Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

A Burning Truth de Yûn



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Yûn - Voir le profil
» Créé le 10/11/2019 à 23:43
» Dernière mise à jour le 10/11/2019 à 23:43

» Mots-clés :   Action   Aventure   Médiéval   Présence d'armes   Unys

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Ch 01. We Will Not Run
Dispersés autour de l’enceinte circulaire, une vingtaine d’enfants et adolescents se pressaient sur les barrières de bois délimitant la lice.
Les plus jeunes avaient du mal à contenir leur excitation. Ils dansaient d’un pied sur l’autre en échangeant entre eux des chuchotements enjoués, se disputaient doucement sur leur favori, faisaient mine de se battre avec les petites épées de bois à leur ceinture, tout en surveillant du coin de l’œil la tribune où siégeait la Maître d’Armes, de crainte de se faire réprimander. Cependant, les trépignements des enfants étaient aussi à mettre sur le compte du froid persistant de cet après-midi de Gaius. Même si le printemps était arrivé quelques jours plus tôt, le soleil peinait à percer le ciel maussade, et si sa lumière parvenait à atteindre la terre, l’épaisse couche de nuages réduisait à néant toutes ses tentatives pour réchauffer plantes et créatures. Nombreux étaient d’ailleurs les bambins qui s’étaient emmitouflés dans une couverture parfois plus grande qu’eux, ou qui serraient dans leurs bras un petit Pokémon. Mais le temps n’avait en rien entamé leur enthousiasme pour le spectacle qui se profilait.

Loin de leurs frasques, les adolescents tâchaient eux de faire bonne figure. Tous s’étaient murés dans le silence, le regard rivé sur l’arène en contrebas, chacun chacune avec son ou ses fidèles partenaires tout aussi tranquilles à leurs côtés. Il eût été facile de les croire entièrement stoïques quant à la suite, mais il suffisait d’un simple coup d’œil sur le visage de l’un ou l’autre pour constater que leurs traits de marbre n’étaient qu’un masque fragile, trahi par l’éclat exalté qui dansait dans leurs yeux. Il fallait dire qu’en tant qu’élèves les plus âgés de leur groupe, leur instructrice leur avait fait l’honneur de les placer exceptionnellement dans le gradin habituellement réservé aux personnalités du fief.

Assise à la place d’honneur, Ashlynn Brannon attendait patiemment l’arrivée des combattants. Caressant d’une main la chitine renforcée de l’imposante fourmi sur ses genoux, ses yeux sévères étaient rivés sur les portes à l’autre extrémité de l’arène, dont ils ne déviaient que rarement pour adresser un sermon inaudible à ses élèves les plus jeunes lorsque ceux-ci s’agitaient un peu trop. La Chevalier paraissait plus stricte encore que d’habitude, et cela n’était pas seulement dû à la gueule béante du Mastouffe gravé au centre de son plastron, qui paraissait sur le point de rugir tant sa cuirasse de cuir et de métal était lustrée, ou à son chignon tiré aux quatre épingles qui accentuait ses traits bruts. Ce jour verrait les fruits de plusieurs années de dur labeur, et si ce n’était pas elle qui se trouverait dans la poussière de l’arène, la performance qui s’y déroulerait influerait directement sur sa qualité de Maître d’Armes de Nuvema.

Enfin, la lice résonna d’un craquement que la femme ne connaissait que trop bien. Se levant, elle rejeta légèrement sur son épaule gauche sa courte cape au bleu sombre bordé d’or, comme sa Fermite remontait le long de son bras pour venir se poster autour de son cou. L’hexapode claqua des mandibules dans un bruissement métallique, alors qu’en face les portes de bois s’ouvraient.
Quatre jeunes gens et autant de Pokémon s’avancèrent alors hors des ténèbres de l’ouverture, pour se révéler à la vue de tous sous les applaudissements des enfants. Mais, imperturbables, ils poursuivirent leur chemin sans leur adresser un regard. La loge devant eux, et surtout la femme qui s’y trouvait, était le centre de toute leur attention.
Il eût été difficile, pour un œil non averti, de distinguer ces personnes les unes des autres. Toutes portaient la même armure de cuir renforcée de quelques pièces de métal, et leur heaume grossier recouvrait suffisamment leur tête pour rendre leurs visages similaires depuis les gradins. Tout au plus pouvait-on identifier la présence de deux jeunes hommes parmi les combattants. En réalité, les seules choses qui différaient d’un individu à l’autre étaient le brassard qu’ils portaient à leur bras gauche, noir pour l’une des femmes et l’un des hommes, blanc pour les deux autres, le fait qu’une des guerrières portait son épée et son bouclier à l’inverse des autres, et le Pokémon qui marchait à leurs côtés.

Les combattants s’immobilisèrent de concert à quelques mètres de la tribune officielle, bien droits dans leurs bottes, imités par leur partenaire animal. Le regard fixé sur Ashlynn, ils posèrent d’un même geste leur main droite ouverte sur le centre de leur torse, pour s’écrier à l’unisson :

« We will not run ! »

Alors que cette introduction était acclamée par la petite foule, la Maître d’Armes leur rendit leur salut d’un bref mouvement de tête.
Ne s’attardant pas plus, les jeunes gens se scindèrent en deux groupes pour rejoindre chacun un côté de l’arène. Mais comme ils progressaient, le jeune homme au brassard noir fit un signe discret à sa partenaire.

« Regarde Marybeth, » murmura-t-il.

Interloquée, la guerrière tourna légèrement la tête en direction de leurs adversaires. Elle ne put retenir une grimace en voyant le Vipélierre enroulé autour des épaules de la jeune femme.

« C’est pas vraiment une surprise, mais bon…, soupira-t-elle.
- En même temps, c’est plus le contraire qui m’aurait étonné, ajouta son coéquipier. Mais au moins, ça veut dire qu’on peut garder notre plan de base. »

Il baissa alors le regard vers les deux Pokémon à leurs pieds, pour leur adresser un sourire encourageant.

« On compte sur vous, Olvera-gean, Harlem-lui ! »

Un bref cri répondit à son soutien, comme la Moustillon frappait fièrement le coupillage affûté sur son ventre. La Gruikui, quant à elle, se contenta d’expulser un nuage noir de son groin, qu’elle appuya d’un léger grognement. Sa maîtresse sourit devant tant d’entrain, mais reporta son attention sur l’autre groupe. Une lueur inquiète traversa brièvement ses yeux, comme elle remarquait la démarche sèche du jeune homme au brassard blanc, que le Grenousse essayait vainement d’apaiser.

« J’espère que ça ira pour ton frère…
- T’en fais pas pour Jerold, Faith-lui. Il fallait bien que ça tombe sur quelqu’un, et y’avait de toute façon pas moyen pour que Maître Ashlynn me fasse combattre avec lui. »

Faith hocha la tête, bien consciente de cela. Elle inspira un grand coup pour balayer toutes ces pensées envahissantes et se reconcentrer sur le combat à venir, quand son partenaire crut bon d’ajouter un dernier commentaire.

« Allez, dis-toi que si on arrive à les battre, j’offre une tournée générale!
- Qu… Mais tu veux ruiner mon père ou quoi, Dwayne-lui ! s’écria la jeune femme, en veillant cependant à ce que sa voix ne porte pas jusqu’à la Maître d’Armes.
- Ben quoi ? Je vais le payer, t’as pas de soucis à te faire !
- Tu parles ! Il va soit insister pour que tu ne règles rien, soit ira tout rendre à ta mère dès que tu auras le dos tourné ! »

A ces mots, Dwayne resta sans voix… Avant de pousser un soupir exaspéré.

« Je lui ai pourtant déjà dit cent fois de ne pas faire ça… »

Sa partenaire lui adressa un léger sourire désolé. Cependant, il n’était déjà plus temps pour les mots.
Le duo s’arrêta enfin, et se retourna pour faire face à leurs adversaires. Tous dégainèrent leur épée, ajustèrent leur garde et le port de leur bouclier. A leurs pieds, leurs Pokémon aussi se tenaient prêts : Harlem, légèrement plus avancée que son humaine, grattait la terre d’un antérieur impatient, la tête baissée comme des fumerolles d’encre s’échappaient de ses naseaux. Juste derrière elle, la loutre ciel et neige avait saisi son coupillage de la patte gauche pour le tenir comme un éventail près de sa tête. En face, le Grenousse avait préféré rester à proximité de son maître, les quatre pattes au sol et la croupe légèrement relevée pour s’assurer d’un départ fulgurant. Quant au reptile de jade, enroulé autour du corps de Marybeth, ses yeux perçants fixaient intensément les personnes face à lui, étudiant patiemment leurs faits et gestes pour mieux anticiper leurs intentions.

Toujours debout dans la tribune officielle, Ashlynn observa une dernière fois ses élèves prêts à donner l’assaut, jugeant sans mot dire leurs positions. Ses yeux se fermèrent doucement, comme sa main venait se refermer sur la garde de son épée longue. D’un geste lent, que sa fourmi renforcée pressa d’un claquement de mandibules, elle la sortit de son fourreau dans un sifflement mélodieux d’acier se frottant l’un contre l’autre. La Maître d’Armes brandit alors son arme au-dessus d’elle, pour suspendre son geste un instant. Elle pouvait sentir toute l’intensité des regards des combattants en contrebas, braqués sur son bras armé. Un silence retentissant avait envahi l’assemblée de ses élèves, tous retenant leur souffle avant le début de la charge. Rien, si ce n’était une brise légère, ne vint perturber ce tableau figé.
Quand soudain…

Rouvrant les yeux, l’officier de Nuvema abattit son bras.

Une clameur enthousiaste s’éleva du jeune public comme leurs aînés s’élançaient les uns contre les autres. Mais, alors que les groupes étaient à mi-chemin…

« Harlem-gean ! »

La voix de la jeune femme au brassard noir résonna dans leur partie du terrain. Répondant aussitôt à ce signal, la marcassin encre et ocre pila des quatre fers pour inspirer autant d’air que ses poumons pouvaient contenir. Le groin dressé vers le ciel, elle bloqua un court instant sa respiration… Pour recracher de lourds nuages opaques de ses naseaux. L’insondable fumée eut tôt fait de dépasser le duo aux brassards noirs, les engloutissant sans la moindre hésitation en poursuivant sa route vers les autres combattants. Ce fut tout juste si la grenouille azurée parvint à projeter une pleine poignée de sa mousse gluante sur Dwayne, avant que leur groupe ne disparaisse dans les méandres ténébreux.
Les guerriers blancs s’immobilisèrent immédiatement, comme la cendre épaisse les encerclait. Par réflexe, Jerold chercha à se placer dos à sa coéquipière, afin de minimiser leurs angles morts et assurer leurs arrières. Mais un grincement de dents lui échappa en constatant qu’elle n’avait pas fait le moindre geste dans sa direction. Seul son serpent à pattes avait modifié sa position, afin de lui servir d’yeux supplémentaires dans son dos.

« Forcément… maugréa-t-il, pas surpris pour deux sous. Elgin-gean ! »

Renfrogné, il fit un signe du doigt à son Grenousse pour accompagner son appel. Le batracien lui envoya un peu de sa mousse, qu’il s’empressa de plaquer contre le bas de son visage afin de respirer sans craindre les inhalations de charbon. Il aurait bien proposé à sa coéquipière de recourir elle aussi à cette protection, mais la connaissant, elle lui aurait à peine adressé un regard.
Mais l’heure n’était pas à l’amertume. Demeurant stable sur ses appuis, Jerold ajusta son bouclier pour être prêt à intercepter le moindre coup. Aux aguets, le jeune homme balayait du regard le brouillard épais, se concentrait sur ce qu’il pensait entendre. Il n’aimait pas cette situation, privé d’initiative, obligé d’attendre que l’adversaire se trahisse. Son frère ne le savait que trop bien…

Soudain, il repéra un mouvement brusque de la brume noire sur sa gauche. Son bras agit sans réfléchir : son bouclier se leva… Pour repousser le coupillage qui filait dans sa direction. Il ne réalisa qu’au moment de l’impact qu’il venait de mordre à l’hameçon. Du coin de l’œil, il vit une lame argentée percer le smog pour attaquer le flanc qu’il venait d’exposer. L’arme fondit sur ses côtes, prête à déchirer son armure. Et elle l’aurait fait sans l’intervention d'Elgin : le batracien cracha une nuée de bulles éclatantes qui, si elles étaient loin d’égaler la puissance du coup, réussirent à le dévier suffisamment. L’épée ripa sur le cuir épais, avant d’être écartée par le fer de Jerold. Qui se retrouva face à Faith.
Voyant que son assaut avait échoué, la jeune femme voulut se reculer pour revenir à l’abri dans sa cachette impalpable. Mais son adversaire ne lui en laissa pas l’occasion. La grenouille bleutée projeta une pleine poignée de mousse sur elle, fixant sa cheville au sol. Déstabilisée, la guerrière manqua de tomber, se rattrapant de justesse avec sa jambe libre… Et intercepta à temps le coup d’épée de Jerold. Le fracas du métal s’entrechoquant fut atténué par la purée de pois, mais l’intensité de l’attaque était bien réelle. Faith fut obligée de plier le coude afin d’arrêter la progression de la lame. Mais déjà une nouvelle estocade arrivait, parée cette fois-ci par son bouclier. Puis une autre. Le jeune homme au brassard blanc enchaînait les attaques, en particulier sur le côté de sa cheville entravée.

Faith atteignait les limites de son sens de l’équilibre. Le prochain coup la ferait chuter à coup sûr. Plaçant son bouclier devant elle, elle se prépara à l’impact comme son opposant levait son arme.
Mais la collision ne vint pas de là où on l’attendait.
La marcassin encre et ocre surgit hors du brouillard pour percuter de plein fouet le flanc exposé de Jerold. Surpris par cet assaut soudain, le jeune homme se fit brutalement éloigner sur plusieurs pas. Comme il se redressait à peine, la Moustillon sortit à son tour de l’ombre pour déchirer le lien gluant de sa coéquipière à l’aide de son coupillage affûté. Cette dernière lui adressa un hochement de tête en remerciement, avant de se replacer face au guerrier blanc.

Le jeune homme se redressa en se massant la taille, là où la Gruikui l’avait frappé. Il grinça des dents en se voyant acculé, Faith et Olvera face à lui, Harlem un peu plus derrière. Il aurait été complètement isolé si son Grenousse, d’un bond prodigieux, n’avait échappé à la porcelet pour revenir à ses côtés.
La seule bonne nouvelle dans tout cela, c’était qu’avec leur agitation, le brouillard s’était partiellement dissipé. Désormais, seule la zone autour de Marybeth demeurait aussi sombre qu’une nuit sans lune, offrant davantage de visibilité au combattant blanc. Mais, comme il arrachait d’un geste sec la mousse qui lui entravait la respiration, il réalisa quelque chose. Quelqu’un manquait à l’appel.

L’éclat de ses yeux avait dû trahir sa découverte, car Faith donna aussitôt le signal de la charge. La petite loutre sortit de l’intense concentration dans laquelle elle s’était plongée, profitant de cette brève accalmie, pour se précipiter de concert avec sa coéquipière sur l’humain ennemi, chacune son arme à la main. Harlem se rua à son tour dans leur direction, tête baissée, prête à percuter leurs adversaires de son petit corps trapu. Ils étaient pris en tenaille !

« Mary-lui ! » eut-il juste le temps de crier.

D’un mouvement parfaitement synchronisé, Olvera et Faith infligèrent un coup en croix… Que Jerold n’aurait jamais pu parer si son batracien ne s’était jeté sur le chemin de la marcassin. Elgin cracha une nuée de bulles vives, qui s’écrasèrent sur le crâne incliné du bélier vivant. Mais cela ne fit que ralentir l’inévitable, en plus d’accentuer sa rogne : à défaut des jambes de l’humain, Harlem heurta le Grenousse. Sa vélocité et sa masse firent l’effet d’un boulet de canon, projetant la pauvre créature dans les airs. Sonnée par un tel coup, la grenouille ne parvint à se réceptionner convenablement. Son dos percuta le sol, ajoutant à la douleur tiraillant son corps frêle.

« Elgin, éliminé, » déclara la Maître d'Armes, impassible.

La petite foule l'applaudit chaleureusement comme le batracien boitillait lentement jusqu'au bord de l'arène. Jerold, lui, grinça une nouvelle fois des dents. Il était toujours aux prises avec les deux épéistes du groupe noir. Heureusement que, dans un dernier réflexe, Elgin avait réussi à fixer deux des pattes de Harlem au sol avec sa mousse. La marcassin tirait dessus avec force et ne tarderait pas à rompre l'entrave, mais au moins l'élasticité du lien lui permettait de gagner quelques précieuses secondes.

Mais, tandis que le jeune homme était submergé par le nombre, sa coéquipière, elle, semblait en bien meilleure posture.

Marybeth avait haussé un sourcil en entendant son avertissement. Pensait-il sincèrement qu'elle avait besoin de ses lumières pour comprendre le plan de leurs adversaires ?
Alors qu'elle se reconcentrait après ce bref instant de flottement, elle perçut un sifflement inaudible. Autour de ses épaules, Grant, son Vipélierre, sortait et rentrait incessamment sa fine langue fourchue, à la recherche d'intrus cachés dans le brouillard. Et il n’avait pas tardé à en repérer un, qu'il avait aussitôt signalé.
D'un mouvement à la fluidité parfaite, la guerrière blanche pivota... Pour abattre avec une facilité déconcertante sa lame sur le fer de Dwayne. Surpris par son action, un éclat contrarié traversa les pupilles grises de ce dernier. Elle avait agi comme si elle s'était attendue à le trouver là !

Mais il n’avait pas dit son dernier mot ! Le jeune homme recula légèrement son épée pour asséner un nouveau coup. Qui se fit encore une fois écarter sans le moindre mal par son opposante.
L’arène résonna bien vite d’un tonnerre métallique, comme les deux guerriers enchaînaient les passes. Dwayne tentait estocade après estocade, changeant à chaque fois son approche pour au moins surprendre ne serait-ce qu’une fois son adversaire ! Mais, il avait beau faire, Marybeth semblait toujours avoir un temps d’avance sur lui. Epaulée par les frémissements de langue du Vipélierre, qui semblait lire ses mouvements comme un livre ouvert, elle plaçait précisément son arme ou son bouclier à l’endroit parfait pour le parer ou le contrer avec un maximum d’efficacité. Tant pis ! Il devait persévérer ! Aussi douée qu’elle était, s’il continuait à faire pleuvoir les coups, elle finirait par faire une erreur, un écart, une mauvaise interprétation, n’importe quoi qui lui permettrait de…!

« Jerold, éliminé. »

L’éclat de voix d’Ashlynn Brannon retentit avec force dans l’enceinte. L’annonce fut si soudaine que les deux duellistes suspendirent leur action. Dwayne résista de toutes ses forces à la tentation de détourner les yeux pour voir comment ses coéquipières avaient réussi leur partie du plan. Bien lui en prit. Il vit ainsi le regard émeraude de la guerrière blanche le quitter pour se tourner vers l’autre combat… C’était le moment ou jamais !

Raffermissant sa prise sur la garde de son arme, le jeune homme porta un redoutable coup à revers.

Qui rencontra aussitôt le bouclier adverse. Malgré son inattention, Marybeth avait levé son bras droit sur l’indication de son serpent à pattes. Un réflexe inespéré. Et c’est comme il rencontrait les pupilles fendues de Grant, derrière la protection, que Dwayne comprit.
Il avait cru dominer ce duel. En réalité, c’était lui qui avait été mené à la baguette.

« Merde…! » eut-il juste le temps de murmurer.

Le Vipélierre jaillit en une flèche de jade du bras défendu de sa maîtresse. Avant que le combattant noir ait le temps de réagir, il fusa droit sur son épaule. Pendant le bref instant où il prit appui dessus, deux fines lianes surgirent des épaulettes dorées du serpent des bois. Les filins végétaux enserrèrent aussitôt la gorge du jeune homme, alors que Grant bondissait au sol. Et, dès qu’il toucha le sable de l’arène, le reptile tendit ses liens.
Dans un réflexe de survie, Dwayne porta immédiatement ses mains à son cou. Il avait lâché son arme, alors que ses doigts tentaient de se défaire de cette entrave, quitte à se griffer la peau. Mais il n’y avait rien à faire : plus il se débattait, plus le serpent à pattes rétractait ses cordeaux verts. Le guerrier noir se retrouva le corps penché vers l’arrière, arqué sur ses jambes en essayant de tenir bon face à cette force qui l’entraînait…! Il pouvait le faire ! Il devait juste tenir le temps que Faith et les autres viennent à son sec…!

Un balayage coupa court à toute résistance de sa part. La jambe de Marybeth avait cueilli ses pieds, exploitant sans le moindre scrupule leur position de faiblesse.
Dwayne se retrouva brièvement suspendu dans les airs, avant de rencontrer brutalement le sol. La gorge toujours prisonnière, il vit d’un oeil fiévreux la jeune femme qui se redressait au-dessus de lui. Qui réajustait son épée dans sa main gauche. Qui le regardait de cet air si froid, si implacable. Qui, avec les bribes du brouillard mourant qui dansaient autour d’elle, ressemblait en tout point à Malus, l’Idole des temps anciens, sur le point d’abattre sur ses ennemis son courroux dévastateur.

Dans un ultime sursaut, le jeune homme réussit à ramener son bouclier au-dessus de lui. Mais la protection se fit aussitôt dévier d’un mouvement sec. Marybeth alla même jusqu’à poser son pied sur l’égide, afin de s’assurer que plus rien ne vienne obstruer son coup de grâce. Saisissant la garde à deux mains, elle leva son arme. Suspendit son geste pendant une fraction de seconde. Et le fer plongea.

« Dwayne, éliminé, » proclama une nouvelle fois la Maître d’Armes, alors que la pointe s’enfonçait de plusieurs centimètres dans le sable de l’enceinte, non loin du flanc de son rival.

Ashlynn avait à peine fini son annonce, Marybeth venait tout juste de retirer son épée du sol, qu’un petit boulet de canon encre et ocre percuta le serpent des bois. Déconcerté par un assaut aussi soudain, Grant décolla… Mais ancra dans le sable les filins qu’il venait tout juste de libérer pour écourter sa folle course et atterrir sans peine.
Le Vipélierre se redressa pour adresser un sifflement agacé à Harlem. Laquelle le lui rendit d’un grognement sourd, accentué par son antérieur qui grattait furieusement le sol et deux nuées noires qui s’échappèrent de ses naseaux.

Faith et Olvera rejoignirent rapidement la marcassin, à quelques pas de leur camarade tombé. Ce dernier se releva avec difficulté.

« Désolé… parvint-il à articuler alors qu’il s’éloignait en massant sa gorge meurtrie.
- T’en fais pas, le rassura son alliée humaine. Les filles, à nous de jouer ! »

La Moustillon et la Gruikui appuyèrent ses propos d’un cri et grognement à l’unisson. A trois contre deux, l’équipe noire avait techniquement l’avantage. Cependant, Faith ne comptait pas sur cela. Elle connaissait suffisamment l’étendue de l’habileté de son amie pour savoir que celle-ci n’aurait aucun mal à retourner la situation. Le seul moyen de l’avoir, c’était de faire quelque chose d’inattendu. Mais même en faisant cela, ce n’était pas gagné à cause de son serpent à pattes...
Rah, ça ne servait à rien de tergiverser autant !

« Harlem-gean, Olvera-lui, occupez-vous de Grant ! »

Juste à temps. La porcelet embrasée se mit en travers de la route du Vipélierre comme celui-ci cherchait à filer rejoindre sa partenaire. Le reptile de jade poussa une stridulation irritée, et évita le coup de boule en se propulsant dans les airs à l’aide de ses lianes… Mais la loutre ciel et neige l’attendait ! Anticipant son saut, Olvera s’était elle aussi élancée. L’air siffla comme le coupillage affûté fondit sur sa cible végétale. Grant parvint tout juste à se contorsionner pour éviter une attaque frontale, mais un chuintement douloureux lui échappa quand la lame taillada son habit de céladon.
L’élancement de sa queue l’empêcha de se réceptionner avec aisance. Cependant, ses adversaires ne lui laissèrent pas le temps de s’apitoyer sur ses écailles blessées. Le Vipélierre avait à peine posé une première patte au sol qu’Harlem s’était lancée dans une énième charge. Quant à la petite loutre, elle avait profité de son atterrissage maîtrisé pour immédiatement prendre appui sur le sable et bondir droit sur lui, prête à le lacérer une nouvelle fois.
Ainsi pris en tenaille, Grant n’avait aucune chance de poursuivre davantage le combat. Ses paupières se fermèrent sur ses pupilles fendues, en signe d’acceptation de son sort…

Ou du moins, c’était ce qu’il avait voulu leur faire croire.
Sa langue fourchue surgit furtivement d’entre ses lèvres. Lui faisant davantage confiance qu’à sa vue, le reptile de jade fouetta le sol de ses lianes. Son saut était si inattendu que ni Olvera ni Harlem ne réagit à temps. La Gruikui heurta de plein fouet son alliée, le coupillage de cette dernière entamant son cuir.

« Olvera, Harlem, éliminées. »

A ces mots, Faith grimaça. Bon sang, cette paire était douée ! C’était à peine si elle avait pu échanger deux passes d’armes avec Marybeth ! Mais le Vipélierre n’était pas encore revenu s’enrouler autour de ses épaules, elle devait profiter de cette occasi…!
Son adversaire porta une soudaine estocade. La guerrière noire para en se reculant pour accompagner son geste… Quand son pied trébucha sur le filin tendu derrière elle. Ses bras moulinèrent dans le vide pour tenter de la stabiliser. En vain, la jeune femme perdit l’équilibre et son dos heurta bien vite le sol.
Faith chercha aussitôt à se relever… Mais elle venait à peine de se redresser que la pointe du fer de Marybeth s’immobilisa à quelques centimètres de sa gorge. Ainsi obligée de garder la tête rejetée vers l’arrière, elle comprit sans mal son échec en voyant le serpent des bois, juché sur l’épaule de son humaine, prêt à remuer le couteau dans la plaie au moindre geste de défiance de sa part.

« Faith, éliminée. Victoire de l’équipe blanche. »

La dernière annonce de la Maître d’Armes fut noyée dans la clameur et les applaudissements du jeune public, alors que Faith s’affalait dans le sable, relâchant enfin toute cette tension. Elle ferma les yeux, réalisant seulement maintenant combien elle était essoufflée. Zut. Ca n’avait pas été assez. Ils avaient réussi à mettre à mal Grant, mais Marybeth n’avait même pas subi le moindre coup.
Quand elle rouvrit les yeux, une main tendue avait remplacé l’arme qui la menaçait. Avec un léger sourire, la jeune femme saisit l’offre de sa rivale, qui l’aida à se relever.

« Beau combat, Mary-lui ! Tu nous as encore eus !
- Tu étais beaucoup trop prévisible sur la fin, répondit-elle d’une voix indifférente. Tu paniques toujours quand tu te sens piégée. »

Faith eut un rire gêné. Elle alla ramasser son épée, qu’elle avait lâchée au moment de sa chute, puis les jeunes femmes furent rejointes par le reste de leurs coéquipiers. Revenant au centre de l’arène, les deux équipes portèrent une nouvelle fois leur paume ouverte sur leur torse, saluant ainsi l’assemblée. Dans la tribune officielle face à eux, Ashlynn Brannon répondit à leur geste d’un hochement de tête entendu. Mais à ses yeux sévères, ils surent qu’ils allaient avoir droit à un compte-rendu détaillé des erreurs qu’ils avaient commises…

Alors que la petite foule applaudissait et scandait parfois le nom de Marybeth, les combattants quittèrent l’enceinte par les portes de bois. Mais, dès que celles-ci se refermèrent sur eux, leur unité vola en éclats dans un silence assourdissant. Jerold les distança d’un pas furieux, rejoignant les vestiaires sans adresser le moindre regard à sa partenaire. Cette dernière se contentait d’avancer tranquillement, imperméable à ces reproches inaudibles. Derrière eux, l’équipe noire traîna un peu les pieds pour pouvoir discuter au calme avant la tempête qui s’annonçait.

« Désolée, s’excusa Faith à son tour dans un soupir. Je me suis laissée avoir…
- Hey, c’est pas grave ! » la rassura son coéquipier avec un grand sourire. Maintenant qu’il avait ôté son heaume, ses longues boucles d’un brun cendré collaient à son cou humide de sueur. « On n’était pas loin d’avoir Grant, c’est déjà ça ! Et avec ce qu’on risque de se prendre comme remarques de la part de Maître Ashlynn, chuis sûr qu’on y arrivera la prochaine fois.
- Si prochaine fois il y a, corrigea-t-elle en passant une main dans sa chevelure châtain, afin de laisser l’air rafraîchir sa nuque. Je t’avoue que si j’ai pas à la rencontrer en Tournoi, ça m’arrangerait bien.
- Roh, tu te sous-estimes, Faith-lui ! rétorqua son ami en entourant ses épaules d’un bras affectueux. Et puis, regarde, ça s’est pas joué à grand-chose. Si j’avais pas été aussi idiot et que j’avais réussi à tenir, quoi… Cinq secondes de plus ? Harlem-lui aurait pu charger Grant ou Marybeth, et on se serait retrouvés à quatre contre deux. Pas vrai ma grande ? »

La Gruikui redressa fièrement le groin, approuvant ses propos d’un court grognement. Une fine plaie courait le long de son épaule et de son échine, causée par le coup malheureux porté par sa camarade, mais elle n’avait pas l’air de lui en tenir rigueur.

Leur conversation tourna court cependant. Ils étaient sur le pas de la porte du vestiaire quand ils virent Jerold retirer son heaume et le jeter d’un geste rageur. Le casque rebondit contre le banc proche dans une cacophonie métallique qui ne se tut qu’une fois la pièce d’armure à terre. Alors que Marybeth enlevait paisiblement son équipement de son côté, il leur tournait résolument le dos. Le bras posé sur un casier de bois, le front contre son poing fermé, il s’était muré dans un silence qu’ils savaient tous éphémère. Son corps tremblait, et pas à cause de l’effort fourni. Les grosses gouttes de sueur roulant sur sa peau n’étaient pas la seule chose qui transpirait de son être.

« Tu peux m’expliquer ce que c’était que ça, Mary-lui ? »

Comme il se retournait lentement vers elle, il aurait été difficile de dire ce qui était le plus glacial: le timbre de sa voix ou ses iris de givre ? Son Grenousse sauta sur le banc pour tenter de le calmer, mais il l’ignora royalement.

« Rappelle-moi, c’était quoi le but de l’exercice déjà ? Ah, oui ! Un combat en équipe ! EN PUTAIN D'ÉQUIPE, PAR JORDAN ! »

Les derniers mots quittèrent sa gorge en un rugissement qui fit frémir jusqu’à son frère. Ce n’était pas souvent que Jerold perdait son sang-froid, mais lorsque c’était le cas, mieux valait ne pas être la cible de son ire.

« A… Allons, Jerold-gean, tenta Dwayne. Mary-lui a fait ce qu’elle a pu et…
- Je ne vois pas ce que tu me reproches, Jerold-lui, » l’interrompit la concernée. Imperturbable, elle avait entrepris d’enlever le sable parsemant son armure à l’aide d’une brosse. « A ce que je sache, je ne t’ai pas mis de bâtons dans les roues…
- TU TE FOUS DE MOI ?! s’étrangla le jeune homme, que son frère retenait tant bien que mal d’une main sur l’épaule. Et ne pas bouger d’un poil alors que tu voyais clairement qu’Elgin-gean et moi on était en trois contre deux, t’appelles ça du travail d’équipe, peut-être ?!
- Oh, je t’en prie. Ce n’est pas de ma faute si vous deux avez été les premiers éliminés. Tu devrais plutôt nous remercier, vu que c’est grâce à Grant-gean et moi qu’on a remporté la victoire, » répondit-elle en reposant la brosse pour gratouiller le menton de son serpent des bois.

Le visage de Jerold s’embrasa tant à cette réponse qu’il en fit ressortir les quelques cicatrices blanches de sa mâchoire, pourtant dissimulées par son collier de barbe noire. Par réflexe, Dwayne passa aussitôt ses bras sous les aisselles de son frère comme celui-ci esquissait un mouvement vers son alliée. Faith s’était aussi interposée entre eux, prête à venir en renfort…

Et c’est à ce moment-là que la porte principale du vestiaire s’ouvrit en grand. Un instant de flottement parcourut les guerriers, jusqu’à-ce qu’une voix abrupte les rappelle à la réalité.

« Qu’est-ce qu’il se passe, ici ?! »

Les jeunes gens abandonnèrent aussitôt leurs positions pour se mettre au garde à vous, le corps bien droit, la main ouverte contre le torse. Jamais Faith et Dwayne n’auraient imaginé être aussi soulagés de voir le visage sévère de la Maître d’Armes de Nuvema et de se prendre ses remontrances.
Ashlynn Brannon les observa tous d’un oeil strict, alors que la Fermite sur son épaule claquait frénétiquement des mandibules. Aucune n’était dupe quant à l’orage qui avait bien failli éclater dans la pièce.

« Rompez, finit-elle par lâcher après une trentaine de secondes d’un silence embarrassant. Je vais vous faire part de mon analyse quant à vos performances, aussi bien individuelles qu’en équipe. »

Jerold tiqua à ce mot, mais un simple regard de leur instructrice dans sa direction le dissuada de se risquer au moindre commentaire.

« Nous allons commencer par l’équipe noire. Dans l’ensemble, vous vous en êtes plutôt bien sortis. Vous avez su mettre à profit vos forces individuelles, ce qui a résulté en une bonne synergie entre vous. Attention cependant : rappelez-vous qu’en situation réelle, ou même en Tournoi, vous n’aurez pas le luxe de connaître à l’avance les forces et faiblesses de vos adversaires. Il faut que vous gagniez davantage en capacité d’adaptation et en prise de décision rapide. C’est notamment le cas pour toi, Faith-og, précisa l’officier en se tournant vers elle. Tu t’es rattrapée quand tu t’es retrouvée coincée face à Jerold-og, mais uniquement grâce à l’intervention d’Olvera-og et d’Harlem-og. Et face à Marybeth-og, tu as paniqué dès que tu as entendu que tu étais seule. Je suppose que tu étais déstabilisée parce que tu ne t’attendais pas à te retrouver seule aussi rapidement, mais dis-toi bien que ce genre de comportement peut te coûter la vie en combat. »

Un sourire gêné étira les lèvres de la jeune femme, comme elle hochait la tête devant ces remarques. Marybeth avait vu juste, encore une fois…

« Quant à toi, Dwayne-og, c’était plutôt l’inverse. Tu pensais tellement dominer ton assaut que tu n’as pas remarqué que tu avais perdu l’avantage dès ta troisième passe. Pourtant, même depuis la tribune, je pouvais voir que tu avais commencé à réagir aux mouvements de Marybeth-og. Résultat, tu as sauté à pieds joints dans le piège qu’elle t’avait tendu. Il faut que tu apprennes à ne pas faire confiance qu’à ce que tu vois. »

Il ne répondit rien, mais adressa tout de même un regard amical à sa partenaire, comme pour la rassurer.

« Et maintenant… L’équipe blanche. »

Elle marqua un temps d’arrêt. Ses élèves déglutirent. Ils savaient qu’un tel silence annonçait un rude sermon.

« Jerold-og, tu t’es rapidement retrouvé dans une position de faiblesse. Mais tu as réussi à tenir bien plus longtemps que ce dont tu étais capable auparavant. Tu as essayé de rester aussi vigilant que possible à ton environnement, ce qui n’était pas aisé avec le brouillard. Cependant, tu aurais gagné en efficacité si tu avais cherché à te rapprocher de ta coéquipière, ne serait-ce que pour fermer un angle d’attaque pour tes adversaires. »

Même à distance, ses amies et frère purent le sentir se crisper et retenir du bout des lèvres l’insulte qui montait dans sa gorge.

« Marybeth-og… Comme d’habitude, une maîtrise parfaite de ton arme, une technique impeccable et une excellente utilisation des atouts de Grant-og. Cependant… »

Le regard acéré d’Ashlynn Brannon se fit plus implacable encore que d’habitude, annonçant la suite.

« S’il s’était agi d’un vrai Tournoi, je t’aurais retiré cette victoire. Pas une seule fois tu n’as considéré ton partenaire alors qu’il s’est retrouvé en difficulté ! Jerold-og a résisté aussi longtemps qu’il l’a pu, mais c’est parce qu’il savait que tu as tendance à faire cavalier seul. Toute personne autre que l’un de vous serait tombé presque aussitôt, parce qu’il ou elle se serait attendu à ce que tu couvres ses arrières. Je sais que tu es confiante en ta maîtrise et en l’appui de tes Pokémon, et à raison. Mais il faut absolument que tu apprennes à compter sur les autres et à aider tes alliés ! Sinon, en combat réel, tu vas te retrouver avec leur mort sur la consc…! »

L’ouverture de la porte des vestiaires coupa la réprimande. Les élèves poussèrent un soupir collectif, soulagés d’avoir un peu de répit… Mais Faith et Marybeth se redressèrent aussitôt, imitant leur instructrice comme elle saluait les nouveaux venus.

« Dylanna-bhean, Gallagher-udarridire, » accueillit Ashlynn d’une voix claire.

Le Chevalier à l’épaisse moustache lui répondit d’un hochement de tête. Mais ce n’est que lorsque la femme âgée qui le précédait leur fit signe de la main que la Maître d’Armes et ses élèves cessèrent leur salutation.

« Je vous en prie, Ashlynn-udarridire, dit la Consul de Nuvema de sa douce voix. Je ne voulais pas vous interrompre. Je souhaitais simplement féliciter ces jeunes gens. »

A ces mots, les yeux glacés de Jerold s’écarquillèrent, alors que son visage grimaçait.

« M… Mère, balbutia-t-il, son teint blême tranchant avec la noirceur de sa chevelure. Ne me dites pas que vous avez assisté…
- Au combat ? compléta la suzeraine, avant d’ajouter d’un ton enjoué : Bien sûr que si ! C’était peut-être ma dernière chance de vous voir croiser le fer avant des mois, des années même ! Pour rien au monde je n’aurais manqué l’occasion de voir combien vous avez tous progressé, chers enfants ! »

Mais, loin de lui mettre du baume au coeur, le jeune homme au fin collier de barbe plaqua une main contre ses yeux tout en baissant honteusement la tête.

« J’aurais préféré que vous n’assistiez pas à ma piètre performance, surtout juste avant de partir...
- Allons, Jerold-gean ! » s’exclama sa mère en s’avançant jusqu’à lui.

Même avec ses cheveux décolorés par le temps coiffés en une haute tresse enroulée, son garçon la dominait toujours d’une bonne tête. Elle posa une main chaleureuse sur sa joue, avant de lui adresser ce sourire bienveillant qui ne la quittait que rarement lorsqu’il osa enfin la regarder. Le seul fait de voir les fines lèvres étirer ce visage éreinté par les ans et la douceur intacte qui brillait toujours dans les iris usées rappela à Faith combien elle avait fini par associer cette figure maternelle à l’image qu’elle se faisait de la grâce. Si la gentillesse avait un visage, nul doute qu’il s’agissait de celui de Dylanna Caerwyn.

« Tu es trop dur envers toi-même. Vous vous êtes tous admirablement bien battus, toi y compris. N’est-ce pas, Ashlynn-udarridire ? demanda-t-elle en se tournant vers l’officier.
- Eh bien... Commença-t-elle. Ils ont tous des points importants à améliorer. Et si cela ne tenait qu’à moi, ils resteraient tous ici pendant encore quelques mois pour travailler tout cela… »

La Maître d’Armes s’interrompit, soudain mal à l’aise. Sa souveraine la fixait de ses yeux prévenants, ce qui avait le don de la désarmer. Même sa fourmi renforcée exprima son embarras en frottant ses mandibules l’une contre l’autre.

« … Mais je suppose qu’effectivement, ils apprendront bien plus efficacement au cours de leur voyage, » finit-elle par céder en détournant légèrement le regard, incapable de tenir plus longtemps.

Sa décision fut célébrée par un soupir de soulagement de tous ses élèves. Sans l’intervention de la Consul, elle n’aurait pas hésité un seul instant à reporter leur départ.
Satisfaite, Dylanna Caerwyn hocha tout simplement la tête.

« C’est donc entendu ! »

Mais avant que la dame de Nuvema ne puisse ajouter le moindre mot, son Ombre, Gallagher Nicholson, se râcla la gorge.

« Ah, oui ! Vous avez raison, Gallagher-udarridire ! J’aurais bien aimé rester davantage, mais j’ai encore à faire, précisa-t-elle en se tournant vers les jeunes gens. Les garçons, n’oubliez pas que je vous attends pour le repas ce soir.
- Oui, mère, » répondirent les deux frères à l’unisson.

La suzeraine leur adressa un dernier sourire, avant de prendre congé accompagnée de son Ombre, sous le salut des trois femmes.
Une fois partis, la Maître d’Armes les balaya tous de son regard acéré, non sans qu’un frisson glacé ne vienne parcourir l’échine de la plupart d’entre eux.

« Bon… On va dire que vous avez eu l’essentiel de mon rapport. Cependant, gardez bien en tête ce que je vous ai dit. Et pas seulement pour me faire plaisir ! s’empressa-t-elle d’ajouter. Dès que vous partirez, dès que vous aurez effectivement le rang d’Aspirant, plus rien ne sera un simple exercice. Il est impératif que vous connaissiez vos forces et faiblesses, car que ce soit en Tournoi ou sur les routes, la moindre erreur peut vous coûter cher, et vous n’aurez pas toujours le droit à une seconde chance. »

Elle maintint pendant plusieurs secondes encore cette atmosphère fatidique… Pour finalement soupirer en levant les yeux au ciel.

« Enfin, vous vous en rendrez bien vite compte par vous-même… Dépêchez-vous de vous rhabiller pour profiter de votre dernière soirée avec vos proches. Et n’oubliez pas que vous êtes tous attendus aux portes de la ville aux aurores ! »

C’est avec ce dernier rugissement de sa part, qui ressemblait plus à une tentative de dissimuler l’émotion qui la prenait qu’autre chose, qu’Ashlynn Brannon quitta les vestiaires.

Cette interruption avait au moins eu le mérite de couper court à la fureur de Jerold. Le groupe acheva de ranger leurs affaires en bavardant gaiement. Puis, ils se séparèrent à la sortie des vestiaires : les garçons se dirigèrent vers le Kennel, le manoir de Nuvema, tandis que les filles descendirent la grand-rue. Elles marchèrent jusqu’à atteindre la place centrale, pour ensuite pénétrer dans l’auberge.

A cette heure de l’après-midi, le Laughing Bouffalant était désert. C’était à peine si trois marchands partageaient quelques choppes autour d’une table, en bavassant sur leur prochaine destination, et qu’un vieillard était endormi sur sa table attitrée. Mais Faith ne s’en inquiétait pas : les clients arriveraient dans la soirée pour les habitués. Quant aux voyageurs et autres vendeurs ambulants, la saison venait à peine de débuter.
Les deux amies saluèrent les quelques personnes présentes d’un hochement de tête, tandis que Harlem se dirigeait vers l’âtre. Elle adressa un grognement de salutation à l’imposante chienne assoupie devant la cheminée, laquelle ne daigna qu’à peine bouger une oreille. Puis, sans la moindre hésitation, la marcassin encre et ocre s’aventura dans le feu ronflant, remua du groin les braises pour croquer les morceaux de charbon de bois qu’elle trouvait. Elle finit par écarter les bûches à moitié dévorées, pour se blottir bien confortablement dans le foyer flamboyant et, fermant les yeux, rejoindre la Mastouffe dans une sieste bien méritée. Grant, lui, quitta les épaules de sa partenaire pour grimper sur le comptoir, afin de laper l’eau de la gamelle prévue à cet effet.

C’est à ce moment-là que la porte de la réserve s’ouvrit… Et que surgirent deux autres chiens. Plus petits que leur aînée, ils se précipitèrent en jappant joyeusement aux pieds des deux jeunes femmes. Si le Ponchien s’assit bien sagement devant Marybeth, l’autre chiot sauta dans les bras de Faith en remuant frénétiquement sa petite queue.

« Hey, doucement Carn-gean ! s’écria-t-elle, manquant d’éclater de rire comme la Ponchiot cherchait à lui lécher le cou. On dirait que je suis partie des jours, petite chipie !
- Ca, c’est pas peu dire ! fit une voix rocailleuse de derrière le comptoir. Elle a été infernale toute l’après-midi ! »

Faith adressa un sourire mi-amusé, mi-gêné à son père. L’homme bedonnant referma d’une main la porte derrière lui, avant de poser sur le comptoir les cageots de légumes qu’il tenait sous son bras robuste.

« Elle t’a tant embêtée que ça, papa ?
- Moi ? Non, répondit-il en passant son mouchoir de tissu sur son crâne clairsemé de mèches grisonnantes. Mais disons que ça ne m’étonnerait pas qu’on trouve quelques oeufs de Couaneton en plus ce soir. C’est qu’elle les a faits courir ! »

La jeune femme châtain ébouriffa les poils de Carnegie pour la peine, non sans que celle-ci ne pousse quelques grognements joueurs en protestation, avant de la reposer au sol. Mais, comme elle se redressait en balayant la salle commune des yeux, l’aubergiste prit les devants.

« Si tu cherches Brooklyn, je crois qu’elle est occupée à se défouler sur les autres Ratentif. Non pas que ça me dérange, au moins j’en serai débarrassé pendant un petit moment après que tu seras partie. »

Comme pour confirmer ses propos, quelque chose tomba brutalement à l’étage du dessus, accompagné d’un léger couinement plaintif. Dérangée par le bruit, la vieille Mastouffe ronchonna dans son sommeil, en replaçant sa tête dans une position plus confortable. En revanche, elle ne broncha pas le moins du monde comme sa benjamine venait lui mordiller l’oreille. L’habitude, sans doute.
Le Ponchien finit par rejoindre ses congénères à son tour, après avoir eu son lot de caresses de la part de sa partenaire. Cette dernière se releva alors, pour s’avancer jusqu’au comptoir.

« Ian-ard, tu as besoin d’aide ? proposa-t-elle comme elle le voyait commencer à couper adroitement les légumes sur le plan de travail.
- Non, Mary-lui ! C’est très gentil, mais je vais tout de même pas vous faire faire toutes les corvées à la veille du départ ! Ah, tiens ! Ca me fait penser, comment ça s’est passé cet après-midi ?
- Plutôt bien ! répondit Faith en s’asseyant sur un tabouret du comptoir. Le plan que j’avais mis au point avec Dwayne a bien marché…! Même si c’est quand même Mary-lui qui a gagné à la fin.
- Bah, c’était juste un exercice, répliqua la guerrière blonde, balayant même ses propos d’un geste de la main. Ca ne veut rien dire. Et comme l’a fait remarquer Maître Ashlynn, je suis loin d’avoir encore le niveau pour prétendre au rang de Garde Royal.
- Tu exagères ! protesta son amie en lui tendant un godet de lait de Chevroum. Elle t’a juste dit d’essayer de te battre un peu plus collectivement ! Par rapport à moi, c’est pas quelque chose qui devrait te poser trop de soucis.
- Hum... »

La jeune femme haussa les épaules. Mais comme elle avalait une gorgée de sa boisson, elle jeta un regard perçant en direction de la fenêtre donnant sur la cour. Le soleil avait beau être toujours dissimulé derrière une épaisse couche de nuages, son éclat tamisé indiquait néanmoins qu’il avait bien entamé sa descente. Marybeth plissa ses yeux d’émeraude.
Soudain nerveux de la voir arborer cette expression suspicieuse, l’aubergiste plongea les légumes déjà coupés dans la grosse marmite de la cuisine, et prit les devants.

« Dis-moi, Mary-lui, tu veux manger avec nous ce soir? » proposa-t-il en essayant de ne pas laisser transparaître son inquiétude.

L’intéressée ne répondit pas. Son godet aux lèvres, elle prit le temps de terminer son lait de Chevroum. Posa lentement le récipient sur la table de bois. Elle baissa la tête, ses mèches courtes obstruant son visage en des rideaux dorés, resta silencieuse. Avant de demander, d’un calme fantoche :

« Où est-il ?
- Q… Qui donc, Mary-lui ? » tenta le père de Faith.

Mal lui en prit. Sentant la tension grandissante, Grant glissa sur le plan de travail jusqu’à se retrouver sur les épaules de sa maîtresse. Sa langue fourchue allait et venait furieusement alors que, dans une terrifiante lenteur, la guerrière relevait la tête. Pour fixer intensément l’adulte devant elle de ses péridots implacables. Père et fille esquissèrent un mouvement de recul de part et d’autres, intimidés par cette froide colère qui émanait de la jeune femme.

« Où. Est. Il. »

Chaque syllabe avait été articulée avec une brutale dureté, appuyée par le tonnerre vert qui prenait forme dans ses iris. Pantois, Ian chercha ses mots un instant avant de balbutier :

« I… Il… Il devrait être en train de s’occuper des bêtes, dans la grange.
- Seul ? » Le mot qui fusa de ses lèvres était aussi acéré que le gros couteau sur le plan de travail.

L’hésitation de l’aubergiste ne fit que confirmer ses soupçons. Elle se leva d’un bond, à en faire tomber le tabouret sur lequel elle était jusqu’à présent, pour se précipiter d’un pas furibond vers la porte menant à la cour intérieure.

« Mary-lui, attends ! » Chercha-t-il à la retenir.

Mais seul le fracas du battant de bois s’ouvrant violemment lui répondit. Son Ponchien, influencé par sa colère froide, se rua à sa suite en grognant tandis que Faith et son père n’avaient toujours pas bougé.

« … Normalement, ça devrait aller cette fois, non…? Demanda la jeune femme.
- J’ai vérifié ses cachettes habituelles ce midi, il n’y avait rien. Et il avait l’air assez sobre quand je suis parti tout à l’heure, mais… »

Des éclats de voix tonitruants accompagnés d’aboiements coupèrent court à leurs espoirs. Ils quittèrent aussitôt le comptoir pour sortir, non sans que Ian ne rassure d’un sourire désolé les marchands de passage qui se demandaient bien ce que pouvait être tout ce raffut.

A peine avaient-ils mis le pied dehors qu’une nuée de Couaneton affolés se précipita dans leur direction pour se réfugier derrière eux dans un concert de cancans. Faith essaya d’abord de les calmer -en vain, ses gestes semblaient ajouter à leur panique-, mais les délaissa rapidement pour courir jusqu’à l’intérieur de la grange en entendant les mugissements angoissés qui s’en échappaient. Elle se glissa entre les barreaux de bois de la stalle la plus spacieuse, et referma ses mains sur les cornes épaisses de la plus jeune des deux Chevroum.

« Doucement ma belle, » fit-elle d’une voix aussi calme que possible, en essayant de lui faire ressentir sa sérénité par sa ramure sensible.

L’imposante chèvre végétale chercha d’abord à se dégager de sa prise en secouant la tête… Mais fut gagnée par la présence familière de la jeune femme. Elle cessa ses cris, resta bien droite dans ses sabots. Cependant, Faith pouvait lire l’agitation dans ses yeux noisette, sans compter ses naseaux qui respiraient bruyamment et son feuillage qui frémissait nerveusement, à en répandre des feuilles partout sur la paille. Il fallait croire que le fait d’attendre un petit avait décuplé sa sensibilité… Heureusement, sa mère et compagne de paddock s’approcha pour frotter doucement sa tête contre son encolure, pour achever de l’apaiser. Soulagée, l’humaine lâcha enfin les cornes dans un petit soupir, avant de remercier l’aînée des deux bovidés en lui caressant le chanfrein.

Mais comme elle terminait de s’occuper des deux créatures, la jeune femme à la chevelure châtain vit une Marybeth furieuse se diriger vers la cour, traînant d’une main une masse grommelant des protestations inintelligibles.

« Mar…! » voulut-elle l'interpeller, mais son amie se trouvait déjà dehors.

Faith se précipita à sa suite.
L’homme trimballé par la guerrière tenta maladroitement de se remettre sur ses pieds… Mais un brusque mouvement du bras l’envoya contre le sol, où il se redressa sur les coudes.

« Qu’est-ce t-t’as encore, toi ? » fit-il d’une voix chevrotante.

Un voile gris recouvrait la peau de son visage fatigué aux traits creusés, à l’exception de son nez, enflé et rougeoyant. Les vastes cernes soulignant ses yeux invectivés de sang laissaient à penser qu’il n’avait pas eu de sommeil réparateur depuis des lustres. Au vu de son corps maigrichon, il était évident qu’il ne pesait pas bien lourd, et c’était même à se demander comment il parvenait à se mouvoir avec ces muscles pratiquement inexistants.
D’une main maladroite, il essaya d’écarter le Ponchien qui s’était mis à lui aboyer dessus en sentant ses mots imbibés.

« Dis à ton cléb-bard de la ferm-mer… EH ! » s’écria-t-il.

Son agresseuse venait de jeter au loin la bouteille en terre cuite qu’elle tenait de son autre main. Le récipient se fracassa, répandant son contenu sur la terre froide de ce début de printemps.

« Tu te fous de la gueule de qui, au juste ? siffla la jeune femme blonde, en foudroyant du regard cet individu si pitoyable à ses yeux.
- Ben q-quoi ? J’ai fait t-tout c’que j’d-devais faire aujour… D-d’hui, » répliqua-t-il. Les mots lui échappaient peut-être par moments, mais il les prononçait avec une conviction insupportable pour son interlocutrice, au vu de ses traits crispés. Il tenta de se relever, mais un coup de pied sur le torse le fit chuter sur le dos.
- Et ça te donne le droit de picoler, peut-être ?!
- Je f-fais c’que… J’veux avec mon f-fric…!
- Ton fric ?! répéta-t-elle, le poing serré. Comme si t’avais jamais rien gagné ou payé de ta vie ! Je suis sûre que t’es encore allé te servir dans les réserves de Ian…!
- LA FERME ! l’interrompit l’homme ivre dans un beuglement incertain. J’vais pas me f-faire sermonner par une g-gamine qui pête p-plus haut que son cul p-parce qu’elle sait tenir une ép-pée, moi, un Chevalier ! »

A la prononciation de ce dernier mot, Faith retint instinctivement son souffle, alors que ses yeux s’écarquillaient. Elle savait ce qui allait se passer.
Ses craintes se confirmèrent en entendant le sifflement strident poussé par Grant, toujours juché sur les épaules de sa maîtresse, véritable miroir des émotions de cette dernière.

« Mary-lui, calm… »

Mais Marybeth venait déjà de saisir son père par le col, le relevant d’un bras pour le ramener à sa hauteur. Si ses yeux avaient été armés, nul doute que les émeraudes de ses pupilles auraient transpercé de part en part cet être misérable.

« Comment oses-tu salir ce nom, espèce d’épave ?! rugit-elle, dans un éclat de voix qui déborda de la cour pour atteindre la rue proche. Tout ce que tu sais faire, c’est boire, te plaindre et jouer les piques-assiettes !
- A croire que tu t-tiens de moi, » ricana l’ivrogne.

Cette fois, ce fut trop.
Le poing gauche de la guerrière blonde se leva, se recula… Pour fuser sur le visage de l’homme titubant, bien décidé à lui briser le nez ou des dents.

Mais le coup ne vint pas. Une main aux doigts épais se referma sur le bras de Marybeth, interrompant son geste.

« Ca suffit, Mary-lui, » prononça l’aubergiste d’une voix calme mais ferme.

La jeune femme tourna vers lui son visage barré par la fureur, le dévisageant avec une incompréhension totale.

« Ian-ard, comment peux-tu encore prendre sa défense !
- Tu sais très bien comment il est quand il a bu, poursuivit l’homme bedonnant sans hausser le ton. Ses mots dépassent sa pensée. »

Elle continua de le fixer intensément, comme cherchant un sens à ses propos. Pourquoi ? Comment le tenancier pouvait constamment tolérer le comportement outrant de ce sac à vin ?!

Finalement, serrant les dents, ses doigts relâchèrent son père, qui tomba mollement au sol.

« … C’est toujours la même excuse. »

D’un geste rageur, elle arracha son bras de la poigne de Ian. Un sifflement quitta ses lèvres, intimant à son Ponchien de venir à ses pieds. L’instant d’après, la guerrière blonde se dirigeait vers la sortie de la cour, et disparut dans la rue embrasée par le couchant, ses Pokémon à ses côtés. Sans un seul regard en arrière.

Ce n’est qu’à ce moment-là que Faith sembla retrouver l’usage de son corps. Elle cligna des yeux, encore un peu secouée par l’altercation. Elle s’approcha de son propre père, agenouillé aux côtés de l’homme alcoolisé, toujours assis sur le sol. Il marmonnait dans sa barbe grisâtre, mais seules quelques bribes à base d’ingrate, pas sa faute et autres délires enivrés étaient audibles.

« Ca va aller…? s’enquit-elle
- Je dirais que oui, en tout cas pour l’instant, » répondit-il dans un soupir après s’être assuré que le buveur intempestif ne souffrait d’aucune blessure. A ses gestes, on devinait aisément qu’il était bien trop rodé à ce genre d’événement pour son propre bien.

Il passa son bras autour de son cou et le souleva pour le remettre debout avec une facilité déconcertante, même pour leur différence de gabarit. L’homme n’opposait aucune résistance, alors qu’une triste résignation s’était fait une place sur son visage défiguré par la boisson. Il semblait somnoler à moitié.

« Je vais l’installer dans l’une des chambres. Mieux vaut éviter qu’ils se retrouvent seuls chez eux ce soir. Ca vaut autant pour l’un que pour l’autre. »

Faith hocha la tête, bien consciente du poids de ces mots. Bon sang, pourquoi avait-il fallu qu’ils se disputent ainsi la veille de leur départ…? Et encore, ils avaient eu de la chance que cela se passe ici. Si son père n’était pas intervenu, elle n’était pas certaine que Marybeth aurait interrompu ses coups avant qu’il ne soit trop tard…

Alors que l’aubergiste disparaissait à l’intérieur de son établissement, la jeune femme aux boucles châtains se chargea de calmer le groupe de Couaneton avant de les rentrer dans leur abri. Elle en profita aussi pour vérifier que tout allait bien du côté des Chevroum, surtout pour la future mère. Au point que, lorsqu’elle quitta enfin l’étable, les dorures du soleil couchant avaient fondu sous le manteau de la nuit.
Guidée par les fenêtres éclairées de l’auberge et l’habitude, la guerrière retourna dans le bâtiment principal. Sa Ponchiot retourna jouer avec sa mère au coin du feu, tandis qu’elle-même passa derrière le comptoir, pour récupérer quelques denrées… Et, en se relevant, se retrouva nez à nez avec une paire de grands yeux rouges qui la fixaient depuis le plan de travail.

« Ah, Brooklyn-gean ! »

Mais la Ratentif détourna la tête avec dédain. Un rire embarrassé répondit à son geste.

« Tu m’en veux encore de ne pas avoir combattu avec toi…? Allez, c’était qu’un entraînement ! Le prochain Tournoi qu’on fait, je me battrai avec toi, promis ! »

Le rongeur à lunettes n’émit aucun son, mais au tressaillement presque imperceptible de son museau, sa maîtresse comprit qu’elle n’avait pas été sourde à sa proposition. Elle ne l’avouerait jamais, cependant. Puis, la queue dressée fièrement et la tête haute, elle s’éloigna de l’humaine en trottinant jusqu’à un pilier, qu’elle escalada aisément pour ensuite disparaître à l’étage.
Un sourire amusé aux lèvres, la jeune femme referma la besace contenant les légumes et fruits qu’elle avait pris, saisit une lanterne qu’elle alluma avec un tison récupéré dans la cheminée, puis quitta le Laughing Bouffalant.

Au-dehors, l’obscurité s’était faite reine, et ce malgré les grands braseros installés sur la grand-place et aux intersections des rues les plus larges. Si leurs flammes vacillantes au gré de la brise nocturne drapaient le sol et les murs proches d’atours chatoyants, leur action restait limitée. Ils agissaient plus en phares aidant les habitants et les voyageurs à se repérer dans la ville devenue labyrinthe une fois la lune levée qu’à de véritables lampadaires.

S’aidant en partie de ces points de repère, Faith laissa ses pieds la porter, évoluant sans hésitation dans ce dédale urbain si sombre. Cependant, plus elle avançait, plus l’intervalle séparant deux ilôts lumineux diminuait. Il fallait dire que sa destination était proche du Kennel, qui était peut-être l’endroit le plus éclairé de l’agglomération avec la grand-place.
Pourtant, lorsque les Mastouffe de pierre gardant l’entrée du manoir de Nuvema furent en vue, leurs traits figés semblant danser selon les caprices des flammes piégées dans leurs gueules béantes, elle bifurqua. Elle longea l’un des côtés de la bâtisse jusqu’à atteindre une tour plus large que haute, mais dont la toiture parvenait tout de même à dépasser celle de sa voisine plus prestigieuse. La guerrière châtain salua d’un mouvement de tête les deux Sentinelles postées devant le perron de l’édifice, lesquelles lui répondirent d’un sourire bienveillant. Aucun des deux Chevaliers ne broncha en la voyant s’engager dans l’escalier de pierre s’enroulant autour du pilier central.

Passé les premières marches, et dès que l’entrée ne devint plus visible dans son dos, Faith fut accueillie par une senteur âcre, plus agressive que toutes les odeurs générées par l’étable de l’auberge. Et comme si cela ne suffisait pas, la puanteur se renforçait à chaque marche. Petite, elle n’avait jamais réussi à aller au-delà d’un certain seuil, trop écoeurée pour poursuivre son ascension. Mais désormais, cette effluve faisait tout autant partie de son quotidien que celle de la sueur imprégnant son armure après un entraînement.
Bientôt, comme sa lanterne projetait sur les parois étroites sa silhouette déformée tout en embrasant le passage, un choeur de roucoulements, froufrous et autres battements d’ailes s’éleva au-dessus d’elle, signe qu’elle était presque arrivée.

Les piaillements s’intensifièrent quand sa tête émergea de la trappe, répondant à l’éclat inattendu qui venait d'inonder la volière communale. Certains des oiseaux protestèrent d’un cri d’être ainsi dérangés dans leur sommeil, tandis que d’autres, surpris ou excités, on ne saurait dire, entreprirent de voler d’un nichoir à l’autre à grands renforts de froissements de plumes.
La jeune femme progressa précautionneusement sur le plancher de roche jonché de rémiges, paille, fientes et restes de victuailles afin d’éviter de glisser. Elle eut tout juste de poser sa lumière sur le crochet prévu qu’une ombre, étirant ses larges ailes, plana des perchoirs réservés aux créatures les plus imposantes pour se poser en douceur dans son dos.

« Bonsoir Cloisters-gean, » salua-t-elle comme elle se retournait.

Le Déflaisan, qui faisait bien sa taille, répondit d’un roucoulement léger, qu’il prolongea joyeusement comme sa maîtresse passait une main sur la peau au rose pâlit par le temps constituant son masque. Sa crête n’était pas la seule à avoir souffert du passage du temps : on aurait dit que quelqu’un avait saupoudré son plumage de chaux, tant l’éclat de son habit paraissait fade et morne.
Cependant, cela n’empêchait pas le vieux volatile de chercher à glisser son bec usé dans la besace apportée par l’humaine, attiré par l’odeur alléchante des mets qu’elle contenait.

« Attends au moins que je prépare ton repas, petit impatient ! » sermonna-t-elle doucement en écartant la tête de l’oiseau trop pressé.

Les aigrettes de ce dernier tressaillirent d’un air boudeur, mais il n’insista pas davantage. Ce ne fut qu’une fois la nourriture disposée dans l’auge prévue à cet effet qu’il s’y attaqua à grands coups de bec.

« A croire que je ne te nourris pas… s’amusa la guerrière châtain en caressant le dos de son Déflaisan. Au fait, n’oublie pas qu’on part à l’aube demain ! Essaie de ne pas arriver trop tard.
- Bah, dans le pire des cas, il pourra nous rejoindre en un battement d’ailes, » fit une voix familière derrière eux.

Faith se retourna, juste à temps pour voir Jerold finir d’enjamber la dernière marche. Aussitôt, une bonne douzaine de Poichigeon et Colombeau quittèrent leur nichoir pour voler autour de lui en une farandole aérienne enjouée. Leurs mouvements étaient tels qu’ils faillirent bien éteindre la lanterne apportée par le jeune homme au mince collier de barbe noire. Mais un sifflement bref de ce dernier suffit à leur faire cesser leur ballet impromptu.

« C’est pas vrai ça, à chaque fois c’est pareil, grommela-t-il comme il accrochait son propre lampion, dont la flamme demeurait encore timide après pareille bourrasque.
- Ben… Qu’est-ce que tu fais là ? T’étais pas censé manger avec Dwayne et ta mère ?
- Si, admit le guerrier en répartissant le grain qu’il avait apporté dans les différentes écuelles, à la plus grande joie de la volière. Sauf qu’ils ont recommencé à se disputer.
- Quoi, encore ?! » Devant son haussement d’épaules, elle ajouta : « C’est pour quoi, cette fois-ci ?
- On discutait des derniers préparatifs pour demain. Tu sais, quelles affaires prendre, ce qu’on va prendre pour manger et en quelles quantités, tu vois le genre.
- Oui. Et…?
- Mère a suggéré de donner un Frison à Dwayne. Et bien sûr…
- … Il est parti au quart de tour, compléta Faith, qui n’eut aucun mal à s’imaginer la scène ou le reste de la conversation.
- Exactement. Du coup, j’ai bien quoi… Une heure devant moi avant que l’un ou l’autre ne lâche l’affaire.
- … Mais c’est bête. Un Frison pourrait nous aider pour transporter nos affaires, et ça nous ferait gagner du temps.
- J’ai essayé de le lui dire, répondit Jerold d’une voix calme, indifférente à la situation qu’il décrivait. Mais il a rétorqué que ça, ce ne serait valable que si on voyage effectivement tout le temps ensemble.
- C’est pas ce qu’on a prévu de faire, au moins le temps de traverser tout Sourn…?
- Si, mais ça ne change rien au fait qu’il trouve ça injuste envers moi. »

Cette dernière remarque arracha un soupir à la guerrière, qui s’était agenouillée pour tâter les ergots de Cloisters afin de s’assurer qu’il ne souffrait pas. Mis à part les craquements sourds produits par ses vieilles articulations quand il bougeait, tout semblait en ordre.

« Ce qu’il peut être têtu, quand il s’y met… Autant je veux bien comprendre pourquoi il avait refusé quand ta mère avait voulu lui offrir l’Anneau d’Invocation, autant là… Ca changerait pas grand chose, honnêtement.
- Ca, c’est pas à moi qu’il faut le dire. Tu connais mon point de vue à ce sujet. »

Faith hocha la tête.
Depuis toujours, Dwayne avait détesté tout traitement de faveur à son égard dû à son rang d’Héritier de Nuvema. Surtout quand cela se faisait au détriment de son frère. Il avait mené une véritable guerre au sein du Kennel et du Consulat pour que sa mère comme la population cessent de considérer Jerold uniquement sur la base du milieu dont il était issu. Seulement, si les choses s’étaient considérablement améliorées depuis presque une décennie, au point qu’il ne viendrait plus à l’esprit de personne au sein du territoire de la Consul d’agir différemment à l’égard de l’un ou l’autre des deux frères, Dwayne avait conservé cette attitude belliqueuse dès que l’ombre d’un privilège lié à son titre était évoquée… Et ce, malgré les remontrances de Jerold à ce sujet.

« Au fait, tu vas prendre toute ta volée de Poichigeon ? demanda la jeune femme pour changer de sujet, tandis qu’elle avait cette fois entrepris de brosser le plumage du vieil oiseau.
- Pour qu’on se fasse repérer à des lieues à la ronde et qu’on ne dorme plus ? Non, t’es folle ! En plus, si j’embarquais tout le monde, ce serait un bon tiers de la volière qui partirait !
- C’est pas faux…
- Et puis, mieux vaut privilégier la qualité à la quantité, tu ne crois pas ? Pour ça, je sais que je peux compter sur Runyon. »

Deux sifflements courts s’échappèrent alors de ses lèvres fines. Un instant plus tard, une oiselle fusa d’un des nichoirs. En un éclair, elle traversa la distance la séparant de son maître, évitant habilement les autres volatiles qui gênaient malencontreusement sa course, lesquels paraissaient bien gauches en comparaison. Elle finit par refermer ses serres sur les épaules de Jerold, de part et d’autre de sa tête, dans un roucoulement fier. Les flammes vives des deux lanternes habillaient sa toilette d’argent et d’ébène de reflets dorés, qui ne faisaient qu’embellir l’éclat de ses plumes. Sa présence mettait davantage en exergue la vieillesse de son aîné, dont le plumage semblait encore s’effacer devant cette jeunesse rayonnante.
La Colombeau s’empressa de lisser les épis noirs du jeune homme, comme pour tenter de le coiffer à sa convenance.

« Hey, doucement vilaine ! Tu piques ! » protesta-t-il, en vain.

L’oiselle claqua du bec, avant de picorer les quelques baies qu’il lui tendait.
Faith sourit devant ce tableau, alors que ses propres doigts se glissaient sous les plumes usées du Déflaisan, effleurant la peau hérissée qui s’y cachait.

« Bon, c’est pas tout ça, mais il faut que je rentre, dit-elle en reposant la brosse dans le casier dédié.
- Vous avez beaucoup de monde à l’auberge ?
- Pas tant que ça, mais c’est pas une raison pour que je laisse mon père se débrouiller tout seul ! Et puis... » Une tristesse passagère souffla sur son visage, relevant ses lèvres en un sourire crispé, éclairant brièvement ses yeux bruns. « Mine de rien… Il va me manquer… »

Elle s’y était pourtant préparé depuis des semaines, des mois même, et était impatiente de découvrir les différents visages du Royaume de Baine…! Mais rien n’y faisait : le fait de se savoir si proche du départ la remplissait à la fois d’appréhension et de mélancolie. De doute, aussi, alimenté par le spectre des remontrances de la Maître d’Armes lors du combat d’entraînement. Etait-elle vraiment prête à effectuer un tel voyage seule ? Avait-elle ce qu’il fallait pour, si ce n’était devenir Chevalier, au moins survivre ? Ashlynn l’avait mise en garde maintes fois contre ses faiblesses, mais même en en ayant conscience, elle n’avait pas su les corriger. Et si elles lui coûtaient effectivement la vie…?
Ses compagnons étaient-ils pris des mêmes questionnements ? Se demandaient-ils, eux aussi, s’ils faisaient le bon choix…? La réponse était claire en ce qui concernait Marybeth. Quant aux deux frères… Ils pourraient compter l’un sur l’autre dans tous les cas, et…

Une main amicale se posa sur le sommet de son crâne, la tirant de ses sombres pensées. La jeune femme releva les yeux, pour croiser les iris limpides de son ami, qui la couvait d’une douceur rassurante. Il avait dû remarquer qu’elle se prenait encore la tête toute seule.

« C’est normal. Moi aussi, mère va me manquer. »

Ce n’est qu’à cet instant que la guerrière auburn remarqua que ses bras s’étaient refermés sur le cou de Cloisters, qui pressait gentiment sa tête contre son buste. Lui aussi avait dû percevoir son esprit troublé, et le corps de sa maîtresse avait agi inconsciemment en sentant sa présence familière. Elle relâcha aussitôt son étreinte, mais le vieil oiseau n’en demeura pas moins à ses côtés.

« Et les disputes entre Dwayne et elle ? » demanda-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Déjà, un sourire éclatant avait chassé sa morosité temporaire, la reléguant dans un coin reculé de son esprit.

Jerold eut un rictus, et répondit d’abord en lui ébouriffant ses boucles châtain.

« C’est ça, fous-toi de ma gueule, j’te dirai rien ! »

La jeune femme s’arracha à son assaut, alors que l’action du guerrier encouragea Runyon, toujours perchée sur ses épaules, à redoubler d’efforts pour mater sa tignasse de jais, et ce malgré ses protestations. Un rire léger aux lèvres, Faith décrocha sa lanterne, caressa une dernière fois le masque pâli du Déflaisan.

« A demain vous trois ! Soyez pas en retard !
- Salue ton père de ma part ! »

Le roucoulement grave de Cloisters l’accompagna, tandis qu’elle s’engageait dans la trappe. Et, comme elle effectuait le chemin inverse, elle se concentra de toutes ses forces sur la lumière chaleureuse de sa lanterne pour éviter que l’obscurité hivernale ne l’entraîne à nouveau vers ses pensées tout aussi sombres et glacées.

***
Un soleil radieux s’élevait nonchalamment au-dessus des remparts de Nuvema, rendant au monde d’en bas ses yeux volés par la nuit. Certes, des nuages entachaient toujours son règne, mais leur couverture était mince, éparse, et, contrairement à la veille, ne pouvaient gâcher toute sa splendeur flamboyante.
Les rayons firent fuir les ombres qui drapaient encore la petite troupe d’humains et de Pokémon qui s’étaient rassemblés à la bordure de la capitale du Consulat. Celle-ci était marquée par les larges battants de bois et de métal que les Sentinelles s’étaient empressées d’ouvrir en grand dès que l’astre diurne s’était manifesté à l’horizon. D’autres étaient déjà en train de patrouiller dans les rues pour éteindre les différents braseros, devenus inutiles le matin venu.

Faith, arrivée la première avec son père, le Laughing Bouffalant n’étant qu’à une centaine de mètres des portes de Nuvema, scrutait une rue en particulier. Les deux frères étaient eux aussi présents, venus avec la Consul Dylanna et son Ombre, Gallagher Nicholson. Ashlynn Brannon, elle, s’était montrée au moment même où le premier rayon de soleil touchait la terre froide de la ville dans un timing impeccable à faire peur, toujours affublée de son armure étincelante et sa fourmi cuirassée sur ses épaules. Mais nulle trace de la guerrière blonde…

« Bien, fit la Maître d’Armes après s’être éclairci la gorge. Nous allons pouvoir procéder…
- Attendez, Ashlynn-oide, l’interrompit la jeune femme, non sans frémir en sentant son regard implacable la fixer. Marybeth n’est pas encore arrivée, et…
- Inutile de l’attendre, répliqua la Chevalier d’un ton sec. Marybeth a préféré partir hier soir, après m’avoir consultée. »

Si les deux garçons se retinrent de pousser un soupir, exaspérés de voir qu’elle n’avait même pas pu s’en tenir à la première étape de leur voyage ensemble, Faith baissa le regard. Ils ignoraient tout de l’altercation qui s’était produite la veille. Elle avait dû s’en aller peu après avoir quitté la cour de l’auberge. Et pour que leur Maître d’Armes d’habitude si stricte au niveau du protocole accepte de la laisser partir, c’est qu’elle avait dû elle aussi se rendre compte de l’état de la guerrière blonde.

Ashlynn Brannon reprit, d’un ton cérémoniel.

« Pendant près de huit ans, je me suis efforcée de vous enseigner l’art du combat bainois et sournien, pour répondre à votre voeu de devenir des Chevaliers du Royaume. Cependant, il ne s’agit là que d’une base sur laquelle vous appuyer pour développer votre propre voie. Je vous ai donné les outils pour faire face aux dangers que vous rencontrerez au cours de votre voyage, mais c’est à vous de vous les approprier. De les façonner à votre image. »

L’officier écarta sa courte cape, pour révéler trois écharpes de cuir épais posées précautionneusement sur son bras. Elle s’approcha de ses élèves, qui s’étaient positionnés en rang devant elle, et drapa chacun d’une des larges lanières. Quelques instants plus tard, elle se recula pour contempler les trois jeunes gens… Et ne put s’empêcher de ressentir une certaine fierté, à les voir tous arborer cette bande brune qui leur barrait le torse par-dessus leur armure, de l’épaule gauche jusqu’à la hanche droite et l’épée à gauche.

« En ma qualité de Maître d’Armes de Nuvema, je vous nomme dès à présent Aspirants ! »

A ces mots, Faith, Dwayne et Jerold se tinrent bien droit et portèrent leur paume ouverte sur leur torse, sous les applaudissements du petit comité… Mais aussi des quelques Sentinelles affairées sur les portes de la ville.

« Ce titre ne signe que le début de votre périple, mit en garde l’officier pour la énième fois. Vous êtes encore loin de pouvoir prétendre être des Chevaliers. Cependant, si vous y parveniez… Je serais honorée de vous considérer comme mes égaux. »

Entendre un tel compliment sortir de la bouche si avare d’Ashlynn avait de quoi émouvoir. En tout cas, ses mots firent briller des milliers d’étoiles dans les yeux de ses désormais anciens élèves.

« Je suis certaine que vous vous en sortirez tous très bien ! s’écria Dylanna Caerwyn de sa voix plus chaleureuse encore que le soleil matinal. Faites juste attention à ne pas trop vous charger, ça pourrait vous jouer des tours. Bien sûr, si vous pouviez vous prendre un Frison, cela vous faciliterait les choses… »

Aussitôt, Dwayne plissa ses yeux dorés en fixant intensément sa mère, prêt à réagir malgré un léger coup de coude de son frère qui lui intima de se tenir tranquille.

« … Enfin, vous apprendrez bien par vous-même. Que Victini guide vos pas ! »

Un raclement de gorge se fit alors dans son dos.

« Ah ! C’est vrai, j’allais oublier ! Que ferais-je sans vous, Gallagher-udarridire, parfois je me le demande. Dwayne-gean, viens s’il te plait. »

Le regard toujours méfiant, le jeune homme aux boucles cendrées obtempéra… Au même moment où le père de Faith s’approchait d’elle.

« Ca va me faire drôle de plus avoir grand monde, chercha-t-il à plaisanter, sans pouvoir entièrement dissimuler l’émotion qui s’emparait de lui.
- J’aurais pu rester pour t’aider avec le début de la reprise, tu s…
- Tatata ! Ne commence pas avec ça ! Je m’en sortirai, comme toujours ! Même s’il va falloir que je trouve une solution aussi efficace que Brooklyn-gean pour me débarrasser des Ratentif, » ajouta-t-il en baissant les yeux sur la souris à lunettes, sagement assise aux pieds de sa maîtresse. Laquelle détourna la tête d’un air arrogant.

Des éclats de voix jaillirent à côté d’eux, mélange de Dwayne qui protestait, la Consul Dylanna qui insistait et Jerold, prit entre deux feux, qui essayait de raisonner son frère. Cela provoqua un drôle de silence entre le père et sa fille, comme si ni l’un ni l’autre ne savait vraiment quoi dire sans risquer de craquer.

« Au fait… J’ai quelque chose pour toi. »

Il ouvrit la petite sacoche qu’il portait à la ceinture, pour en sortir un objet long et fin. Avant même de l’avoir en main, Faith sut de quoi il s’agissait.

« Qu…
- Ta mère aurait voulu que tu l’aies, la coupa l’aubergiste. Surtout pour un tel voyage. »

Sans mot dire, la jeune femme posa ses yeux sur le poignard qu’elle tenait. Ses doigts caressèrent doucement le métal blanc, dont les arabesques dorées évoquaient les ailes racées d’un Bruyverne. De part et d’autres du fourreau, une lignée de quatre sphères blanches, jaunes, orangées et rosées, chacune encerclée d’un anneau au vert délicat, rappelaient les bras colossaux d’un Symbios. Malgré sa lame, l’objet restait avant tout une décoration. Une arme de cérémonie, sans intention guerrière. Un souvenir, de cette mère qu’elle n’avait jamais connue mais sans qui elle n’aurait pas pu découvrir sa vocation. Et désormais, avec son statut d’Aspirant, Faith était un peu plus proche de comprendre le monde dans lequel cette femme avait jadis évolué…

Les phalanges se refermèrent sur le fourreau délicatement ouvragé. Puis, la jeune femme se précipita pour enlacer l’homme bedonnant, qui referma ses bras sur elle.

« Merci papa… »

Ian ne répondit pas de suite, profitant de ce dernier moment d’affection.

« Prends soin de toi, » finit-il par murmurer, d’une voix tremblante.

Ils ne se séparèrent que lorsque les deux garçons cessèrent eux aussi leurs adieux. Dwayne restait encore un peu bougon, mais à la présence d’une chevalière à son majeur, il était évident que Jerold et sa mère avaient eu raison de ses résistances.

Les trois amis saluèrent une dernière fois leurs parents et les officiers. Leurs Pokémon à leurs côtés ou dans les airs, ils se retournèrent alors pour faire face à la plaine se dessinant au-delà de l’encadrement de la porte de la ville. Ensemble, ils descendirent les quelques mètres de rue les en séparant…

Et, d’un même pas, franchirent les limites de Nuvema, laissant derrière eux leur enfance.