Jour 9 : Souvenirs d'enfance, par Dagyne
« T'es vraiment sûre de c'que tu fais ?
-Oui, ne vous inquiétez pas.
-Alors pourquoi y a des hommes du pilier habillés à la MIB qui nous poursuivent depuis tout à l'heure ? »
Il prit un virage trop vite et la voiture faillit se renverser sur le côté. Oana s'accrocha comme elle put à la ceinture, serrant aussi Canelle – son Sucroquin – dans ses bras. Tous deux grimaçaient. Horacio ne savait toujours pas comment ils avaient réussi à survivre au virage mais il n'avait pas le temps d'y songer plus que ça, les montagnes à glaces venaient aussi de le franchir.
Une heure plus tôt.
Horacio passa une main dans ses cheveux que le coucher du Soleil rendaient toujours plus dorés. Il s'avança dans l'Avenue Floréal en soupirant. Cette journée de boulot l'avait éreinté même s'il était sortit plus tôt ce jour là. Il était perdu dans ses pensées et son pied dérapa dans la neige. Ses mains s'agrippèrent au premier lampadaire venu tandis qu'il sentit le regard des quelques touristes présents se poser sur lui. À son grand soulagement, ils ne considérèrent pas sa chute comme un énième spectacle de rue et retournèrent vite à leurs occupations. Horacio se mordit l'intérieur des joues.
Après s'être enfin remit debout il continua son chemin. Arrivé en bas de l'avenue il remarqua qu'une petite fille l'observait, son vélo à côté d'elle et un verre vide dans la main, depuis le Laboratoire Pokémon. Il cligna des yeux, lui fit un petit sourire en coin et tourna la tête vers sa voiture. Il grimpa dedans et alors qu'il allumait le moteur – enfin tentait, elle était vieille sa machine – un bruit le fit sursauter. La fillette s'était approchée et venait de frapper contre la vitre. Horacio ouvrit la portière en faisant attention à ne pas la blesser.
« Hey p'tite, un problème ? lâcha-t-il plus par politesse que par curiosité.
-Vous pouvez m'aider ? »
Très honnêtement, elle attendait devant le Laboratoire Pokémon et y avait aussi un Centre Pokémon juste à côté. Pourquoi lui en particulier ?
« Le Professeur n'est pas là et l'infirmière ne peut rien pour moi, répondit-elle comme si elle avait lu dans sa tête.
-Ah ?
-Oui. »
Horacio prit une profonde inspiration, se frotta les yeux du pouce et de l'index et remit ses lunettes sur son nez.
« Et pourquoi moi ?
-Vous vous appelez Horacio Lombardi, vous avez trente-sept ans et vous êtes célibataire. Vous exécutez toujours les ordres que votre patron vous donne, dans la mesure du possible, et vous n'aimez pas être le centre de l'attention. »
Alors qu'elle continuait de raconter sa vie d'une voix monocorde (et ça ajouté au fait que ça soit une petite fille pas plus haute que trois pommes rendait la chose encore plus inconfortable), Horacio ne l'écoutait déjà plus, la bouche entrouverte. Si jeune et déjà espionne ? Il agita les mains devant elle pour lui intimer de se taire.
« Écoute gamine, ok, je vais t'aider, mais t'es pas obligée de
-Merci. »
Et ni une ni deux, elle s'installa côté passager alors que son Pokémon sortait de sa ball. Horacio sortit alors à son tour mais de la voiture, prit le vélo et le rangea dans son coffre avant de retourner s'asseoir. Il s'assura qu'elle était bien attachée et réussit enfin à allumer le moteur.
« Bon, tu veux que je te dépose quelque part je suppose.
-Oui, à Fort-Vanitas. »
Il soupira. Journée pourrie, comme s'il n'avait que ça à faire le bougre. Avant de quitter Illumis ils s'arrêtèrent au drive d'un fast food pour commander deux chocolats chauds. Il en tendit un à la jeune fille.
« Bon, c'est quoi ton p'tit nom et t'as quel âge ? Tes parents sont au courant au moins que tu vas agresser des honnêtes gens dans la rue comme ça ? Et tu viens d'où exactement ?
-Je m'appelle Oana Forestier, et voici Canelle. J'ai quinze ans et je suis originaire de Fort-Vanitas. J'aimerais... j'aimerais juste y retourner pour Noël. »
Le sang d'Horacio ne fit qu'un tour et se figea. Le chocolat chaud ne réchauffait plus rien en lui. Forestier, c'était le nom de son patron. Il avait, assit à côté de lui, la môme de son patron et il n'en savait probablement rien. Il déglutit. Pas étonnant qu'elle en savait autant sur lui finalement. Elle n'avait qu'à piocher le profil parfait parmi les dossiers des employés.
Ils venaient à peine de quitter Illumis par la porte de la Route 5 qu'un tout-terrain noir s'élança à leur poursuite. Oana jeta un coup d'œil derrière avant de faire une grimace.
« Il faut accélérer.
-Ou alors je pourrais simplement te déposer là et on en parle plus, t'en penses quoi ? »
Elle jeta sur Horacio un regard furieux et balança son fond de chocolat chaud sur ses jambes.
« Plus vite ou je vous pousse dehors. »
Sale gosse !! Mais bon, lui n'était pas Dresseur et le Sucroquin semblait prêt à user de ses pouvoirs alors il obéit à contre cœur. Se faire maîtriser par une gamine de quinze ans, il en connaissait plus d'un qui aurait pas hésité à sauter sur l'occasion pour se moquer de lui. Il appuya alors sur l'accélérateur. Canelle se propulsa sur son genou pour qu'il appuie plus fort dessus et ils esquivèrent de peu un arbre qui bordait la route.
« Vous avez de bons réflexes. » fit remarquer Oana. Y avait des claques qui se perdaient et il l'aurait baffée s'il n'était pas concentré sur la route. Arriva le fameux virage où ils faillirent avoir un accident pour la seconde fois.
« Vous vous êtes trompés de chemin sous la panique.
-La faute à qui ?! »
Oana haussa les épaules. Il changea de pédale et fit caler la voiture. Le tout-terrain derrière eux freina aussi juste à temps pour ne pas les percuter. Oana s'élança hors de la voiture et partit en courant, Canelle voletait à ses côtés. Elle agita la main pour dire ''merci'' à Horacio qui la regardait partir, incrédule, avant de se faire interpeller par les hommes en noir. L'angle du Soleil et la neige leur donnaient une ombre cheloue.
Oana n'avait cessé de courir jusqu'à Fort-Vanitas. Ses origines, sa ville, son fort. Depuis que sa famille avait déménagé à Illumis, elle ne rêvait que d'y revenir. Ses pas s'enfonçaient dans la neige qui s'était entassée sur les petits chemins peu empruntés. Elle aurait bien aimé boire un autre chocolat chaud, son neuvième depuis que la journée avait commencée. À la place, elle se mangea de la neige. Elle était tombée tête la première. Heureusement, elle en sortit indemne.
Rien n'avait changé, le Fort-Vanitas de son souvenir était toujours là. Les mêmes maisons en briques, la fontaine – vide et gelée en cette saison – et les sentiers à peine perceptibles. S'élançait un peu plus loin la silhouette imposante du fort, comparée à celles des autres habitations tout du moins. Le ventre d'Oana se mit à grogner et elle se dirigea vers le Centre Pokémon pour demander un chocolat chaud à l'infirmière Joëlle.
Ce n'était qu'après s'être ressourcée avec cette chaude liqueur qu'Oana remarqua enfin les décorations qui étaient suspendues ici et là. Noël approchait à grands pas et il ne lui manquait plus que quelques enjambées pour retrouver son chez-soi. Elle échangea un regard avec Canelle et s'avança vers le fort, déterminée. Elle eut une pensée pour Horacio, en espérant qu'il allait bien.
Alors que la ville se remplissait de décorations le fort s'était vidé de ses meubles. La statue à l'entrée ? Disparue. Le fauteuil où elle aimait tant s'asseoir ? Disparu aussi. Ses parents l'avaient bien prévenus qu'ils vendaient les meubles mais ce n'était que maintenant qu'elle en prenait pleinement conscience. Elle prit la dernière gorgée de son chocolat et se frotta les yeux pour sécher les larmes qui commençaient à s'y installer.
« Mademoiselle, c'était irréfléchi de votre part, venez. »
Elle devina que les hommes en noir l'avaient rattrapée. Canelle leur cracha dessus mais ils ne bougèrent pas. Oana les suivit à contre cœur. Elle aperçut Horacio en sortant et lui fit un petit sourire timide. Il le lui rendit. Au fond, elle avait bien plus de courage et de volonté que lui, il ne pouvait pas le nier.
Elle était de retour dans sa petite chambre. Ses parents l'avaient engueulée comme du Froussardine pourri. Oana avait eu le temps depuis de se ronger tous les ongles, si bien qu'elle s'attaquait maintenant à ses propres lèvres. Canelle avait l'air dépitée depuis son petit lit.
La vue était superbe à l'extérieur, la pollution lumineuse de la grande ville valait vraiment le détour. Mais cette vue là, depuis les hauteurs du grand bâtiment, elle la connaissait par cœur. Elle n'aurait pas fugué si ses parents prenaient plus en considération ses envies et ses sentiments.
Une journée entière s'était écoulée depuis son escapade. Plus elle y pensait et plus elle regrettait de ne pas avoir pu en profiter plus que ça. Un coup contre la porte de sa chambre la tira de ses pensées. Un homme en noir arriva dans la chambre.
« Un employé a tenu à vous livrer quelque chose. »
Il déposa le verre en carton et la petite boîte de malasadas sur le bureau et sortit de la pièce, laissant Oana et Canelle de nouveau seules dans cette chambre bien trop grande pour deux petites créatures comme elles. Oana s'approcha et reconnut l'écriture d'Horacio. Elle souleva le couvercle et, sans surprise, découvrit un chocolat chaud. Son tout premier de la journée. Il était encore chaud – sinon ça aurait été un chocolat froid – et recouvert d'une mousse blanche comme la neige. Après avoir dévoré la mousse, elle découvrit deux petits marshmallows qui flottaient à la surface tels des petits nuages alors qu'un Sucroquin avait été dessiné avec du lait Meumeu. Elle se mordit les lèvres pour s'empêcher de pleurer. C'était de loin le meilleur chocolat chaud qu'elle ait jamais but.