Chapitre 15 : Sous blocus
An 1685, 18 octobre, 21h30, Mont Argenté, Château Royal de Johkania, quartiers royaux
J'étais en train de dîner tranquillement quand mon valet m'a prévenu que le travail de ma fille venait de commencer. Myrevia allait accoucher. Un non-événement pour moi, mais mon devoir de père et de roi était quand même d'être là quand la princesse allait me présenter son nouveau-né. Ce dernier sera un bâtard, certes, mais ce sera quand même un Karkast. Il aura mon nom, ainsi que mon sang. Mais bon, j'avais quand même pris le temps de finir mon repas avant de me rendre dans les quartiers de ma fille.
Comme j'avais entendu ses hurlements alors même que je n'étais pas arrivé à son étage, je me gardai bien d'entrer dans la chambre maintenant, alors que la sage-femme officiait. Je n'avais jamais été grand fan des naissances, même quand il s'est agi de mes propres enfants. D'autres personnes attendaient devant la porte. Outre les valets et femmes de chambre de ma fille, il y avait Iskurdan, Duancelot, ainsi que la jeune Valrika. Tous s'inclinèrent quand j'arrivai.
- Tu as pris ton temps, me reprocha vertement Iskurdan.
- Un bon dîner est plus important qu'un énième bâtard.
Je n'avais jamais pardonné à ma fille de s'être amourachée de ce vagabond adorateur des Pokemon sans la moindre goutte de sang noble. Il l'a engrossée, puis il a filé, ce vaurien, ayant sans doute eu peur d'affronter ma colère. On aurait facilement pu provoquer une fausse couche, mais mon idiote de fille avait tenu à garder l'enfant. J'aurai pu la forcer bien sûr, mais Iskurdan avait pris sa défense, affirmant que c'était là son seul droit de mère, et que moi, qui avait engendré multitudes de bâtards à travers tout le royaume, était mal placé pour lui reprocher ça. Sauf que moi, j'étais le roi. J'avais tous les droits. Puis Myrevia m'avait supplié, sur l'amour que je portais à sa mère, et j'avais fini par céder. Ces femmes... Elles savaient depuis toujours comment manipuler le cœur des hommes, ces diablesses !
- Myrevia va s'en sortir, hein, Votre Majesté ? Me demanda Valrika, tendue à cause des cris de sa sœur adoptive et meilleure amie.
Je jetai un coup d’œil à la fillette. Non, ce n'en était plus une maintenant. Elle avait treize ans, et quasiment déjà un corps de femme. Et une femme, elle en serait une délicieuse, à en juger par ce que je voyais déjà. Je lui posai une main rassurante sur la tête.
- C'est la le fardeau naturel des femmes à la naissance. Ça t'arrivera sans doute un jour aussi.
Mais moi, je n'avais pas pensé que ça arriverait si tôt pour ma fille. Enfin quoi, elle n'avait que dix-sept ans ! Je n'ai jamais été jusqu'à lui interdire les fols amours de jeunesse, mais qu'une princesse royale se fasse engrosser si tôt par un gueux, c'était une honte pour les Karkast. Qu'aurait dit Elsora si elle avait été encore en vie ? Bah, elle aurait probablement rien dit, affirmant que c'était l’œuvre du destin…
Vingt minutes plus tard, la sage-femme nous invita à entrer. Iskurdan, Duancelot et les domestiques restèrent dehors, laissant la priorité à la famille royale. Valrika n'était pas une Karkast, mais étant ma pupille, elle faisait partie de la famille. Mon fils Kieran se trouvant lui à Azuria pour ses études militaires, il ne pouvait pas être là. Myrevia était en sueur et avait le visage fiévreux, mais c'était avec un grand sourire qu'elle nous accueilli, portant dans ses bras un poupon rose enveloppé de couvertures.
- Père, Valrika, je vous présente mon fils, Ametyos.
Curieuse, Valrika s'approcha et examina le nouveau-né sous toutes ses coutures, comme si elle n'avait jamais vu de bébé de sa vie. Après quoi Myrevia me le tendit, m'invitant à le prendre. J'étudiai le bâtard avec un vague intérêt. Je pouvais déjà voir ses yeux bleus et ses fins cheveux blonds, symboles de ma lignée. Le bébé gazouilla dans mes bras, et sembla même me sourire. Un bâtard, certes... mais ça ne présageait pas de la valeur d'un homme, ça. Ce gosse pourrait devenir quelqu'un. Si Kieran venait à mourir sans héritier, ce serait lui qui hériterait de mon trône, après tout. Je le rendis à sa mère, et je dis :
- Tu as voulu le garder, donc prends tes responsabilités maintenant. Fais-en un digne Karkast, un digne petit-fils du Roi Éternel !
***
Enfoncé sur la banquette en velours de sa diligence, Lord Despero avait l’esprit embrumé. Sa discussion avec le Prédicateur lui avait finalement apporté plus de questions que de réponses, et il devait maintenant se résoudre à lui envoyer son assistant Rufio. Depuis quelques années qu’il l’avait pris sous son aile, Despero avait tissé un vrai lien avec l’aîné de la fratrie Fedoren. Il appréciait énormément son idéal pacifique, bien que parfois un peu naïf. Et surtout, pragmatique, Despero était plus que ravi d’avoir un Fedoren d’une telle efficacité à son service.
Cette simple pensée lui fit caresser la pierre rouge qui ornait son col. Ce magnifique joyau était plus qu’un simple rubis. C’était une Ascaline de Rubis, faite sur mesure par Rufio pour Lord Despero lui-même. Probablement l’Ascacomb la plus puissante faite depuis plusieurs décennies. Lorsqu’il avait vu cette merveille, Despero avait immédiatement compris le potentiel immense qui sommeillait dans le jeune tailleur de pierres. Un potentiel qui avait besoin d’être exploité pour une bonne cause. Sa cause.
Tout cela était terminé maintenant qu’il rentrait à Safrania. Enfin maintenant qu’il aurait dû rentrer. Sa diligence s’arrêta brusquement d’une forte secousse qui ne manqua pas de surprendre l’ancien Duc de Céladopole. Ouvrant la porte, il constata qu’ils étaient arrivés à l’entrée de la ville de Safrania. Despero héla son cocher.
- Que se passe-t-il ? Pourquoi nous arrêtons-nous ?
- Contrôle de sécurité, par décret du Conseil des Héros, la ville est fermée et soumise à blocus, lui répondit la voix d’un Saint Garde.
Despero plissa les yeux à la nouvelle. Les Gardiens avaient réagit sacrément vite à son absence, pour s’adjuger un contrôle, même temporaire, de la ville. Avec toute sa prestance de noble, il se leva et descendit de son véhicule pour faire faire au Saint Garde. Il arbora son regard le plus hautain possible, histoire de bien lui rappeler qu’il n’était qu’un sous résidu d’excrément de Rattata à côté du Héros. C’est toujours dans ce genre de moments que Despero regrettait d’avoir fait abolir la noblesse.
- Et vous prétendez justement empêcher un des Dix Héros d’entrer, factionnaire ? Dit-il d’un timbre aussi méprisant que glacial.
- Lord Despero ! Je ne vous avais pas reconnu, se lamenta le garde de mauvaise grâce.
- Hors de ma vue, l’urgence de la situation fait que le Conseil requiert mon aide. Fouette, cocher.
Despero se réinstalla dans sa diligence qui reprit sa route, la Sainte Garde ne pouvant décemment pas l’arrêter, bien que ça ne doive pas être l’envie qui leur manquait. Despero n’avait aucune idée de ce que pouvait être l’urgence de la situation au juste, mais il comptait bien découvrir le pourquoi du comment en retrouvant pour la dernière fois son assistant.
Il lui fallut encore une dizaine de minutes pour atteindre ses appartements, au centre-ville. Sur le trajet, il pu admirer avec un intérêt certain le dispositif important d’hommes qui arpentaient les rues. Un quadrillage en bonne et due forme. Lui qui pensait arriver dans une liesse populaire avec une petite odeur de grillade de Karkast mitonné par Valrika, voilà qu’il avait l’impression que l’inquisiteur Bicéphargue lui-même avait pris la tête du conseil, ou presque.
Arrivant devant la bâtisse où il logeait, il descendit de sa diligence, faisant signe au cocher d’attendre en bas. Il leva la tête vers son appartement, avant de voir un objet voler par delà une fenêtre ouverte. Un encrier cassé reposait désormais en paix sur la voie publique. Pris d’une soudaine inquiétude que l’impétueuse sœur de Rufio ait dévasté son intérieur, il gravit les marches quatre à quatre jusqu’à son appartement. Un calme apparent régnait. Il entra discrètement, aux aguets. Tout semblait étrangement calme, la sœur œuvrant sur son établi, lui tournant le dos, et le frère surveillant sa jeune élève au travail. Despero identifia immédiatement la fenêtre ouverte juste à côté de Palyne.
- Doucement avec la meule Palyne, si tu ponces trop fort tu risques de…
- Chiabrena, je sais ce que je fais ! Se plaignit Palyne.
Despero haussa une arcade, surpris de l’agressivité de la jeune femme envers son frère. Il lui avait pourtant semblé qu’elle était plus que gentille avec lui avant de les avoir quitté. Était-ce une dispute entre eux qui avait causé la mort prématurée de son encrier ?
- Navré de vous déranger en plein travail, mais quelqu’un peut m’expliquer ce qu’il se passe en ville ? Et pourquoi j’ai aperçu mon nécessaire d’écriture voler par la fenêtre ?
- Oh, messire, je ne vous avais pas vu rentrer, dit Rufio en s’inclinant, l’air penaud.
Despero retira son manteau et s’approcha, tandis qu’il entendait Palyne baragouiner vaguement un « b’jour », visiblement trop concentrée à ce qu’elle faisait. Elle utilisait une petite meule pour poncer une Ascaline en utilisant des à-coups particuliers, gestuelle que Despero avait déjà pu observer chez Rufio.
- Le Conseil a fait fermer la ville après un incendie qui a ravagé le Dojo des Sceaux de Duancelot, expliqua Rufio. De ce que j’ai compris, leur suspect principal serait Ametyos Karkast en personne. Il aurait même volé quelque chose au sire Duancelot.
Comme Despero avait lui-même été volé par cette graine de Karkast, il n'eut aucun mal à deviner ce qu'il avait pris à Duancelot. Mais ça, Rufio et sa sœur n'avaient pas à le savoir. Les Héros tenaient à rester discret sur le fait qu'ils possédaient les différentes parties du corps de l'ancien roi Zephren.
- Encore ce foutu gamin ! Moi qui pensais revenir et juste découvrir son oncle empaillé par Valrika... Et évidemment les Gardiens profitent de mon absence pour s’octroyer l’enquête à eux seuls. Ils ont même réussi à écarter Valrika on dirait. Sacrée Alysia…
Despero voyait bien le raisonnement du Seigneur Aura Gardien. Il préférait bien sûr que ce soit la Sainte Garde qui se charge de l'affaire plutôt que les Vengeurs, qui auraient eu tôt fait d'instaurer une dictature militaire. Cela étant, ça ne lui plaisait pas quand même. Nukt lui avait expressément demandé de saborder l’autorité d’Iskurdan, et il allait falloir qu’il travaille dans ce sens.
- Mettre la ville en état de siège pour un seul homme est absurde, continua Despero. Ça ne fait que démontrer notre peur et notre vulnérabilité face aux réminiscences de la monarchie.
- Ce ne sera plus un problème quand nous l'auront capturé ou tué, si ? Demanda Rufio.
- Sans doute, soupira le Cinquième Héros en s'essayant sur son canapé. Si toutefois la Sainte Garde y arrive. Ce gosse a déjà démontré plus d'une fois sa capacité à se jouer de nous.
Despero n'arrivait pas à discerner les motivations de cet Ametyos. Pourquoi risquer ainsi sa vie pour de vulgaires membres d'un roi déchu ? Valrika pensait qu'il voulait juste jeter le discrédit sur le Conseil des Héros pour ensuite lancer une révolte et rétablir la monarchie, mais ça ne collait pas. Cet Ametyos avait toujours opéré seul. Il n'avait jamais cherché à s'entourer de soutiens, d'anciens partisans de son grand-père. Il semblait tenir à reconstituer le corps de Zephren. C'était probablement pour l'image, pour offrir à son grand-père de véritables funérailles royales, ou un truc du genre. Mais Despero restait inquiet. Si ça n'avait tenu que de lui, il aurait préféré que le corps du roi soit entièrement détruit. Le fait que ses membres, coupés depuis quatre ans, soient restés en parfait état, était en soi une preuve que la sorcellerie du roi perdurait encore, même après sa mort.
- Et votre rencontre avec le Prédicateur, comment s’est-elle passée ? Demanda Rufio, coupant court aux réflexions de Despero.
- Hein ? Ah oui... Il te demande à ses côtés. Il a un travail important pour toi, m'a-t-il dit. Palyne peut rester ici avec moi.
Rufio allait répondre quand un bruit d’une pierre qui vole en éclats se fit entendre suivit d’un juron plus que coloré sortant de la bouche de la jeune Fedoren. Rufio et Despero se tournèrent vers elle, constatant que son ouvrage était désormais en mille morceaux.
- Chiabrena de chiabrena ! Vous pourriez prévenir avant de dire des trucs pareils, Lord Despero, s’indigna Palyne.
- T’en fais pas petite sœur, je serai vite revenu, tenta Rufio pour la rassurer.
- M’en fiche, rétorqua Palyne en se renfrognant.
- Ne fais pas attendre le Prédicateur, fit Despero. Je vais te faire une lettre avec mon cachet pour que la Sainte Garde te laisse sortir de la ville.
Rufio hocha la tête, tandis qu’il allait préparer ses affaires. Despero, de son côté, se dirigea vers son bureau et en sorti une lettre qu’il commença à rédiger. Le tout à l’aide d’un second encrier de réserve qu’il conservait dans un tiroir sous scellé. Une riche idée. Une demi-heure après, Rufio se présenta avec son sac, prêt à partir. Despero lui remit la lettre cachetée.
- Ma diligence t’attend en bas. Tu peux la prendre. J'espère que le Prédicateur ne te gardera pas trop longtemps. J'ai trouvé notre collaboration des plus prometteuses, sourit-il en tendant la main.
Rufio la serra avec reconnaissance.
- Je vous remercie pour ces années, messire.
- Non, c'est moi, assura Despero en caressant l'Ascaline de Rubis.
Alors qu’il allait partir, Palyne s’approcha de lui, l’air toujours bougon.
- Grand-frère… Arrange toi pour tomber du haut de la tour, lui dit-elle d’un air taquin.
- Je vais surtout ranger l’atelier, je n’ose imaginer dans quel état tu l’as laissé.
Puis il partit. Despero vit en contrebas la diligence se mettre rapidement en route. Il la regarda partir en soupirant, attristé d’envoyer le jeune homme là bas, sentant clairement le coup fumeux de la part de Nukt. Il se retourna vers Palyne, qui le regardait l’air indécise.
- Du coup, c’est moi votre assistante, maintenant ? Si oui, j’ai le droit à la salle de bain ?
- Oui, mon assistante... On va dire ça, confirma Despero. Mais sachez, jeune demoiselle, que mon assistante doit prendre soin de mon mobilier, pas le briser en mille morceaux, entendu ?
Palyne baissa les yeux, vaguement génée.
- C’est de la faute de Rufio, et de sa fiancée à la noix là….
Despero haussa un sourcil. Rufio, fiancé ? Il n’était pas au courant de cela. Pourtant, le jeune homme ne paraissait pas plus doué pour le mensonge que pour les cachotteries.
- Et qui est la fiancée de ton frère, Palyne ? Questionna le Lord, intéressé.
- Ben, cette rouquine avec sa fichue Lamé…
Palyne s'arrêta, semblant se rappeler qu'elle ne devait pas en dire autant. Mais elle en avait assez dit pour Despero. Ce début de description ne pouvait que désigner Lady Aezaline, la fille unique d'Iskurdan, Aura Gardienne comme lui. Voilà une information d’une richesse importante, pour la nouvelle mission de Despero. Importante mais dangereuse aussi. Car si la chair d’Iskurdan se compromettait avec un Agent de la Fatalité, ça pourrait chambouler le paysage politique déjà assez tendu.
- Euh, écoutez… je l’aime pas cette fille. Mais Rufio voulait pas que ça se sache pour le moment.
- C'est fort sage.
- Vous n'allez pas... lui faire du tort à cause de ça, dites ?
- Loin de moi une telle idée. Je ne me permettrai pas de mettre en danger un de nos éléments les plus prometteurs, rassura Despero.
En effet. Hors de question d’être maladroit et d’offrir Rufio et Iskurdan en pâture aux Gardiens. Despero allait devoir réfléchir à un plan pour utiliser cette information au mieux. Il lui fallait du temps. Et d’ici là, il avait quelque chose de plus urgent à traiter.
- Mais revenons à cette histoire de prince en fuite. La première chose que nous allons faire, c’est capturer ce Karkast avant les sbires de Destinal.
- Ah. Et euh... pourquoi ?
- Juste pour embêter Alysia, sourit Despero. J'imagine déjà sa tête au Conseil en apprenant que deux Agents seuls ont pu réussir là ou toute sa Sainte Garde a échoué.
Palyne lui rendit son sourire, soudain enthousiaste. Ce serait certes de l’ingérence de leur part, mais Despero pourrait arguer qu'il voulait se faire justice lui-même après le vol de son manoir. Il voulait surtout interroger le garçon lui-même avant de le remettre au Conseil. Et avec son important réseau d’informateurs, qu’il n’avait jamais mis au service des Vengeurs, Despero aurait tôt fait de retrouver Ametyos Karkast avant tout le monde. Il remit son manteau, équipa sa rapière à sa ceinture et ouvrit la porte, invitant Palyne à le suivre.
- Mettons-nous en chasse, assistante.
***
Spookiaou était nerveux. Pas seulement parce qu’ils étaient recherchés par tout un pays, ça il avait l’habitude. Mais parce qu’il faisait équipe avec un fou furieux à qui il manquait plusieurs cases au cerveau. C’était auparavant un doute, et désormais une certitude. Dans quelle galère s’était encore embarqué le plus grand des bandits à l’est du Mont Argenté ?
- On va se faire capturer, exécuter, et ma fourrure servira de tapis au Conseil des Héros, et tout ça ce sera entièrement de ta faute ! Se plaignit le félin, en frappant le crâne d’Ametyos avec ses petites pattes duveteuses.
Ils étaient proches de la sortie ouest de la ville, au fin fond du système d’évacuation des eaux. Ou en terme plus triviaux, des égouts. D’ici ils pouvaient admirer toute la pourriture d’une ville moderne qui s’accumulait. Franchement, la modernité ça n’avait pas toujours que du bon, de l’avis du magicien de fortune. Maintenant ça faisait plusieurs heures que Ametyos avait joué aux terroristes, et ils pourraient être loin s’ils avaient couru. Mais non, monsieur avait tenu à rester sur place, malgré les supplications de Spookiaou.
- Mais tais-toi donc, bougre d’imbécile ! C’est toi qui va nous faire repérer. Je te signale que ça résonne là dedans !
- C’est dans ta tête creuse que ça résonne, triple idiot ! Répliqua le matou. Ils ont bouclé les sorties, tu crois qu’ils n’auront pas pensé à vérifier les souterrains ? S’il-te-plaît, même les petits voleurs de quartier connaissent leur existence !
- C’est notre seule échappatoire. Ils peuvent nous y rattraper, mais pas nous y surveiller.
- Nous surveiller ? Répéta Spookiaou, pas certain de comprendre.
- Écoute, ça fait quatre ans que les Vengeurs me traquent. Je connais leurs méthodes sur le bout des doigts. Ils sont experts pour quadriller un terrain, et Safrania est entourée de plaines. Si on sortait par l’extérieur, on aurait été tout de suite repérés, à découvert. Et si on partait trop tôt on aurait trouvé les souterrains grouillant d’hommes.
- Brillante théorie, mais depuis qu’on est en planque on n’a pas vu l’ombre de la cape d’un Vengeur, pas un seul !
Ametyos ne répondit pas, poursuivant son chemin. Oui, c’était louche. Pas de Vengeur nulle part dans la ville, dans les souterrains ou dans les airs. Pourtant, vu le pedigree du jeune homme, même Spookiaou aurait bien deviné que les troupes de Valrika auraient du toutes venir et en grandes pompes. Mais rien, juste des simples Soldats de la Paix et une surveillance renforcée. Peut-être qu’ils se dirigeaient tout droit dans un piège ?
- Écoute mon expérience, Ton Altesse. Je le sens mal !
- Je m’en moque, et tu commences sérieusement à me gonfler à tout le temps te plaindre ! S’écria soudainement Ametyos en se tournant vers son compagnon d’infortune.
- Moi je me plains ? S’offusqua Spookiaou. Si tu t'étais contenté de voler ce fichu pied, nous aurions été loin depuis un moment avant que Duancelot ne remarque le vol. Mais non, il fallait que tu joues au mec torturé et suicidaire en foutant le feu, histoire de bien attirer l'attention…
- C'est mon combat. Moi contre les Héros, et je le mènerai comme je l'entends. Je ne t'ai jamais demandé de venir, boule de poils.
Spookiaou conserva un silence digne et offensé. Un autre que lui aurait laissé ce jeune inconscient associable et désagréable se débrouiller tout seul, mais le Pokemon avait ses raisons de rester avec lui et faire en sorte qu'il survive. Des raisons stupides et sentimentales, mais qu'il ne pouvait décemment pas ignorer. Cela étant, cet humain commençait sérieusement à lui peser sur le système.
- Dis, c'est ton sang de Karkast ou celui de ton paternel – quel qu'il soit – qui fait de toi un tel idiot arrogant ?
C'était sans doute une question qui ne fallait pas poser, car le visage du prince se ferma et il plissa dangereusement les yeux.
- Tu sais quoi, la bestiole ? Je sais même pas pourquoi j'ai accepté de faire équipe avec toi, et tu ne me sers à rien à part me saouler de minutes en minutes.
- Cette ignorance est partagée. Pourquoi je suis venu avec un type tel que toi, je me le demande.
- Parfait alors. Tu sais ce qui te reste à faire ?
- Et comment ! Je te souhaite bonne chance, prince de rien. J'allumerai une cierge quand ta tête sera exposée devant le Conseil des Héros, à côté de celle de ton oncle.
Spookiaou fit demi-tour et partit, ses petits bras croisés. Ce gosse était le portrait craché de son grand-père, irritable, prétentieux à souhait et persuadé qu'il est invincible. Il va sans doute finir comme lui, et grand bien lui fasse ! Mais à peine eut-il le temps de songer à cela qu’un regret vint aussitôt le saisir. Il se retourna mais la silhouette d’Ametyos avait disparu dans l’obscurité. Tiraillé, Spookiaou se souvint de l'étreinte chaude d'une jeune fille aimante, et du rire de sa mère. De vieux souvenirs idiots, que pourtant il chérissait. Tout ce qui restait de ce temps là tenait en la seule personne d'Ametyos Karkast. Jurant pour lui-même, il fit demi-tour et se mit à courir avec ses petites pattes, cherchant vite une excuse pour justifier son revirement.
Mais alors qu’il revenait sur ses pas, une explosion retentit au loin et le tunnel s’effondra devant lui. Un piège, évidemment ! Pourvu qu’Ametyos n’ait rien. Non, il n’aurait rien, ils le voulaient vivant, c’était une certitude. L’inquiétude gagna le chat-fantôme qui passa à travers les roches pour retrouver le jeune prince. Mais malheureusement, rien. Et on y voyait très mal en plus, histoire de ne rien arranger. Et hors de question d’utiliser Flash, si des méchants étaient dans le coin, ils le verraient aussi sec. Il décida donc de prendre de la hauteur. Passant à travers les parois, il regagna la surface pour estimer sa position. Après tout, ils n’étaient peut-être pas loin du bout du tunnel. Peut-être que Ametyos avait pu sortir. Qu’il avait lui-même fait exploser le tunnel pour qu’on ne le suive pas !
Oui c’était forcément ça. Même s’il n’avait pas emporté d’explosifs avec lui, ça ne pouvait pas être autre chose que ça. Hors de question qu’il soit mort d’une façon aussi stupide ! Une fois à la surface, Spookiaou constata qu’il était bel et bien hors du périmètre de la ville, dans la plaine séparant Safrania de Céladopole. Donc le tunnel devait s’être effondré non loin de la sortie. Une zone qu’il connaissait bien pour l’avoir beaucoup arpenté avec ses hommes pendant son heure de gloire de banditisme. Avec des femmes aussi, mais c’était une autre histoire, et pas le moment de se laisser distraire.
- Si c’était encore un de tes plans bidons gamin, tu vas m'entendre…
Il essaya de se rassurer comme il le pouvait. Mais ça ne dura pas bien longtemps. Un bruit se fit entendre, venant de la porte ouest de Safrania. Par réflexe, Spookiaou alla se cacher dans un arbre. Un nuage de poussière venait à sa rencontre. Non pas un nuage de poussière. Une charge. Une charge de cavalerie. Une trentaine d’hommes et de femmes en armure blanche étincelante, chevauchant des Galopa, avec à leur tête une blondinette portant une lourde épée.
Spookiaou manqua d’en tomber à la renverse. La Sainte Garde était de sortie, menée par Alysia en personne ! Là, Ametyos était vraiment dans de beaux draps, à n’en pas douter. Commençant à fuir pour sauver sa peau, Spookiaou fut pris d’un soudain élan de courage. Il devait y aller, il était la seule aide possible du jeune homme. Tremblant de peur, se disant qu’il allait au suicide, il décida de malgré tout franchir le pas. Il se mit à suivre les cavaliers jusqu’à leur destination. Et une fois sur place, une fois qu’ils auraient retrouvé Ametyos, il improviserait. S’il était là.
Spookiaou se jeta dans le nuage de poussière et s’accrocha à la volée à la bride de la selle d’un Galopa. Caché sous le Pokemon personne ne le verrait. Bon, ça secouait beaucoup, et c’était très inconfortable, mais au moins c’était discret. Et il serait aux premières loges pour intervenir.
- Vous êtes sûre qu’il sera là bas, commandante ? Questionna un Saint Garde.
- C’est un signe du destin, affirma la jeune femme blonde emplie de dévotion. Ce tunnel ne peut pas s’être effondré par hasard. Et il n’avait aucune fragilité quand on l’a inspecté tout à l’heure. Alors pressons le pas, au galop !
Quelle bonne nouvelle, Ametyos n’était donc pas tombé dans un piège. Spookiaou en soupira de soulagement. Ils allaient juste vérifier ce qu’il se passait là bas. Le prince était sans doute loin après avoir couvert ses traces dans cette explosion. Tout du moins il l’espérait, car si jamais Ametyos n’avait pas fait exploser ce tunnel, alors… qui l’avait fait ?