Chapitre 16 : Anciennes et nouvelles vies
Funerol ouvrit le journal d'aujourd'hui après s'être versé son café matinal. Il aurait préféré une télévision, voire une radio, mais Leonora avait interdit la grosse majorité des appareils électriques dans son arène. Leurs ondes pouvaient perturber celles, psychiques, que dresseurs et Pokemon utilisaient si souvent ici. Vivre ici contrastait donc avec le train de vie moderne et quasiment bourgeois dont il avait l'habitude, mais d'un autre côté, ça ne lui faisait pas de mal, de se couper un peu de tout ce matérialisme.
Cela faisait cinq mois que Leonora l'hébergeait dans son arène de Safrania. Après le procès, Funerol avait voulu prendre quelques vacances pour se remettre de tout ça, en attendant le moment où le professeur Erable allait le recontacter. Ça lui avait fait plaisir de passer quelques jours en compagnie de son amie d'enfance, à regarder des combats Pokemon de haut niveau. Et au fil des jours, il avait fini par s'installer sur la durée. Rentrer à Almia ne lui disait rien, malgré les responsabilités qu'il avait. Haysen Funerol prenait enfin du temps pour lui, ce qu'il n'avait pas fait depuis qu'il avait repris le flambeau de son père.
Évidement, Leonora ne l'avait pas mis dehors. Elle était ravie de pouvoir profiter de sa présence. Leur relation avait d'ailleurs eut le temps d'évoluer. Funerol avait bien compris qu'elle l'aimait. Il ne savait pas trop si ce que lui ressentait pour elle était de l'amour ou non, mais il avait fini par répondre à ses sentiments. Leonora était violente, vulgaire et très étroite d'esprit – un comble pour une dresseuse psy – mais son tempérament et son parler était un véritable vent frais pour Funerol, qui avait côtoyé les politiques et hommes d'affaire toute sa vie.
Du coup donc, ils étaient plus ou moins ensemble. Plus ou moins seulement, car bien qu'ils partageaient leur lit, Funerol n'avait aucune idée de comment aller évoluer leur relation, si tant est que ce soit possible. Le jeune homme ne pourrait pas rester éternellement ici, même s’il en avait envie. Et malgré tout l'amour que Leonora semblait lui porter, il doutait qu'elle accepte d'abandonner son arène. Ils vivaient pour l'instant au jour le jour, sans essayer de penser à l'avenir. Un accord qui les satisfaisait, mais qui ne pourrait pas durer.
- Alors, quoi d'neuf dans le vaste monde aujourd'hui ? Demanda Leonora en entrant dans la cuisine.
Elle tenait un croissant chaud qu'elle avait pris l'habitude d'aller chercher à la boulangerie voisine, et dont Funerol était friand.
- Pas grand-chose, répondit ce dernier en jetant un coup d’œil aux gros titres. Ils cherchent encore Igrapax, le meurtrier du directeur de la Police Internationale, mais l'enquête piétine. Et y'a du grabuge dans la région Mandad ; la Garde Noire accroît ses raids et s'approprit de plus en plus de territoires. Bref, la routine.
Il tendit la main pour prendre son croissant, mais Leonora le garda à distance.
- Je veux un bonjour digne de ce nom, crétinus, ou je le bouffe moi-même.
Funerol s'avança pour l'embrasser un moment.
- Voilà. C'était si dur ?
- Je survivrai, répondit Funerol en prenant le croissant.
Leonora resta quelques minutes attablée avec lui, jusqu'à que son planning ne la rattrape.
- Bon, faut qu'je bouge. J'aurai probablement encore plus de challenger aujourd'hui. Un truc de dingue, comment ils veulent tous que je les éclate à la chaîne... J'ai jamais pensé que je regretterai un jour l'autre crétin de loubard dans son dojo…
En effet, le mois dernier, le conflit opposant les arènes Psy et Combat de Safrania avait enfin pris fin, quand un membre du Conseil des 4 était venu spécialement du Plateau Indigo pour le trancher. Il avait analysé les statistiques de victoires et de défaites de chacun des champions, ainsi que la fréquentation des deux arènes, avant de décider que l'arène Psy serait la seule et unique officielle de la capitale. L'arène Combat avait été autorisé à rester à côté, mais elle ne pouvait plus remettre de badge, ni même avoir l'appellation d'arène. Ce n'était plus qu'un simple dojo où les amateurs de Pokemon Combat se réunissaient.
Du coup, Leonora était devenue la seule personne tributaire d'un badge, et comme Safrania était la plus grande ville de Kanto et son passage central, le nombre de challengers voulant l'affronter avait depuis doublé. Leonora avait été obligée de recruter d'autres dresseurs psy pour faire barrage aux challengers les plus faibles, alors qu'elle prenait toujours un malin plaisir à humilier tous ceux qu'elle pouvait.
- Je peux m'en charger, maîtresse, fit une petite voix fluette mais froide. Vous pouvez prendre votre temps.
Funerol sentit un frisson le parcourir sur la nuque, comme à chaque fois que la première disciple de Leonora était dans les parages. Il ne l'avait même pas entendu rentrer dans la cuisine... comme bien souvent d'ailleurs. Leonora se tourna vers la petite fille aux cheveux verts-violets qui tenait une poupée entre ses mains.
- Toi, tu ne prends que les balèzes qui ont au moins vaincu deux autres de nos gars, je te l'ai déjà dit, Morgane. Tu fais trop flipper les challengers. On commence à avoir une réputation assez glauque.
« Glauque » était un terme adéquat quand on avait à faire à Morgane. Ce n'était pourtant qu'une fillette d'à peine huit ans, au beau visage de porcelaine, mais tout en elle suscitait l'inquiétude chez les autres. Sa façon de vous dévisager sans ciller, ses pouvoirs psychiques bien trop développés pour son jeune âge, ou encore le fait qu'elle n'avait pas besoin de parler à ses Pokemon pour les faire combattre. Certains autres dresseurs de l'arène s'étaient même plaints d'elle. Il y avait des rumeurs, des histoires désagréables, comme quoi la petite fille se servait parfois de ses pouvoirs contre ceux qu'elle n'aimait pas.
Non pas que Morgane soit « méchante ». Elle était plutôt indifférente. On pouvait même dire qu'elle ne ressentait rien. Funerol ne l'avait jamais vu sourire une seule fois en cinq mois passés ici. Elle avait été abandonnée par ses parents qui ne pouvaient plus la gérer à cause de ses pouvoirs. Leonora l'avait pris sous son aile, et en quelque temps seulement, Morgane était devenue la meilleure dresseuse de l'arène après elle, et ce malgré le fait qu'elle soit la plus jeune. Leonora avait pour but d'en faire sa successeuse, mais Funerol s’inquiétait un peu de ce que pourrait devenir l'arène sous son règne.
Morgane acquiesça aux propos de sa maîtresse sans laisser transparaître quoi que ce soit, et quitta la pièce comme elle était rentrée, en un silence assourdissant. Funerol avait vite compris que Leonora, malgré son manque de féminité, avait essayé de forger une relation mère-fille avec cette enfant. Mais il n'y avait qu’elle dans cette arène que Morgane acceptait d'écouter. Funerol voulait faire des efforts avec elle. Elle était un peu comme sa fille adoptive tant qu'il restait avec Leonora. Mais cette enfant lui faisait peur. Il n'y pouvait rien.
- Toujours pas décidée à appeler les G-Man ? Demanda Funerol. C'est clair comme de l'eau de roche qu'elle possède bien plus que de simples pouvoirs psychiques nés d'une forte relation avec des Pokemon Psy.
- C'est à moi que ses vieux l'ont confié, pas à ces crétins à cape, fit Leonora.
- Peter Lance est le leader du Conseil des 4, et le G-Man le plus en vue pour devenir le prochain Grand Maître de l'Ordre, répliqua Funerol. S'il apprend que t'as gardé avec toi une G-Man potentielle sans en avoir informé personne, il…
- Arrête de te biler pour ça ! Morgane n'a que huit ans, c'est bien trop jeune pour aller à Alamirgo. Je verrais comment ça évolue, et d'ici quelques années, je sonnerai l'Ordre. Mais pour l'instant, je ne peux pas me passer d'elle, tu le vois bien, crétinus !
Funerol secoua la tête mais ne répondit pas. En tant que femme très amoureuse, Leonora pouvait céder à son cher et tendre sur beaucoup de choses, mais quand ça concernait son arène, elle était intraitable. Toutes les méthodes seront bonnes du moment qu'elle parvenait à en faire l'arène numéro 1 de Kanto. Elle était justement en une vive compétition avec l'arène de Jadielle à ce sujet, et ne voulait rien lâcher.
Funerol termina son petit-déjeuner et alla chercher le courrier. Comme il était logé gratuitement ici – et surtout désœuvré à mort – il aidait Leonora sur le plan administratif. Il triait son courrier, faisait ses dossiers, appelait ses fournisseurs... tout un boulot de bureau auquel il était habitué. Car gérer une arène ne se limitait pas à enchaîner des combats Pokemon. Il y avait tout un travail de paperasses derrière que les dresseurs ne soupçonnaient même pas, et dont Leonora était allergique.
Il y avait trois lettres ce matin. L'une était une facture pour la mise en place des nouvelles lumières violettes d'ambiance autour du stade principal. La seconde était une invitation de la mairie pour une journée de sensibilisations des jeunes dresseurs de Safrania. Et enfin la troisième, elle, était destinée à Funerol lui-même. Le jeune homme regarda son propre nom, étonné. Normalement, tout son courrier, qu'il lui soit destiné à lui ou au Vert de la Planète, passait par son siège social à Almia. Mais quand il vit le nom de celui qui l'avait envoyé, il comprit, et un léger frisson parcourut son corps. Un frisson d'inquiétude, mais aussi d’excitation. Le professeur Erable venait enfin de le contacter.
- Le combat reprend, murmura Funerol pour lui-même. Ou plutôt, il commence maintenant.
***
Oswald Brenwark était devenu avocat par conviction, et le sentiment d'avoir défendu un client honnête ou fait triompher une cause juste était bien plus important pour lui que son cachet ou sa réputation. Cela étant, il devait s'avouer chanceux d'avoir été celui qui avait représenté le professeur Erable et les autres à la barre lors de ce fameux procès d'il y a cinq mois. Comme Funerol le lui avait promis, ça avait fait décoller sa carrière. Son nom, qui jusque-là s'était imposé qu'à la capitale, avait désormais une renommée nationale, voire au-delà. Tous désiraient les services du fameux jeune avocat qui avait fait tomber le géant N.W.C. Oswald n'avait jamais manqué de travail avant, au point de se permettre de choisir ses affaires, mais maintenant, il ne savait plus où donner de la tête.
Heureusement, les finances avaient suivi. Il s'était acheté un cabinet plus grand, et avait engagé deux secrétaires ainsi qu'un assistant juridique. Un personnel compétant, en droite ligne avec les valeurs d'Oswald, sur qui il comptait pour trouver les bons contrats parmi cette montagne infinie de demandes. La plupart du temps, il s'agissait de défendre les petites gens ou les Pokemon des grands financiers, voire du gouvernement. Non pas qu'Oswald soit un anti-capitaliste ou un truc du genre, mais il s'était vite rendu compte que les plus gros excès étaient le plus souvent commis par ceux qui possédaient le plus. Tous ces puissants, qui se pensaient intouchables grâce à leur argent et leur pouvoir, se permettaient de contourner la loi et d'écraser les autres avec une nonchalance stupéfiante, en usant d'intimidation ou de corruption. Oswald méprisait cela, et ne rêvait que de les remettre tous à leur place.
- Maître, j'ai le Dignitaire Crayns en ligne, lui signala une de ses secrétaires. C'est au sujet de l’agrandissement de la Piste Cyclable et du recours apposé par l'association de défense des riverains de la route 17.
Oswald soupira et termina de rédiger ce qu'il était en train d'écrire avant de répondre. Il en était arrivé au stade où il pouvait se permettre de faire attendre jusqu'à un Dignitaire.
- Dites à Monsieur Crayns que j'ai déjà signalé mon intention de ne pas m'en saisir tant que les recommandations du commissaire-enquêteur qui a écrit l’Étude d'Impact ne seront pas publiées. Le caractère d'utilité public de ce genre de projet ne se négocie pas.
- Oui Maître, mais il semble que c'est la mairie de Soleilville qui pose problème. Elle craint des troubles importants à l'ordre public. Leur portion de piste est quasiment devenue la propriété de délinquants en tout genre.
- C'est au maître d’œuvre du chantier d'en assurer la sécurité. Les Dignitaires n'auront pas à payer un centime de plus à ce sujet. Faite-le bien comprendre à Monsieur Crayns, qu'il me fiche enfin la paix…
Oswald sourit pour lui-même de la façon dont il avait rembarré l'un des membres du gouvernement. S'il pouvait se le permettre, c'était grâce à l'affaire Forêt de Jade, et à Funerol. Non en fait, si on remontait plus loin, c'était grâce à Leonora, quand elle avait envoyé son genou dans les parties intimes du Maître du Dojo de Safrania. Sans cet événement, Oswald n'aurait pas été engagé par le Maître du Dojo, ne se serait pas rendu à l'arène de Safrania, et n'aurait pas rencontré Funerol. Étonnant comme le destin était de nature comique, parfois…
Oswald se surprit à repenser à la féroce Leonora. Évidement, cette femme au sang-chaud et au langage des plus discutables était tout l'opposé d'Oswald, mais étrangement, elle lui manquait. Il aurait pu passer la voir quand il le voulait à l'arène, mais il savait que Funerol vivait là-bas maintenant, et ça le dérangeait de fréquenter Leonora quand il était à côté. Oswald n'ignorait rien de leur relation. Il ne voudrait pas faire mine de se mettre entre eux, même si Leonora lui plaisait bien. Mais le travail n'était pas tout. Oswald espérait pouvoir fonder une famille un jour, et il entendait bien le faire avec une femme qu'il aimait.
- Maître Brenwark, fit sa secrétaire chargée du courrier en coupant ses curieuses pensées. J'ai là une lettre du procureur de Céladopole, vous demandant si vous êtes toujours d'accord pour mener la perquisition d'un des entrepôts supposés de la Team Rocket.
Ah oui, il y avait ça aussi... Brenwark hésita. Aussi attaché à la loi et à la justice qu'il était, il avait toujours fait en sorte de se tenir à l'écart des affaires impliquant la Team Rocket, de près ou de loin. C'était un milieu risqué pour les hommes de loi. La moitié d'entre eux étaient achetés par la Team, et l'autre moitié avait toutes ses chances de connaître un tragique accident s'ils se montraient trop curieux. Oswald n'acceptait jamais aucun pot-de-vin bien sûr, et n'avait pas peur des intimidations, mais la Team Rocket, c'était un gros poisson, qui avait toutes les chances de dévorer l'appât et d'emporter la canne avec lui. Mais c'était justement à cause de résonnement de ce genre de la part de ceux qui étaient censés prodiguer la justice que la Team Rocket avait accédé à un tel niveau d'impunité.
- Je le ferai oui, répondit finalement Oswald. Si toutefois il est sûr est certain que son dossier est en béton. Ça me gênerait un peu de risquer ma vie pour un non-lieu à cause d'un vice de procédure quelconque.
- Il semble confiant. Et il affirme qu'il aura l'appui des Forces de Police Internationale.
- Les FPI ne sont même pas capables d'attraper l'assassin de leur directeur.
En tant que juriste, Oswald voyait d'un assez mauvais œil cette nouvelle organisation prétendument mondiale qui se permettait de fourrer son nez où ils voulaient. La Police Internationale était née il y a trois ans seulement, sous l'impulsion d'un homme, le légendaire Gismond Synthesio, un inspecteur qui a mis derrière les barreaux nombre des plus féroces criminels de notre époque. Elle avait été créée à la base pour arrêter le terroriste Igrapax et son groupe, grâce à une collaboration internationale bien plus poussée. Mais finalement, les FPI s'étaient vite agrandies, avaient vite commencé à se mêler de tout et n'importe quoi avec l'aval des différents gouvernements.
Et total, dans leur désir de boucler à eux seuls toutes les affaires criminelles du monde, ils en avaient presque oublié Igrapax, qui s'est rappelé à leur bon souvenir en tuant Synthesio lui-même il y a quelques mois. Un affront que les FPI ne comptaient pas laisser impuni : elles s'étaient maintenant carrément dotées d'une hiérarchie militaire, une espèce de petite armée internationale capable d'intervenir dans quasiment tous les pays. Certains, pour défendre cela, faisaient un parallèle avec la Fédération Ranger, qui elle aussi avait vocation à agir partout sur le globe. Mais la différence, c'était que les Rangers ne portaient pas d'armes à feu…
- Ah, et vous avez là une lettre du pro... je veux dire, de l'ex-professeur Erable de Bourg-Palette, poursuivit la secrétaire. C'est écrit que c'est à votre seule lecture, donc je n'ai pas osé l'ouvrir.
Oswald prit la lettre et reconnut en effet l'écriture fine et élégante du professeur Erable. Comme il y avait peu de chance qu'il s'agisse d'une lettre piégée, il l'ouvrit. Quand il eut fini de la lire, il demanda :
- Giselle, j'ai quoi de prévu vendredi matin ?
- Vous m'aviez demandé de vous réserver la matinée pour la lecture du dossier d'instruction concernant monsieur Rogola.
Oswald opina. Sylvain Rogola était un petit délinquant qui avait été accusé de meurtre par deux policiers de Lavanville. Oswald soupçonnait depuis un certain temps que les deux policiers en question soient des ripoux de la pire espèce, et l'accusation de meurtre en question présentait nombre de trucs bizarres. Oswald s'était donc saisi de l'enquête pour défendre Rogola, qui, s'il n'était certes pas un parangon de justice, n'était pas non plus un assassin.
- Je le lirai jeudi soir après ma journée alors, fit Oswald. Libérez-moi vendredi matin. On va peut-être reformer la vieille équipe qui a fait chuter N.W.C, et cette fois pour un truc plus gros…
***
La terre se mit à trembler une nouvelle fois, et Dan soupira.
- Et voilà, qu'est-ce que je t'avais dit, vieux ? On ne dérange pas un Onix quand il dort, surtout s'il est vieux et grognon, et surtout pas en lui balançant une attaque Pistolet à O dans la figure !
L'Onix en question ne mit pas longtemps à émerger du sol, sortant des souterrains d'Argenta où il s'était réfugié, en provoquant un beau tremblement de terre et en faisant sauter nombre de canalisations. Heureusement, en prévision de ce qui allait se passer, Dan avait fait boucler cette partie là de la ville. Il n'y avait aucune circulation et piétons, juste quelques badauds qui observaient, curieux, d'assez loin. La personne à qui Dan avait adressé ses reproches, Flint, baissa la tête d'un air penaud.
- Je suis désolé... Lola ne comprend rien à rien aux Pokemon Roche…
La Lola en question, une jeune dresseuse aux cheveux bruns clairs, poursuivait l'Onix sur le dos d'un Tortank, lui ordonnant de tirer à fond avec ses canons à eau. Si elle semblait s'amuser comme une dingue, elle ne faisait que rendre encore plus furieux l'Onix. En temps normal bien sûr, un Onix n'aurait pas fait long feu contre un Tortank, mais celui-ci était si vieux et si grand que les jets d'eau l'irritaient plus qu'ils ne le blessaient. Dan devait y mettre un terme avant que l'Onix n'aille foutre le bordel en ville.
Quand Flint, le champion d'Argenta, l'avait appelé pour s'occuper d'un vieil Onix qui posait problème dans les sous-sols de la ville, Dan avait pensé à une mission facile. Mais c'était sans compter la jeune épouse du champion, Lola, qui avait cru bon de s'en occuper seule avec ses Pokemon Eau. Et même si Flint, en expert Roche qu'il était, savait que c'était une mauvaise idée, il n'avait pas pu s'y opposer, pour la simple et bonne raison qu'il ne pouvait jamais rien refuser à sa femme.
Même si Dan n'y connaissait pas grand-chose en relation conjugale, il pouvait dire que ce couple était une bizarrerie. Ces deux jeunes dresseurs s'aimaient comme pas possible, et pourtant, ils n'auraient pas pu être plus différents. Flint Brock était un gars timide, sérieux, adepte des Pokemon Roche, du calme et de la méditation. Il était né à Argenta, y avait passé sa vie et répugnait à la quitter ne serait-ce qu'une journée. Lola, à l'inverse, était une fille exubérante, qui n'avait pas la langue dans sa poche. Elle était souvent imprudente, aimait voyager ci et là, et était spécialisée dans les Pokemon Eau, la grande phobie des Roche.
Pourtant, ces deux là s'étaient rencontrés un an à peine lors d'un combat dans l'arène, combat que Flint avait perdu lamentablement soit-dit en passant, et ce fut le coup de foudre immédiat. Ils s'étaient mariés très vite, et avaient déjà un enfant, un garçon nommé Pierre. Et à en croire Lola, ils ne comptaient pas s'arrêter là, elle qui en voulait plusieurs. Dan, qui était un ami de Flint depuis un moment, était content pour lui. Mais le hic dans ce couple, c'était l'agaçante habitude de Lola de vouloir se mêler des affaires de l'arène. Ses suggestions avaient souvent provoqué des catastrophes ou des conflits.
- Et, l’ancêtre ! Cria Dan à l'adresse de l'Onix. Viens voir de mon côté un peu !
Le Pokemon Roche se désintéressa de Lola et de son Tortank pour se tourner vers l'Ortide et le Boustiflor que Dan avait envoyé au combat. Il avait pris soin de les capturer avant de venir, sachant qu'il aurait besoin de leurs attaques. D'abord, il ordonna à l'Ortide d'utiliser Para-Spore pour diminuer les mouvements de l'Onyx. Après quoi, Boustiflor utilisa son Fouet Liane pour attraper le Pokemon Roche juste derrière sa tête, puis fit de même au bas de son corps. Ainsi immobilisé, l'Onyx se laissa facilement attraper par le Capstick de Dan, et finit par recouvrer son calme.
- Et voilà. C'était juste un vieux pépère qui voulait enchaîner les sommes sous terre, commenta Dan. Tu veux que je le relâche dans le Mont Sélénite ?
- C'était l'Onix de mon oncle, le précédent champion, répondit Flint. Il l'avait relâché peu avant sa mort, mais il a décidé de rester en ville. Je crois que je vais le capturer. Si je veux gérer durablement cette arène, il faut que même les plus vénérables Pokemon Roche me fassent confiance.
- Comme tu dis, approuva Dan. Et si ta nana pouvait éviter de leur faire la chasse à coup de jet de flotte, ça irait encore mieux.
Flint remua des doigts, l'air penaud, tandis que sa « nana » en question descendait de la carapace de son Tortank et vint les rejoindre.
- Cette arène aurait dû être une arène Eau, fit-elle en ayant parfaitement entendu les propos de Dan. J'ai battu mon choupinet à la loyale, et donc…
- Et donc tu as gagné son badge, conclut Dan. C'est tout. Battre un champion ne suffit pas pour en devenir un. Il faut passer un examen et un entretien auprès de la Ligue Pokemon, faire un paquet de paperasse, et tout... Puis y'a déjà une arène Eau à Kanto, à Azuria.
- Que j'ai également battu, précisa Lola.
- Tu es si forte, ma colombe, intervint Flint avec un regard d'adoration.
- Oh merci, mon choupinet ! Répondit Lola en lui prenant les mains.
Dan leva les yeux au ciel. L'amour rendait les hommes idiots. Et les femmes aussi d'ailleurs, mais généralement, elles en profitaient plus. Dan avait déjà fréquenté quelques filles, à Almia puis ici, mais il n'avait jamais réellement eu de coup de foudre. Il espérait que si un jour ça arrivait, il conserverait un tant soi peu de jugeote.
- Lola, je doute que tu aies nommé ton enfant Pierre pour qu'il hérite un jour d'une arène Eau, ce serait un peu débile, signala Dan.
- C'était pour faire plaisir à mon choupinet. Pierre était le nom de son grand-père, le tout premier champion de l'arène d'Argenta.
- Ouais, belle tradition familiale…
Dan était à moitié ironique. La Ligue Pokemon avait l'habitude de remettre les clés d'une arène en priorité à un membre de la famille de l'ancien champion, si celui-ci en faisait la demande. Parfois ça marchait très bien, mais il arrivait aussi que le nouveau champion n'ait rien des talents de son parent. Selon Dan, la Ligue devrait appliquer une stricte égalité entre les différents postulants. Untel ne devrait pas être avantagé parce que son père, son oncle, son cousin ou Arceus sait qui avait été champion. Mais l'arène d'Argenta était, par tradition, celle que les jeunes dresseurs de Kanto venaient défier en premier. En d'autres termes, elle était la plus faible de la région, et donc la Ligue Pokemon s'en fichait un peu.
Dan se rendit au Centre Pokemon de la ville pour y faire se reposer Ortide et Boustiflor avant qu'il ne les relâche dans la Forêt de Jade. C'était la moindre des choses pour des Pokemon qui l'avaient aidé sans rien demander. Enfin, techniquement, ils y avaient été forcés par le Capstick, qui envoyait un signal rendant les Pokemon capturés très malléables aux demandes du Pokemon Ranger. En sortant du Centre, il faillit rentrer dedans une vieille connaissance.
- Tiens, Samuel ! Ah, désolé, je voulais dire, monsieur le Professeur Chen, sourit Dan.
L'ancien Maître de Kanto, qui désormais avait pris la place et le laboratoire du professeur Erable, salua le Top Ranger.
- Qu'est-ce qui vous amène à Argenta ? Lui demanda Dan.
- Un enfant à qui j'ai remis son premier Pokemon il y a une semaine. Il n'a connu que des défaites et est sur le point d'abandonner son voyage initiatique. Je me dois de lui remonter le moral et de le convaincre de continuer.
Dan hocha la tête. Chen était vraiment investi dans ce qu'il faisait, et avait une grande empathie pour les dresseurs débutants et les Pokemon. Il fera un merveilleux professeur, et guidera sans doute plusieurs générations de nouveaux dresseurs d'élite.
- C'est une chance de tomber sur vous, Dan, poursuivit Chen. Justement, le professeur Erable m'a appelé, et m'a demandé de vous faire passer un message si jamais je venais à vous croiser. Comme vous ne dormez jamais à la même adresse, c'est compliqué de vous envoyer une lettre.
- Oui, bah vivement le temps où ils inventeront des téléphones que l'on peut amener partout avec nous. Qu'est-ce que me veut le professeur ?
- Je crois que vous le savez. Sa fameuse organisation secrète sur laquelle je ne suis pas autorisé à poser des questions. Il cherche à vous recruter.