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Miroir, miroir... de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 07/01/2020 à 22:54
» Dernière mise à jour le 22/03/2020 à 03:12

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Deux
Un jour je serai la meilleure dresseuse
Je me battrai sans répit
Je ferai tout pour être vainqueure
Et gagner les défis !




— Alors hein ! C’est pas tous les jours que ma grande fifille rentre au collège ! rigole papa tandis qu’ils se dirigent vers le grand magasin.

Blanche n’est même pas embarrassée parce qu’il parle trop fort, non, elle a un immense sourire qu’elle n’arrive pas à maîtriser et elle sautille tout partout sur le trottoir tellement elle est heureuse. Sa maman arque un sourcil mais ne dit rien, l’air attendrie.
OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !
Ils rentrent dans le magasin et un employé vient les voir. Il jette un regard à Blanche avant de partager un regard amusé avec son papa.

— C’est pour son premier Pokémon, n’est-ce pas ?
— Comment vous l’avez deviné ? blague papa.
— Papa ! s’offusque Blanche.

Les trois adultes la regardent avec un mélange d’affection, de dérision et de condescendance très très Adulte, et elle doit se retenir très fort de taper du pied, parce qu’elle ne veut pas mettre son papa et sa maman en colère le jour où ils vont acheter son Premier Pokémon. Déjà, il y a une semaine, ils se sont disputés parce que Blanche voulait un Solochi et que maman a dit que c’est trop cher.

— Avez-vous déjà une idée précise en tête ? demanda justement l’employé, ne se doutant pas que Blanche a envie de hurler « SOLOCHI ! ».
— On a quelques idées en tête, oui, dit papa.
— On ne fait que regarder, dit maman, et
ils se regardent.
— Pourriez-vous nous conseiller ? ajoute papa après quelques secondes de flottement.
— … Oui ! sourit le vendeur.

Ils les mènent à travers un dédale de cages plus ou moins grandes, certaines faites de gros barreaux et d’autres de toutes petites grilles. Blanche voit un gruikui qui s’empiffre de croquettes, mais elle sait que c’est trop cher et que maman et papa ne veulent pas qu’elle ait de pokémon feu, ils trouvent ça trop dangereux. Les pokémons feu c’est que pour les dresseurs expérimentés. Il y a aussi des chacripans, des ratentifs et des poichigeons, mais Blanche fait la grimace quand le vendeur les leur propose, et maman soupire, alors ils passent à autre chose. Puis il y a vivaldaim. Mais c’est un pokémon de fille. Blanche ne veut pas de pokémon de fille, elle ne veut que avoir un vrai pokémon. Alors elle fait mine de ne même pas voir le machin-truc tout délicat et continue son chemin.

Maman s’arrête devant une grande cage où lévitent de petits cochons roses et violets. Elle a un tout petit sourire et elle a l’air triste d’un coup. Papa vient se poster à côté d’elle.

— Seriez-vous intéressés par un munna ? demande le vendeur.

Beurk. Blanche a envie de vomir tellement ils sont tous dégoulinants de rose. Elle regarde le prix : de toute manière, c’est trop cher.
Pourtant, papa soupire et dit :

— Peut-être…
Papa et maman regardent Blanche.

— Non, c’est un pokémon de fille ! s’indigne-t-elle, agacée.

Et elle pointe la cage d’à côté, dans laquelle se battent deux baggiguanes, qui sont moins chers et soldés en plus.

— Eux ils sont cools au moins ! proclame-t-elle.
— Ah non, pas question, réplique tout de suite maman.
Quoi ?
— Mais pourquoi ?
— Un baggiguane, cela fait mauvais genre.

Blanche croise les bras et fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi maman préfère les munnas aux baggiguanes ou ce que cela signifie d’être de « mauvais genre », mais captant très bien qu’on lui refuse le pokémon dont elle a envie.

— Je veux un baggiguane, grommelle-t-elle sous les yeux gênés du vendeur.
— Ne me réponds pas sur ce ton ! s’impatiente maman.
— Mais je veux pas un munna, je veux un baggiguane !
— Eh bien tu n’auras ni l’un, ni l’autre ! s’énerve finalement maman.

Elle la tire brusquement par le bras et lui murmure : « tu me fais honte ! », et puis « tais toi ! » quand Blanche veut protester. Papa sifflote et le vendeur dit quelque chose, puis les ramène vers le devant du magasin.

— Et que dirais-tu d’un Ponchiot ? demande-t-il gentiment.

Blanche boude et fixe le sol, humiliée, mais quand maman lui donne une tape sèche sur le dos, elle consent à relever les yeux. Et là. Elle rencontre le grand regard noir d’un adorable petit chiot !!!

Elle en reste bouche bée.

Même maman rigole : « alors, il te plaît ? ». À cette question, Blanche acquiesce tellement vite qu’elle craint que les adultes ne l’ait pas vue, alors elle recommence et recommence et puis elle sautille vers la cage, plaque ses mains contre la grille et là le petit chien la lèche !

— Marché conclu, alors ! tonne papa. On vous le prend ce ponchiot ! J’espère qu’il a de bonnes statistiques défensives ?
— Tout à fait monsieur ! Je peux même vous proposer de le faire éduquer auprès d’un entraîneur pour chien pour qu’il puisse défendre votre…

Blanche n’entend plus rien. Elle rigole. Et la petite langue du chien la chatouille, la chatouille, la chatouille.



Chhhhhht, fait Anouar à son ami, très sérieux. Le petit renard le fixe avec ses grands yeux bleus, les pupilles dilatées. Il est tendu. Comme une petite bombe qui va exploser et bam y aura des poils noirs et du sang et des entrailles partout.

C’est parce que l’animal n’a jamais été dans une maison d’humains, et parce qu’il a mal ; il est blessé à la patte.

Anouar pousse lentement la porte grinçante de la salle-de-bain, retenant son souffle. Il s’avance doucement et son ami le suit, ses petites griffes piquant le carrelage clic clic clic.

Le garçon se saisit de bandages et de désinfectant, qu’il verse sur un coton.

Il s’accroupit. Il caresse doucement la petite tête du renardeau. Derrière les oreilles touffues, il sent la bosse de son crâne dans le creux de sa paume.

D’un coup il appuie le coton contre la blessure du pokémon et se jette immédiatement sur les bandages car il sait que ça brûle et il ne veut pas que le renard ait le temps de réagir parce qu’il a vraiment besoin de désinfectant et

— AHHHHHH !

Le pokémon le mord paniqué—

— AHHH, AHHH, AHHHHH, AHHH !
— ANOUAR !

Il entend sa mère qui dévale les escaliers il saigne les pupilles du pokémon dévorent ses yeux Anouar a mal sa mère rentre—

— Mais qu’est-ce que tu—Oh !

Elle sort son capstick et puis c’est une danse d’éclairs.

Plus tard, elle panse les plaies du pokémon et elle désinfecte la main d’Anouar, très en colère. Elle fait tout en silence, comme un gros nuage menaçant. Et puis elle s’assoit en face du garçon qui patiente à la table de la cuisine et elle l’engueule.

Il faut faire attention.

— C’est un zorua que tu as trouvé, soupire-t-elle au moment de faire la vaisselle.

Le renardeau s’est déjà enfui loin dans la nuit, épouvanté par son passage à la maison.



Elle sautille et puis se calme et se force à marcher comme une adulte, comme ça son papa ne regrettera pas de l’avoir amenée au chantier. Autour d’elle, y a de grands poteaux de bétons, des machines jaunes, des gros blocs cassés et de la poussière. Blanche sourit, contente d’être sur le lieu de travail de son père, toute fière qu’il ait accepté de l’y amener.

— Je veux que tu comprennes comment ça marche, marmonne son père en jetant un œil à gauche, à droite, en ouvrant la porte de la remise.

Deux rangées de quatre pokéballs luisent dans la pénombre des étagères.

— Je peux les toucher ? s’extasie Blanche, se voyant déjà Championne.
— Qu’est-ce que j’t’ai dit avant de sortir de la voiture ?
— … que j’ai pas le droit de les toucher, se rappelle-t-elle, déçue.
— Bon.

Il s’assoit à la petite table, poussant un gros soupir.

— De toute façon, y a pas besoin de les toucher, j’veux juste t’expliquer deux-trois trucs avant de te déposer à la maison.

Blanche sourit.

— Tu vois, dans ces pokéballs, y a des bétochefs. Tu sais à quoi ça ressemble, je t’ai montré ça à la télé la semaine dernière. Ils sont énormes, donc de toute manière, tu pourrais pas les sortir à l’intérieur, ils détruiraient la toiture. Bon. Heureusement, on a pas de problème avec Najat, et t’auras pas non plus ce problème avec Sanuk.

De toute façon Sanuk est avec son entraîneur pour chien, il n’est même pas encore venu à la maison…

— Bon, tu vois, ces pokéballs qui sont dans les étagères, elles sont programmées pour ne s’ouvrir que si elles passent le détecteur mécanique du pas de porte, comme ça de toute manière tu ne peux pas sortir les bétochefs en intérieur. Et pis si elles ne sont pas utilisées en deux jours, elles alertent l’ordinateur central de tous les centres pokémon de la ville, et l’équipe du centre le plus proche se chargera d’aller chercher nos pokémons.

Les yeux de Blanche s’arrondissent.

— Mais, elles se déchargent pas ? s’exclame-t-elle, tout esbaudie. Elles se déchargent pas comme un téléphone ? Comment ça se fait qu’elles restent allumées ?

C’est trop cool !

— Euh, ça… je crois qu’elles produisent leur propre énergie, euh…
— Qu’est-ce qui arrive quand elles se cassent ?
— Elles ne cassent pas.
— Ah bon ? Mais et si ont fait tomber un immeuble dessus elles vont casser non ? Et qu’est-ce qui se passent pour le Pokémon à l’intérieur ?
— Mais c’est pas possible des immeubles qui tombent sur les pokéballs…

Mais et si une pokéball se retrouvait dans une voiture abandonnée et que les hommes de la remorqueuse décidaient de l’emmener à la casse et que les machines de la casse réduisaient la voiture en cube comme dans les films ?

Blanche se retient de poser cette question, qui grossit dans sa bouche avant qu’elle ne déglutisse. Elle est au travail de papa, elle doit être mature et puis—

— Mais les bétochefs, ils font que travailler, alors ? demande-t-elle soudain, frappée d’horreur.
— Euh… oui. Sauf le weekend, on les transfère dans les boîtes PC des Centres et ils s’occupent de les faire sortir.
— Mais ils peuvent pas s’en aller ?
— Ben, non, c’est les pokémons de l’entreprise. T’imagines si le chef les achetaient et qu’il se barraient en plus ?

Blanche fronce les sourcils. Elle jette un œil aux balles qui rutilent parmi les ombres géométriques du soir. Son père lui sourit, rigole.
Elle le regarde faire, muette.



— Anouar, c’est la rentrée dans une semaine… lui rappelle doucement maman quand il repousse son cahier de vacances.



Elle actionne la pokéball, le cœur battant à trois-cent cinquante à l’heure, et Sanuk apparaît. Un petit jappement.

— Bienvenue chez toi ! s’écrie-t-elle, trop heureuse.

Il vient renifler sa main, curieux, et saute sur son lit. Ses parents sourient.



Blanche brandit sa pokéball. Anouar frémit.

— Je te défie !

Elle actionne le déclencheur. Il fixe le rayon de la pokéball même si ça lui brûle les yeux, regarde une silhouette se matérialiser, grandir, prendre forme, retrouver les couleurs de la vie.
Un petit chiot.
Fafa lui lance un regard interrogateur et bêle.

— CHARGE ! crie Blanche, tendant l’index vers Anouar qui sursaute, fait un pas en arrière, déglutit, baisse les yeux…

Le chiot fonce vers Fafa. Fafa saute sur l’épaule d’Anouar.

— Hey c’est de la TRICHE ! s’indigne Blanche. Les dresseurs n’ont pas le droit d’intervenir physiquement dans les combats pokémons !

Son chien aboie, comme pour ponctuer son exclamation. Gêné, Anouar lui offre un bout de pain qui traîne dans sa poche, et le clebs vient le renifler avec son gros museau noir et mouillé.

— Vas-y, c’est nul… se plaint la Dresseuse. Pourquoi tu veux pas de battre ?

Elle actionne le déclencheur de la pokéball. La balle grossit. Elle la pointe sur le chiot qui s’intéresse toujours au pain, grommelant.
Anouar crie.
Blanche se fige.
Il a tout de suite honte. Il voit bien que le son de sa voix l’a choquée.
Il tente de lui expliquer pourquoi il a réagi ainsi. Il lui dit de ne pas punir le chien, de le laisser respirer. Il lui dit que Fafa a très bien été élevé sans pokéball.
Mais elle ne comprend pas. Elle n’a pas toujours pas appris le langage des signes.



Demain, c’est la Rentrée.



Anouar serre les dents et tourne le dos à Fafa, serre les bretelles du vieux sac-à-dos de sa maman dans les mains et avance vers les portes du collège.
Il va être malade. Il va être malade.
Le surveillant lui donne une tape dans le dos, crie sur un autre garçon.
Anouar trébuche.



Le collège, c’est tout ce dont elle rêvait en regardant des séries à la télé. Il y a des grands, des beaux gosses, et puis elle peut même se maquiller un peu. Les profs ne les prennent plus pour des tous petits. C’est trop la classe !




— Anouar… murmure Maman, lui caressant les cheveux. Je sais que c’est dur, le collège, mais tu t’y habitueras, tu verras. Tu verras, mon chou. Ça ira mieux. Tu vas te faire des copains. Et Blanche, tu lui parles souvent ?
Au pied du lit, Fafa les surveille avec ses grands yeux jaunes.



— Noir ! Noir, attends ! crie Blanche, un vendredi soir.

Le soleil scintille sur les pavés. Les volutes bavardes des lycéens et de leurs clopes s’élèvent dans le ciel ; les collégiens se poussent. Des parents sont venus chercher leurs enfants, des frères appellent leurs sœurs. Blanche rentre seule ; Noir vient d’enfourcher sa bicyclette.

— Je te défie ! proclame-t-elle, dégainant sa Pokéball.

Ça fait des semaines qu’elle rêve de ça !

— Viens, on va au square Saint Roch et on voit qui est le meilleur, et le meilleur ce sera moi. Sanuk va écraser Farfaduvet !

Mais Noir n’a pas l’air bien. Elle ne sait pas pourquoi, il est tout pâle. Quelqu’un le bouscule et il met pied à terre. Le temps qu’il se redresse, son petit sourire a disparu.

— Allez, viens… s’impatiente-t-elle. Allez…

Mais elle sait déjà qu’il dira non.
Il lui fait un signe de la main et donne un grand coup dans ses pédales.



Mais où va le monde ?
Pourquoi chaque fois que je veux bien faire les choses
Ça va toujours de travers
Est-ce que toi aussi, des fois, tu te demandes pourquoi




Anouar serre les dents et tourne le dos à Fafa, avance vers les grands murs en briques du collège. Il doit y aller. Il doit quitter Fafa parce que Fafa n’a pas de Pokéball et il doit montrer son DST signé à Madame Dubourdieu.

Anouar a un peu la nausée en passant les portes. Le surveillant ne lui donne pas de tape dans le dos parce qu’il est occupé à vérifier le carnet d’une demi-pensionnaire qui veut déjeuner dehors avec ses amies. Dans le hall c’est la cacophonie et il a un peu de mal à respirer. Son sac-à-dos est lourd et les lanières lui mordent les épaules.

Il grimpe les escaliers comme une fermite avec un lourd fardeau et se poste devant la salle deux-cent-cinq. Il a toujours envie de roter ou de vomir mais il n’a pas envie de s’asseoir parce qu’il n’a pas envie d’être assis tout seul. En face de lui il a une classe de Sixièmes qui patiente et ils ont tous l’air de s’amuser.

Peut-être qu’il devrait sortir son téléphone portable pour avoir l’air de faire quelque chose, mais c’est un vieux modèle qui n’a même pas la 3G, alors ce serait bête. Il aimerait bien que Fafa ou sa mère ou Mehdi soient là, mais Medhi n’arrive pas autant en avance. Et puis aujourd’hui il pleut donc y aura des embouteillages.

Madame Dubourdieu arrive quelques minutes après lui et ouvre la porte de la salle, semblant étonné de le voir là tout seul. Il lui sourit faiblement. Elle enlève son écharpe, prend son DST signé.



Maman l’a abonnée à des magazines pour filles que Blanche trouve très chiants. Mais elle les feuillette quand même quand elle s’ennuie, comme là, une de ces longues soirées d’automne où Sanuk joue à ronger un os en caoutchouc.

Elle soupire. « Tu es adolescente, tu commences à te former. Tu as dû remarquer que des poils poussent à certains endroits de ton corps, et que… » Ouais, ouais, fascinant… si seulement elle pouvait regarder un match à la télé… . « Serviette ou Tampon ? Julie Magazine a interrogé ses lectrices pour connaitre leurs préférences. » C’est quoi ça ?

Elle se retourne sur son ventre, aplatit le magazine sur les draps, perplexe.

« Avoir ses règles, c’est une grande étape dans la vie d’une jeune fille mais c’est aussi pas mal de chamboulements… »
Quelques minutes plus tard, Blanche dévale les escaliers et déboule dans la cuisine, le magazine à la main.

— Maman, c’est quoi les règles ? demanda-t-elle. Je comprends pas pourquoi ils en parlent dans l’article. C’est comme une équerre ?
Sa mère se retourne.
— Les règles ? répète-t-elle, surprise. … Tu verras plus tard.



— Les pokéballs ont été développées en même temps que l’arme atomique, déclame Monsieur Brissonnet. Elles fonctionnent sur un peu prêt le même principe, la fission atomique. Vous vous souvenez de nos cours de la semaine dernière ? Les pokéballs fissionnent tous les atomes qu’elles capturent et les numérisent, c’est-à-dire les transforment en données informatiques que l’on peut stocker et transférer via des ordinateurs. Chaque pokéball est encodée pour capturer une espèce de pokémon en particulier, qu’elle reconnait à son ADN. Voilà pourquoi il est impossible de capturer un humain avec une pokéball, ou une espèce pour laquelle elle n’est pas programmée. Est-ce que vous comprenez ? C’est bon, ça va ? Je poursuis.

Et Anouar joue avec son stylo.

— Les pokémons n’existent plus à proprement parler quand ils sont au sein des pokéballs. C’est pour cela qu’ils n’ont pas faim, ou soif, ou froid quand ils sont rentrés… ils ne sont pas non plus conscients du temps qui passent. Puisque les pokéballs sont si puissantes, il faut un permis pour chaque achat, tout comme il faut une license du gouvernement pour dresser des pokémons. Certains d’entre vous doivent d’ailleurs déjà en posséder. Bon. Les pokéballs ont chacune un numéro de série inscrit sur le bas de leur coque. Elles sont aussi programmées pour relâcher les pokémons toutes les huit heures tout au plus, pour la plupart d’entre elles, sauf pour les modèles spéciaux. Comme ça, si par malheur vous perdez votre pokéball… votre pokémon sera tout de même relâché.

Anouar jette des regards inquiets aux autres. Mehdi, à ses côtés, lui sourit. Il a le rictus très professionnel d’un AVS qui ne connait pas encore son élève. Anouar essaie de l’imiter, mais a l’impression de grimacer.

Il réalise que tous dans la salle ont tous l’air de trouver ça normal d’emprisonner des pokémons. D’un coup, il se sent encore plus seul. Il fixe son cahier, le souffle court. Le prof parle, mais Anouar refuse de regarder les photos de pokéballs sur le tableau numérique.

— Grand un, petit a…



Maintenant, elle sort Sanuk dès qu’elle quitte les portes du collège. Il est très bien dressé. Elle porte de gros gilets taille XL, c’est la mode. Le ciel est gris tous les jours ; les jours sont de plus en plus courts.

— Hé ! lui crie-t-on, un vendredi soir.

Sanuk aboie, méfiant. Il est petit mais il sait charger et mordre. Blanche se retourne, le laissant courir vers le gars qui l’a appelée et lui renifler les mollets. C’est Paul ! Paul, le beau-gosse de sa classe, un grand blond qui fait beaucoup de basket—elle inspire—

— Eh bah, il est au taquet ton ponchiot, remarque le sportif, amusé.

Son cœur palpite.

— Il… est entraîné pour.
— Ah oui…

Blanche croise les bras. Elle se demande si son maquillage a bien tenu les dernières heures de cours et meurt d’envie de vérifier grâce au mode selfie de son portable.

— Tu, euh, tu veux quelque chose ? sourit-elle.
— Euh, oui, en fait, je me demandais si… je peux te raccompagner chez toi ?
Son cœur bat.
— Oh… oui, bien sûr…

Yes ! Paul la kiffe, c’est sûr !!



Il les voit partout. Rouges, blanches, dans des vestes et contre des hanches et dans les mains des adultes, sous des porte-clefs. Elles tressautent et bondissent et s’ouvrent et s’illuminent et absorbent ceux qui étaient là, dans le monde, en train d’exister et qui n’existent plus.

Parfois il fixe le déclencheur blanc des balls jusqu’à ce que sa vision se désagrège et que ses oreilles bourdonnent. L’éclat des couleurs s’assombrit. Il trouve un point sur la surface luisante de la machine, noir comme une piqûre d’épingle. Alors il s’imagine que ce point l’aspire, comme un trou noir,
et qu’il n’existera

plus.



Le coiffeur coupe un autre de ses épis fourchus sous le regard désolé de sa mère, qui demande s’il n’est pas possible de laisser un peu de longueur, de sauver quelques jolies boucles. Il lui répond qu’il aurait fallu venir plus tôt. Quelques mois plus tôt. Un an plus tôt. Une autre mèche brune tombe à terre.

Blanche se sent bizarre. Elle a l’estomac qui fourmille, comme si des milliers de petites aiguilles la picotaient. Et puis elle a chaud, elle a chaud au ventre. Quand le coiffeur se lève pour attraper le sèche-cheveux, elle a l’impression que quelque chose tombe, comme si on avait tiré la chasse dans son corps.
En rentrant, elle file tout de suite aux toilettes, perturbée, et se déshabille.

Oh.
Sa culotte est pleine de sang.

— MAMAN PAPA J’AI MES RÈÈÈÈÈGLES !



Il les voit partout.



— Non mais le talent d’un trioxhydre c’est forcément lévitation, déclame Blanche.
— Même quand il est posé par terre ? conteste Bastien, un gros lourdaud qui a plein d’acné partout et pousse tout le temps les autres dans les couloirs.

Blanche lève les yeux au ciel.

— Ben oui, parce qu’il lui suffit de s’envoler.

Ils sont tous assis à une des grandes tables de la cantine. Enfin, Blanche et ses amies y étaient assises avant Bastien et Tcheren, qui sont se sont rajoutés après parce que les Troisièmes ont pris toutes les autres places. Il pleut dehors du coup elles ne peuvent même pas aller dans la cour de récrée.

— Sauf que si tu fais tenir une balle fer à un trioxhydre, il ne lévite plus, déclare Tcheren d’un air satisfait.

Mdr. Il croit sans doute que Blanche ne sait pas ce que c’est qu’une balle fer. Bah qu’il y aille se faire foutre.

— Ouais enfin faudrait être sacrément con pour faire tenir ça à un pokémon ailé, rétorque-t-elle.

Elle mastique un peu de mie de pain, avale, se retourne vers ses copines.

— Pas forcément. Diancie a fait tenir une balle fer à son Exagide dans son dernier combat contre…

Oh mais il la gave.

— J’ai dit un pokémon ailé, t’es bouché ou quoi ? le foudroie-t-elle.

Elle le regarde bien en face. Il serre les dents.
Ses lunettes ont glissées, ça lui donne un drôle d’air.
Blanche croise les yeux de Bianca et de Sabrina et soupire, finissant son verre d’eau d’une traite.
En fait, elle a surtout les boules de ne pas avoir pu regarder le dernier combat de Diancie.



— Prenez une nouvelle page… souffle Monsieur Dinh, sa voix traînante à peine audible à travers la cacophonie des élèves qui terminent les discussions entamées durant la pause déjeuner.

Blanche et Paul et leurs amies rigolent particulièrement fort.

— Oh, du calme ! dit Monsieur Dinh.

Il a l’air accablé ; lever la voix lui coûte.

— Du calme, Blanche ! Paul ! Ou sinon c’est l’heure de colle !

Certains trouvent la rime particulièrement hilarante. Paul de colle leur fait un doigt d’honneur.

— Nous commençons un nouveau chapitre. Récits fondateurs, croyances et citoyenneté en Unys Antique. Erm… pour ceux qui souhaitent écrire le plan dès maintenant… le voici. Grand A, animisme et gardiens de la forêt. Grand B, Le monde du Château Enfoui. Grand C, la naissance du monothéisme Arceusien dans un monde polythéiste.
— M-M-M-Monsieur, est-ce qu-que vous p-pouvez nous donner les sous-parties s’il-vous-p-plaît ?
— … Nous verrons cela plus tard.

La fille qui a posé la question baisse la tête. Quelqu’un ricane.

— Bon… Je sais… que certains d’entre vous croient en Dieu. Et puis vos camarades de classe n’ont pas forcément la même religion que vous. Je vous demande de rester respectueux les uns des autres. Par ailleurs… erm… l’école de la République est laïque, et nous allons donc désigner toutes les religions, nouvelles ou anciennes, comme des mythes. N’y voyez pas un manque de respect… mais un souci de neutralité. Bien…



Il les voit partout. Blanches, rouges. Dans les vieilles besaces, dans l’encolure des manteaux, cachées dans toutes les écharpes de toutes les filles et de tous les garçons.




Blanche ricane. Elle glisse un regard à Paul. Un sourire en coin. Ils sont tous en permanence parce qu’il pleut dehors, et il l’a invitée à s’asseoir avec ses potes. Bianca et Sabrina ont dû aller s’asseoir ailleurs. Tant pis pour elle, et puis de toute manière Bianca bégaye tout le temps, c’est chiant.

Paul et ses potes ont envie de devenir des dresseurs pros plus tard, ils n’arrêtent pas de parler des tournois à la télé. Blanche rigole. Ils disent qu’elle n’y connait rien en tournoi, elle rétorque qu’elle en sait bien plus qu’eux. C’est Blanche qui deviendra dresseuse pro, pas eux.

Elle aura un trioxhydre et dégommera tous ses adversaires avec ultralaser. Mais la première étape, d’après ses parents, c’est quand même d’avoir le bac. Eux ils l’ont pas eu alors ils sont tout le temps sur son dos pour qu’elle bosse. De toute façon, Blanche sait déjà qu’elle ne fera pas de filière générale. La conseillère d’orientation lui a dit que ça ne servirait à rien. Elle est chiante la conseillère. Pour faire dresseur pro, il faut faire un bac de dressage, alors c’est ce que Blanche fera.



Il les voit partout. Blanches, rouges. Dans les mains des profs. À la ceinture des surveillants. Pendues aux sacs-à-dos des lycéens. Partout.



Blanche achète un statitik.



En Troisième, au deuxième trimestre. Tous les élèves ont au moins un pokémon à cet âge, et donc on joue au pokéfoot en cours d’EPS. Le sport, ça apprend aux enfants à maîtriser leurs monstres de poche. Ça apprend aux pokémons à socialiser avec des humains. C’est au programme.

Chaque mardi et vendredi Anouar doit enfermer Fafa dans une boule, fissionner ses atomes, effacer son existence, l’emprisonner comme un esclave, puis le forcer à courir, à taper d’autres pokémons pour envoyer un putain de ballon dans un but et puis il doit tout recommencer tout recommencer tout recommencer
tout

Anouar les voit, partout.

Il s’assoit sur l’herbe mouillée, sonné. Le nanméoui du prof vient le voir, échange des cris inquiets avec Fafa, et les deux bêtes se penchent sur lui. Anouar ne sait pas ce qui se passe. Il a du mal à respirer. Dans cinq minutes il va devoir enfermer Fafa pour la journée car pas de pokémon hors des cours de sport. Son souffle s’emballe.

Le prof se ramène en beuglant et sort une pokéball. Le prof va dématérialiser le nanméoui qui papote avec Fafa, juste comme ça là, alors que le nanméoui n’a rien fait, il va l’emprisonner. Anouar lève faiblement le bras. Il veut crier. Le nanméoui va être réduit à néant. Anouar arrive pas à crier. Y a son souffle qui manque et qui va de plus en plus vite en même temps. Le nanméoui. Il ne va pas réussir à le sauver.

Y a des points noirs autour de sa vision. Tout ce qu’il voit c’est la Pokéball, rouge blanche, braquée sur nanméoui. Le vacarme des autres, curieux, si fort autour de lui. Ses jambes picotent. Il va vomir.
Le prof lève la main.
Anouar hurle.