C.1 : Commencement - [Arc I : La plus petite guilde]
~An x1834 après Arceus~
— Désolé, mais on ne veut pas de toi, faiblard !
Le Musteflott projeta hors de l'entrée le petit Grenousse, avant de refermer brusquement la porte.
— Encore raté... dit la petite créature.
Un gargouillis suivit ses paroles.
— Bon sang... Ça fait deux semaines que je n’ai quasiment rien mangé...
Sautant de mur en mur jusqu'à lui, un Chacripan ricana en le voyant ainsi.
— Toujours rien, Aoi ? Décidément, tu n'es pas fait pour ce travail !
— La ferme, Roscoe... Tu ne peux pas comprendre, toi qui passes ta vie à ne rien faire ! Moi je souhaite prendre mon destin en main, devenir quelqu'un d'autre !
— Pour le moment je n'ai pas l'impression que tu y arrives beaucoup. Bon, j'ai faim, je te laisse.
Sautant de nouveau entre les murs, le Chacripan abandonna le petit Grenousse, toujours allongé sur le pavé brûlant de la ruelle. J'ai chaud... songea-t-il. Il voulut rouler sur le côté, mais sentant sa peau coller contre le sol, il s'abstint. Extirpant alors un papier de sa mousse, il consulta une petite liste de noms.
— C'était le dernier, murmura-t-il.
Sur sa feuillette humide étaient listés différents noms de Guildes d'Exploration et de Secours, toutes renommées et connues. Autrefois désireux de devenir aventurier, le petit Aoi avait dû renoncer, par manque de force. En effet, les familles ne recrutaient que les Pokémon avec du potentiel et de l'expérience. De l'expérience ? C'est ridicule ! Pour entrer dans le Donjon, il faut avoir la bénédiction d'un Dieu, donc ça ne veut rien dire... De sa mousse, il effaça le dernier nom noté sur son bout de papier, avant de le jeter. Déçu, le Pokémon se releva, et se dirigea vers les tas d'ordures, où il s'affala.
Aujourd'hui, les Guildes ne sont pas apparentées à des divinités comme le sont les familles, et en somme ne possèdent pas de bénédiction. C'est ce qui différencie les aventuriers des explorateurs : ces derniers ne peuvent tuer de monstres, et doivent ainsi utiliser les éviter ou utiliser des objets magiques pour parvenir à leurs fins. Il y a mille ans, quelques guildes d'exploration existaient déjà, mais seule une a su marquer les esprits : la Guilde Grodoudou. A travers les âges, on chante encore leur courage et leur dévotion extraordinaire. Il soupira, et jeta un coup d'œil à la ruelle, espérant apercevoir le Pokémon rose bonbon. A la place, il n'y avait qu'un Chacripan qui le fixait.
— Roscoe ? Qu'est-ce que tu veux ?
— Rien, répondit-il, je t'observe.
Comme à son habitude, la petite créature violette souriait d'un air moqueur et semblait le narguer. Décidé à l'ignorer, Aoi tourna la tête et ferma les yeux. Pourtant, cela ne fit en rien bouger le Chacripan. Les deux Pokémon se connaissaient depuis plusieurs années, mais dès la première fois qu'ils s'étaient vus, il arborait déjà ce sourire méprisant. En y réfléchissant, le Grenousse en venait à penser que c'était parce que le chaton ne le connaissait que comme un perdant. A titre d'exemple, la première fois que Roscoe s'était moqué de lui, c'était lors de son premier échec pour devenir aventurier. Puis, de nouveau, il s'était moqué de lui pour son premier échec en tant qu'explorateur, et chaque fois, il recommençait.
— Si seulement tu m'apportais quelque chose de bon ! adressa-t-il au Chacripan.
— Comme quoi ?
— Mais j'en sais rien ! Au lieu de te moquer, aide-moi plutôt à trouver une guilde !
— Pourquoi n'essaierais-tu pas d'intégrer une guilde de moins grande envergure ?
Ça alors ! Jamais Roscoe n'avait donné de véritable recommandation ou d'avis ! Cependant, Aoi n'en tint pas compte.
— Et puis quoi encore ? Si je veux devenir fort et connu, je dois intégrer une grande guilde !
— Comme tu veux alors ! dit finalement le Chacripan en tournant les talons.
Aoi le regarda avec tristesse s'en aller. En fin de compte, peut-être qu'il n'arriverait pas à devenir explorateur et qu'il devrait se contenter de les observer. C'était d'ailleurs ce qu'il faisait déjà ; chaque soir, il s'approchait de l'immense tour qui servait d'entrée au Donjon, et regardait aventuriers et explorateurs sortir. Les rares en mesure d'en porter étaient armés, tandis que les autres utilisaient leurs pouvoirs de Pokémon. Parfois, un corps enroulé de tissu était dégagé, mais cela ne faisait que renforcer l'envie du Grenousse de s'enfoncer dans les profondeurs du Donjon. A l'heure actuelle, seuls les trente-neuf premiers étages avaient été explorés, et les niveaux les plus profonds nécessitaient pour cela la formation d'expéditions, souvent de plusieurs familles, afin d'affronter les monstres coriaces y vivant. Soudain désireux de s'entraîner, Aoi prit la direction de l'ancien quartier.
Vieille d'à peine deux cents ans, la ville d'Altaia s'était formée en même temps que le Donjon autour duquel elle poussait. À la suite de la grande crise, lorsque lui comme tous les autres avaient été désertés, la ville avait été peu à peu abandonnée, mais désormais reprenait vie. A l'est se trouvait un quartier de grandes ruines, où devaient trôner auparavant d'immenses bâtisses de pierre. C'est dans cette zone que le petit Grenousse s'entraîne quotidiennement, dans le but de devenir plus fort. Cependant, ce n'est pas le cas. Au cours des siècles, les règles du monde ont bien changé, et ont notamment été bouleversées par les Donjons. Ainsi, les êtres frappés de la bénédiction d’un Pokémon Légendaire voyaient leur capacités être augmentées ou ils recevait une compétence passive particulière. Parfois, Aoi regrettait d'être né ainsi, dans le corps d'une créature si fragile, à qui la vie ne pouvait sourire. Entendant un bruit derrière-lui, il se retourna.
— Roscoe ? demanda-t-il.
Personne ne lui répondit. Se retournant de nouveau, il heurta un Kicklee, entouré de deux Tygnon.
— Euh... Excusez-moi, je ne vous ai pas vu, dit le Grenousse.
— Eh bien, le minus, on va devoir t'apprendre le respect, un peu !
Sans lui laisser le temps de réagir, le Kicklee lui asséna un coup de pied dans l'abdomen, l’envoyant voler contre un mur.
— On va lui faire sa fête, les gars !
— Pas si vite !
Les trois Pokémon Combat s’avancèrent en direction d’Aoi, toujours au sol. De peur, celui-ci recula, traînant misérablement au sol. Il ne s’était jamais battu, il n’y avait aucune chance qu’il le fasse aujourd’hui. Approchant, l’un des Tygnon le saisit par la mousse et le leva au-dessus du sol. Préparant une attaque Poing Foudre, il jeta le Grenousse dans les airs afin de le frapper. Mais sautant de nulle part, une Kirlia le saisit par le visage et l'écrasa au sol. Le voyant ainsi, ses deux compères réagirent : le Kicklee adressa une attaque Casse-Brique vers la jeune Pokémon tandis que le deuxième Tygnon, à la vitesse soudainement décuplée, utilisa Mach-Punch.
—Psyko ! s’exclama la Kirlia.
Les deux attaquants se retrouvèrent figés sur place, paralysés par une force psychique inconnue. L’instant d’après, ils étaient projetés une vingtaine de mètres plus loin, s’écrasant violemment contre le sol. Conscients de la force de leur adversaire, ils prirent aussitôt leurs jambes à leur cou.
— Quel courage... dit-elle.
Elle s'approcha alors du petit Grenousse, encore sonné.
— Tu vas bien ? lui demanda-t-elle.
— Je... Je ne sais pas... Qui... Qui es-tu ?
— M...Moi ?
La Kirlia sembla alors gênée. Recouvrant ses esprits et la vue, Aoi put enfin la voir, et se sentit rougir. Il se releva en un instant, tentant de dissimuler la rougeur soudaine de son visage.
— Euh... Merci de m'avoir sauvé ! C'est.... Très gentil !
— C'est normal. Je m'appelle Elna, et je suis une aventurière.
— Une aventurière ? répéta Aoi, affichant des yeux ronds.
— Oui, je fais partie de la familia Reshiram.
Bouche-bée, le petit Pokémon ne put détacher ses yeux de la ravissante Kirlia face à lui.
— Tu veux que je te ramène chez-toi ? demanda-t-elle.
— Je n'ai pas de chez moi, répondit Aoi, reprenant sa mine triste habituelle.
— Oh...
En effet, Elna ne sut pas quoi lui répondre, et se relevant, commença à partir.
— Attends ! Est-ce toi, la Danseuse Féerique ?
— Oui, pourquoi ?
— Je… Je n'aurais jamais cru te rencontrer un jour.
Elle lui sourit, et repartit pour de bon. Lui resta à contempler sa silhouette, s'éloignant dans l'obscurité. Repensant à elle, il sentit comme une impression étrange, jamais ressentie jusque-là. Peut-être... était-il amoureux. Soudain rempli de courage et de volonté, il courut à travers les ruines, bien décidé à devenir plus fort.
Perché sur un mur, au loin, Roscoe l'observait. Comme chaque jour depuis deux ans, il était attentif à ses moindres faits et gestes. Oui, ce petit Grenousse chétif l'intéressait, convenant exactement au profil qu'il cherchait.
Toute la nuit durant, Aoi n'avait cessé de chercher un moyen de devenir fort, et de se rapprocher d'Elna la Kirlia. Finalement, comprenant qu'un seul choix s'offrait à lui, il décida de faire le tour de la ville, cherchant des guildes d'exploration mineures. Demandant des informations aux passants dans les artères principales, il traversa un dédale de rues interminable, tournant à gauche, puis à droite, montant des escaliers, tournant de nouveau à droite, puis une nouvelle fois, ensuite à gauche, redescendant les escaliers, passant par un passage étroit, revenant sur ses pas, tournant encore à droite... Finalement, au bout d'une heure, il arriva à son but et se rendit compte que la guilde en question avait été dissoute. Depuis quelques temps, les familles, comprenant l'intérêt de ces équipes de secours, avaient mis en place des divisions spéciales chargées de venir en aide à leurs propres membres, voire à ceux d'autres familles, s'ils en trouvaient en chemin. Ainsi, cela avait nui à l'activité des vraies guildes d'exploration, et seules les plus grandes vivaient de beaux jours.
— Je m'en doutais, soupira-t-il.
Traînant les pattes, il revint dans sa rue habituelle et plongea dans son tas d'ordures. Même après plusieurs milliers d'années d'existence, ce monde n'avait évolué qu'à un semblant d'époque féodale, et les déchets – alimentaires, principalement – étaient jetés dans un coin de la rue. Il n'y a qu'ici que je me sens bien, songea Aoi.
— Bonjour, la grenouille, fit une voix aiguë.
— Roscoe... Encore à te moquer ?
— Bon sang Aoi, tu pourrais être plus chaleureux avec tes amis ! Je viens prendre de tes nouvelles, car ton état actuel m'inquiète.
— Que veux-tu dire ? maugréa l'autre.
— Tu passes tes journées dans les poubelles ! Mais sinon, tu as essayé de rejoindre une guilde mineure ?
— Je suis allé voir, mais... Ça ne sert à rien, soupira le Grenousse. Je pense plutôt que je vais retenter ma chance en tant qu'aventurier. Hier, j'ai vu la Danseuse Féerique, dans les ruines, et si je veux l'atteindre, je n'ai pas d'autre choix que de devenir aventurier !
— Tu es amoureux ? ricana Roscoe.
En guise de réponse, Aoi soupira de nouveau.
— Tu sais pourtant que tu n'as aucune chance ! Cette Kirlia... Elle est particulière.
— Attends, je n'ai pas dit que je l'aime ! Simplement, je veux devenir aussi fort qu'elle.
— Transforme-toi en Kirlia, alors ? proposa le Chacripan, toujours en ricanant.
Voyant la non-réactivité d'Aoi, celui-ci tenta une autre proposition, plus sérieuse.
— Pourquoi n'irais-tu pas t'acheter de l'équipement ? Avec, tu serais plus à même de partir à la conquête du Donjon, même si tu n'augmentes pas tes stats. Ah, autre chose : ses capacités sont beaucoup trop élevées pour toi, si tu veux l’atteindre tu dois faire de même.
— Comment... Comment je m’améliorer ? Et... Quel âge a-t-elle ?
Roscoe pivota vers l'autre extrémité de la rue, lui tournant ainsi le dos.
— Tu dois réaliser un exploit. Tuer mille monstres est bien sûr utile, mais tu dois te dépasser toi-même, passer un nouveau stade. Et elle a un an de plus que toi, soit dix-sept ans. La familia Reshiram l’a formée depuis le plus jeune âge, ce qui l'a faite entrer dans le Donjon à peine âgée de douze ans.
Aoi n'en croyait pas ses oreilles ; le Chacripan avait raison, il ne pouvait pas rattraper quelqu'un de si doué.
— Elle est spéciale, cette Kirlia. Certains disent qu'elle a un don, d'autres qu'elle est la réincarnation d'un héros, quelque chose dans le genre. Aoi, oublie-la.
C'était dur à admettre, mais Roscoe avait raison : lui, petit être chétif, ne pouvait pas la rejoindre au sommet.
— Alors... Si je ne peux pas l'atteindre, je veux juste me rapprocher d'elle.
Comme tu veux, pensa Roscoe. Il est bon d'avoir de l'espoir, Aoi. Crois-moi, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu parviennes à ton objectif. Le Chacripan le regarda une dernière fois et s'en alla, sautant à travers les murs et les toits.