Epilogue : Justice
Les flashs des appareils photo l’aveuglaient. Il ne voyait et n’entendait rien, sinon un brouhaha incessant de questions criées à la volée et les détonations des pellicules qui immortalisaient ce moment de gloire.
La vie est étrangement faite. C’est assez drôle, quand on y pense. En arrivant à Galar, Pikachu n’était rien de plus que le détective looser, à qui personne n’adressait plus la parole. Et aujourd’hui, il y avait tout un parterre de journalistes et de citoyens qui se massaient pour le voir et l’entendre.
Juché sur cette estrade, il dominait la foule. Mais pourtant, il se sentait plus petit que jamais. Assis sur une chaise, il ne cessait de remuer les jambes, de stress de prononcer un discours, mais également d’impatience que tout cela se termine. Il regarda à sa droite, et sourit à ses collègues : Caninos et Hoothoot lui rendirent son sourire, le corps bleuit et arborant tous deux de larges pansements hérités de leur combat. Colombeau lui aurait volontiers sourit aussi, si son bec n’était pas emprisonné dans un gros bandage. L’attaque d’Ixon le lui avait cassé, mais le docteur Leuphorie – présente dans la foule – avait fait des miracles.
Noctunoir, quant à lui, attendait derrière le rideau qui avait rapidement été dressé pour l’occasion. Il était en grande conversation avec le maire Smogogo et le directeur – et fondateur – du plus grand journal local. Après d’ultimes mises au point et une promesse d’interview exclusive accordée au Nigosier Enchaîné, le maire de la ville se dirigea vers le pupitre de conférence, bombant le corps fièrement, suivi de près par deux Palarticho qui assuraient sa sécurité.
A son entrée, les flashs et le brouhaha s’amplifièrent grandement, mais il n’y prêta pas attention, réclamant le silence. Puis, quand il estima que le calme était suffisant, il commença son discours :
– Très chers concitoyens, ce n’est plus une surprise puisque vous êtes tous réunis dans ce but, mais simplement pour le plaisir des mots et de vos oreilles, je le clame haut et fort : le Monstre de Galar est derrière les barreaux !
Des cris et des applaudissements vinrent accueillir cette annonce. Le maire sourit grandement, et les volutes de fumées qui sortaient de ses chapeaux s’épaissirent légèrement. Le vieux Smogogo adorait qu’on l’acclame, et il ne s’en cachait pas.
– Je tiens à remercier chaleureusement toutes nos équipes pour cette prise. Tout le monde a travaillé d’arrachepied pour mettre ce criminel hors d’état de nuire, et je tiens à ce que nous tous, ici, prenions exemple sur eux : voici la combattivité Galarienne, voilà de quoi nous sommes faits et c’est de ça dont nous devrions être tous fiers !
Nouveaux cris de joie et applaudissements. Pikachu secoua la tête avec un léger sourire. Il se souvenait de la difficulté qu’il avait eut à soutirer ne serait-ce qu’une once d’information à certains civils, présents ici d’ailleurs. Alors, les entendre se gausser de leur « fierté Galarienne » avait quelque chose de… détonnant.
– Cependant, avant que je n’invite nos enquêteurs à prendre la parole, je tiens encore une fois à ce que nous montrions nos pensées compatissantes aux proches des victimes. La ville et moi-même leur accordons bien évidemment tout notre soutien, et je souhaiterais que nous observions tous une minute de silence en la mémoire de nos défunts Moumouton, Charmilly et Pandarbare.
Smogogo ferma les yeux et baissa la tête en signe de respect, aussitôt imité par le parterre de citoyens et de journalistes. Pikachu fit de même, accompagné de ses collègues. Chez lui, les minutes de silence publiques étaient généralement gâchées par des cris, des sifflements et d’autres bruits irrespectueux que des pseudos rebelles s’amusaient à faire pour se croire plus malins que les autres. Un tel calme était inhabituel vu le monde rassemblé, et il en fut tout ému en repensant à Pandarbare et son thé noir de Mallié.
Une fois la minute passée, monsieur le maire annonça le commissaire Noctunoir, qui s’avança tranquillement vers le pupitre. Il raconta quelques banalités sur l’affaire, remercia toutes les personnes qui ont pu aider la police à la résoudre, et commença sa tirade qui fit grouiller des Aspicot dans l’estomac de Pikachu : c’était bientôt son tour.
– … mais cette affaire, comme je vous le disais, aurait sans aucun doute été beaucoup plus compliquée à résoudre sans l’intervention d’un grand enquêteur. Il est venu de la lointaine région de Kanto, sans hésitations et sans poser de questions, sur une simple lettre de ma part. Combien d’autres privés auraient fait de même ? Très peu, si vous voulez mon avis. Il a su nous apporter son œil avisé, son sens de la logique et son envie de faire le bien autour de lui pour en découdre avec le Monstre. C’est pourquoi je vais lui laisser la parole pour répondre à vos questions. Je vous demande d’accueillir sans plus attendre le Détective Pikachu !
Applaudissement, cris, sifflements, joie. Le stress de Pikachu avait grimpé en flèche sans discontinuer depuis le début du discours de Noctunoir. Il se leva, tout tremblant, et se dirigea à son tour vers le milieu de l’estrade, agitant le bras en direction de la foule.
Il y avait beaucoup de monde, dont certains visages familiers : Mysdibule, au premier rang, lui adressa un clin d’œil complice. A ses côtés, Debugant, encore tout enguirlandé de bandages et suivi de près par Leveinard, le remercia d’un discret hochement de tête. Pashmilla, quant à elle, était en larmes, et Pikachu aurait eu bien du mal à savoir ce qui pouvait l’émouvoir autant. Il y avait aussi Tritosor et Apireine, les deux habitants des Terres qu’il avait interrogés, contraints de supporter Rhinolove qui voltait autour d’eux en piaillant à qui voulait bien l’entendre :
– Je l’ai aidé, vous savez ! Il est venu chez moi et je l’ai aidé ! Pour sûr que je l’ai aidé !
Il y avait également Excavarenne et toute sa clique : Theral, Caratroc, Betochef – qui le gratifia d’un sourire plus proche de la grimace à cause de sa cicatrice, mais ça fit tout de même du bien à Pikachu : le pauvre avait été vengé, en partie grâce à lui – ainsi que Lombre, qui servait encore des verres à qui le voulait bien. Le détective aperçut également, dans l’ombre, le Corvaillus qui l’avait emmené en ville à la vitesse de l’éclair. Pikachu lui adressa un geste de gratitude, auquel l’oiseau répondit par un bref hochement de tête.
Il nota cependant l’absence de Morpeko, qui, d’après ce qu’il avait cru comprendre, avait été mis en cellule de dégrisement pour avoir saccagé la salle d’interrogatoire dans laquelle Noctunoir et lui l’avaient oublié… Les pauvres Ortide et Iguolta avaient pu découvrir le côté « affamé » du petit Pokémon, et ils avaient eu bien du mal à le maîtriser !
Pikachu attendit que le brouhaha se calme pour pouvoir lancer l’avalanche de questions des journalistes :
– Comment avez-vous compris qui était réellement le tueur ?
– Avez-vous eu des difficultés à le vaincre ?
– Est-il vrai que vous avez manqué votre cible et avez foudroyé le commissaire ?
– Et bla et bla bla bla ?
Il essaya de calmer le jeu en agitant calmement les mains. Il se doutait que les questions allaient plus ou moins se ressembler, alors il raconta l’histoire depuis son commencement : les difficultés qu’ils avaient rencontrées au début de l’enquête, les moments où celle-ci avait piétiné faute d’indices concrets, la fausse piste qui les a menés à Morpeko et qui leur a fait perdre un temps précieux, le fait qu’Ixon le surveillait et qu’il avait toujours ce coup d’avance, etc.
– C’est l’attaque à la gare, continua-t-il, qui a été le moment décisif pour nous. Cet instant où, dans sa rage meurtrière, Ixon a commis une erreur : attaquer quelqu’un en public. Sa victime n’a peut-être pas pu me dire directement qui il était, mais il a pu m’indiquer l’endroit où il vivait. Et c’est là que nous l’avons coincé. En combinant les forces de police et le soutien que nous avions, nous avons pu l’intercepter avant qu’il ne quitte la région. Le combat a été très éprouvant pour nous : le tueur était fort. Très fort. Mais heureusement, nous avons pu compter sur la détermination sans faille d’une équipe forte et efficace, qui a su faire ses preuves dans ce moment difficile, risquant leur vie pour en sauver d’autres. Je ne les remercierai jamais assez pour ça. Et pour répondre à votre question, non, je n’ai pas raté ma cible.
Quelques rires se firent entendre, et Pikachu et Noctunoir échangèrent un sourire complice.
– Le commissaire m’a fait signe de l’attaquer directement, pour pouvoir lancer une puissante attaque Représailles qui a eu raison d’Ixon. Sans cet acte de bravoure – car encaisser une Fatal-foudre volontairement est à mon sens un acte de grande bravoure –, nous n’aurions peut-être pas réussi à l’arrêter.
Nouveaux applaudissements et acclamations, auxquels le commissaire répondit avec une légère révérence.
– J’espère ne pas avoir de séquelles ! lança-t-il, provoquant des rires dans l’assistance.
– Est-ce que vous avez des infos sur les mobiles du tueur ? demanda un journaliste, faisant instantanément tomber un silence de plomb.
Pikachu déglutit et, après avoir cherché la meilleure formule, il se lança :
– La faim. Tout simplement. C’est assez cruel à dire, mais notre tueur est lui aussi une victime. Victime d’un système qui ne voulait pas de lui. Victime d’une société qui l’a rejeté. Il a été isolé dans les Terres, lui et les siens, et seuls les plus forts pouvaient s’en sortir. Sa communauté ne respectait que cette loi : celle de la jungle. Il n’avait rien, et il ne devait rien à personne. En revanche, ce qu’il devait, c’était survivre. Il n’a pas eu la chance, contrairement à ses ancêtres, d’avoir l’opportunité de fuir vers une autre région. Alors, là où la concurrence pour manger était rude, il a dû se battre. Se battre et faire ses preuves. Développer un instinct de survie hors du commun. C’est pour cela que nous avons eu tant de mal à le vaincre : sa force brute découlait directement de sa nature. Une force primitive, un instinct reptilien qui le rendait… bestial. Il avait toujours un coup d’avance sur nous, car pour lui, nous étions prévisibles : de vulgaires créatures qui ne peuvent vivre sans leur maison chauffée, sans leur confort. Là où je veux en venir par ce discours, la moralité dans tout ça, c’est la suivante : rien dans notre vie n’est acquis. Ce n’est pas parce que nous voyons une chose que c’est forcément la seule version de cette chose. Ne nous reposons pas sur ce que nous avons, n’envions pas ce que les autres ont. Car le jour où plus rien ne nous appartiendra, et que l’envie grandira, nous risqueront tous la même chose qu’Ixon : que notre folie ne prenne le dessus sur nous-même… et qu’elle nous fasse commettre l’irréparable.
Alors qu’il terminait son discours, un calme plat régnait sur l’assistance. Ses paroles n’étaient peut-être pas des plus optimistes, mais ce n’était pas ça qui comptait. Ce qui lui importait, à lui, c’est qu’elles étaient sincères. Justes. Ixon était peut-être un tueur sanguinaire, mais ne pas chercher à comprendre ce qui s’était passé serait tout aussi cruel que ses actes. « Comprendre » ne signifiait pas pour autant « pardonner », mais comment pourrait-il se targuer de rendre la justice s’il ne cherchait pas lui-même à être juste ?
Comprendre. C’est ce qui lui avait manqué, lors de son procès. C’est ce que personne n’avait fait pour lui, le condamnant publiquement, purement et simplement. Il se refusait de faire la même chose que ses détracteurs, car il avait pu voir le vrai visage de l’injustice : un visage d’une cruauté sans pareil, qui se nourrissait du malheur des autres. Et il ne voulait pas faire partie d’un tel monde.
C’est en parcourant l’assistance du regard que les larmes lui vinrent alors aux yeux. Au milieu de ce public se dressait un Pokémon qu’il n’avait pas encore aperçu. Un Pokémon, qui comme tous les autres, avaient écouté ses mots, des mots qui sortaient de sa bouche, mais qui venaient de son âme la plus franche. Un Pokémon, qui comme tous les autres, se mit à l’applaudir. Il sut alors qu’il avait fait le bon choix en venant ici. Que cette enquête couronnée de succès avait sûrement réparé tout ce qui avait été détraqué chez lui.
Alors, émut et fier, il salua la foule avant de conclure son discours en répondant à quelques dernières questions, sans jamais détacher son regard de celui de son ami Tiplouf.
FIN.