Chapitre 16 : Croisement sous tension
An 1684, 7 septembre, 10h40, Jadielle
C'était une visite royale que j'accomplissais aujourd'hui à Jadielle. Iskurdan m'avait exhorté à quitter un peu mon château, à me montrer à mon peuple. Il est vrai que depuis la mort de ma femme, il y a six ans, je ne sortais guère plus. Le peuple et les affaires du royaume n'avaient plus grand intérêt à mes yeux. Je passais pour ainsi dire la plupart de mon temps à contempler ma Johkanroc, en me demandant où pouvait être Breven et de quelle façon terrible j'allais l'occire.
Mais bon, il était vrai que prendre l'air de temps en temps et voir autre chose que le château ne me ferait pas de mal. Je n'étais pas allé bien loin par contre. Jadielle était la ville la plus proche du Mont Argenté, juste en descendant vers l'est. Le noble à la tête de Jadielle, un baron bouffi d'importance plus que ravi que j'ai honoré sa ville de ma royale présence, s'était surpassé en terme d’apparat pompeux. Il devait ignorer que j'avais horreur de tout cela. J'aurai pu le faire exécuter si j'avais été de moins bonne humeur, mais j'étais prêt à passer l'éponge et à jouer le jeu, pour faire plaisir à Iskurdan.
Ce dernier m'accompagnait. Il y avait aussi Duancelot, mes enfants Myrevia et Kieran, ma pupille Valrika, et une petite garde réduite d'une dizaine d'hommes. Si j'avais voulu impressionner la galerie comme cet imbécile de baron, je serai arrivé avec dix mille-hommes sous les portes de sa ville. Arrêtant mon Galopa devant lui et sa maisonnée, je le laissai s'incliner avec servitude.
- Votre Majesté, c'est un tel honneur ! Vous illuminez Jadielle de votre présence ! Monseigneur Iskurdan, c'est également une joie énorme que de vous voir ici. Et Vos Altesses Myrevia et Kieran, que vous avez grandi ! Je suis tout bonnement…
Je levai un doigt, et le baron cessa là ses simagrées hypocrites sur le champs.
- Si j'avais souhaité de telles mondanités, baron, je vous aurez convié au château avec tous les autres hauts nobles du royaume. Mais je suis ici, à Jadielle, sans aucune pompe. Ce sont mes sujets que je viens voir, pas vous.
Sans lui laisser le temps de se répandre en excuse, je descendis de mon Galopa, et passa en revue les files de villageois massés par le baron. Ils me regardaient avec respect, mais surtout crainte. Pour certains, c'était même du mépris à peine dissimulé, voir de la colère. Ils baissaient tous le regard quand le mien était sur eux. Iskurdan pouvait dire ce qu'il voulait, ces gueux ne m'inspiraient que mépris et dégoût, et même une juste méfiance envers leurs possibles sentiments de rebellions. Autrefois, j'ai agi pour eux, j'ai pensé à eux. Aujourd'hui, ils ne m'étaient plus rien.
Je laissai Iskurdan jouer au noble Aura Gardien en mon nom. Il parlait avec les villageois, écoutait leurs problèmes et leurs demandes, leur prodiguait conseils, compatissait à leur misère... bref, toutes les choses qu'il avait toujours su faire et moi pas. Et c'était pour cela qu'il était aimé de la populace. Duancelot, lui, jouait avec les bambins de la ville, les faisant rire avec ses pitreries. Kieran, qui tout comme moi n'aimait guère se mêler à la populace, conversait avec les enfants du baron. Valrika, du haut de ses douze ans, s'entraînait avec une épée en bois avec d'autres jeunes de son âge. Mais au bout d'un moment, je ne vis plus ma fille Myrevia. J'allai m'en informer auprès d'un de mes gardes.
- Où est la princesse ?
- Elle est allée vers le sud sur son Galopa, Votre Majesté. Elle a dit qu'elle serait de retour avant le départ.
- Vous l'avez laissée quitter la ville sans aucune escorte ?
Le garde blêmit sous mon regard implacable.
- Elle nous l'a ordonné, Sire. Elle voulait être seule…
Je me retins de tuer cet idiot, et allai retrouver Valrika. Comme ma fille et ma pupille étaient toujours collées, elle devait sans doute savoir quelque chose. Et c'était le cas, car quand je lui posai la question, elle me répondit du tac au tac.
- Je ne dois pas vous le dire, Sire. C'est un secret.
- C'est Myrevia qui t'a dit de garder le secret ?
- Oui Sire.
- Mais entre la princesse et le roi, qui a le dernier mot ?
Soupesant cette logique, la gamine aux cheveux de feu finit par avouer.
- Elle est partie à Bourg de Palette, pour retrouver son ami. Mais ne la grondez pas, hein ?
Bourg de Palette ? Ami ? Quelles étaient ces âneries ? Bourg de Palette était un petit village sans importance, mais réputée pour être le berceau du dressage de Pokemon, sous l'égide d'un homme du nom de Ludian Chen. Je n'avais aucune sympathie pour ces imbéciles adorateurs de Pokemon, qui bien souvent perdaient leur vie dans leurs combats stupides. J'avais d'ailleurs tellement restreint le champs d'application de leurs combats qu'ils en devenaient quasiment illégaux. Que Myrevia puisse se rendre là-bas pour y folâtrer avec un gueux me retournait l'estomac. J'allais devoir surveiller ma fille. La surveiller de près.
***
Palyne était admirative de la clairvoyance de Lord Despero. Au lieu de fouiller la ville de fond en comble ou de garder les sorties comme tous les Soldats de la Paix ou sbires des Gardiens de la Destinée l'avait fait, il s'était concentré sur les sorties les plus improbables dont peu de gens avaient connaissance. En l’occurrence, le système d'évacuation des déchets souterrain. Pas vraiment un endroit où on imaginait coincer un prince fugitif qui avait eu l'audace de s'en prendre à la propriété d'un des Dix Héros en plein dans la capitale. Les autorités le prenaient sans doute pour un fou capable d'aller défier ses ennemis en plein jour sur les marches du Haut Conseil.
Mais pas Despero. Contrairement aux autres, il réfléchissait, il tentait de se mettre dans la peau de ses contemporains, de comprendre leur raisonnement. C'est pourquoi il était un si habile politique. Il ne laissait jamais rien au hasard. Grâce à son réseau d'espion qui officiait dans chaque recoin de la capitale, il avait prévu de faire s'écrouler les tunnels d'évacuation des déchets pour prendre le prince Ametyos au piège, si jamais il tentait de s'y aventurer. Il avait fait placer des Pokemon à différents points stratégiques de chaque tunnels, et établi un réseau psychique pour être informé en temps réel de la position d'Ametyos. Et dès que celui-ci avait mis le pied dans le tunnel en question, Despero en avait été immédiatement informé. Il avait donné l'ordre de faire s'écrouler le tunnel pour prendre au piège le jeune fugitif, et s'était immédiatement mis en route avec Palyne.
Il y avait un petit Pokemon étrange avec lui, sans doute un complice, mais ils s'étaient séparés un peu avant que le tunnel ne s'écroule. Despero avait haussé les épaules. Tant pis pour le Pokemon ; ils étaient du côté où Ametyos était bloqué. Ce dernier était en train de tenter de comprendre ce qui avait bien pu provoquer cet éboulement, et de se créer une sortie en appelant son complice à voix basse, quand Despero et Palyne arrivèrent à lui. Palyne s'était d'abord inquiétée que Lord Despero ne salisse ses beaux et riches habits en marchant dans cette mélasse puante, mais l'ancien noble n'en avait visiblement rien à faire, tout à sa joie d'être le premier à mettre la main sur l'homme le plus recherché du continent.
- Votre Altesse Ametyos, commença-t-il en faisant une révérence mi-ironique mi-respectueuse. C'est grande joie pour moi de vous revoir après tout ce temps.
Le jeune prince se mit sur ses gardes, une dague dans sa main. Palyne l'observa avec un vague intérêt. Avec ses cheveux blonds et ses yeux gris, nul doute que son visage devait attirer l'attention auprès de le gent féminine. Il semblait légèrement plus âgé que Palyne, et était vêtu comme un brigand des grands chemins. Mais sa tenue arborée tout de même, discrètement, les couleurs de la monarchie de Johkania, à savoir le bleu et le rouge. Il avait un barda derrière son dos, où se trouvait sans nul doute l'objet de son forfait commis au dojo du Héros Duancelot.
- Despero... fit finalement Ametyos avec une bonne dose de venin dans la voix. Sale traître…
- Ahhhhh, oui, sourit l'Agent de la Fatalité. Ce mot m'est pas mal familier, surtout de la bouche d'un Karkast. Je ne saurai dire le nombre de fois où je l'ai entendu prononcé par votre grand-père. Le plus souvent, c'était après que je lui ai dénoncé les traîtres en question.
- Et vous étiez l'un d'entre eux, et probablement le pire de tous !
- Vous vous méprenez. J'ai réellement servi le roi avec loyauté. Je le voyais comme le seul et unique sauveur de cette région, le seul à incarner l'ordre et l'autorité. Mes croyances religieuses n'étaient en rien concernées. Si seulement votre grand-père avait eu la sagesse d'écouter mes conseils et mes tentatives de modération, alors je serai resté auprès de lui, et il n'aurait pas fini comme il a fini... en petits morceaux, dont l'un se trouve dans votre sac justement.
- LA FERME ! Cracha Ametyos.
Palyne se plaça devant Despero, préparant à tirer les pouvoirs Pokemon de son Ascacomb, craignant que le jeune Karkast n'attaque son nouveau et puissant protecteur. C'était sans nul doute pour cela que Despero l'avait amenée avec lui ; pour son Ascacomb... pour le protéger. Mais Despero ne se départit pas de son sourire aimable face au prince prêt à se jeter sur lui.
- Je sais que vous avez visité mon manoir de Céladopole récemment. Je vous sais gré de n'avoir embarqué que cette vieillerie et ne pas avoir touché au reste. J'y ai de nombreux objets d'une grande valeur sentimentale. Soyez sûr que je n'ai rien contre vous, Votre Altesse. Je vous aurai même laissé le morceau de votre grand-père sans problème. Ce n'est qu'un trophée assez glauque qui allait finir ses jours dans une boite poussiéreuse. Mais je crains que vos petites escapades n'aient un peu contrarié le Conseil des Héros, en particulier la chère Valrika. Que diriez-vous que je vous amène jusqu'à elle ? Je sais que vous étiez assez proches dans le temps.
Le visage d'Ametyos s'étira en un rictus qui ficha la chair de poule à Palyne. Jamais elle n'avait vu autant de haine sur un visage. Une haine confinant à la folie.
- Quand j'irai retrouver Valrika, dit le prince d'un ton haché, ce sera avec toutes vos têtes, pour m'emparer de la sienne.
D'un geste fluide et indiscernable, le jeune homme jeta quelque chose vers Despero. Palyne vit l'éclat argentée d'une file lame, mais trop tard pour qu'elle puisse utiliser les pouvoirs de son Ascacomb. Elle n'en eut pas besoin cependant. Despero tira sa rapière d'un geste tout aussi maîtrisé et rapide, et para la lame d'un seul coup.
- Brillant, ce lancé, commenta Despero. Je reconnais bien là la marque de Valrika. Quelle ironie que vous vous serviez des techniques de la personne dont vous rêvez le plus de tuer.
Ametyos chargea alors, avec son poignard serti d'une pierre violette et brillante, le désir de meurtre enflammant ses yeux gris.
- Reculez, messire ! Fit Palyne en s'avançant et en effleurant son Ascacomb sur son front.
- Ne te dérange pas, ma jeune amie, se contenta de sourire Despero.
Il toucha son espèce de rubis qu'il portait en collerette de son costume, et aussitôt, Ametyos fut violemment repoussé en arrière par une puissante décharge électrique. Mais ça ne s'arrêta pas là. Alors qu'il était sonné au sol, l'eau des égouts prit une forme tentaculeuse pour emprisonner les membres du prince, et des morceaux de roches se détachèrent des parois pour lui emprisonner les mains. Despero sourit face à la surprise de Palyne.
- L'Ascaline de Rubis, une des plus belles création de ton frère, qui me permet de stocker en elle le pouvoir de plusieurs Pokemon à la fois, expliqua-t-il.
Ça n'étonna Palyne qu'à moitié d'apprendre que son frère était capable de créer de telles Ascacomb. Mais elle plissa les yeux.
- Pourquoi m'avoir fait changé de pouvoirs si vous possédiez un tel joujou ?
En effet, avant de partir pour ce tunnel, Despero a amené un Kadabra, un Pokemon Psy, pour que Palyne lui prenne ses pouvoirs et les stocke dans son Ascacomb.
- Même si elle peut en stocker plusieurs, l'Ascaline de Rubis a ses limites, et je ne lui ai pas mis de pouvoirs psychiques. Ce sera plus pratique d'endormir le prince et de le faire léviter pour le ramener jusqu'en ville.
Palyne acquiesça, et s'avança jusqu'au Karkast qui se débattait furieusement. Elle utilisa l'attaque Hypnose qu'elle tenait de ce Kadabra pour le plonger dans le pays des rêves, puis le souleva mentalement avec ces mêmes pouvoirs psy. Une lueur attira son regard dans l'eau pouilleuse. C'était le poignard finement ouvragé d'Ametyos, avec cette pierre mauve étrange incrustée dans la garde. Du bien bel ouvrage. Palyne décida de la prendre et de la glisser à sa ceinture, sans que Despero ne le voit. Qu'aurait-il à faire d'une telle dague après tout. Palyne elle la voulait bien. Une arme tranchante pouvait toujours servir, et si c'était un trophée de valeur dérobée au dernier membre de la dynastie Karkast, ce serait encore mieux.
- Allons-y, ordonna Despero. Ramenons Son Altesse au Haut Conseil. J'ai hâte de voir le beau visage de notre chère Sainte quand elle verra que je lui ai grillé la politesse sous son nez.
- Et le Pokemon parlant qu'il y avait avec lui ? Questionna Palyne.
Le Héros haussa les épaules.
- Sans importance, et puis il est de l'autre côté de l'éboulement. Je le laisse de bonne grâce aux Gardiens. Ça leur fera un petit lot de consolation.
Avec un petit ricanement, Palyne avança à la suite de Despero dans le tunnel, avec Ametyos qui flottait tel un spectre devant eux. La jeune Adepte n'était pas familière de l'utilisation des pouvoirs psychiques avec son Ascacomb, mais c'était au final assez instinctif. Il suffisait en gros d'imaginer qu'on contrôlait quelque chose pour que ce quelque chose bouge comme on le voulait.
- Jusqu'où vont ces égouts ? Demanda-t-elle.
- Probablement jusqu'à Céladopole, si on les suit assez longtemps. Les gens de la capitale sont si heureux d'envoyer leurs déchets ailleurs...
- Vous croyez que c'est par là qu'est venu le prince ?
- Non. Il avait été repéré dans une base de brigands non loin de Céladopole après avoir cambriolé mon manoir. Il ne serait certainement pas revenu en ville pour passer par là. Et puis, ce garçon est fier, comme tout Karkast qui se respecte. Sa fuite par ces égouts étaient sans doute une nécessité pour lui, mais il me semble être tout à fait du genre à rentrer en ville par une des quatre portes centrales, en passant incognito. C'est un débrouillard, et il est doué ; il n'aurait pas survécu si longtemps sinon.
- Vous le connaissiez ?
- Pas spécialement. Je l'ai juste vu une ou deux fois au Château Royal, avec sa mère Myrevia ou Valrika. Le roi n'y attachait guère d'importance.
Palyne observa le jeune homme inconscient qui flottait.
- Que va-t-il lui arriver, une fois qu'on l'aura remis au Conseil ?
- Rien d'agréable, je le crains. Je ne peux qu'imaginer ce que Valrika lui fera subir. Peut-être partagera-t-il le bûcher de son oncle, mais j'ai dans l'idée qu'elle voudra lui préparer un truc bien à lui, et sans doute encore plus sadique.
Palyne garda le silence. Cette femme en armure aux cheveux rouges étaient probablement aussi cinglée qu'on le disait. Despero sembla se méprendre sur le silence de sa jeune collaboratrice.
- Éprouverais-tu de la pitié pour Ametyos Karkast ? Voulut-il savoir.
- Non, se dépêcha d'affirmer la jeune femme. J'en ai rien à faire de ce type. J'ai aucune raison d'apprécier les Karkast. C'est juste que... ce gars, il n'a rien fait, à part voler, et tenter de survivre. Il n'est pas responsable des crimes de son grand-père. Le Conseil l'a condamné par avance juste à cause de son nom. Ce n'est pas ce que j'appelle la « justice » qu'il se plaît à prétendre être le protecteur.
- Tu as tout à fait raison, approuva Despero. Les purges qu'a commises Valrika n'étaient en rien motivées par la justice, mais par la vengeance et la cruauté seulement. Quant au Conseil, il se justifie en disant appliquer le principe de précaution : si on laisse un seul héritier Karkast en vie, il pourrait un jour tenter de reprendre le pouvoir en rassemblant tous nos opposants contre nous. C'est désormais la fatalité de tous ceux qui ont du sang Karkast : l'exil ou la mort.
Palyne acquiesça. Ç'aurait été un blasphème envers le Seigneur Falkarion de ne pas respecter le caractère inévitable de la fatalité. L'injustice en avait toujours été une. L'injustice de la naissance. Cet Ametyos était né Karkast, et à cause de cela, il allait périr sans raison. Palyne, elle, était née Fedoren, et pour cela, elle avait perdu ses parents en bas âge et était condamnée à n'être à jamais qu'un pion entre les mains soit des Agents de la Fatalité soit de Destinal. La Fatalité était souvent cruelle, mais la tenter de la combattre était futile. Elle gagnait toujours…
Quelques minutes plus tard, ils sortirent par là où ils étaient arrivés, la première sortie des égouts hors de Safrania, non loin de la porte Ouest. Despero ne pouvait s’empêcher d'afficher son air triomphant. Palyne était contente pour lui, mais aussi pour elle. Aider le plus célèbre des Agents du royaume à capturer l'homme le plus recherché de ce même royaume, c'était de bon augure pour sa carrière. Peut-être serait-elle adoubée Agent rapidement après ça. Elle serait alors l'égale de Rufio. Alors qu'elle tenait le sac d'Ametyos, avec dedans la fameuse boîte qu'il avait volé à Duancelot, Palyne se souvint alors de ce que Despero avait dit à son sujet.
- Il y a vraiment un morceau du Roi Éternel dans cette boîte ? Demanda-t-elle, à moitié écoeurée.
- En effet. Je ne sais plus trop quel morceau gardait Duancelot, mais oui, c'est bien un membre conservé de Zephren Karkast que tu portes derrière toi.
Despero sourit à l'air soudainement crispé de l'Adepte.
- Ce n'est pas une chose que le Conseil a crié haut et fort, continua l'Agent. Les gens du commun ne sont pas censés le savoir. Mais Ametyos a dû l'apprendre, d'une façon ou d'une autre. Il en a déjà réuni trois, sans compter celui-ci.
- Mais pourquoi ? Pourquoi avoir découpé le roi en dix morceaux et les avoir conservés ?
- Une idée de Breven, le Premier Héros. Il connaissait bien Zephren, pour avoir été son premier conseiller des années durant. Connaissant la magie du roi qui lui conférait une certaine forme d'immortalité, il a jugé plus prudent de le découper et de séparer les fragments, si d'aventure Zephren était tenté de... revenir d'entre les morts, à l'aide d'une quelconque sorcellerie.
- Ça n'aurait pas été plus simple de le brûler ?
- On a essayé. Le corps est resté intact. Chacun de ses membres le sont toujours d'ailleurs, même quatre ans après.
La grimace de Palyne s'accentua, ainsi que son trouble.
- C'est donc pour ça qu'Ametyos veut ces morceaux ? Pour essayer de ramener son grand-père ?
- Ça m'étonnerait. Le prince n'était qu'un jeune bâtard, certainement pas dans les secrets du roi, pas plus que ne l'était sa mère. Il doit tout ignorer de la magie de son grand-père. Je pense qu'il veut les réunir par orgueil, pour nous défier, et aussi pour restaurer l'honneur des Karkast.
Palyne acquiesça. Ces sangs bleus étaient vraiment bizarres. Risquer leurs vies pour quelque chose d'aussi stupide que l'honneur, c'était vraiment titiller la fatalité. La jeune femme jeta un coup d’œil au prince inconscient... pour voir qu'il ne l'était plus. Ametyos venait d'ouvrir les yeux, et dévisageait Palyne d'un air encore un peu déboussolé, mais où la colère était bien là. Palyne sentit alors son contrôle psychique sur le corps du prince diminuer. Elle ne contrôlait pas bien ce pouvoir dont elle n'était pas familière, et n'arrivait pas à maintenir sa proie sous contrôle si celle-ci résistait.
- Reste tranquille, espèce de…
Mais Palyne n'eut pas le temps de finir son insulte qu'Ametyos rompit son emprise psychique, et bondit vers elle, le poing en avant. Palyne aurait dégusté si une barrière transparente n'était pas apparue entre elle et le poing du prince. Une attaque Protection, visiblement lancée via l'Ascaline de Rubis de Despero.
- Je vous conseille de ne pas faire d'histoire, Votre Altesse, dit le Héros. Je compte bien vous livrer en vie au Conseil, mais dans quel état... ça, c'est de vous que ça dépend.
Palyne saisit son fouet d'une main et la dague qu'elle avait prise à Ametyos de l'autre, prête à combattre. Cet imbécile royal n'avait aucune arme, aucun Pokemon et aucun pouvoir. Qu'espérait-il faire ? Ametyos vit alors sa dague entre les mains de Palyne, et ses yeux devinrent encore plus ombrageux, si c'était possible.
- Rends-la moi, murmura-t-il dangereusement.
- Tu espères que je te dises « Tout de suite, Votre Altesse ? ». Va crever, blaireau. C'est ce que tu vas faire bientôt, de toute façon.
- RENDS-LA MOI ! Répéta le prince en hurlant. C'est un trésor royal des Karkast ! Une gueuse soumises à ce crétin de Prédicateur n'a aucun droit de la souiller !
Palyne cligna stupidement des yeux sous l'insulte à l'adresse du Prédicateur Nukt. Jamais personne n'osait lui manquer de respect, même ses ennemis. Elle s'apprêtait à lancer la pointe de son fouet vers son visage pour lui apprendre le respect, quand le regard de Despero tomba sur l'objet de la colère du prince : sa dague avec sa pierre mauve.
- Cette pierre, c'est…
Despero sembla ébahi et même quelque peu effrayé. Palyne n'eut pas le temps de se justifier de l'avoir prise discrètement, car soudain, une lueur orangée éclaira la nuit peu étoilée de loin. Un mur de feu semblait arriver droit sur eux. Palyne jura instinctivement.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? Un incendie ?!
Mais Despero secoua la tête.
- Non. Il aurait même mieux valu…
Il semblait contrarié. Ametyos lui-même paraissait avoir compris de quoi il s'agissait, et son visage se crispa encore davantage. Alors que ce feu étrange s'approchait, Palyne commença à discerner un son caractéristique. Un bruit de plusieurs sabots qui frappaient le sol. Ce feu n'en était pas un : c'était un groupe de Galopa qui arrivaient vers eux, leurs flammes colorant l'horizon. Dessus, il y avait une trentaine de chevaliers en armures étincelantes, frappées du symbole de Destinal. La Sainte Garde, et à leur tête, la vierge-guerrière héroïne de Provideum, le Quatrième Héros, bête noire de tous les Agents de la Fatalité : Alysia.
***
Garneth n'avait pas été aussi grisé depuis que Sainte Alysia lui avait proposé de devenir son écuyer. Aujourd'hui, il s'employait véritablement à ce rôle sur le terrain. Il chevauchait un Galopa comme les autres Saints Gardes, et il avait l'honneur de le faire juste derrière la Quatrième Héros en personne. La voir chevaucher de dos, ses longs cheveux blonds flottant derrière elle, était pour lui une image de grâce et de pureté incarnées. Il l'aurait suivi sans hésiter même si une armée de mille hommes s'était trouvée devant eux.
Mais heureusement, l'ennemi n'était mille homme, mais un seul. Le prince Ametyos Karkast, qui se serait introduit dans la capitale pour voler le Troisième Héros et mettre le feu à son dojo. Un crime qui dépassait l'entendement, démontrant une folie et un orgueil démesuré. Bref, quelque chose digne d'un Karkast. Garneth haïssait les membres de la famille royale. Son père était mort en les combattant, et Garneth savait très bien à quoi le roi Zephren s'était adonné lors des dernières années de son règne : le meurtre et les exécutions de masse. S'il pouvait aider Alysia a attraper le dernier représentant de cette famille maudite, ce serait un exploit dont il serait fier... même si bien sûr, il serait mis sur le compte du destin.
Le groupe chevauchait en direction de l'Ouest, après qu'ils aient repéré de loin une petite explosion. Spinellie était avec eux. Garneth lui aurait bien fait une petite place sur son propre Galopa, mais comme elle n'était ni Sainte Garde, ni écuyère, elle n'avait pas le droit d'avoir une de leurs montures. Mais ça ne semblait pas la gêner, car la jeune fille arrivait à suivre l'allure des Galopa sans trop s’essouffler, avec un enthousiasme débordant. Garneth n'était pas trop surpris ; depuis qu'il connaissait Spinellie, il savait qu'elle possédait des capacités physiques tout à fait étonnantes. Il s'amusait donc de l’ébahissement des autres Saints Gardes, et même des Galopa eux-mêmes, qui voyaient une adolescente humaine rester à leur niveau à pied.
- Ils est là ! Cria Karion en désignant une silhouette non loin de la première sortie du tunnel. Ils sont deux autres avec lui. Mais... c'est…
Les cavaliers encerclèrent les trois personnes. L'un d'eux, aux cheveux blonds avec une tenue mélangeant treillis de brigand et plaques d'armure ne devait être que le prince Ametyos, et semblait faire face aux deux autres. Ces deux autres étaient respectivement une jeune femme aux cheveux noirs de jais qui semblaient familière à Garneth, et un homme portant une tenue typique de la noblesse, et dont le visage était connu partout dans le royaume. Garneth en resta coi un moment, avant qu'Alysia n'avance son Galopa et ne s'adresse à l'homme.
- Despero ! Que signifie tout cela ! Qu'est-ce que vous fabriquez ici ?
C'est donc lui, le Cinquième Héros, l'un des plus puissant et dangereux Agent de la Fatalité, songea Garneth en dévisageant cet homme aux cheveux clairs et au visage souriant.
- La même chose que vous je présume, répondit l'Agent. Je chasse les résidus de Karkast.
- Ce n'est pas dans vos attributions ! Le Conseil a donné carte blanche à la Sainte Garde pour sa capture. Vous ne devriez même pas être dehors, Safrania est bouclée !
- En réalité, je viens de rentrer ce soir, et je n'étais pas au courant des derniers événements. Quand je l'ai appris bien sûr, j'ai tout de suite voulu rattraper le prince fugitif, au nom de notre Conseil et pour venger le dojo du pauvre Duancelot.
Alysia expulsa l'air de sa bouche de façon méprisante, et Karion demanda :
- Et c'est ce que vous avez fait ? Le fugitif semble parfaitement libre.
- Nous l'avons rattrapé alors qu'il remontait ce tunnel. Nous l'avons fait prisonniers, mais il s'est quelque peu débattu en sortant. Rien de bien inquiétant ; il n'est pas armé.
Ametyos pointa un doigt furieux vers la Sainte Garde.
- Je mourrai avant de me faire capturer par vous, bande de fanatiques demeurés ! Que ce soit vous autres les grenouilles de bénitiers de Destinal, ou ces idiots d'Agent, c'est pareil pour moi !
- Comme vous le voyez, le prince fait preuve d'une assez mauvaise volonté à l'idée de se rendre, indiqua inutilement Despero.
- Ce n'est plus votre affaire, renchérit Alysia. Nous prenons ce criminel sous notre juridiction, ainsi qu'il l'a été décidé par le Conseil. Je vous conseille de rentrer en ville au plus vite, et soyez assurez que le Seigneur Iskurdan sera informé de votre petite escapade nocturne en dehors de tout cadre légal !
La fille avec Despero parut ne plus pouvoir se retenir, et s'adressa à la Sainte sans mâcher ses mots.
- Si nous n'étions pas intervenus, ce type vous serez passé sous le nez ! Vous croyez qu'il vous suffit d'avoir une belle armure brillante et un titre bidon pour sortir vos menaces ?
Alysia se tourna vers la jeune Adepte, trop surprise par ses paroles pour s'en sentir outrée. C'est en voyant son fouet et son espèce de diadème sur le front que le déclic se fit dans l'esprit de Garneth.
- Ahhhh, je le savais ! S'écria-t-il en pointa la fille du doigt. C'est cette folle-furieuse qui a pris le château royal en otage au Mont Argenté !
Karion reconnut lui aussi son ancienne prisonnière, et lui fit une courbette ironique.
- On se croise beaucoup ces temps ci, chère demoiselle. Et à chaque fois c'est dans la même situation : celle où vous vous trouvez en sous-nombre après avoir largement outrepassé vos droits. Votre petit séjour dans les cellules de notre caserne ne vous a pas suffit ?
Palyne sembla se souvenir sur le coup du sort de son ancien compagnon Jyren, qui avait terminé sa carrière quelque peu rôti après avoir tenté de défier Karion, mais ça ne suffit pas à lui faire baisser son regard, ni même son ton.
- Et toi, le pisse-froid orchidoclaste à la foudre, ça te plaît de prendre de haut les gens en étant justement avec tous tes potes et en tenant une épée légendaire ? Tu as besoin de ça pour te sentir puissant ? Pour compenser la taille de ta queue ?
On aurait pu entendre une mouche voler après ça. Les Saints Gardes étaient au delà de l'outrance, n'attendant qu'un ordre de Karion pour massacrer l'insolente. Mais le Dixième Héros, d'abord surpris, se contenta de rire de bon cœur.
- On m'avait rarement parlé comme ça ! Elle est marrante, cette graine d'Agent.
- Je n'en doute pas, intervint Alysia qui semblait bien moins amusée que son vice-commandant. Et je ne doute pas qu'elle ne perdra pas de sa répartie quand elle passera en procès pour outrage à deux membres du Conseil des Héros. Maintenant, capturez Ametyos Karkast, et si les deux Agents résistent, vous les prenez aussi !
Les cavaliers s'approchèrent encore plus, encerclant totalement leurs cibles. Ce qui ne fut pas du goût de Despero, qui effleura son rubis en collerette, le regard soudain ombrageux.
- Quelqu'un parmi vous aurait donc assez de courage pour poser la main sur moi, le Cinquième Héros et porte-parole du Prédicateur ? Essayez donc…
Cette menace suffit pour faire hésiter la plupart des Saints Gardes. Ils avaient beau être de pieux fidèles de Destinal, ils n'étaient pas sans savoir que s'en prendre à Despero signifierai probablement déclencher une guerre ouverte... en plus de perdre leurs propres vies. Karion approcha son Galopa de celui d'Alysia pour aller lui murmurer à l'oreille, lui prônant sans doute la prudence. La Sainte serra les dents, mécontente, mais ayant conservé suffisamment de sang-froid pour savoir qu'un affrontement avec Despero serait une voie fatale sur laquelle ils ne pourraient pas revenir.
- Je vous le demande une dernière fois, Despero : quittez les lieu avec votre... subordonnée. Rentrez à Safrania. Vous pourrez parler de tout cela avec le Seigneur Iskurdan. Si vraiment vous avez empêcher Ametyos de s'échapper, alors la Sainte Garde le reconnaîtra, si tant est que…
Soudain, sans prévenir, le Galopa de Garneth se cabra et poussa un cri dément, faisant tomber son cavalier.
- Que... balbutia le jeune homme.
Son Galopa prit la fuite sans lui, comme s'il avait la mort au trousse. Et il ne fut pas le seul. D'autre Galopa furent touchés, provoquant un beau désordre parmi les rangs de la Sainte Garde. Comme aucun attaquant n'était visible, il ne faisait aucun doute qu'ils avaient été touché par une quelconque attaque. Et naturellement, tous les regards se portèrent sur Despero, qui avait toujours deux doigts à un centimètre de son Ascacomb.
- Vous osez nous attaquer ?! Rugit Alysia. Avez-vous perdu l'esprit ?!
Mais l'Agent de la Fatalité n'avait pas, en l’occurrence, le visage d'un coupable.
- Ce n'est pas moi ! Se défendit-il.
Mais il aurait pu parler dans le vide. La tension avait été telle que cette soudaine prise de folie de ces Galopa était pour les hommes de la Sainte Garde la preuve de la marque de la fourberie de Despero, et ils commencèrent à pointer lances, arbalètes et arquebuses sur lui. C'est ce moment que choisit Ametyos pour passer à l'action et tenter de fuir entre les rangs des chevaliers, ce qui ajouta encore plus au chaos ambiant. Despero et Palyne n'eurent d'autre choix que de se défendre avec leur Ascacomb pour éviter de se prendre un projectile. Spinellie, qui était resté aux côtés de Garneth, l'aida à se relever.
- Je l'ai vu ! Cria-t-elle pour couvrir le bruit ambiant.
- Vu quoi ?
- Une espèce de chat sombre avec un chapeau de sorcière ! Il a sauté de derrière ton Galopa avant qu'il ne devienne dingue, foi de Monaflemit à taux d'imposition négatif !
Garneth se dit d'abord que c'était encore un des nombreux délires de son amie, avant que cette dernière ne tende soudainement le bras pour désigner une forme sombre qui évoluait au milieu du chaos ambiant, en lançant quelques attaques ci et là pour provoquer encore plus de désordre. C'était clairement un Pokemon, et il semblait vouloir rejoindre le prince.
- ARRETEZ ! Hurla Garneth à l'adresse de la Sainte Garde. C'est ce Pokemon, le coupable !
Évidement, personne ne l'entendit, ou n'en prit compte. Garneth fit signe à Spinellie de le suivre.
- Viens ! On va attraper cette bestiole ! C'est sans doute un complice du prince !
- Oui oui, justificateur Garneth ! Et on pourra même le cuire après !
Tandis qu'ils tentaient de s'approcher de Spookiaou pour lui tomber dessus, Despero, qui bloquait toujours les attaques des Saints Gardes tandis qu'Alysia et Karion tentaient tant bien que mal de faire revenir le calme dans leurs rangs, vit Ametyos s'enfuir. Il lança à Palyne :
- Le prince ! Rattrape-le, et utilise Téléport jusqu'à Lavanville !
Palyne, qui avait commencé à utiliser ses pouvoirs psychiques contre la Sainte Garde, lui cria en retour :
- Je n'ai jamais utilisé cette attaque !
- Les Kadabra l'ont toujours. Elle est forcément stockée dans ton Ascacomb ! Vas-y !
- Mais... et vous ?
- Je cours moins de risque que toi à rester ici. Fais ce que je te dis !
Il fit pleuvoir une nouvelle volée de foudre et de feu sur la Sainte Garde, en prenant bien soin toutefois de ne faire aucun blessés graves. Palyne se lança à la poursuite d'Ametyos. Ce fut Spookiaou qui le rejoignit en premier, en le traitant de tous les noms avant de monter sur son dos et d'utiliser ses attaques Psy et Spectre tout autour d'eux. Ils ne virent pas Spinellie leur tomber dessus. Cette dernière avait carrément sauté sur le dos d'un Galopa pour prendre de l'élan et plaquer Ametyos au sol.
Ils se débattirent un moment, mais la jeune femme semblait bien plus forte physiquement que le prince, pourtant entraîné. Garneth arriva, son épée à la main, en même temps que Palyne. Elle sauta pour empoigner le pied d'Ametyos, et activer son attaque Téléport en songeant furieusement à Lavanville. Garneth arriva dans la mêlée une seconde avant que l'attaque ne s'active. Mais Palyne, ne connaissant pas la façon dont il fallait utiliser cette attaque, maîtrisa mal la distance du saut, d'autant que les attaques Spectre de Spookiaou ajoutèrent des interférences. Au final, les quatre humains et le Pokemon, emmêles dans une lutte à terre, disparurent ensemble dans un flash de lumière, mais pas pour la ville des Agents de la Fatalité.