravagé la région avec leurs guerres interminables. Certains racontent que l'actuelle Garde Noire, dans la région Mandad, était la descendante de ces seigneurs de guerre du passé.
Quoi qu'il en soit, la Dolsurdus d'aujourd'hui portait les stigmates de siècles de conflits. Elle n'avait aucun gouvernement d'aucune sorte, aucune représentation de puissantes organisations internationales, comme la Fédération Ranger ou les FPI. Les quelques humains qui y vivaient étaient des tribus nomades arriérées, dont la seule préoccupation était de trouver à manger tout en évitant de nourrir les terribles Pokemon sauvages qui vivaient sur ces terres dévastées. En clair, c'était un lieu idéal pour le Marquis et son organisation clandestine.
Du haut de sa forteresse antique, il passait pour être l'autorité suprême dans cette partie du monde... même s'il commandait que six Agents et quelques Pokemon et humains primitifs qu'il utilisait comme esclaves. Peut-être projetait-il de lever une armée prochainement, car Maxwell ne voyait pas bien l'utilité de s'installer dans cette monstruosité énorme, juste pour sept personnes, dont la plupart n'étaient là qu'occasionnellement.
Enfin, techniquement, il avait d'autres personnes en plus du Marquis et de ses Agents. Il s'agissait de jeunes enfants, cinq garçons et deux filles, qui ne quittaient pas Vaalzemon d'une semelle. Ils étaient toujours silencieux, à tel point que Maxwell s'était demandé s'ils n'étaient pas muets, ou handicapés mentalement. Quand il avait osé poser la question au Marquis, ce dernier s'était contenté de sourire et avait répondu :
- Ces chers bambins sont de vieux compagnons de notre Seigneur Horrorscor. Le moment venu, ils seront le fer de lance du règne de la corruption.
Une réponse qui n'avait en rien rassuré Maxwell, mais il n'avait pas demandé de précision. Il ne parlait avec le Marquis que lorsqu'il en était obligé. Sa présence le mettait mal à l'aise, surtout depuis qu'il savait qu'il abritait en lui une part d'âme d'Horrorscor. Maxwell avait l'impression de pouvoir sentir la présence maléfique du Maître de la Corruption lorsque Vaalzemon était près de lui. Chose étrange, car Maxwell avait longtemps fréquenté le Marquis à N.W.C sous son identité de Milton Parmilian, et il n'avait jamais rien ressenti ou suspecté d'anormal.
Mais là, dans le laboratoire des horreurs du Marquis, entouré par les autres Agents de la Corruption, Maxwell ne pouvait qu'être oppressé par toute cette noirceur glacée qui pénétrait les corps jusqu'au plus profond de vos âmes. En entrant, il s'était déjà efforcé d'éviter de trop s'approcher des trois Agents les plus inquiétants, à savoir Fantastux, Verelosius, et cette horreur mutante qu'était Kaorie. Il s'était plutôt glissé entre Zestira et Vrakdale. Même si la première était à demi-mécanique et d'un caractère épouvantable, et le second toujours silencieux et les traits tirés par la souffrance et des marques de brûlures, ils étaient bel et bien humains. Enfin, Verelosius l'était aussi techniquement, mais son esprit était le plus inhumain de tous ici.
Vaalzemon les avait invité à se rapprocher devant un énorme tube en verre rempli d'eau violette, dans lequel flottaient des espèces de fibres étranges qui se croisaient et s'entrecroisaient. Maxwell aurait dit que c'était des espèces de pâtes OGM, mais il doutait que le Marquis les ait tous convié pour leur faire à dîner. Vaalzemon avait enfilé son fameux gantelet noir qui semblait décupler sa puissance ténébreuse, et depuis cinq minutes, il faisait des tours autour du tube de verre, agitant sa main ci et là sur la paroi, comme s'il manipulait à distance la matière fileuse à l'intérieur.
Personne, pas même cet insupportable Fantastux, n'osa poser de question sur ce que faisait le Marquis, tant ce dernier avait l'air concentré. Finalement, au bout d'un moment, les fibres se lièrent les unes aux autres de plus en plus vite. Plus que ça : elles se reproduisaient. Leur taille avait doublé, puis triplé. Elles prirent de plus en plus de place dans le tube. Alors qu'elles commençaient à prendre une forme vaguement humaine, le verre ne put plus supporter cette pression, et explosa.
Maxwell recula de plusieurs pas pour ne pas être éclaboussé par ce liquide violet non identifié. Il frémit d'horreur quand il vit une silhouette descendre du tube explosé. C'était un être à la peau immensément pâle, et aux membres d'une minceur incroyable. Cette... chose était grande – plus de deux mètres – et son corps nu, qui ne possédait aucun organe de reproduction visible, semblait être un entortillement de fibres couleur chair. Il n'avait ni mains ni pieds : ses bras et ses jambes se terminaient par des choses semblables à des tentacules qui se mouvaient comme la queue d'un félin. Autre chose dérangeante et pas des moindres : sur sa tête chauve, cette créature n'avait aucun visage : ni yeux, ni nez, ni bouche ni oreille.
- Veux-tu bien nous dire ton nom, nouveau frère, demanda le Marquis à cette caricature cauchemardesque d'être humain.
Maxwell doutait que cette chose, dépourvue de bouche, puisse parler. Mais au bout d'un moment, une voix rauque se fit entendre en écho silencieux, comme si le son était emprisonné de ce corps mince sans pouvoir en sortir.
- Slender... Je suis... Slender…
Maxwell se demanda si cette créature se payait leur tête avec ce nom, mais l'air satisfait du Marquis lui appris que c'était sans doute là le nom qu'il avait préprogrammé dans les gènes ou la mémoire de cette chose durant sa création.
- Comme c'est électrisant... Sois le bienvenu parmi nous, toi qui es né de la Corruption. J'ai préparé un costume à ta taille.
Il désigna un costume-cravate posé totalement disproportionné posé plus loin. L'homme sans visage l'attrapa avec un de ses bras-tentacules, et se glissa dedans comme si son corps était en caoutchouc. Maintenant, seuls ses tentacules qui sortaient de ses manches laissaient entrevoir son corps artificiel et repoussant. Ça, et la taille hallucinante de ses jambes, sa minceur surnaturelle, et sa tête pâle et chauve sans visage... Bref, il était toujours aussi terrifiant. Maxwell préféra cependant garder le silence, et coup de chance, Zestira posa la question qui était sans doute sur les lèvres de tous les Agents :
- Sauf votre respect, mon seigneur... C'est quoi cette putain d'horreur ?!
- Un peu de respect pour notre nouveau compagnon, voyons, la réprimanda Vaalzemon. C'est une œuvre d'art, l'aboutissement de recherches sur la génétique entremêlée avec la science biologique corruptible du Seigneur Horrorscor, que je mène depuis des années. Un être auto-régénérateur, évolutif et autonome, dont le but premier est la destruction méthodique. Une arme de premier choix contre les adorateurs d'Erubin, quand la guerre débutera.
Le Marquis parlait souvent de cette fameuse guerre ouverte entre la Corruption et l'Innocence qu'il préparait depuis des années. Jusqu'à présent, les deux camps se sont combattus à distance et le plus souvent indirectement, restant dissimulés derrière des intermédiaires. D'après ce que Maxwell avait compris, les Agents n'ouvriraient pas les hostilités généralisées tant que le Cœur d'Horrorscor ne serait pas reconstitué. Le souci, c'était que sur trois fragments, ils n'en avaient aucun. Le seul morceauqu'ils avaient eus en leur possession, celui où se trouvaient le fragment d'âme d'Horrorscor qui est passé de Marquis en Marquis depuis des siècles, ils l'avaient paumé il y a de ça plus de cinq cents ans.
Maxwell aurait bien aimé mettre ses ressources personnelles et financières à la recherche de ces fameuses Pierres d'Obscurité, du genre pour les cacher à jamais ou carrément les détruire, mais d'une, le Marquis finirait probablement par le savoir, et deux, c'était somme toutes pas évident de dénicher trois morceaux de roches en particulier dans tout ce vaste monde. Seule une personne habitée par Horrorscor – et donc seulement le Marquis – pourrait sentir la présence obscure enfouie dans ces pierres. Du moins pour les deux encore habitées, car bien sûr, il y en avait une des trois qui était vide du coup.
Toutes ces choses paranormales dépassaient un peu Maxwell, mais il avait fait en sorte de bien se renseigner. Car s'il était là, parmi ces dingues et ces horreurs scientifiques, c'était bel et bien pour à terme, causer du tort à Vaalzemon, voir l'éliminer. Pour son ami Adrian, pour l'entreprise dans laquelle Maxwell avait investi son argent et ses efforts, mais aussi pour le reste de l'humanité et des Pokemon, qui allaient immanquablement souffrir si Horrorscor parvenait à ses fins. Il était donc, on pouvait le dire, un héros. Cette constatation le fit sourire, lui, l'homme d'affaire impitoyable.
- D'ailleurs Zestira, poursuivit le Marquis, tu le prendras avec toi. À compter de ce jour, Slender sera ton équipier.
La femme au bras bionique observa la créature avec un certain dépit.
- Et qu'est-ce que je suis censée en faire au juste ?
- Forme-le à ce que nous faisons. Il a beau avoir une forme élaborée, il ne comprend que les choses simples, du genre la destruction et la mort. Allez provoquer des attentats, des catastrophes en tout genre... bref, faite prospérer le désespoir et la misère dans le monde, pour qu'en jaillisse la corruption.
Maxwell se retint de secouer la tête. En tant que financier, il n'avait jamais rien eu contre deux trois pots-de-vin par ci par là, mais la corruption prônée par le Marquis n'avait rien à voir. Il voulait lui un état mental négatif de la population, généralisé et constant. Mais de cela ne pouvait résulter qu'une chose : l'anarchie. Les hommes se transformeraient en bête sauvage, accumulant les vices en tout genre, et le monde serait plongé dans le chaos. C'était d'ailleurs ce qu'avait théorisé Vaalzemon lui-même.
- De la Fatalité nait la Corruption. De la Corruption nait le Chaos. Du Chaos naissent les Ténèbres, avait-il dit. C'est le credo d'Asmoth, le créateur de notre Seigneur Horrorscor. Mais pour ma part, les ténèbres pour les ténèbres ne m'intéressent pas. Du Chaos, je vois plutôt émerger la reconstruction et l'évolution. En nous libérant de la morale, des lois et des Pokemon, l'humanité pourra atteindre un niveau d'existence supérieur. Et c'est cela… qui est réellement électrisant !
Maxwell avait fait semblant d'acquiescer, tout en se disant une nouvelle fois que cet homme était fou à lier. Il n'était pas cruel juste pour le plaisir de se faire passer pour un méchant d'un quelconque blockbuster de Pokéwood ; il croyait réellement à son délire, et pensait agir pour le bien commun. C'était un homme qui combinait les aspects du scientifique eugénique, du fanatique religieux, du terroriste calculateur, et pour parfaire le tout, l'esprit d'un Pokemon maléfique dans le crâne qui lui susurrait Arceus savait quoi aux oreilles. Tout bonnement effrayant…
Quand Vaalzemon les libéra enfin, Maxwell se dépêcha de fuir la présence de tous ces cinglés, et revenir à son monde des affaires qu'il connaissait si bien et qui était rassurant. Évidement, il devrait œuvrer en secret pour le Marquis, mais s'il ne s'agissait que de réunir des fonds et de l'influence, ce n'était pas contre sa propre morale, surtout en se disant qu'il réunissait des infos sur les Agents de la Corruption pour qu'un jour, il puisse les détruire à lui tout seul.
- Monsieur Briantown, fit une voix rauque derrière lui. Vous avez une minute ?
À ce ton policé, Maxwell sut que celui qui l’appelait était Vrakdale, ce qui le fit s'arrêter et se retourner sans trop de crainte. De tous les Agents, il semblait le plus... disons, normal et sain d'esprit. Enfin, pas totalement bien sûr, car personne de sain d'esprit à 100% ne rejoindrait volontairement le Marquis des Ombres. Peut-être que sa présence ici avait quelque chose à voir avec... sa maladie, qui semblait peu à peu lui brûler le corps ?
- Que puis-je pour vous, monsieur Vrakdale ?
Le jeune homme secoua la main d'un air indifférent.
- Vous pouvez m’appeler Fedan si vous voulez.
- Je n'en ferai rien. Voyez-moi, un homme comme moi aime bien être renseigné sur ses collaborateurs. Vous êtes le chef de la famille Vrakdale, une des plus grosses fortunes d'Unys, les manias de l'immobilier. Vous aviez pas mal d'actions dans mon ancienne entreprise je crois savoir.
- Ma famille n'est plus rien, de même que son patrimoine, réfuta Vrakdale. J'ai tout dilapidé à la mort de mes parents, au profit de la Team Rocket. Comme je suis considéré comme mort à ses yeux, l'argent qu'il reste est à elle désormais. Mais c'est à ce sujet que je voulais vous parler. Le Marquis vous a chargé de lui créer un réseau économique qu'il pourra à terme corrompre. Je connais bien le milieu, moi aussi. Je vais donc vous assister.
Cette nouvelle ne plut pas du tout à Maxwell. Il n'avait aucune envie d'avoir un Agent sur le dos, même si c'était Vrakdale.
- C'est le Marquis qui a ordonné cela ? Demanda-t-il, craignant que Vaalzemon ne le fasse espionner.
- Non, c'est moi qui propose.
- D'après ce qu'on m'a dit ici sur vous, vous êtes vous-même un brillant scientifique, et possédez des capacités de destructions massives. Pourquoi iriez-vous vous emmerder avec moi, alors que vous pourriez assister le Marquis dans ses... expériences, ou bien aller faire sauter deux trois villes avec les autres timbrés pour le compte de la Corruption ?
- Les expériences du Marquis n'ont rien de scientifique, croyez-moi. J'étais là la plupart du temps quand il a créé ce Slender. Je n'ai compris même pas la moitié de ce qu'il faisait. C'est impossible à reproduire si on ne possède pas la connaissance et les pouvoirs du Seigneur Horrorscor, comme lui. Quant à aller provoquer le chaos ailleurs... je sais que c'est dur à croire, avec l'étiquette « Agent de la Corruption », mais je suis un homme civilisé. J'aime croire que c'est aussi votre cas.
Maxwell ne repéra aucune supercherie dans les paroles de Vrakdale, ni dans son regard. Ce jeune homme semblait juste un peu paumé dans cette bande de joyeux cinglés, et il recherchait quelqu'un qui soit comme lui relativement normal. Maxwell se dit que ça ne lui ferait pas de mal d'avoir, à défaut d'un ami, un allié ici. Il lui tendit la main, et Vrakdale la serra avec la sienne, rouge, cloquée et brûlante. Maxwell la retira vite. Il la secoua pour la refroidir en fronçant les sourcils, sous le regard amusé de Vrakdale.
- Navré. Il vaut mieux éviter de me toucher directement. L'extérieur de mon corps est constamment soumis à une température élevée.
- Si je peux me permettre... Ce n'est pas transmissible, votre maladie, hein ?
- Ce n'est pas une maladie, disons plutôt, un accident scientifique. Pour résumer la chose, assez complexe, je me réchauffe lentement, jusqu'à que je brûle totalement, ce qui va prendre des dizaines d'années de souffrance.
Maxwell le regarda, perplexe.
- Mais... on ne peut rien faire contre ça ?
- Rien. Il n'y a aucun moyen, aucun remède, aucun barrage à la douleur. Je ne peux même pas me suicider. Pour l'instant, je supporte la douleur. Mais d'ici quelques années, elle deviendra atroce, et quitte à devenir fou, autant ne pas perdre de temps et me trouver un endroit charmant pour le devenir, n'est-ce pas ?
Maxwell déglutit face au sourire tordu de son nouvel équipier.
- C'est ça que vous recherchiez en rejoignant les Agents de la Corruption ? Un endroit pour devenir fou ?
- Je vais finir par mourir, ça, c'est un fait. Je suis un condamné en sursis, obligé de souffrir le martyr d'ici là. Quand le Marquis m'a rencontré et qu'il a pris conscience de mon état, il était fasciné. Il a affirmé que j'étais un cas unique de transformation du désespoir et de la souffrance en corruption. Il m'a dit qu'ici, je serai à ma place. Qu'ici, mon triste destin aurait un sens.
- Et vous l'avez cru ?
- J’attends de voir. Si la Corruption peut m'apporter ne serait-ce qu'un grain de réconfort, je suis preneur. Car je sais que je n'en trouverai nulle part ailleurs.
Maxwell médita à ces propos tandis qu'il quittait Dolsurdus. La Corruption, apporter du réconfort ? Maxwell n'avait pas besoin de réconfort. Il désirait juste la vengeance, et dans une certaine mesure, la justice. Si la Corruption pouvait lui apporter cela, alors il n'hésiterait pas à faire le nécessaire.
***
Vaalzemon resta seul dans son immense laboratoire une fois que tous ses Agents l'eurent quitté. Seul dans le laboratoire oui, mais pas seul dans sa tête. Vaalzemon n'était plus jamais seul, où qu'il aille, depuis neuf ans, quand une partie de l'âme du Seigneur Horrorscor avait trouvé refuge dans son corps. Neuf ans qu'une voix sombre venait influencer son cœur et le corrompre peu à peu.
Avant de prendre l'identité de Vaalzemon, le 33ème Marquis des Ombres, Milton Parmilian avait été un brillant scientifique, un homme bien inséré socialement, marié, et père de deux enfants. Génie de naissance, il avait fait des études prestigieuses pour finir diplômé de trois doctorats. Souhaitant travailler dans le privé pour plus de libertés, il avait voyagé d'entreprises en entreprises, de laboratoires en laboratoires.
Il avait toujours été très bien payé, et ses employeurs le courtisaient sans arrêt pour conserver ses services, mais Milton n'était jamais resté bien longtemps à un seul endroit. Il y avait quelque chose qui manquait dans chacun de ses postes. Même en étalant toute sa science et son génie, il s'était toujours heurté à une barrière infranchissable : celle de la morale, de l'éthique et de la loi. Il n'avait jamais pu aller aussi loin qu'il l'avait voulu. Frustré dans son travail à cause de ça, il avait fini par accuser cette société trop stupide pour comprendre que museler la science, c'était prendre en otage l'avenir et le progrès.
Il avait alors connu une période de dépression sévère. Sa femme l'avait quittée en amenant leurs enfants, fuyant un mari devenu instable et parfois violent. Milton avait même fini par envisager le suicide, mais quitte à mourir, autant le faire en entraînant le plus de personnes avec lui, grâce à une invention scientifique cataclysmique qu'il n'avait jamais pu concevoir à cause des règles établies. Au moins, son nom serait resté dans l'histoire. Au moins, il aurait atteint les frontières les plus éloignées de la science.
Mais c'est alors que le précédent Marquis des Ombres est venu à lui. Il a eu vent de son projet d'attentat, et impressionné par l'engin de mort qu'il avait mis au point, il l'avait persuadé de continuer à vivre pour rejoindre les Agents de la Corruption. Le Seigneur Horrorscor se fichait des lois et de la morale humaine, et pourrait tirer grand avantage du génie scientifique de Milton. Trop heureux de pouvoir utiliser tout le potentiel de ses talents et de les mettre au service de quelqu'un qui les appréciait, Milton n'avait pas hésité avant d'accepter, d'autant qu'il s'agissait avant tout de corrompre et à terme détruire cette société ridicule qui freinait le progrès humain.
Tout en concevant des armes, des poisons et d'autres horreurs mortelles pour le Marquis, Milton avait recommencé à travailler dans le privé, vendant ses services aux entreprises les plus puissantes, dans le but de les infiltrer pour les Agents. Il avait tellement bien travaillé au service du Seigneur Horrorscor pendant près de huit ans, qu'un jour, le Marquis est venu le voir, en lui annonçant que ce serait lui qui aurait l'honneur de prendre sa place et d'accueillir le Seigneur Horrorscor en lui.
Ça avait été le plus beau jour de sa vie ; le Seigneur Horrorscor possédait un savoir et une science des ténèbres infinis, et combinés avec le cerveau de Milton, ils avaient pu créer des choses inimaginables, dont le fameux Gantelet des Ombres, qui augmentait de façon significative les pouvoirs que Milton tirait du Seigneur Horrorscor. Ce fut en se passant ce gantelet au bras que Milton prit le nom de Vaalzemon, et jura de parvenir à la conception du monde de Venamia, prophétisé par Horrorscor, où les humains, libérés de toutes leurs entraves grâce à la corruption généralisée, pourront évoluer en des êtres meilleurs.
Hélas, son temps était compté. Vaalzemon souffrait d'un cancer depuis deux ans, et tout scientifique de génie soit-il, il ne pouvait pas lutter indéfiniment contre ce mal, même avec l'aide du Seigneur Horrorscor. Aussi devait-il trouver son successeur au plus vite, et le façonner pour qu'il accueille l'âme du Seigneur Horrorscor. Tant pis s'il ne voyait pas Venamia de son vivant : il partirait l'âme en paix en sachant qu'il avait grandement contribué à son arrivée future, et qu'il avait bien servi le Seigneur Horrorscor.
- Maxwell est d'une naïveté toute innocente, dit Vaalzemon pour lui-même, et pour son maître dans sa tête. Il pense pouvoir me cacher ses intentions, pourtant il empeste le désir de vengeance et de meurtre à plein nez.
La voix désincarnée de son maître lui répondit, audible de lui seul.
- C'est pour cela que tu l'as recruté ? Pour en faire ton successeur après l'avoir corrompu par la haine ?
- Disons qu'il est une possibilité si on ne trouve personne de mieux d'ici là. Mais je préférerais ne pas avoir à le choisir. Il pourrait faire un bon Agent oui, mais pas un si bon Marquis que ça. Ceux qui font les meilleurs Marquis, ça a toujours été les idéalistes, mon maître. Ceux qui croient à un idéal plus grand qu'eux, ceux qui sont désintéressés, et qui, frustrés de ne pouvoir atteindre leur but, se réfugient dans la corruption pour y parvenir. Comme je le fis moi.
- Tu dis vrai, mon ami, répondit Horrorscor. Ce genre de personne est tout à fait réceptive à ma corruption, et à la vision qui est la mienne. N'avons-nous donc aucun Agent de ce calibre là ?
- Je crains que non. Maxwell peut-être perverti par la vengeance, mais c'est un pragmatique et un égoïste. Vrakdale n'a aucun idéal, aucune perspective ; il est plongé dans un désespoir constant. Zestira me sert par loyauté et par crainte uniquement. Quant à Verelosius, c'est un dément. Reste Kaorie et Fantastux, mais je doute que vous ayez envie d'avoir un Pokemon ou un hybride comme hôte ?
- Non, effectivement. Les humains me siéent bien mieux.
- Si je n'ai personne de mieux d'ici que la maladie m'emporte, alors ce sera Maxwell. Mais d'ici là, je ne cesserai de vous chercher la perle rare pour être votre 34ème Marquis. Une âme pleine de lumière et de rêves, qu'il vous sera aisée d'assombrir...