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Merle Grey de MissDibule



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» Auteur : MissDibule - Voir le profil
» Créé le 06/10/2019 à 17:43
» Dernière mise à jour le 29/11/2019 à 23:41

» Mots-clés :   Aventure   Drame   Famille   Slice of life   Unys

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Prologue: Gunpowder ~ Oriental Beauty
Tout commença le 19 novembre 1899, dans le restaurant La Quantos, à Donnol, capitale de la région de Galar. Un endroit généralement fréquenté par de riches clients qui, ennuyés de leur petite vie facile de nantis, recherchaient constamment un certain exotisme, souvent factice et on ne peut plus éloigné de la réalité, comme c’était le cas ici. Un exotisme inventé de toutes pièces, comme celui de ce restaurant, médiocre adaptation d’un établissement unyssien. Mais si l’on mettait de côté cette pathétique tentative de dépaysement, le restaurant demeurait un endroit agréable, aux mets plutôt plaisants. Du moins, c’était ce qui se disait alors.

Étrangement, ce jour-là, très peu de clients se trouvaient dans le restaurant au moment de l’incident. L’heure peu orthodoxe du drame n’y était probablement pas pour rien : aucun – ou presque – Galarien qui se respecte ne mange à deux heures de l’après-midi. Mais la victime de cette affaire n’était pas originaire de Galar. Il s’agissait d’un citoyen de l’empire sinnohïte, que respectait grandement le royaume de Galar. En effet, Sinnoh, considérée comme la nation la plus florissante au monde, constituait un modèle de modernité pour toutes les autres. Elle était plus avancée que n’importe quel autre pays, autant en termes économique que technologique et scientifique.

Tous les États rêvaient de signer un traité d’alliance avec ce pays si développé, espérant que la lumière qui émanait de lui rejaillirait par la même occasion sur eux. Pour cette raison, le drame de La Quantos était un cataclysme sans précédent pour Galar : un docteur, citoyen de Sinnoh, Shō Gakkō, venait d’être tué par balle dans sa capitale, alors même que les deux pays entraient à peine en pourparlers en vue d’une potentielle signature du sacro-saint traité d’alliance. Il allait sans dire que l’on prit soin de ne pas ébruiter cet incident diplomatique, afin de ne pas réduire à néant non seulement les espoirs de la signature du traité, mais aussi purement et simplement la relation entre les deux pays.

Le but était de résoudre l’affaire le plus vite possible, et surtout, trouver un bouc émissaire sur qui l’on pourrait aisément rejeter la faute. L’heureux élu fut un jeune homme dénommé Herald Wright, âgé d’à peine vingt-trois ans. Pauvre garçon. Si jeune, et déjà pris dans l’inextricable toile des affaires politiques. Bien évidemment, cet homme n’avait rien d’un coupable. Il s’était simplement trouvé là par hasard – au mauvais endroit et au mauvais moment – pour prendre le thé avec son ami de longue date, Justin Fineth.

Car oui, constituer le pastiche d’un restaurant d’Unys n’empêchait pas l’irruption impromptue – mais nécessaire à la survie de tout Galarien – sur le menu, de l’élixir de vie des habitants de ces contrées : le thé. Ainsi, parce qu’il avait eu l’audace de boire un thé avec son ami ce jour-là, parce qu’il avait cru bien faire en allant saluer le docteur étranger Shō Gakkō qui enseignait depuis peu dans son université et surtout, parce qu’il avait eu la mauvaise idée de ramasser un pistolet qui traînait par terre, Herald Wright s’était retrouvé mêlé à une sordide histoire de meurtre, seul contre tous – ou presque.

Par ailleurs, même une fois résolue, l’affaire fut étouffée. Hormis les personnes directement impliquées, pas une âme n’eut vent de ce qui se dit alors entre les murs de La Quantos, le 19 novembre 1899.

*
Herald Wright semblait en proie à la panique, ce qui était parfaitement compréhensible : la quasi-totalité des personnes présentes dans la salle du restaurant La Quantos le pointait du doigt. Qu’il s’agisse de M. La Quantos lui-même, furieux et désemparé qu’un nouvel incident se soit produit dans son établissement, ou bien du serveur, Finn Long, qui avait traîné Wright dans la cuisine dès qu’il avait constaté le meurtre, ou encore des deux témoins, Walter Crouch et Pete Tance, tout le monde l’accusait.

Tout le monde sauf une jeune servante, qui observait la scène de loin sans piper mot, et son collègue majordome, qui campait près de l’entrée, visiblement mal à l’aise à l’idée de se trouver dans la même pièce qu’un cadavre.

Comment ne pas l’être ? Il était indéniable que voir ainsi le corps sans vie du savant sinnohïte, affalé sur sa chaise, était un spectacle à vous retourner l’estomac. Le coup de feu qui avait retenti à peine quelques instants plus tôt résonnait encore dans la tête et les oreilles de tous les concernés. De plus, la vision de la poitrine perforée du docteur leur rappelait, de la pire des manières qui soit, que ce à quoi ils venaient d’assister était bel et bien réel.

Les minutes qui s’ensuivirent furent longues, silencieuses, assourdissantes. Le serveur Long griffonnait sur un bout de papier, en relevant parfois la tête pour embrasser la salle et ses occupants du regard. Il surveillait tout particulièrement Wright, qui semblait tétanisé. Son Pokémon, une petite créature violette qui habitait une théière et flottait dans les airs, se blottissait contre lui pour le rassurer. Un Polthégeist.

À plusieurs reprises, Long vint s’adresser à toutes les personnes présentes, une à une – hormis Wright et La Quantos. Les échanges étaient courts, et effectués à voix basse, même si presque aucun mot n’était prononcé : tout semblait passer par des bouts de papier que le serveur présentait aux témoins.

Ces derniers se contentaient ensuite de rester figés sur place, les yeux dans le vide – revenant malgré eux inlassablement vers le cadavre – comme si l’information de la mort du docteur ne parvenait pas à s’imprimer dans leur esprit.

L’arrivée de l’inspecteur ainsi que de son équipe sur les lieux du crime fut un réveil brutal et abrupt. À peine les témoins eurent-ils le temps de voir une rafale de tissu vert passer devant eux, que déjà l’inspecteur entamait son interrogatoire. Bourru et direct, il ne s’embarrassait pas de formalités : « que personne ne bouge ! Police de Nanteos Yard ! » hurla-t-il en ouvrant violemment la porte du restaurant, son pistolet dans les mains.

De toute façon, tout le monde était bien trop sous le choc – autant à cause du meurtre que de cette spectaculaire entrée – pour oser bouger le moindre muscle. Même Long s’arrêta de fureter à l’issue de cette arrivée fracassante. Voyant que personne ne réagissait, l’inspecteur prit les devants : « Tobias Gregson, inspecteur de police. On m’a fait venir car le meurtre d’un étranger sinnohïte a été signalé dans cet établissement. Je suppose qu’il s’agit de ce corps, là-bas ? »

Le ton clinique et froid de l’inspecteur glaça le sang de l’assemblée. En effet, cette dernière n’était que peu habituée à entendre parler de meurtres de façon si détachée. Pendant ce temps, ses hommes se déployaient déjà pour faire leurs prélèvements. Le court silence fut rapidement brisé par une petite voix qui retentit tout à coup, peu assurée. C’était celle de M. La Quantos :

« Euh… o-oui, en effet, inspecteur Gregson. C’est moi qui vous ai fait venir. Voyez-vous, il s’agit de mon établissement, et…

— Vous n’en êtes pas à votre coup d’essai, si ma mémoire est bonne, le coupa Gregson sans la moindre diplomatie. De nombreux incidents nous ont déjà été signalés dans cette gargote. Un vrai nid à problèmes ! »

À ces mots, le propriétaire des lieux s’empourpra violemment. Le visage déformé par la colère – ou la honte ? – il voulut dire quelque chose, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge ; il déglutit finalement et se tut, piqué au vif.

« Bien, nous n’avons vraiment pas de temps à perdre, ajouta Gregson. Cette affaire implique un étranger, sinnohïte qui plus est ! C’est donc un très grave incident diplomatique, que nous nous devons de résoudre au plus vite, afin de ne pas entraver la signature du traité d’alliance ! »

Tout le monde le regardait s’affairer sans oser dire un mot. Il commençait déjà à examiner le corps du défunt docteur sous toutes les coutures. Après quelques minutes d’observation, il se redressa brusquement et dit :

« Je vais tous devoir vous interroger. Merci de rester là où vous êtes et de coopérer. »

Il fit décliner à chacun son identité, puis entama ses interrogatoires. Il commença par questionner La Quantos : l’entretien fut rapide, car le propriétaire n’était même pas dans la pièce au moment du meurtre. Puis ce fut le tour de la servante et du majordome, qui n’avaient rien vu non plus : occupés à leurs tâches respectives, ils avaient simplement entendu le coup de feu. Vinrent ensuite les déclarations du serveur, Finn Long, et des deux clients qui avaient assisté à la scène, Walter Crouch et Pete Tance.

« Le meurtre a eu lieu il y a environ une demi-heure. Le docteur déjeunait seul à cette table, et lorsque cet homme, M. Wright, est venu le voir, un coup de feu a retenti. J’ai immédiatement appréhendé le suspect, qui se tenait devant le corps, un pistolet à la main, et je l’ai enfermé dans la cuisine.

— J-je confirme ! s’écria précipitamment Walter Crouch d’une voix mal assurée. Il était s-seul !

— Tout ce q-qu’il y a de plus s-seul ! » renchérit Pete Tance.

L’homme en uniforme militaire et le vieillard semblaient très peu sûrs d’eux. Wright savait exactement pourquoi :

« C’est faux ! s’écria-t-il. Il y avait une femme avec lui ! Il ne déjeunait pas seul ! ».

À ces mots, les deux témoins commencèrent à rire, d’un rire qui sonnait faux :

« Tu perds les pédales, gamin ! s’exclama Crouch, le militaire. Y’avait pas de femme !

— C’est vrai ! S-sinon pourquoi il n’y aurait qu’un couvert sur la table ? demanda le vieux Pete Tance.

— Mais… commença Wright.

— Je suis navré M. Wright, fit Long en secouant la tête, mais ces messieurs ont raison : j’ai mis le couvert sur cette table moi-même, pour une seule personne seulement.

— Ouais, donc, y’avait pas de femme, conclut Gregson. Juste l’accusé qui essaie de s’en tirer avec un pitoyable mensonge. Tous les mêmes… »

Wright se contenta de baisser la tête en guise de réponse. Satisfait, Gregson se tourna à nouveau vers les témoins pour les interroger :

« Avez-vous précisément vu le moment où la victime s’est fait tirer dessus ?

— Malheureusement non. Je me trouvais dans la cuisine à ce moment-là, expliqua le serveur.

— Hum… En fait j-je… je cherchais quelque chose sous la table… Donc euh… je n’ai pas vraiment vu, non… Désolé, inspecteur. » déclara Pete Tance, honteux.

L’inspecteur soupira avant de se tourner vers Walter Crouch :

« Et vous, Monsieur Crouch ?

— Bien sûr que j’ai vu cet odieux, ce terrible acte ! Lorsque ce jeune homme s’est approché du docteur, il a ramassé un pistolet et lui a tiré dans le dos, de la façon la plus traîtresse qui soit ! déclama Crouch.

— Enfin quelqu’un qui a vu quelque chose de décisif ! » s’exclama l’inspecteur, ravi.

Au même moment, un membre de l’équipe d’investigation scientifique s’approcha :

« Euh… chef ? dit-il, hésitant.

— Quoi ? demanda Gregson en haussant le ton. Vous ne voyez pas que je suis occupé ? le réprimanda-t-il.

— Euh, si, bien sûr chef, mais euh… Je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre la déclaration du témoin et remarquer une… euh… une contradiction par rapport à ce que nous avons constaté sur la scène du crime.

— Comment ça ? demanda l’inspecteur, sourcils froncés.

— Eh bien euh… Comment dire… la balle n’a pas touché la victime dans le dos, mais dans la poitrine… affirma-t-il.

— Vraiment ? Vous en êtes certain ?

— Absolument, chef ! Nous en sommes sûrs car la balle n’a pas totalement traversé son dos.

— Hum… Bon travail. Merci de m’avoir prévenu.

— À votre service, chef ! »

Cependant, cette nouvelle information était loin de faire plaisir à l’inspecteur. Il fronça à nouveau les sourcils, croisa les bras et s’adressa à Crouch d’un ton sans réplique :

« Vous avez entendu cet homme comme moi. Alors, toujours aussi sûr de ce que vous avancez ? »

— Euh… Pour tout vous dire, pas vraiment… En fait, il se peut que ce soit mon steak qui ait retenu mon attention au moment du meurtre » admit le militaire.

L’inspecteur Gregson plaqua sa main sur son visage et soupira à nouveau. Finn Long, le serveur, intervint alors :

« Tout cela ne change rien à la situation, inspecteur : il ne peut y avoir qu’une seule conclusion. Si tout le monde ici présent a un alibi, alors seul ce jeune homme, qui plus est se tenait juste devant le docteur, un pistolet à la main, peut être le coupable. Pour rendre la situation parfaitement limpide, j’ai même fait un plan de table sur ma carte, indiquant la position de chacun au moment du meurtre.

— Puis-je voir ce plan ? demanda soudainement Herald Wright.

— Pas question ! On ne laisse pas le principal suspect accéder aux preuves grogna » Gregson.

Long parut soulagé par cette réponse, mais Wright n’avait pas dit son dernier mot :

« Le principal suspect peut-être pas, mais son avocat, oui ! Je compte bien assurer ma propre défense lors de mon procès. Et si vous m’interdisez le droit d’accéder aux preuves maintenant, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour retarder ce procès le plus longtemps possible. Ce qui ne serait pas bon pour le futur traité de Galar avec Sinnoh, n’est-ce-pas ? »

Un court silence suivit cette déclaration. Gregson marmonnait dans sa barbe, l’air extrêmement mécontent. Puis il dit enfin, d’un ton râleur :

« Bon, très bien, vous pouvez regarder le plan. Mais vous n’avez pas intérêt à l’abîmer ! M. Long, donnez-lui votre plan.

— M-mais… commença celui-ci, visiblement mal à l’aise.

— Un problème ?

— Non, aucun. » affirma le serveur en tendant sa carte à Wright.

Son visage semblait pourtant dire tout le contraire. Wright se mit alors à observer la carte où était dessiné le plan. Gregson décida alors d’aller voir son équipe pour savoir s’il y avait du nouveau. Un de ses hommes lui répondit :

« On a trouvé ça dans la poche de la victime, chef. C’est un rapport médical. Apparemment, il a mangé tard parce qu’on lui a extrait une dent entre midi et une heure.

— Je ne vois pas le rapport avec le meurtre, lui assena son chef.

— Moi j’en vois un évident, intervint Wright. Laissez-moi voir ce rapport médical, s’il vous plaît.

— Hpmf, allez-y puisque vous vous croyez si malin ! » le défia Gregson en arrachant des mains de son subordonné le dossier médical pour le lui tendre.

Wright s’en saisit et le parcourut rapidement des yeux, sous le regard de tout le monde :

« C’est bien ce que je pensais.

— Ah oui ? Et vous pensiez quoi ? s’impatienta l’inspecteur.

— Le docteur n’était pas seul à table.

— Bien sûr. Et vous pouvez déduire cela de ce seul document, cela va de soi, ironisa Gregson.

— Oui. Il est stipulé ici qu’après l’extraction de sa dent, le docteur n’avait pas le droit de manger de nourriture solide avant au moins trois heures. Or le meurtre a eu lieu à deux heures. Il ne pouvait toujours pas manger à ce moment-là. Je pense qu’il est raisonnable de croire, étant donné le fait que nous avons affaire à un docteur, qu’il ne serait pas allé à l’encontre de cette prescription médicale. Par conséquent… Le steak qui se trouve sur cette table, à la lumière de ces nouvelles informations, ne peut signifier qu’une chose : juste avant son meurtre, le docteur était accompagné de quelqu’un – la personne qui commandé ce plat, et donc la femme que j’ai vue ! »

Un court silence suivit cette déclaration empreinte de logique et de déduction. Gregson semblait encore plus morose, si tant est que cela fût possible ; Long, Tance et Crouch, eux, étaient livides. Puisque personne ne réagissait, Wright continua :

« Ainsi, il apparaît que mon témoignage devient tout à fait valable : le fait qu’une femme était en train de manger avec le docteur Gakkō est très probable. Cependant, par la même occasion, cela rend vos trois témoignages plus que contestables ! argumenta-t-il avec force en pointant les trois témoins du doigt. Peut-être serait-il bon de vous rappeler, poursuivit-il, que cette affaire est non seulement une affaire de meurtre, mais également un incident diplomatique : de ce fait, tout parjure sera puni avec une sévérité aggravée par notre Cour Royale. J’espère que vous êtes prêts à en assumer les conséquences… »

Tance et Crouch réagirent au quart de tour :

« Quoi ? Mais… mais… attendez ! On a simplement témoigné comme on nous l’a ordonné ! s’écria Walter Crouch.

— Absolument ! assura Pete Tance. On devait témoigner en faisant attention à dire que la jeune femme ne s’était jamais trouvée sur… Euh…

— Pardon ? « La jeune femme » ? Voilà qui est intéressant. Alors vous avez bel et bien vu cette femme. Quelqu’un vous aurait-il muselés ? » questionna le jeune Herald Wright.

La tension était presque palpable dans l’étouffante salle de réception du restaurant La Quantos. Tous semblaient retenir leur souffle. Wright continua :

« Oui, bien évidemment, répondit-il pour lui-même. Et je sais parfaitement qui. » affirma-t-il.

À ces mots, il brandit le plan griffonné par Finn Long :

« Ce n’est pas très malin, d’avoir esquissé votre plan de table sur votre carte de visite, détective Long. »

Ce dernier fut lors pris d’une violente quinte de toux. Lorsqu’elle se fut enfin calmée, Long s’inclina et dit :

« Je suis impressionné, M. Wright. Vous m’avez percé à jour. En effet, je vous le concède, ce n’était pas très prudent de ma part.

— Donc vous êtes vraiment détective ? Vous êtes le collègue de M. Gregson ? s’enquit Wright.

— Oui, répondit-il en hochant de la tête. Mon poste de serveur ici n’était qu’une couverture pour enquêter sur les divers incidents s’étant déjà produits dans cet établissement.

— Hmpf, merci pour la discrétion, Long, commenta, Gregson, visiblement agacé.

— Et donc ? Vous admettez désormais qu’une femme se trouvait bien à la table de M. Gakkō ? demanda Wright à Long.

— Oui. En effet, vous aviez raison. Une femme se trouvait bien sur les lieux du crime, avoua Long.

— Pourquoi avoir caché ce fait ?

— Parce qu’on me l’a ordonné. Lorsque j’ai découvert le crime, je vous ai enfermé dans la cuisine, mais j’ai bien sûr également retenu la jeune femme. J’ai ensuite envoyé un message expliquant la situation à Nanteos Yard grâce à mon Natu afin de déterminer la marche à suivre. Mes supérieurs ont été clairs : je devais libérer la jeune femme, expliqua Long.

— Mais pourquoi ? voulut savoir Wright. C’est une suspecte !

— Mais c’est aussi une sinnohïte. Comme le docteur. Flairant le double incident diplomatique – le meurtre d’un sinnohïte dans notre pays dont on accuserait également une sinnohïte ce serait une catastrophe deux fois plus dévastatrice pour Galar – Nanteos Yard a pris les devants, et m’a ordonné de libérer la femme, ainsi que d’effacer les traces de sa présence.

— Une jeune femme sinnohïte comme le docteur, qui en plus de cela le connaît suffisamment pour déjeuner avec lui ? Hm… Ne serait-elle pas l’une des étudiantes étrangères que mon académie, celle où enseignait le docteur, accueille en ce moment ? se demanda soudainement Wright.

— Si, vous avez raison, confirma Long, il se trouve qu’elle est étudiante en médecine auprès du défunt docteur. Et vous avez également raison sur un autre point : il subsiste une grande part d’ombre dans cette affaire. Les témoignages n’ont rien donné de concluant, et il apparaît que convoquer cette jeune femme est nécessaire au bon avancement de l’enquête.

— Mais enfin, Long, vous venez de le dire vous-même, on nous a ordonné de la laisser en-dehors de tout ça ! Je ne veux pas être viré, moi ! intervint brusquement Gregson.

— Eh bien, nous n’aurons qu’à dire que c’était mon initiative, voilà tout, dit-il d’un ton déterminé. Je crois dur comme fer à la compétence de notre équipe de police galarienne. Laissez-moi simplement quelques instants pour arranger la venue de notre femme-mystère. Elle se nomme Sasha Tsujin, et réside dans les dortoirs de l’université Oxbridge. »

Ainsi, envers et contre tout avis contraire, – en particulier celui de Gregson, qui ne cessait de grogner et de pester contre son collègue – Long envoya l’un des membres de l’équipe de police déployée sur les lieux chercher Sasha Tsujin. Une longue demi-heure passa alors dans un silence relatif, entrecoupé de quelques discussions intempestives, même si globalement personne ne semblait d’humeur à discuter de façon légère. Et pour cause, un cadavre trônait toujours au centre de la pièce.

Les deux policiers investiguaient le corps chacun de leur côté, tandis que Wright semblait réfléchir intensément. La pièce était chargée d’une tension insoutenable, d’une pression étouffante. On campait sur ses positions, si on en avait, ou bien l’on se contentait de se taire. L’indicible restait coincé dans la gorge et liait amèrement la langue.

Elle arriva enfin, après une interminable attente. La femme fantôme. Sasha Tsujin. Précédant l’officier qui l’escortait, elle jeta dédaigneusement son sac de soie rose dans les bras du majordome tétanisé en entrant dans la salle. Ce fut comme une apparition. La femme sinnohïte dans toute sa splendeur. Petite, mince, fine. Cheveux noirs, soyeux, coiffure sophistiquée. Kimono bleu paon parfaitement ajusté. Le regard caché sous un masque rouge et blanc de renard. Éventail blanc à motif floral.

Tous se figèrent à la venue de cette étrangère si exotique, mais si somptueuse. Elle dégageait une aura d’élégance assez exceptionnelle. Dès qu’elle fut entrée, elle s’inclina poliment pour saluer l’assembler et dit :

« Me voici, comme convenu. Pourquoi m’avoir fait revenir dans ce funeste lieu ? »

Il n’y avait pas la moindre once d’accent dans sa voix lorsqu’elle s’exprimait en Galarien.

Un murmure d’étonnement parcourut la salle.

« Vous parlez le Galarien, Mlle Tsujin ? s’enquit l’inspecteur Gregson.

— Bien sûr, répondit-elle avec assurance. Quel genre d’étudiant part à l’étranger sans connaître la langue locale ? Cependant, le Sinnohïte demeure bien sûr la plus belle langue du monde, et il m’est avis qu’une Dame ne devrait s’abaisser à converser dans une langue étrangère avilie qu’en cas d’extrême nécessité. »

Un lourd silence suivit cette déclaration. L’atmosphère commençait à se charger d’électricité.

« Hum, oui, et bien c’est le cas ici, reprit Gregson, car comme vous le savez, un meurtre a été commis ici il y a peu, et les éléments que nous avons trouvés jusque-là nous ont guidé jusqu’à vous. Nous espérions que vous pourriez nous apporter quelques réponses supplémentaires, gente demoiselle.

— Oh ! Serais-je considérée comme suspecte ? s’émut-elle en se cachant derrière son éventail.

— Non, non, non, bien sûr que non, ma chère ! Nous souhaitons simplement vous poser quelques questions sur ce que vous avez vu, rien de plus.

— Oh. Eh bien, c’est difficile pour moi de me rappeler ces horribles événements, mais je veux bien essayer.

— Nous vous en sommes infiniment reconnaissants. »

La jeune étrangère prit alors une profonde inspiration et entama son témoignage :

« Eh bien… Aujourd’hui, j’ai rejoint feu le docteur pour un déjeuner plutôt tardif. Je savais qu’il ne pouvait rien manger de solide à cause de l’extraction de sa dent, j’ai donc commandé un beefsteak pour moi-même.

— Je suppose donc que le docteur n’a rien consommé du tout ? voulut savoir Wright, qui était resté silencieux jusque-là.

— Si, répliqua sèchement Sasha Tsujin en le toisant. Nous avons pris le thé ensemble. Il ne pouvait rien manger, mais il pouvait au moins boire.

— Le thé ? Mais alors… pourquoi n’y a-t-il qu’une seule tasse sur cette table ? demanda-t-il en désignant la table du meurtre. En effet, une tasse manquait à l’appel.

— Oh, cela… J’étais si choquée par cet horrible spectacle, voyez-vous, que j’ai glissé ma tasse dans le sac à main que je portais alors. Oui, j’ai caché ma présence, de façon irrationnelle… J’avais, oh, tellement peur d’être mêlée à toute cette histoire, voire pire, accusée !

— Vous portiez… un sac à main ? répéta Wright. Et on vous a laissé partir avec la tasse ? Mais alors, qui ne dit pas que vous n’aviez pas une arme à feu dans ce sac à main ?

— Laissez-moi vous expliquer, intervint soudainement le détective Long. Avant de la laisser partir, j’ai bien observé son sac à main. J’en ai même pris une photographie, que voici. »

À ces mots, le détective présenta à tous la photographie – cette technologie nouvelle si révolutionnaire – du sac. Et tous purent constater qu’il était impossible d’y « cacher » le moindre pistolet… Ni plus ni moins car l’une des faces du sac était constituée d’un filet de mailles, ce qui rendait le contenu de sac apparent, et ce dernier ne contenait, en effet, que la tasse manquante. Derrière le sac, il était possible d’apercevoir la main de la victime, qui pendait misérablement.

La vue de la photographie sembla grandement démoraliser Wright, qui ne savait plus par quel bout prendre cette affaire de meurtre dont il était le principal suspect :

« Je ne comprends pas… Si ce n’est pas moi qui ai tiré, alors c’est forcément le vrai coupable… et le vrai coupable, ça ne peut être qu’elle ! Elle devait avoir un pistolet avec elle ! » marmonna-t-il dans sa barbe de façon quasi inaudible.

Les yeux rivés sur la photographie du sac à main, l’air extrêmement concentré, il paraissait bien déterminé à y trouver une preuve de son innocence. Quand soudain, son visage s’éclaira. Il se précipita vers le corps, mais l’équipe d’investigation scientifique l’en empêcha quasiment immédiatement :

« Vous n’avez pas le droit d’accéder au corps, monsieur, nous sommes en train de faire nos prélèvements, lui dit l’un des scientifiques.

— Avez-vous remarqué la brûlure que le docteur a au poignet ? » leur demanda-t-il brusquement.

Les membres de l’équipe scientifique s’entreregardèrent, embarrassés, puis jetèrent un œil à l’inspecteur Gregson, l’interrogeant du regard :

« Vous pouvez lui répondre, au point où on en est… dit l’inspecteur en soupirant.

— Bien reçu, reprit l’un des scientifiques. Il se trouve que vous avez raison, monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers Wright. Le docteur a en effet été brûlé. Nos analyses ont montré que, pour s’être brûlé ainsi, il a dû presser son poignet sur une surface à 90° Celsius, pendant environ trois secondes.

— Cela a dû être très douloureux. Sait-on quand et comment le docteur s’est brûlé ? demanda Wright.

— Non, nous savons seulement que la brûlure est plutôt récente, répondit le scientifique.

— Laissez-moi voir le corps ! » s’écria à son tour soudain Finn Long.

À ces mots, l’équipe scientifique s’écarta immédiatement pour laisser passer le détective. Le regard de ce dernier se posa d’abord sur le poignet de la victime, puis sur l’assiette de Sasha Tsujin.

« C’est ici même que le docteur s’est brûlé. La marque à son poignet est la réplique exacte de l’emblème de La Quantos. Celui-là même… qui est gravé sur les assiettes. M. Gakkō s’est brûlé avec l’assiette de Mlle Tsujin, débita alors le détective d’une traite. »

Tout le regardait d’un air choqué. Personne ne semblait avoir anticipé une telle nouvelle.

« C’est très étrange… ajouta Long, l’air pensif.

— Que voulez-vous dire, détective ? s’enquit Wright.

— Comme vous l’avez dit vous-même, une telle brûlure a dû être extrêmement douloureuse. Et il est impossible qu’une telle douleur ne provoque pas un violent cri de la part de celui ou celle qui en est victime. C’est un réflexe inévitable.

— Continuez… l’encouragea Wright, qui semblait suspendu à ses lèvres.

— Or, nous venons de prouver que c’est ici même, dans cette salle, que le docteur Shō Gakkō s’est brûlé. Et pourtant… Aucun des témoins ici présents n’a entendu de cri. »

Il tourna le regard vers les autres témoins, qui approuvèrent tous ses dires : personne n’avait entendu de cri.

« Maintenant, bien sûr, demeure une question cruciale : pourquoi n’avons-nous pas entendu le docteur crier ? » reprit Long.

Les yeux exorbités, Herald Wright faillit s’étouffer en voulant répondre :

« Attendez, vous voulez dire que…

— Oui, je pense que vous êtes arrivé à la même conclusion que moi, M. Wright. La raison pour laquelle nous n’avons pas entendu de cri est très simple…

— Le docteur était déjà mort lorsqu’il s’est brûlé !

— En effet » confirma Long.

Un long silence suivit ces déclarations, quand soudain, un rire clair et joyeux s’éleva dans l’assistance.

« Vous m’amusez beaucoup, vous, les Galariens. Vous vous appesantissez sur des détails insignifiants. Expliquez-moi donc, en quoi savoir que le docteur s’est brûlé après sa mort change quoi que ce soit ? En rien. Vous perdez votre temps, et le mien également. Vous devriez arrêter tout ça et mettre en prison cet homme tant qu’il en est encore temps, détective. De toute façon, votre police sous-développée ne peut plus produire de preuves. Alors peut-être serait-il temps de lâcher l’affaire, ne croyez-vous pas ? »

Tous les regards se tournèrent alors vers celle qui venait de parler. Elle souriait de toutes ses dents, pas peu fière d’elle. Sasha Tsujin.

« Elle n’a pas tort, Long, on piétine, là… Le gouvernement ne va pas être content si l’affaire traîne… fit valoir Gregson.

— Comment pouvez-vous dire cela, inspecteur Gregson ? s’indigna son collègue. Elle n’a pas tort ? Vous allez la laisser insulter le travail de nos honnêtes coéquipiers, ainsi que le nôtre ? Je ne peux pas laisser passer cela. Je ne comptais pas utiliser cette preuve contre vous, car on me l’avait interdit, mais vous ne me laissez pas le choix, Mademoiselle. Vous pensez que je ne peux pas produire plus de preuves ? Détrompez-vous. En voici une, et de taille ! »

Joignant le geste à la parole, il extirpa de sa sacoche une théière qu’il présenta à la vue de tous.

« Voici la théière qui a été utilisée lors du dernier repas de la victime, en compagnie de Mlle Tsujin ! s’exclama-t-il.

— Quels vains efforts. Vous ne pourrez rien prouver du tout avec cette pauvre théière. À moins que notre avocat de pacotille là-bas nous fasse une déduction farfelue prouvant que cette théière a un lien quelconque avec le meurtre ? » le nargua Tsujin en désignant Wright du menton.

Ce dernier semblait réfléchir à toute vitesse. Il s’exclama alors sans crier gare :

« Du poison !

— C’est exactement ce que j’ai pensé également, lui apprit Long, l’air grave. C’est pourquoi j’ai envoyé mon Natu porter un échantillon de ce thé au laboratoire pour des analyses. Nous verrons ainsi si notre théorie est exacte : si le docteur est mort à cause d’un poison mis dans son thé, alors il ne peut y avoir qu’une seule coupable…

— Quelle insolence ! s’indigna Tsujin. Si du poison avait été glissé dans cette théière, alors celui qui l’a apportée à notre table devrait aussi être considéré comme suspect ! C’est-à-dire vous, monsieur le « détective ».

— En effet, je crains que vous n’ayez raison… » s’inquiéta soudainement ce dernier.

Un court silence s’installa. Toute la salle semblait prise dans une toile de pensées inextricables. Quand soudain, la porte s’ouvrit à la volée, révélant un homme qui portait une enveloppe à la main :

« Détective Long, ici officier Meekins ! J’apporte les résultats du test que vous aviez demandé ! J’ai fait aussi vite que j’ai pu, monsieeeeur ! »

Sa voix était ridiculement forte, et ne manqua pas de faire sursauter tout le monde, encore plus que son entrée fracassante. Seul le détective resta de marbre, probablement habitué. Il intima à son subordonné de lui donner les résultats immédiatement. Meekins s’exécuta, et donna l’enveloppe au détective, qui lut à voix haute son contenu :

« Les résultats d’analyse du thé n’ont révélé aucune trace de poison connu. »

Un silence lourd et pesant suivit cette déclaration. Mais il fut bientôt brisé par un nouvel éclat de rire, bien plus sonore qu’auparavant : celui de Sasha Tsujin.

« Eh bien, comme je l’avais prédit, vous ne pourrez rien prouver à l’aide de cette théière. Rien du tout ! insista-t-elle.

— « Aucun poison connu » ? Mais alors, peut-être qu’elle a utilisé un poison inconnu à Galar… Cela expliquerait pourquoi il n’a pas été détecté… Non ? suggéra Wright, la voix brisée.

— Sans doute, mais dans ce cas je ne vois pas comment nous pourrions prouver que cette théière contient du poison… répondit Long, l’air tout aussi abattu.

— Ugh, vous êtes tenaces, vous ! soupira Tsujin. Vous savez quoi ? Je suis prête à mettre vos allégations au défi. Servez-moi un peu de ce thé, et je consentirai à le boire. Après quoi nous verrons bien si je mords la poussière de la même façon que notre regretté docteur !

Wright et Long s’entreregardèrent, flairant le piège. Mais avaient-ils d’autre choix ? Gregson, lui, tenta de s’y opposer, craignant probablement de se retrouver avec un deuxième cadavre sinnohïte sur les bras, ce qui ferait définitivement s’effondrer la politique extérieure de Galar comme un vulgaire château de cartes. Mais Sasha Tsujin finit par obtenir gain de cause, et on alla lui chercher un verre de la cuisine, dans lequel on versa un fond de thé.

Les regards rivés sur elle, elle but le thé d’une traite puis afficha un sourire triomphant. Quelques secondes passèrent. Puis une minute entière. Puis deux. Rien ne se produisit. Sasha Tsujin était encore parfaitement vivante, un sourire narquois plaqué sur son visage masqué. Un long silence, plus long encore que tous ceux ayant déjà marqué cette sinistre affaire de meurtre s’installa dans la pièce suffocante plongée dans les ténèbres.

Tous semblaient comme figés. Beaucoup de mines abattues. Une mine réjouie. Un triste tableau. Le temps s’était comme arrêté.

Et, alors que toute l’attention était concentrée sur une sournoise étrangère, personne ne remarqua une jeune servante qui s’avançait dans l’ombre. Une jeune servante qui était pourtant là depuis le début. Une jeune servante qui avait assisté à toute la scène, écouté tous les témoignages, analysé toutes les hypothèses. Sûre d’elle, la jeune femme se dirigea vers son collègue le majordome. Sans le consulter, elle lui prit des mains le sac en soie rose que Sasha Tsujin lui avait « confié » en arrivant et se mit à le fouiller.

Le temps reprit brusquement son cours.

« Hé ! Mon sac ! Qu’est-ce que cette domestique est en train de faire ? Arrêtez-la immédiatement ! » rugit soudainement Tsujin en la voyant faire.

Les regards se tournèrent immédiatement vers la jeune servante.

Les regards se tournèrent immédiatement vers…

Moi.

Cette jeune femme, c’était moi. Et c’est à ce moment-là que je suis véritablement entrée en scène pour jouer mon tout premier rôle : celui de clore la pièce une bonne fois pour toutes.

Le premier rôle de l’acte final : celui où j’ai enfin démasqué Sasha Tsujin. Comment ai-je réussi ? Eh bien… Essentiellement grâce à la chance, ainsi que l’extraordinaire travail de déduction de Wright et Long. Ils avaient déjà presque tout résolu par eux-mêmes. Mais mon intervention a permis de briser les dernières chaînes qui retenaient le pauvre Herald Wright prisonnier, et c’était, ma foi, tout ce qui comptait.

J’avais longuement écouté les discussions et arguments de chacun. Je n’avais pas forcément toute la situation bien en tête, mais j’avais néanmoins compris et assimilé une chose essentielle : cette Sasha Tsujin était intelligente. Elle avait très bien calculé son coup. Mais elle n’avait pas prévu d’être à nouveau convoquée ici. Cela avait dû la mettre en panique lorsque l’officier était venu la chercher.

Je m’étais alors dit que, si elle avait bel et bien empoisonné le docteur avec un poison inconnu à Galar comme le suggéraient Long et Wright, elle devait forcément être en possession d’un certain nombre de documents liés à ce poison, ce qui semblait logique, en tant qu’étudiante en médecine. Et que, si c’était effectivement le cas, elle avait dû avoir peur. Peur qu’on fouille sa chambre en son absence. Qu’on découvre ses notes.

C’est pourquoi, à ce moment précis, j’avais tout misé sur ce coup de bluff : j’espérais que la peur l’eût poussée à prendre ses notes avec elle. Bien sûr, rien ne garantissait que j’eusse raison. La façon dont elle avait nonchalamment jeté son sac dans les mains de mon collègue à son arrivée ne m’aidait pas à croire en ma théorie… Au début. Car, à force d’observer ses réactions, j’ai bien vu qu’elle jetait des regards furtifs à son sac en permanence, ce qui avait éveillé ma curiosité.

J’avais alors vu clair dans son jeu : elle jouait la comédie. Tantôt fragile, tantôt dure à cuire. Aimable d’un côté, incisive de l’autre. Elle avait fait mine de se débarrasser négligemment de son sac pour masquer le fait qu’il était en réalité au centre de ses préoccupations. C’était cela que j’avais remarqué, et pas mes alliés, trop concentrés sur le meurtre en lui-même. Ils ont réfléchi et déduit, j’ai observé et déduit. Et nous sommes arrivés à la même conclusion : cette femme était coupable, bien sûr.

Et, après qu’ils eurent fait leur laborieux chemin jusqu’à l’ultime verrou, j’arrivai enfin avec la clé de ce mystère pour les délivrer.

Il était déjà trop tard pour Sasha Tsujin lorsque celle-ci remarqua ce que j’étais en train de faire – à savoir lire assidûment ses notes de recherche sur un poison nommé curare. Un poison incroyable que celui-ci. D’après les notes de Tsujin, il était extrait du venin d’un Pokémon de Sinnoh qui m’était jusque-là inconnu : Rapion. Apparemment, le curare paralyse les muscles de celui ou celle qui l’ingère, ce qui inclut également les muscles permettant la respiration : la victime finit donc par mourir de suffocation.

C’était ce qui était arrivé au pauvre docteur Shō Gakkō, empoisonné par Sasha Tsujin, sa propre élève. Oh, et, si vous vous demandez pourquoi elle n’a pas eu de problème à boire du thé empoisonné, eh bien, la réponse réside aussi dans les fascinantes propriétés du curare. En effet, celui-ci ne peut agir sur l’organisme qu’en entrant par une plaie – mettons, par exemple, une dent que vous venez de vous faire extraire… Tsujin n’avait aucune plaie, elle n’avait donc rien à craindre en ingérant le poison.

Toujours est-il qu’une fois les notes trouvées et lues à voix haute par moi-même, tout est allé très vite : j’ai communiqué aux hommes de l’équipe scientifique la marche à suivre pour tester la présence de curare dans le thé. Une fois mise face à sa culpabilité, le masque de Sasha Tsujin est tombé pour de bon, au sens propre comme au figuré : nous avons tous pu voir ses yeux exorbités, emplis de fourberie. Elle s’était mise à rire de façon douce et sardonique lorsque l’inspecteur Gregson et le détective Long l’avaient arrêtée.

La pression était enfin retombée. Le pauvre Herald Wright était entièrement lavé de tout soupçon. Toute cette histoire, depuis le début, n’avait été qu’une grande mascarade. Ce n’est cependant que quelque temps plus tard – à l’occasion du procès de Tsujin – que nous apprîmes le fin mot de l’histoire.

En réalité, juste avant le coup de feu, alors que Wright était en train ramasser le pistolet du docteur pour le lui rendre, Tsujin était en train de partir. Voyant Wright comme un bouc émissaire idéal – et bien sûr, également pour l’empêcher de constater que le docteur était déjà mort – elle avait alors sorti son propre pistolet, caché dans son kimono, et avait tiré sur le docteur pour faire accuser le jeune homme.

Voilà pour l’affaire de La Quantos. Cependant, une bonne affaire n’est rien sans un bon épilogue. Heureusement, cette histoire en a un. Juste après l’arrestation de Tsujin, Herald Wright et moi avons échangé quelques mots :

« Je ne saurais jamais comment vous remercier assez, m’avait-il dit avec le plus beau des sourires. Merci, du fond du cœur. Vous n’imaginez pas à quel point je vous suis reconnaissant. Vous m’avez sauvé la vie, madame…

— Merle. Merle H. Lock-Hoss, avais-je répondu en me présentant. Mais je vous en prie, je ne suis qu’une humble servante. M. Long et vous-mêmes méritez tous les honneurs. Vous vous êtes remarquablement bien défendu, M. Wright.

— Non, vous n’êtes définitivement pas une servante ordinaire, m’avait-il affirmé en secouant la tête. Vos dons d’observation sont prodigieux ! Vous pourriez faire une excellente détective !

— Vous me flattez, M. Wright. Mais, maintenant que vous le dites, il est vrai que j’ai remarqué quelque chose…

— Quoi donc ?

— Votre Pokémon. Est-ce bien un Polthégeist ? lui avais-je demandé abruptement.

— Eh bien… Oui en effet, m’avait-il confirmé en caressant la petite tête du Pokémon, recouverte de porcelaine. Pourquoi cette question ?

— Oh, voyez-vous, nous connaissons bien ces créatures nous les membres du personnel hôtelier. Ils sont considérés comme nuisibles, notamment car ils ont la fâcheuse tendance à se démultiplier en déposant un peu de leur thé dans d’autres théières… Je suis étonnée qu’on vous ait laissé entrer avec un tel Pokémon. »

Tout en parlant, je m’étais mise à marcher. Je savais très bien vers où je me dirigeais : le table qu’avaient partagée Herald Wright et Justin Fineth quelques heures plus tôt, juste avant le drame.

« Il est vrai que j’ai fait en sorte de le cacher… Je n’aime pas le laisser tout seul, mais je sais à quel point il n’est pas apprécié des hôtels et restaurants… m’avait-il alors avoué.

— Et on comprend pourquoi ! » avais-je alors déclaré avec un large sourire en m’arrêtant devant la table où se trouvaient encore les deux tasses et la théière.

J’avais alors montré du doigt la théière. Banale et sans intérêt. Wright avait arqué un sourcil :

« Que voulez-vous dire ?

— Regardez mieux. »

C’est là que nous l’avons vu : le couvercle qui se soulevait précautionneusement par à-coups, révélant en de rares occasions deux yeux jaunes perçants : un nouveau petit Polthégeist était né ! J’avais vu le Pokémon de Wright déposer un peu de son thé durant le temps mort où tout le monde attendait l’arrivée tant attendue de la femme-fantôme.

« Oh, je suis sincèrement désolé pour ça… s’était excusé Wright. Je repayerai la théière…

— Haha, mais non, ne vous en faites pas pour ça ! En fait, c’est même à mon tour de vous remercier : je vais enfin pouvoir avoir un compagnon ! J’ai toujours adoré ces petites bêtes, vous savez. Cela me faisait toujours mal au cœur de devoir les chasser.

— Vous voulez dire que vous comptez adopter ce Polthégeist ?

— Oui, s’il veut bien de moi.

— Mais cela risque de ne pas plaire à votre employeur…

— Oh, ça… Ce n’est pas grave, j’en ai assez de ce travail, de toute façon. Je crois que je vais plutôt suivre votre conseil !

— Mon conseil ? Quel conseil ?

— Devenir détective ! »

*
Et c’est ainsi que s’est achevée ma première enquête. Je ne le savais pas encore à l’époque, mais c’est sans conteste cette affaire qui a lancé toute ma carrière de détective privé. Sacré Herald Wright. Il pensait qu’il ne saurait jamais assez me remercier pour ce que j’ai fait pour lui, mais en réalité c’est moi qui ne saurais jamais assez comment le remercier de m’avoir ouvert les yeux sur ma vraie vocation. Depuis ce jour, j’arpente quotidiennement Donnol, sans cesse à la recherche de nouveaux crimes à résoudre, en compagnie d’Earl, mon fidèle Polthégeist.

Bien d’autres affaires m’attendaient encore !

Mais, en attendant, fermons le rideau sur ce qui fut…

La toute première affaire de Merle H. Lock-Hoss.