Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Miroir, miroir... de Icej



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 07/01/2020 à 22:50
» Dernière mise à jour le 11/03/2020 à 17:39

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Un
L’enfant plonge sa main dans un coton scintillant et emmêle ses doigts dans le nuage de douceur. Il tire et tire et tire. À chacun fois le nuage semble plus doux et puis c’est comme s’il n’a pas de fin. Bouche bée, le bambin lève les pupilles au-delà de son poignet vers le cœur de la barbe à papa. Deux jaunes le couvent.
L’enfant sourit et glisse le pied sur du parquet ciré. Tout est silence. La lune joue au plafond argenté.



La télé rugit et l’enfant glousse et saute et tape du pied. Elle tire et tire et tire en l’air avec sa main comme le monsieur à l’écran et change soudain de position sur le canapé. Les fantômes des ondes éclaboussent ses yeux noirs, se reflètent et s’évanouissent à très grande vitesse. Le soleil éclate à la fenêtre et puis s’évide par la lucarne. Tout change. Les voitures dans la rue se succèdent.
Un vacarme cataclysmique tonne depuis la cuisine au moment où son ventre gargouille. L’enfant saute debout et court vers le bruit des casseroles.



Maman lui a préparé un petit sac à dos rose avec des poupées et des figurines de pokémons. Tout est posé à l’entrée, avec ses chaussures, et son kawais vert caca d’oie qu’elle n’aime pas. Blanche gonfle la joue et tape du pieds pour ne pas avoir à le porter, mais le résultat est le même, elle doit mettre son ciré. Maman ne veut pas entendre d’Histoires. Dès que la petite fille a enfilé la veste, Maman l’entraîne dehors, utilise son bip bip sur la voiture et les emmène au Loin.
La ville défile. Blanche commence à avoir peur parce qu’elle voit plein d’endroits qu’elle ne connait pas par la fenêtre.

— Allez ma chérie, viens avec moi, lui dit Maman quand elles sont arrivées.

Ensembles elles avancent vers un bâtiment carré et blanc qui ne ressemble pas du tout à la maison. Dehors il y a plein d’autres parents et d’enfants aussi petits que Blanche. Ils sont tous des habits de couleurs différentes, il y a du jaune et du vert et du orange et du rose.
La mère de Blanche la traîne jusqu’au-devant d’une grande porte bleue et s’arrête là. Autour d’elles, beaucoup d’adultes discutent, mais il y a une femme qui ne discute avec personne et donc maman lui dit bonjour.

— Ce sera aussi la première année de… ?

Blanche n’écoute plus. Derrière la jambe de la grande dame se cache un petit garçon aux yeux noirs et il la fixe ! Alors elle le fixe aussi et elle fronce les sourcils. Il baisse la tête. Puis il lui jette un petit coup d’œil surpris. Elle fronce les sourcils encore plus forts pour faire comme si elle était très en colère. Et puis elle tape du pied.

— Blanche !
— Hein ? sursaute-t-elle, ses sourcils s’échappant de leur plis orageux.
— Dis bonjour !

Blanche fixe la Grande Dame, intimidée, et se triture. Elle a peut-être tout vu.
— B-Bonjour…

Heureusement, la madame lui répond avec une voix chaleureuse—elle n’a sans doute pas remarqué ses grimaces. Ragaillardie, la gamine braque alors ses yeux vers le garçon et répète la formule de politesse un peu plus fort, mais il ne lui répond pas, baissant la tête. Blanche s’en offusque quelque peu.

— Allez, dis bonjour, Anouar… l’encourage sa maman.

Le bambin déglutit.

— Bon-jour… articule-t-il prudemment.

Il a une voix très bizarre ! Blanche le fixe avec étonnement. C’est comme s’il avait du mal à parler. Sous son regard, le gamin rougit.

— Je m’ap-Pelle Nwar ! crie-t-il tout à coup.
— … C’est bien mon amour, lui sourit sa mère, tandis que Blanche s’écrie :
— C’est pas un vrai nom Noir !

Un moment de flottement. Puis la gamine se prend une petite tape à l’arrière du crâne.

— Chut ! la rabroue-t-on.

Elle rougit, gênée, et veut tout de suite se défendre.

— Mais c’est vrai que c’est pas un vrai nom—
— Qu’est-ce que tu en sais ? lui demande Maman, embarrassée.
— Mais—
— Ça suffit Blanche !

Rah ! La petite fille fixe ses baskets, très très en colère, et refuse de lever les yeux quand maman lui tire sur la main. Elle veut voir plus personne ! Elle veut pas voir la dame ! Elle veut tout de suite s’en aller très loin très loin de tout le monde et de Maman !
Des larmes lui montent aux yeux.

— Anouar est Mu-Est, lui dit-on soudain.

La grande dame s’est accroupie et la regarde avec gentillesse. Derrière elle, le garçon est aussi très rouge comme du feu et regarde la poussière s’agiter par terre.

— Ça veut dire qu’il a du mal à parler, poursuit la dame. Donc quand il dit son prénom, il dit Noir au lieu d’A-nou-ar, mais c’est pas grave—Noir, c’est joli aussi, tu ne trouves pas ?

Quand Maman lui serre la main un peu fort, Blanche répond d’une traite avec une voix plate :

— Oui Noir c’est joli aussi.
— Et puis dis-toi que Noir, c’est l’inverse de Blanche, parce que le noir et le blanc sont des couleurs opposées et complémentaires ! C’est rigolo, non ?

Blanche n’a pas compris tous les mots mais elle acquiesce. De l’autre côté de la dame, le garçon bizarre a relevé ses prunelles rondes et la regarde, timide.
Il a vraiment de grands yeux.
Elle fait la moue.
Quand les portes bleues s’ouvrent et Maman l’entraîne dedans le bâtiment, Blanche ne peut s’empêcher de se tournicoter beaucoup dans tous les sens pour chercher son regard noir.



Anouar veut attraper le nuage de Fafa mais tout à coup il a disparu ! Choqué, le bambin regarde partout, partout autour de lui sur le vieux parquet, court jusqu’au bord de la terrasse et se penche pour essayer de voir dessous.

— Fa ? bafouille-t-il. Fa ?

Des mottes de poussière jouent dans le clair-obscur entre le plancher de la terre sèche. Silence. Anouar se redresse d’un coup, effrayé.
Il inspire un grand coup pour se calmer, puis se penche encore et scrute les ombres. Mais encore comme avant ses cheveux se dressent sur son crâne ! il se remet droit et recule vite fait ! Le noir ça fait peur.

Heureusement qu’autour de lui, Soleil.

Quand il est remis, Anouar scrute le potager, les herbes sauvages, les fines fleurs et les arbres. Tout est vert, sauf quand tout est doré avec le soleil. Il y a plein de minuscules petites fleurs blanches et roses aussi, elles deviennent de plus en plus petites comme des étoiles plus elles sont loin de lui et proches de la forêt. Là-bas il y a des feuilles qui piquent aussi. Et puis… Oh ?

Anouar plisse ses grands yeux pour mieux voir.

Là ! La toison blanche de Fafa ! Pouf, Anouar saute de la terrasse et se lance dans les herbes folles qui s’emmêlent autour de la maison. Le monde devient très vite très grand et tout confus. Où est Fafa ? Où est Anouar ? Où est la maison ?
Perdu perdu perdu, le petit garçon cherche. Il cherche à en perdre tout le sens du devant et du derrière, piégé dans les immenses tiges des fleurs sauvages. Mais comment est-ce qu’il va faire pour retrouver son chemin ?
À l’instant où il veut pleurer et hurler, deux yeux jaunes s’ouvrent à quelques mètres de lui.

— Fafa !



À l’écran luttent deux titans. L’un ressemble à un énorme monstre bleu qui se fissure comme de la terre sèche et se reconstruit sans cesse, et depuis ses entailles s’échappent des éclairs qui ZAPPENT ! l’autre. Mais l’autre, l’autre c’est un grand dragon, un dragon rouge et bleu avec de grosses griffes rouges et blanches, il MANGE le monstre avec du feu violet !

Blanche les acclame, étirant ses petits bras potelés et rugissant comme un titan.
Najat s’étire et l’empêche de bien voir.

— Va-t’en Najat ! crie Blanche, irritée.

Mais elle s’étire, elle s’étire, ronronnant, son corps gracieux barrant la télé en deux. Au creux de ses courbes, le combat des monstres se poursuit. Il termine par une annihilation mutuelle, un vacarme sanglant, un massacre et des applaudissements.

Déçue que le match soit fini, Blanche donne un coup de pied à Najat et se dégage des gros coussins du canapé, délogeant quelques chips. Elle court vers la cuisine où s’active encore maman, une grimace barrant sa jolie frimousse.

— Maman je veux un pokémon ! hurle-t-elle. Maman !

L’adulte tourne ses yeux cernés vers elle et sourie un peu.

— Tu es trop jeune, ma choupette, murmure-t-elle.

Najat se faufile par-delà Blanche et va se frotter contre les jambes de Maman, lui jetant des regards affectueux, quémandant un peu de bargantua fumé.

— Mais maman je veux avoir un pokémon ! insiste Blanche en gonflant la joue, d’autant plus vexée qu’elle déteste le barguantua fumé et que papa va encore la forcer à finir son assiette.
— Mais, ma chérie, répond Maman. Najat aussi c’est un pokémon !

Blanche fixe la chatte violette, bouche bée. Un pokémon ?
Najat lui jette un regard un peu dédaigneux, miaulant.
Blanche retourne sagement s’asseoir sur le canapé.



— Alors viens ! rigole-t-elle tout haut—

et ils tourbillonnent ! Maman le fait virevolter sur toute la longueur du parquet chantant, papillonner dans les herbes folles du jardin, sautiller jusqu’à son vélo et tendre les doigts vers le ciel.

— Qu’est-ce que tu vois là-haut ? le questionne-t-elle, les yeux pétillants. Qu’est-ce que tu vois ?

De ses grandes prunelles noires il fixe le nuage blanc qu’elle désigne. Il a l’air doux comme Fafa et il est Très-Très-Grand, encore plus Très-Grand que les immeubles de la ville ! Anouar est bouche bée.

— C’est un cumulonimbus ! s’exclame-t-elle devant son air confus. Un gros, gros nuage, plus immense, gigantesque, majestueux que tous ses frères et sœurs !

C’est joli un cul-mule-eau-nain-bus !
Où c’est qu’il y en a des autres ?

— Fafa ! s’exclame-t-il avec joie. FAFA !

Maman sursaute et se retourne—
un gros nuage blanc, le plus majestueux des nuages, s’écrase sur sa tête.

— AH ! crie maman.
— FAFAAA ! crie Anouar.
— FAFA ! acquiesce le trouble-fête.

Il saute depuis les cheveux tous électrisés de l’adulte jusqu’à la selle du vélo, s’accrochant au dos du garçon, et ricane d’un ton machiavélique. Avec ses petites cornes et ses yeux jaunâtres, on dirait vraiment un diablotin.

Ces airs menaçants n’empêchent aucunement Anouar de s’abandonner contre son corps cotonneux et de glousser de bonheur.

— Quel vilain farceur ! rouspète gentiment Maman en se retournant. Combien de fois tu vas me faire le coup, hein ?
Le pokémon ricane de nouveau, fier de son petit exploit, et elle se penche pour le gratouiller.
— Tu ne voulais pas m’attendre à la maison, n’est-ce pas… ? lui murmure-t-elle. Tu ne pouvais pas patienter une demi-heure !

Il grogne.

— Ah oui ?

Il proteste encore.

— Eh bien puisque c’est comme ça, tu vas nous accompagner ! En selle, petit diablotin ! En route vers l’école !



Le trousseau de Clés de maman est sur la commode. Elle peut en attraper le bord si elle se met sur la pointe des pieds, donc elle s’étire et tend ses petits doigts vers la ferraille scintillante—

— Blanche ? Mais qu’est-ce que tu fais ?

Maman est là ! Paniquée, la petite fille glapit et tombe sur le carrelage froid. Un pic de douleur lui vrille immédiatement le coccyx. Des larmes montent et elle se met à brailler—ça fait mal aux fesses !

— Chérie ! crie sa mère, catastrophée.

L’adulte se précipite vers son enfant et place deux mains sous ses aisselles pour la ramener contre son corps. Elle enfouit sa tête contre la petite tête brune de son bébé et respire son odeur de pêches, la serre fort.

— Chut… chut… tu as mal ? Où est-ce que tu as mal ?

Blanche fronce les sourcils et secoue fort la tête, hoquetant.

— Rien ! grommelle-t-elle.
— … Tu n’as mal à rien ?
— Non !
— Alors pourquoi tu pleures ?
— Non !

La mère contemple sa petite fille butée avec une moue attendrie.

— Tu ne veux pas me dire où tu as mal ?
— Non.

Blanche ne veut pas de Bisous Magique sur les fesses !

Soupirant, sa mère la remet alors sur pied et lisse ses boucles brunes. Elle attrape les clés qui brillent si fort sous le soleil sans y réfléchir à deux fois, prend aussi le bip bip de la voiture et puis se penche vers la glace. Blanche la regarde mettre du rouge à lèvres sombre avec de grands yeux tous esbaudis.

— Maman je peux m’en mettre aussi ?

Quelques secondes s’écoulent où la mère ne répond pas, faisant glisser ses lèvres l’une contre l’autre, inspectant son travail. Elle vérifie qu’il n’y a aucune trace de couleur sur ses dents de devant.

— Dans quelques années, dit-elle finalement en se retournant vers son enfant. Mais je peux te faire des couettes, si tu veux !
— … Non ! grommelle Blanche.

Rigolant, maman la prend dans ses bras et l’emmène vers le dehors, vers la voiture. Il y a un grand soleil qui chatouille ses yeux. Et les fleurs du jardin murmurent.

— Tu es prête pour l’école ? demande Maman.
Blanche lui sourit.
— Oui !



Maman se penche vers lui. Ses boucles brunes sautent avec elle, ensevelissent sa bouille ronde sous de grandes arabesques miroitantes. Il inspire. Enfouit sa tête dans son cou au parfum de prairies et de forêts.

— Tu es prêt, Anouar ?

Maman se redresse et lui sourit avec ses yeux verts.



L’école c’est grand.




Blanche déteste la sieste. La Maîtresse n’arrête pas de lui dire de se taire et de laisser les autres dormir. Dès qu’elle a le droit de se lever et que les autres se réveillent, elle entraîne deux de ses copines vers la grosse bête rose des accompagnantes, se plante devant le gentil pokémon.

— On veut jouer avec toi ! annonce Blanche.

La créature se penche vers les trois filles, les contemplant avec ses grands yeux noirs, et les renifle avec son nez-qui-gratte. SNIFF SNIFF. Ça chatouille ! Les enfants rigolent et rigolent.

— Tu vas nous courir après et nous renifler ! ordonne Blanche. Allez viens ! Un, deux, trois !

Les trois petites se dispersent immédiatement parmi tous les endormis qui s’éveillent et le nanméoui cligne des yeux, étonné. Qu’est-ce qu’il doit faire ? Pataud, il se dandine en direction de la petite brune qui parlait, et quand elle s’échappe en gloussant, il se met à quatre pattes pour mieux la suivre.
Bientôt il les a toutes les trois capturées et les câline, pour le plus grand bonheur des gamines. Nanméoui les renifle avec sa grosse truffe. Elles sentent la compote et les fleurs d’été. Il cligne des yeux.
Lui aussi est content.



Maman lui met un casque rouge, puis s’en met un tout pareil et enfourche le vélo. Anouar glisse un peu sur son siège quand elle monte et le déséquilibre le tire de sa torpeur. Il commence à se demander où il va.

— Tout va bien ? lui demande Maman qui veut savoir s’il ne va pas tomber.

Son regard vert vole en arrière comme un éclat de verre bouteille.
Anouar secoue la tête.

— Oh… Ça ne va pas ?

Il dit NON encore plus fort de la tête !
Maman descend du vélo.

— Tu as peur ? lui demande-t-elle d’une voix mille fois plus douce qu’un nuage. Tu as peur de retourner à l’école ?

Anouar n’ose pas rencontrer son regard mais il acquiesce timidement.

— Oh, mon loupio… soupire Maman. Moi aussi j’aimerais bien que tu restes ici avec moi, mais l’école, c’est important.

Depuis l’orée des Hautes Zerbes, Fafa les épie, et ses yeux sont tristes. Anouar lui darde un petit regard, le cœur gros.

— Faaaa, crie Fafa.

Maman lui sourit à lui aussi, caressant les cheveux brillants d’Anouar. Le vent dérange le col de sa chemise. Elle ne dit rien pendant très longtemps, son regard se perdant dans la forêt, dans le grand ciel d’été.

— Et si Fafa t’accompagnait tous les jours, ça te ferait plaisir ? demande-t-elle doucement. Tu te sentirais mieux ?

Fafa ? Fafa ! Anouar hoche vigoureusement de la tête !

— Je vais discuter avec la directrice, dit Maman d’un ton plus ferme.



— Maman je veux un pokémon !
— Bientôt, ma chérie…
— Mais à l’école Noir il a un gros pokémon qui vient avec lui tous les jours ! C’est son pokémon !

Maman ne répond pas.
Blanche se presse contre la petite fenêtre du salon. Tout a la couleur uniforme du givre.



Anouar se faufile entre deux bouleaux aux troncs blancs. La forêt est morte. Il marche tout doucement, mais ses pas détruisent quand même les feuilles sèches et ridées du bois, qui sont enroulées autour d’elles-mêmes parce qu’il fait froid.
Il s’accroupit devant les trompignons qui dorment, curieux. Il écoute le silence morne des arbres. Il pose ses mains sur la mousse qui pourrit sur les troncs des chênes. De tous petits déflaisans s’enfuient quand il s’approche.
Loin dans la forêt, sous un sapin bleu, il trouve la bouche muette d’un terrier. Anouar hésite. Son cœur palpite. Il se penche vers le tunnel, se met à quatre pattes sur la terre nue et gelée, scrute les ténèbres.
Une créature bondit depuis le trou et lui saute à la figure ! Anouar tombe et glapit, effrayé, et la créature glapit, effrayée—les deux échangent un Grand Regard Étonné.
Le pokémon est noir, avec des petites touffes de fourrure rouge, de petites pattes aux griffes pointues, et des yeux bleus.



Que l’hiver est long,
Que les années s’étirent !
Douce monotonie de l’enfance…




Blanche regarde Noir courir vers son pokémon dès que la Maîtresse annonce le début de la récrée, jalouse. Chaque jour il joue avec son pokémon. Elle aussi elle en veut un !
Mais de toute façon, il n’a pas d’amis, il est bizarre.
Elle le dépasse d’un air important pour se rendre aux balançoires, ne lui jetant même pas un regard. Adèle et Bianca, à ses talons, papotent gentiment.

— M-Mais B-B-Blanche, tente Bianca. Y-Y a déjà des garçons qui y sont !

C’est vrai, les balançoires sont déjà prises. Tous les garçons de la classe courent et jouent des coudes pour s’en servir les premiers dès que la cloche sonne. Blanche aussi aimerait courir partout. Mais les autres filles préfèrent marcher et s’assoir sur l’herbe et discuter. Et Blanche est une fille, donc elle doit faire pareil. Le seul moment où elle ne s’ennuie pas, c’est quand Bianca la pousse, quand elle voltige très haut, quand le monde se renverse.

— Et alors ? dit-elle à ses amis. On va les prendre quand même.

Blanche veut jouer à la balançoire.

— C’est notre tour, annonce-t-elle en se plantant devant les deux gamins. Ils la regardent avec surprise.
— On est arrivés en premier ! réplique l’un d’entre eux, qui porte des lunettes. Blanche le connait. C’est celui qui lève tout le temps la main en classe, qui parle toujours des heures quand la Maîtresse lui pose une questions. Il énerve tout le monde. Ça ne devrait pas être difficile de le déloger.
— Vous n’êtes même plus en train de les utiliser, réplique-t-elle. Vous n’allez pas haut du tout.
— Oui mais on est dessus.
— Vous ne faites que parler.
— Et alors, on fait ce qu’on veut !

Blanche croise les bras et leur sourit avec un air confiant. Le garçon à côté de Tcheren, un timide qui s’appelle Kylian, a l’air drôlement mal à l’aise. Tout le monde se moque de lui parce qu’il suce encore son pouce quand il a peur. S’il se met à le faire maintenant, Blanche rigolera très fort.

— Vous êtes deux, et on est trois, dit-elle. On va vous pousser et vous allez tomber !
— Les mains c’est pour les sauvages, on n’a le droit que de se battre qu’avec des pokémons ! s’énerve Tcheren.

En colère à son tour, Blanche fait un pas faire lui. Les yeux du garçon s’écarquillent. Elle fait un autre pas et il tombe en arrière en tentant de se dégager, les fesses dans le sable de la cour.

— Gros nul ! ricane-t-elle, et Adèle et Bianca ricanent derrière elle.

Kylian lui jette un regard effrayé et leur laisse aussitôt sa balançoire, allant se cacher derrière Tcheren. Le garçon à lunettes la fixe d’un regard brûlant, frottant son coude égratignée.

— Je vais le dire à la Maîtresse ! la menace-t-il. Mais Blanche l’ignore, le balayant de sa queue de ponyta, et se laisse tomber sur la balançoire. Bianca se faufile tout de suite derrière elle pour la pousser, très fort et très vite comme elle aime.

Blanche a des soucis plus importants que Tcheren. Elle est une grande fille et elle n’a peur de rien ! Quand elle repart en arrière si vite que tout est flou et que toutes les couleurs du monde se mélangent, elle est si heureuse.
Mais quand Bianca faiblit et que la cours de récrée réapparaît, elle voit Noir, Noir et son fafaduvet.



« Donne-moi ta main !
Et prends la mienne !
La cloche a sonné, ça signifie
La rue est à nous ! Que la joie vienne !
Mais oui, Mais oui ! L'école est finie ! »




La chaleur est écrasante. Blanche passe ses journées dans le salon de coiffure de sa maman, à coller sa joue au carrelage froid du sol dès que personne ne la voit.

Elle regarde les clientes aller et venir. Leurs pas résonnent contre le dallage, et leurs voix vibrent contre son oreille. Plein de pokémons accompagnent les dames. Une fois, une cliente est même venue avec une fragilady.

Blanche s’est précipitée pour toucher les feuilles de la pokémone, ignorant les cris de sa maman. Est-ce que la fragilady est réellement une plante ? Est-elle vraiment faite de légumes ? Comment c’était possible qu’elle soit en vie, est-ce qu’elle ait un cœur, est-ce qu’elle sait faire pipi ? La pokémone s’est laissé toucher le visage, sous les rires de la cliente. Ça a la texture des grosses fleurs qu’elle aime écrabouiller.

Aujourd’hui, Blanche s’ennuie particulièrement parce que Bianca, Adèle et toutes ses autres copines sont parties en vacances, sauf que la maman de Blanche ne prend pas de vacances parce qu’elle ne veut pas fermer son salon. Et puis aucune cliente n’a amené de pokémons intéressants. Il n’y a que des chinchidous, des scrutellas, des couanetons et des emolgas, c’est des pokémons qu’elle connait déjà, et puis c’est des pokémons de fille. Blanche, elle veut les pokémons qui sont dans des matchs à la télé, comme des trioxhydres ou des ohmassacres ou des tranchodons. Des pokémons puissants quoi.

La cloche de la porte d’entrée sonne, et elle redresse à moitié la tête, étirant son cou. Depuis l’arrière-boutique, elle peut apercevoir une grande dame habillée en kaki et puis un farfaduvet. L’instant d’après, Noir pousse lui aussi la porte et entre.

Quoi ?

Blanche se lève et court vers sa maman qui vient à peine de se tourner vers les nouveaux clients. Elle a l’air surprise.

— Oh, bonjour ! Vous… venez-vous faire couper les cheveux ?

Waouh c’est bête comme question.

— Oui, répond la maman de Noir sans se moquer. Mes cheveux commencent à pousser, surtout au niveau de la nuque, et il fait trop chaud pour que cela continue !
Elle a des cheveux comme un garçon, c’est vraiment moche. Mais au moins elle a des grands yeux, comme Noir.
— Est-ce que vous pouvez patienter un peu ? demande maman. Je finis avec une cliente, puis je suis à vous. Blanche peut vous offrir du café ou un verre d’eau.
— D’accord, pas de souci ! J’espère que farfaduvet ne vous dérange pas. Il suit Noir partout.

Maman dit que cela ne la dérange pas et puis Blanche part chercher deux verres d’eau, grimaçante. Quand elle revient elle ne regarde pas Noir dans les yeux et elle ne répond même pas au merci de la madame. Ça l’énerve que farfaduvet soit là, de toute façon, pourquoi ils ont besoin de l’amener partout ? Elle aussi elle veut un pokémon qui la suit partout, d’abord ! Mais un trioxhydre. Comme ça le trioxhydre tuera farfaduvet.

Maman coupe les cheveux de la madame et elles bavardent pendant que Noir et Blanche s’observent en ponchiens de faïence. Blanche entend son nom une ou deux fois et elle aimerait bien savoir pourquoi donc elle se rapproche, mais ensuite maman la dispute et lui dit d’aller jouer avec Noir.
Alors elle regarde Noir. Et farfaduvet.

Quand la maman de Noir et puis maman reviennent, elles ont un grand sourire.

— Bonne nouvelle, Blanche ! Tu vas passer samedi chez Madame Belkacem, comme ça tu pourras t’amuser !

Oh, NON !



Elle a eu beau protester, la voilà. Maman la dépose et lui dit d’être gentille et puis elle dit au revoir à la maman de Noir et elle s’en va.
Blanche a mal au ventre. Elle se sent vraiment seule.

La maison de Noir est immeeeeeenseeee. Elle est faite tout en bois. Il y a de la mousse et des fleurs blanches qui poussent sur le toit, et, et, il y a au moins cents salles, elle en est sûre ! Et devant il y a une grande terrasse sur pilotis et en-dessous c’est tout noir.

Blanche a peur quand madame Belkacem l’invite à monter les escaliers vers le salon, donc elle saute, saute, saute et ne regarde pas en dessous des marches.

Ils boivent d’abord un verre d’eau puis l’adulte leur dit d’aller jouer dehors. Blanche suit Noir à contrecœur. Dehors il fait chaud. En fait la maison est en plein milieu de la forêt, ils n’ont pas de jardin, ils n’ont pas de route, ni d’immeubles ni de quartier. Maman lui a expliqué que c’est parce que la mère de Noir est « Ranger », comme dans les dessins animés.

Ils jouent toute l’après-midi dans la clairière, ils courent après fafa, ils jouent à cache-cache, ils cueillent des fleurs et en font une salade. Ils approchent même de dessous-la-terrasse, et s’aventurent prudemment dans l’obscurité. Il y a plein de poussière. Noir éternue.

Le soir, ils reviennent tous couverts de terre, mais la maman de Noir ne les dispute pas. Elle a préparé à manger. Il y a du riz, avec plein de légumes. Sauf que Blanche ne mange pas souvent de riz et elle n’aime pas les légumes.

— Madame, j’peux avoir des frites ? demande-t-elle avec un sourire lumineux.

Tout de suite, la maman de Noir rigole. Ah bah ok.

— Je n’ai pas de frites, dit-elle.

Blanche gonfle la joue.

— Bah y a quoi en viande alors ?
— Nous ne mangeons pas de viande, explique doucement l’adulte.

Là, pour le coup, Blanche ne comprend vraiment pas. Elle cligne des yeux, perdue.

— Jamais ?
— Non.
— Jamais jamais ?
— Non.
Mais pourquoi ?

Et là, la maman de Noir s’assoit devant elle, et lui prend les mains, et la regarde hyper intensément mais avec beaucoup de douceur.

— Parce que nous croyons qu’Arceus a créé tous les êtres égaux. Les pokémons sont les égaux des humains, et les humains sont les égaux des pokémons. Alors, nous ne mangeons pas de pokémons.

Blanche réfléchit, fronçant les sourcils et croisant les bras, pensant à toute vitesse à ce que la Maîtresse dit en cours et ce que Papa et Maman lui lisent le soir. Mais en fait, toutes ces connaissances s’emmêlent en méli-mélo et lui font des nœuds dans la tête.

— Mais à la télé, y a des pokémons qui mangent d’autres pokémons, comme léopardus qui mange des poichigeons, alors, vous allez les en empêcher ? demande-t-elle, toute confuse.
— Eh bien, si nous pouvions les en empêcher, nous le ferions, sourit la maman de Noir. Mais les pokémons ne sont pas toujours capable de penser, de réfléchir, et donc d’être gentils avec les autres. Nous, les humains, nous pouvons penser. Alors, nous décidons de ne pas tuer et manger de pokémon.

Quelques minutes plus tard, Blanche pique une aubergine avec méfiance du bout de sa fourchette et la goûte du bout de la langue. Elle se décide finalement à l’avaler.



Chaque été, Blanche retourne dans la grande maison d’Anouar. Ils sont inséparables. Ils courent partout dans la maison et sur la terrasse, à travers les rayons de soleil et les nuages de poussière. Ils filent entre les herbes et entre les fleurs, grimpent aux arbres. Plus le temps passe, et plus ils s’aventurent loin, chassant les venipattes et les larfayettes.

Il y a de grands arbres dans la forêt. Ils y a des arbres noueux, et vieux, et si gros qu’ils ne peuvent pas faire le tour de leurs troncs avec leurs bras, même en s’y mettant à deux. Il y a des arbres couverts de mousse, et des arbres qui accueillent de petites fleurs rouges, des arbres colonisés par des trompignons. Tous ont des feuilles différentes, des claires, des foncées, des-qui-sont-en-triangle, des-qui-sont-rondes.

Anouar regarde Blanche en cueillir une et la piquer dans ses boucles brunes, derrière son oreille.

— Je suis jolie ? demande-t-elle de sa voix très forte.

Anouar hoche vigoureusement de la tête. Oui, elle est jolie. Il aimerait bien le lui dire, mais elle ne connait pas le langage des signes. Il lui a seulement appris quelques trucs.

— Pfft, t’es nul, tu dis jamais rien, souffle Blanche.

Anouar hausse les épaules.

Ils jouent à cache-cache, jouent à chacripan, mais Blanche n’arrive pas à toucher Anouar parce qu’il court trop vite et elle finit par crier qu’elle en a assez. Il est déçu. Il fait mine de l’ignorer, court autour d’elle pour la forcer à le pourchasser. Mais elle s’en va.
Il est tout seul.
Il la suit et il la trouve.
Blanche est debout devant un escalier de pierres.

— Ça va où cet escalier ? lui demande-t-elle, curieuse. Il tente de lui expliquer mais elle secoue la tête, exaspérée, et se met à grimper les marches, alors il soupire et il la suit.
— Une, deux, trois, quatre… compte-t-elle bruyamment.

Il s’arrête pour cueillir les fleurs duveteuses qui s’accrochent aux marches de pierres. C’est un Escalier Très Très Vieux, si vieux que maman dit qu’il était là avant leur maison, avant même que les humains s’installent à Renouet.

En haut, il y a un hôtel aux esprit, Très Vieux lui aussi. Il est en bois, posé un socle de pierre. Maman et Anouar y viennent souvent déposer des guirlandes et des fleurs et de la nourriture pour les pokémons, comme ça les esprits sont contents. Même que maman vient tous les matins au cas où.

Anouar sort un bonbon de sa poche et va le poser devant la maison, tout content. Puis il donne un autre bonbon à Blanche, pour qu’elle puisse elle aussi faire une offrande. Blanche a l’air surpris.

Pour une fois elle ne dit rien.



Ils ont dix ans et ils vont entrer au collège. Anouar ne veut pas y penser, il veut seulement jouer, jouer avec Blanche, il veut que l’été ne se termine jamais. Tant que Blanche est là il est content. Blanche trouve toujours de nouveaux jeux à faire, c’est pour ça qu’il aime bien l’avoir à la maison, même si elle est bruyante et elle est un peu méchante.

Ils grimpent vers le haut d’une colline, ils halètent, le soleil strie leur visage et leur corps. Devant eux la terre se creuse doucement, parsemée de fougères, piquetées de fleurs. Ils dévalent la pente. Et puis Anouar glisse et s’éclate la tête contre le sol.

Il crie.

— Noir ? Noir ?

Blanche s’est retournée, elle vient lui tirer le coude, inquiète.

— Le sol s’est changé en mousse, voilà pourquoi tout est glissant !

Il se relève et se frotte le nez, tout déconfit. C’est vrai. Sous ses fesses, sous ses pieds, il y a de la mousse épaisse et duveteuse. Il y en a partout. Elle a tapissé les souches d’arbres morts et même les branches des arbres vivants. Elle a englouti les fleurs. Ils se redressent, et Anouar réalise que la mousse engloutit aussi le son de leurs pas.

Il ne s’est jamais aventuré aussi loin.

Ils avancent, retenant leur souffle. Le chant d’un ruisseau les attire ; ils cherchent le cours d’eau, regardant partout et même derrière les souches mortes. Quand ils le trouvent, ils réalisent qu’ils est minicrospuscule, et surtout, qu’il y a plein de petits ruisseaux partout. Les ruisseaux sont comme des veines de la forêt, comme le sang clair de la forêt.

Ils regardent autour d’eux. Les arbres s’étendent de loin en loin, leurs grandes silhouettes se répétant à l’infini.

— Est-ce qu’on est perdus ? demande Blanche d’une petite voix.

Anouar fait un pas en avant. Il ne répond pas ; il ne tourne pas la tête. Il a peur.
Blanche inspire.

Les gamins lèvent les yeux et, au loin. Il y a une silhouette, une grande silhouette auréolée de lumière. Leurs yeux s’écarquillent. Le temps se suspend, comme l’aile d’un papillon. Dans le silence, ils entendent, à peine, le bruit de sabots contre la mousse.

La silhouette tourne sa tête vers eux. Ses rameaux majestueux, portant des mondes de feuilles et fleurs, se profilent contre le soleil. Ils sentent son regard posé sur leurs corps, même de si loin ; ils sentent les yeux de la bête effleurer leurs épaules.
Leur cœur bat.
Un.
Deux.
Puis la créature se détourne, et un nuage éclipse le jour.



Blanche est assise sur le bord de la terrasse de la maison de Noir, les pieds battant dans le vide. Elle sait qu’en dessous du plancher c’est tout sombre et elle a peur mais elle laisse quand même pendre ses jambes, parce que maintenant, elle est grande. C’est une de ces longues journées d’été qui n’en finit pas.
Il fait très chaud, si chaud que Blanche a du mal à respirer, à ouvrir les yeux, et que sa tête est lourde. Farfaduvet est étendu à côté d’elle, dans une flaque de soleil. La Maman de Noir lui a dit que c’est parce que les pokémons de type plante adorent la lumière.

Blanche s’ennuie.
Noir est parti en forêt il y a longtemps, elle ne sait pas ce qu’il fait.
Et elle a mal au ventre.

La gamine se laisse tomber contre le plancher, ferme les yeux, et hume l’air d’été. Elle a l’impression que son estomac fourmille, comme si de milliers de toutes petites aiguilles la gratouillaient, et en même temps elle a chaud, c’est bizarre. Ça la fait frissonner. Elle se demande ce qui se passe.

Mais elle reste allongée à rêver de rivières. Le coton de farfa lui chatouille la joue et le jour tombe, comme un soupir.