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Vermine de Aespenn



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Informations

» Auteur : Aespenn - Voir le profil
» Créé le 23/10/2019 à 10:25
» Dernière mise à jour le 09/01/2020 à 16:16

» Mots-clés :   Absence de combats   Absence de poké balls   Conte   Drame   Kanto

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Périple
Bonjour à vous !
Me revoici avec le dernier chapitre de cette fiction ! J'ai été absolument ravi de participer à ce concours et j'espère que vous aurez apprécié cette fanfiction que j'ai écrit avec grand plaisir et qui m'a permis de me lancer quelques challenges !
Merci à vous !



Il a cru sombrer parmi la poudreuse. Il a cru s’endormir à jamais, là, effondré sur un tapis de neige tandis que les flocons lui tisseraient un linceul.
Mais il n’en est rien.
Will est bel et bien là. À plat ventre sur le sol glacé de la montagne, son pelage trempé, tenant péniblement sur ses deux pattes avant, tremblantes, alors que celle qui ne peut plus le porter se traîne derrière lui comme une entrave.

Le souffle du jeune Rattata se transforme en volutes. L’air du sommet s’applique à lui brûler les poumons, mais il ne le sent presque plus.
Il est là. Avec les dieux. Il a réussi.
Enfin presque : il doit leur parler, leur poser cette question qui a rythmé son pèlerinage jusqu’à Galar. Avec une pincée de hasard, aussi.
Est-ce qu’il doit être le premier à prendre la parole ? La mâchoire de Will s’entrouvre, mais… mais…

Zacian s’avance.
Ses griffes épaisses, obscures, claquent sur la roche givrée de la montagne. Les muscles de ses pattes roulent sous son poil d’un blanc cassé.
Le jeune Rattata remarque que si la fourrure du dieu Zamazenta est d’ivoire, celle de la déesse Zacian est plus opaline.

La Mère impulsive et le Père vertueux.

Will comprend à présent.
Ses coussinets s’écrasent dans la poudreuse alors que le paysage… il ne se compose que de terre gelée, de neige sale, de petites caillasses ainsi que de froid. Son front touche le sol.
Le jeune Rattata réalise seulement qu’il vient de se prosterner sans même en avoir conscience.
Quand ses pattes ont-elles cessé de trembler pour mieux se dérober sous son poids ?
Il voudrait, au moins, redresser le buste mais il n’y arrive pas. La Mère l’écrase… avec son regard ? Son aura ? Une magie divine dont Will n’aurait pas connaissance ? Il l’ignore.

« Cette petite chose, a-t-elle réellement pu braver notre gardien ? » siffle Zacian.

Chose ? La gueule du jeune Rattata se crispe. Mais il n’ose pas relever la tête.
L’aura de la Mère l’en empêche. Il la ressent de manière si intense dans chaque sillon de ses veines qu’il se demande si elle n’est pas tangible… comment font les Pokémon de Galar, en bas de la montagne, pour ne pas la percevoir ? Et les êtres humains ? Et lui. Lui, pendant son ascension, comment a-t-il… ?

« Tu ne le regardes pas tel qu’il est. » déclare paisiblement une voix grave.

Zamazenta.
Deux pattes viennent encadrer la figure de Will. Son front embrasse toujours le sol glacé, son petit corps ne fait plus qu’un avec la terre du sommet.
Puis, il ressent de la bienveillance. Le jeune Rattata ne saurait s’expliquer mais il a simplement la sensation qu’il a le droit d’être là, de se tenir ainsi devant les dieux de Galar, de leur adresser la parole mais surtout : de lever son regard écarlate vers le Père.
Zamazenta, le Père vertueux.

En des gestes lents, sa nuque s’actionne. Will a l’impression de se transformer petit à petit en machine, comme le Corvaillus qui l’a traqué tout à l’heure.
Ses mouvements sont saccadés. Sa chair lui répond avec difficulté.
Enfin, il plonge dans les prunelles des dieux. Dans les yeux de la Mère et du Père. Il tressaille.

Des rubis cerclés d’or forment le regard de Zamazenta, comme un miroir de cette carapace merveilleuse venue enserrer son poitrail. Le Père ne se contente certainement pas de donner sa protection : il est un rempart. Le bouclier de Galar.

Quant aux yeux de Zacian… ils brûlent. Ils ne sont que de l’or. De l’or en fusion telle la forge ardente qui aurait conçu son épée. Will n’a aucun doute quand au fait qu’elle serait capable d’embraser sa chair d’un simple regard si elle le souhaiterait.
La Mère pourrait le consumer tout entier puis entraîner le Père… la région de Galar avec elle !
Région qui n’a rien à craindre, vraiment.
Zacian est "puissance", elle est l’épée de Galar.

Elle est la première à attaquer le jeune Rattata qui se recroqueville sur lui-même.
Certes, il a conscience d’apparaître si pathétique avec sa fourrure trempée ainsi que sa patte folle… mais il est là.
C’est ce qui compte, non ?

« Alors, petit Pokémon ? raille Zacian, es-tu venu demander la puissance que tu n’inspires pas ? La protection que tu n’as jamais eue ? Un pouvoir que tu seras incapable de manier ? »

La Mère tranche. Will s’y est attendu, mais… il secoue la tête. Tête qui semble devenir de plus en plus lourde.
Comme son corps.

« Non… » souffle-t-il.

Il doit s’expliquer. Il doit raconter son histoire, il doit demander à voir Arceus, il doit…
Un bruit métallique, la chaleur d’une entité divine. Un coup d’œil et le jeune Rattata s’aperçoit avec stupeur que Zamazenta vient de se coucher face à lui.
Sa figure majestueuse, auréolée d’or et de rubis, son pelage qui se laisse malmener par le vent du sommet ressemble à s’y méprendre à une rivière de saphir.

Comme Zacian, le Père est l’assemblage d’un orfèvre amoureux des joyaux, sûrement. Sauf que la Mère quant à elle, semble tombée des cieux avec l’azur de sa fourrure ainsi que ces rubans aux tons rosés qui encadrent sa figure. Leur couleur n’est pas sans rappeler les derniers vestiges d’un coucher de soleil avant la tombée de la nuit.
Le Père est un joyau alors que la Mère fait honneur au ciel.

Will ne quitte pas la figure bienveillante de Zamazenta. S’il continue de l’observer, peut-être pourra-t-il échapper au tranchant de Zacian.
Même s’il sait qu’elle ne sera pas avare de remarques acerbes. Tant pis.
Il n’est pas ici pour rien !

« Je ne veux ni pouvoir, ni puissance, ni protection… » murmure-t-il avec difficulté.

Il n’a pas vu la Mère écarquiller ses yeux d’or. Elle a resserré la prise de sa gueule autour de la garde de son épée, hautaine, mais curieuse.
Qu’est-ce qu’une petite espèce de Pokémon comme celui-là est venu chercher ici alors ?

« Je voudrais… reprend Will, J’ai besoin… j’ai besoin… d’une réponse. Arceus… sait. »

Le jeune Rattata tente de se redresser. La tâche est ardue : ses pattes avant tremblent encore, celle qui est blessée le fait souffrir et puis… sa respiration devient difficile. Will a un nœud étrange au niveau de l’abdomen : il se sent houleux.
Mais il tient bon et il tiendra bon.

Il ne quitte pas la figure de Zamazenta. Les dieux de Galar ne peuvent pas savoir pourquoi les Rattata sont une espèce de Pokémon méprisable, miséreuse, pourquoi Arceus les a engendrés et surtout : pourquoi les portes du bonheur leur sont hermétiques.

Le regard du Père se teinte de compassion. La Mère reste, quant à elle, imperturbable.

« Quel Pokémon se rendrait à Galar dans le but de parler au dieu des dieux ? siffle-t-elle avec mépris, regardes-toi… à quoi te sert ta petite tête si tu ne peux même pas réfléchir correctement ?
- Ce n’est pas… »

Zamazenta se met à gronder.
Il s’agit d’un roulement sourd, comme les prémices d’un orage que le jeune Rattata sent résonner jusque dans ses os. Mais la figure du Père ne se déforme pas de colère et la lueur dans les joyaux de ses yeux ne change pas.

« Si tu ne peux pas reconnaître la volonté d’un petit Pokémon qui vient à nous, déclare-t-il à Zacian, si tu n’es ici que pour accabler, si tu refuses d’entendre sa question… alors tu peux t’en aller. »

La Mère gronde à son tour, menaçante. Elle toise Zamazenta, son regard se transformant en véritable volcan. Will est persuadé qu’elle va faire fondre la neige du sommet !

« Il ne veut ni puissance ni pouvoir pour le combat, poursuit le Père, il ne veut pas de ma protection. Il veut une réponse, tu l’as entendu tout comme moi. Alors pour lui, baisse ta garde, Zacian. »

Le jeune Ratta suit l’échange entre les dieux, stupéfait.
S’il a traversé la mer, les plaines de Galar, la forêt de Lumirinth, les bourrasques de cette montagne jonchée d’épées de pierre, la poudreuse du sommet… ce périple lui semble si lointain. Will a la sensation de se trouver dans un coffret avec une serrure unique, verrouillée sur le monde.

Il se tient au cœur d’une atmosphère qui oscille entre tumulte et accalmie. Lorsqu’il regarde Zacian et Zamazenta, il voit les deux faces d’une pièce, deux miroirs l’un en face de l’autre… leur tandem est un étrange mélange entre le jour et la nuit.

Ils s’attirent, se comprennent, se repoussent.
La Mère ne baissera pas sa garde, mais sa hargne restera muette pour ce Pokémon violet, rachitique, aux yeux vitreux.
Si Will pouvait apercevoir son reflet, il verrait que le rouge écarlate de ses prunelles vire doucement vers l’incarnat.
La faute à l’espoir en train de s’éteindre peut-être…

« Vous ne pouvez rien pour moi… »

Il ne se trouve pas à Sinnoh. Il a commis une erreur en songeant que Zacian et Zamazenta pourraient appeler Arceus. La Mère refuse de l’écouter, alors… alors… à quoi bon finalement ?

« N’as-tu pas dit que tu avais une question à poser, petit Pokémon ? »

La voix du Père s’élève. Calme, profonde, rassurante.
Ses orbes d’or cerclés de rubis accrochent le regard du jeune Rattata comme un point d’ancrage. Ils ont le pouvoir d’évincer tous les doutes qui assaillent le Pokémon violet. Will se met à ciller : Zamazenta l’invite à parler.
Mais Zamazenta n’est pas Arceus.

Un frisson parcourt chaque centimètre carré de sa chair. Le froid le mord de plus en plus.
Le jeune Rattata se traîne quelque peu sur la poudreuse, juste pour se rapprocher du Père. Là, entre ses pattes massives ainsi que sa présence rassurante, il se sent déjà plus à l’abri.
Il inspire profondément et expire avec une plainte lorsque ses poumons protestent.

« Je voudrais savoir, amorce Will, pourquoi… pourquoi… »

Il raconte.
Sa voix s’éraille avec la fatigue, mais il continue et alors qu’il peint le tableau de son existence ; et alors qu’il parle, il peut voir des images apparaître dans son esprit.
Son cœur se serre quand il le réalise encore une fois : son père, la colonie… ils lui manquent.
Il se revoit courir dans les égouts, infiltrer le bâtiment aux machines, se rendre à la décharge afin d’y trouver de la nourriture et répéter ce cycle encore et encore…

Il ne comprend pas. Il ne comprend pas du tout.
Ce voyage, il l’a accompli dans le but de se sortir de cette misère et ainsi obtenir une réponse à la condition pathétique des Rattata. Il a voulu quitter cette bulle affreuse, cette boucle aliénante où la quête de nourriture, le combat contre la faim a transformé la vie de la colonie en survie.
Alors pourquoi tout cela lui manque-t-il ?

Will secoue la tête. La réponse à sa question devient vitale, essentielle !
Il a besoin qu’on le sorte de toute cette brume qui brouille ses pensées. Quand on éclairera sa lanterne, alors il pourra changer sa vie ! Il deviendra un Pokémon nouveau, plus lucide avec un autre regard sur le monde.
Mais.. n’est-ce pas déjà le cas ? Le jeune Rattata se met à tousser.

« Ce que tu veux savoir, Will, Rattata de la région de Kanto, c’est la raison pour laquelle les tiens sont voués à vivre dans la misère ? » récapitule Zamazenta.

Une ombre passe sur sa figure. Le Père ferme brièvement les yeux, accusant peut-être une vérité qui lui provoque du chagrin.
Will l’observe, inquiet, mais le dieu revient rapidement à lui et la bienveillance retrouve sa place dans ses prunelles merveilleuses.
Il réfléchit. La Mère s’anime à ses côtés, son épée siégeant fièrement dans sa gueule, ses orbes d’or étincelants.

« Tu penses que la misère des Rattata est le fait du dieu des dieux ? dit-elle d’un ton acerbe, tu crois qu’il a voulu votre condition pitoyable ? Tu le penses vraiment ?
- Arceus a engendré les Rattata, explique Will, il nous a donné naissance, mais qu’importe… qu’importe qui nous sommes : nos vies se ressemblent. Nous nous battons pour notre survie et nous ne parvenons pas à être heureux. Nous sommes touchés par la misère, la faim, la maladie, la saleté, la peur… pourquoi avoir créé une espèce de Pokémon aussi miséreuse ? »


La Mère émet un sifflement dédaigneux. Le jeune Rattata ne peut que deviner ses pensées à son encontre, mais Zacian se garde bien de les mettre en lumière.
Elle est une déesse qui ne jure que par le tranchant de sa lame alors elle n’a que faire des élucubrations existentielles d’une vermine.
Elle connaît la réponse à sa question, mais elle va laisser le Père s’exprimer.
Will l’observe. Ses rubans de fourrure qui encadrent sa figure implacable… ils lui rappellent ceux des Moumouton.

Enfin, le Père traduit sa réflexion. Il a étudié la question du jeune Rattata et même s’il n’est pas Arceus, il reste un dieu.
Mais qu’est-ce qu’un dieu pour un Pokémon ? Pourquoi risquer sa vie pour une simple réponse ?
Zamazenta décide d’interroger le jeune Rattata.

Will est pris au dépourvu. La fatigue rend ses pensées plus confuses, si bien qu’elles ne cessent de tourner dans sa tête.
Qu’est-ce qu’un dieu ? Qu’est-ce qu’un dieu ? Un dieu c’est… c’est…
Il soupire et tousse de plus belle. Il prend alors conscience de ce que représente Arceus à ses yeux : tout ce qu’il n’est pas.

La majesté, la prestance, le savoir, l’assurance, la vaillance, une figure qui inspire admiration et respect. Pour un Rattata crasseux recroquevillé dans ses égouts, Arceus est une lumière éternelle.
Une figure qui tient les destins de chaque Pokémon entre ses pattes. Enfin… il croit…

« Un dieu, c’est une figure immortelle, intemporelle, invincible, instruite, intelligente… une figure qui ne connaît pas l’échec, une représentation de la… perfection ? »

Le jeune Rattata s’étonne lui-même. Alors c’est ainsi ? C’est pourquoi il a trouvé le courage de quitter Céladopole ? Parce qu’il pense que les dieux sont l’incarnation de la perfection ? Parce qu’il croit fermement que la réponse d’Arceus à sa question peut changer sa vie ? L’existence même des Rattata ?
Le Père le regarde avec tendresse. Will a l’impression de redevenir petit.
La Mère laisse échapper un rire sarcastique, mais ses traits sont moins durs.

« C’est là que tu as tord, petit Pokémon, répond-elle à la grande surprise du jeune Rattata, ce sont les échecs qui forment les dieux, les erreurs qui nous enseignent nos faiblesses, les imperfections qui nous apprennent à devenir humbles. »

Elle semble embrasser les cieux de son regard en fusion.

«C’est parce que les dieux ne sont ni immortels, ni intemporels, ni invincibles, ni instruits et ni intelligents qu’ils peuvent s’élever et se dévouer dans leurs rôles. C’est pour cela que moi, Zacian, je peux servir Galar. »

Son ton est implacable, sa voix tonne comme un coup de tonnerre. Les Pokémon qui vivent en ces terres peuvent dormir sur leurs deux oreilles, car la Mère veille depuis le sommet de la montagne.
Zamazenta approuve d’un signe de tête.

« Ce que Zacian dit fait sens, Will : nous, dieux Zacian et Zamazenta, restons des guides. Nous avons pour rôle de veiller sur les Pokémon qui vivent dans la région de Galar, de les protéger, d’écouter leurs lamentations et de valoriser leur courage. Nous sommes leurs oreilles, leurs épaules, leurs socles. Sais-tu ce qui nous différencie tant de toi ? Des autres Pokémon ? »

Will écoute les dieux de Galar, fascinés. Ils sont "puissance", ils sont "prestance", ils semblent inébranlables. Et pourtant, ils sont imparfaits.
Les croyances du jeune Rattata volent en éclats.
Il secoue la tête. Non, il ne sait pas ce qui le rend si différent des dieux… ou plutôt si : bien trop de choses, mais probablement pas ce que le Père veut entendre.

« Nous dieux, reprend Zamazenta, avons notre rôle à accomplir. Vous, les autres Pokémon, vous avez le choix. »

Le choix ?
Le jeune Rattata plisse ses yeux écarlates. Que veut-il dire par là ? Quels choix ?
Il demande.
C’est la Mère qui répond.

« La façon dont tu veux mener ta vie, petit Pokémon ! La façon dont tu veux manger, dont tu veux parler, dont tu veux voyager, dont tu veux utiliser ton temps ! Le choix d’être proie ou prédateur, d’ordonner ou d’obéir, de persévérer ou d’abandonner, de se soumettre à son destin ou de le provoquer. De vivre ou bien de survivre. »

Le choix. Les choix. Tous les choix qui peuvent s’offrir à un Pokémon durant une minute, une heure, une journée… des choix qui traceront le chemin de son existence.
Est-ce aussi simple que cela ? Les dieux sont-ils privés de choix ? Arceus en est-il privé aussi ?
Will chancelle. Il tombe à plat ventre, grimace lorsque sa patte cessée lui fait mal et pose son front contre la neige.
Durant toute son existence, il n’a jamais eu l’impression de faire un choix. Il a simplement suivi. Suivi son père, la colonie… sauf lorsqu’il a quitté Céladopole en compagnie de Till.

« Je suis une vermine, souffle le jeune Rattata, on m’a dit un jour, que sur un bateau, la vermine était bonne à ronger les cordes. Elle ne peut pas accoster sur le quai et se mêler aux jolis gens. Je me suis demandé "pourquoi" et maintenant… »

Maintenant, Will songe que la vermine peut cesser de ronger les cordes. Elle peut quitter le bateau et se mêler aux jolis gens : elle a le choix.

« Will. »

La voix profonde de Zamazenta retentit. Les oreilles du jeune Rattata tressautent. Il relève la tête avec difficulté. Il cligne des yeux plusieurs fois.
Il se sent vraiment fatigué, confus, abasourdi et lucide, aussi.
Il plonge son regard dans les joyaux du Père. Les rubis cerclés d’or qui lui paraissent si… aveuglants…

« La réponse à ta question, Will, poursuit Zamazenta en prenant soin de détacher chaque syllabe, c’est que la vermine peut aussi devenir le capitaine du bateau. »

Le jeune Rattata se fige. L’expression de sa figure se tord d’incompréhension.
Comment ? Le capitaine ?
La vermine qui ronge les cordes… capitaine du bateau ?
Will fixe le Père, la Mère, le sol, la roche, la neige et même ses propres pattes.
La réponse à sa question, il l’a obtenue. Il s’agit d’un puzzle que lui seul doit résoudre afin de comprendre. De pouvoir modifier son existence.
Mais : qu’aurait dit Arceus ?
Le jeune Ratta bégaye, incertain :

« Je voudrais… j’aimerais… j’ai besoin de parler à Arceus. »

Il entend un profond soupir. Il sait qu’il en demande beaucoup trop, mais il est là, alors…

« Bientôt, Will. » répond Zamazenta.

Le jeune Rattata le dévisage d’un regard flamboyant. Vraiment ? Quand ça ?
Les yeux du Père semblent s’éteindre alors que la Mère a fermé les siens. Mais Will n’y prête pas attention.
Ses membres se mettent à trembler de plus belle. Il réfléchit à la réponse qu’il a obtenue de Zamazenta, il tire sa petite cervelle de la torpeur dans laquelle elle semble vouloir s’enfoncer et retourne les mots du Père dans tous les sens.
Il tient à lui en trouver un !

Le capitaine… le capitaine… le capitaine c’est celui qui… conduit le bateau ? La vermine peut-elle conduire un bateau ? Peut-elle… ?
Il écarquille ses yeux écarlates.

Will se redresse tant bien que mal, avec des gestes vifs. La douleur irradie dans ses nerfs, mais il en a cure. Il vient de comprendre.

« Le capitaine… est… maître… » murmure le jeune Rattata.

Zacian lui lance un regard flamboyant. Zamazenta acquiesce.
Oui, le capitaine est maître de son bateau. Il peut voguer là où il le souhaite. Vers la félicité, la paix, la tempête, le brouillard, la réussite, l’échec, le hasard ou bien… la misère.

Will, il faut que tu saches que si un être humain ou bien un Pokémon choisit la destruction et la mort, par exemple, alors la mort et la destruction le choisiront aussi. Si les Rattata de Kanto choisissent la misère, alors…

« … La misère les choisira aussi. » achève le jeune Rattata pour lui-même en songeant à Sec.

Les pièces du puzzle s’emboîtent les unes avec les autres.
Choix. Survie. Misère. Maître. Capitaine.
Les yeux de Will s’humidifient. Des larmes viennent se mêler à sa fourrure violine. Elles se mêlent avec la neige qui a fondu.

Notre faute.

Ils n’ont pas cherché à changer. Ils n’ont jamais quitté Céladopole. Ils n’ont jamais voulu partir. Ils ont choisi de rester confinés dans les égouts. Ils ont toujours juré par la faim.
Alors la faim a fini par leur dévorer l’estomac, qu’importent les rations que la colonie de Rattata a pu récupérer, chaque jour passant.

Notre faute.

Pas celle d’Arceus. Ni de Zacian, de Zamazenta, de la providence, de la fatalité, d’une malédiction quelconque…
Les Rattata se sont simplement laissés porter par leur quotidien de misère, ils se sont laissés piéger dans cette boucle infinie, ils ont créé eux-mêmes cette bulle dans laquelle ils se sont enfermés.
La porte du bonheur ne leur a jamais été hermétique, non : ils n’ont jamais tenté de l’ouvrir.

Tout est limpide dans son esprit.
À la lumière de cette réponse par la bouche des dieux de Galar, la condition des Rattata lui apparaît de manière si simple… pourquoi n’avoir rien fait ?
Zacian le lui demande.

« Si tu ne pouvais plus supporter cette vie misérable dans les égouts, petit Pokémon de la région de Kanto, pourquoi n’avoir rien fait pour changer ? Pourquoi es-tu resté malgré tout ? »

Will serre les dents. Les sanglots maculent sa figure d’eau salée. Misérable, il l’est plus que jamais : à pleurer face aux dieux de Galar parce qu’il a honte d’avoir été aveugle toutes ces années.
D’être resté "vermine" avec son père ainsi que les autres Rattata de la colonie alors qu’il aurait simplement suffi de devenir "capitaine" de son existence.
D’avoir pensé qu’il lui serait impossible de se dissocier de la colonie, simplement. D’avoir pensé qu’il resterait lié à son père, à sa condition de Rattata durant toute sa vie.

Stupide !
Stupide ! Stupide ! Stupide ! Stupide vermine !

« … Parce que je n’en ai pas eu le courage. » répond-il d’une voix hachée par les sanglots.

La Mère reste silencieuse.
Fière, elle s’avance quelque peu puis, finalement, plie les pattes avec grâce afin de se coucher à côté du Père.
Elle observe de son œil incandescent, ce petit Rattata de la région de Kanto, prostré sur la neige sous le regard bienveillant de Zamazenta.

« Mais tu es parvenu ici. Jusqu’à nous, déclare Zacian avec conviction, tu as trouvé la volonté de quitter ta région, tu as vaincu la peur de l’inconnu, tu as même échappé à notre gardien. Tout cela pour obtenir la réponse à une question. Une seule. Au nom de ton espèce ainsi que de ta colonie. »

Will fixe la Mère.
Intransigeante, implacable, inflexible… certainement terrifiante pour certains Pokémon.
Ses mots le surprennent et le touchent.
A-t-il cessé d’être insignifiant ? Qu’importe.
Lorsque le jeune Rattata s’est lancé dans ce pèlerinage aussi fou qu’important, c’est parce qu’il a eu de la peine. Pour lui, pour son père qui n’a jamais pu évoluer, pour son espèce. Parce que Till lui a ouvert les yeux et qu’il a alors réalisé qu’il ne serait plus capable de supporter la misère.

Il a compris.
Il chancelle de nouveau, titube, s’effondre une fois de plus. La fatigue l’agrippe de plus belle, mais il refuse de se laisser emporter.
Will ne peut pas s’endormir face aux dieux de Galar.

« Will de la région de Kanto, amorce Zamazenta, malgré tout ce que tu peux reprocher à ton espèce, lorsque tu penses "foyer", qu’est-ce qui te vient à l’esprit ? »

Foyer.
C’est confus. Ce n’est pas une réponse que l’on peut donner en réfléchissant intensément. C’est différent parce que… cela se manifeste par une émotion.

« Mon père. » répond le jeune Rattata.

Cette fois, il peut le sentir : l’amour qu’il éprouve pour son père a changé. Il ne se manifeste plus sous la forme d’une chaîne indestructible qui le retient avec lui, dans les égouts de Céladopole.
Non.
Son père lui apparaît simplement sous les traits du Rattata qui l’a élevé. Le Rattata vers qui il peut revenir lorsqu’il en éprouve le besoin. Avant de repartir voguer vers d’autres horizons.

Zamazenta regarde Will avec tendresse avant d’embrasser les cieux. Les joyaux de ses yeux se mettent à briller.

« Moi, je pense "Galar" »

Zacian aussi.
Le jeune Rattata leur sourit. Le monde n’est plus le même depuis qu’il se sait capitaine d’un bateau.
Il a cessé d’être une vermine.
Des frissons parcourent son petit corps, il tousse encore une fois, sa patte cassée achève de le mettre à terre.
Affalé sur le flanc, Will regarde le pelage bleu du Père. Il songe à la rivière couleur saphir des plaines de Galar. Celle-là même où il a rencontré Sec ainsi que sa conscience.

Avec les flocons du sommet, une goutte vient s’y mêler. Elle éclabousse le museau du jeune Rattata.
Ce dernier songe à Till. À Pyrois de la forêt de Lumirinth. À la colonie, à son père…
Le nouveau capitaine du bateau tâchera de mettre le cap sur Carmin Sur Mer. Il racontera son voyage, même s’il peut d’ores et déjà imaginer l’expression cynique du Zigzaton de Galar.
Il a tout de même rencontré ses dieux.

Oui, il fera tout cela.
Lorsqu’il se sentira mieux. À l’instant, il est si fatigué.
Les paupières de Will se ferment sur son regard écarlate. Même dans la pénombre, il sent les morsures de la poudreuse, mais il peut percevoir les respirations profondes de Zacian ainsi que de Zamazenta.
Elles le bercent.
Tout va bien. Will est fatigué…
Très…
… Fatigué.


***
Pour une question, une réponse.
Pour une quête, une ascension.
Pour le Pokémon de Kanto qui a rendu son dernier souffle, une épée de pierre.
La Mère a levé sa figure majestueuse vers la lumière de Galar,
Qui siège là-haut dans l’entaille de la montagne.
Elle sait que le dieu des dieux y a emporté le Rattata.
Et au-delà, il y a… il y a…

Le Livre De Zacian


***
Pour une question, une réponse.
Pour une quête, une ascension.
Pour le Pokémon de Kanto qui a rendu son dernier souffle, une larme.
Le Père a levé sa figure merveilleuse vers la lumière de Galar,
Qui siège là-haut entre les remparts de la montagne.
Il a vu le dieu des dieux y emporter le Rattata.
Et au-delà, il y a… il y a…

Les Mémoires De Zamazenta

***
Il a la prestance de la Mère, il a la tendresse du Père,
Mais la blancheur de son être,
Transforme la lumière de Galar en rideau de cendre.
Face à la coupure, aux remparts de la montagne
Il attend.
Il m’attend.
Une pensée pour mon foyer,
Une pensée pour la colonie,
Une pensée pour un Zigzaton rayé d’ombre et de lumière,
Une pensée pour un Smogogo à la conscience volubile,
Une pensée pour un Ponyta qui a perdu ses flammes,
Une pensée pour un Corvaillus aux plumes de glaives,
Et aux côtés d’Arceus, le dieu des dieux,
Je brave la lumière de Galar.
Au-delà, il y a…
Il y a…


Un nouveau périple.

Will, Rattata de la région de Kanto





Le thème de la fin