Chapitre 6 : Vaincre les démons
Corvaillus ne faisait pas les choses à moitié : Pikachu lui avait certes demandé de rejoindre le Centre Pokémon, mais pas d’atterrir brutalement en plein milieu du hall d’accueil, manquant de peu de se briser les ailes contre les portes de l’entrée. Si tant est que ses ailes d’acier pouvaient se briser…
Des murmures outrés et effrayés l’accueillirent, mais Pikachu n’y prêta pas attention. Il se retourna vers son pilote pour payer la course mais ce dernier refusa catégoriquement l’argent du détective :
– Rendez service à tout le monde, faites disparaître ce malade, cracha-t-il.
Pikachu sourit. Cet encouragement avait beaucoup d’importance à ses yeux : ça faisait très longtemps qu’on ne lui en avait pas donné. La souris électrique se dirigea vers le comptoir, où des Leveinard s’affairaient en le regardant du coin de l’œil, l’air mauvais. Son entrée n’avait définitivement pas été appréciée.
Il brandit sa carte de détective sous le nez de la réceptionniste. Mysdibule avait eu la bonne idée de la lui rapporter de la gare, et il lui en fut mentalement reconnaissant : il aurait sûrement eu plus de mal à accéder aux salles de soins, sans elle…
– Détective Pikachu, je travaille avec la police de Galar. On a dû vous amener un patient il n’y pas longtemps. Un Debugant, gravement blessé. Où est-il ?
L’heure n’était plus à la rigolade, il n’avait pas une minute à perdre. Le tueur courait toujours, et soit il n’était pas loin, soit il s’apprêtait à partir loin. Leveinard avait les yeux qui allaient et venaient de la carte à une grande double porte dans le dos de Pikachu. Il en conclut que Debugant se trouvait par-là.
– Merci de votre coopération, ironisa-t-il avant de faire demi-tour et de se diriger vers la porte battante.
– Je… Non, monsieur ! Vous n’avez pas le droit d’aller… Monsieur !
Il entendit Leveinard lui courir après mais il ne se retourna pas. Cependant, le Pokémon œuf se déplaçait bien plus vite qu’il ne laissait paraître. La réceptionniste plaqua la main sur la porte et se mit dans le passage.
– Laissez-moi passer, je dois…
– Monsieur, vous ne pouvez pas y aller comme ça, c’est une salle de…
– LAISSEZ-MOI PASSER !
Un silence de plomb s’abattit dans le hall. Il avait parlé bien plus fort qu’il l’avait voulu, il avait même senti ses joues crépiter d’énergie sous le coup de l’adrénaline. Mais il était hors de question qu’il ne perde du temps bêtement : il tenait possiblement le tueur, et il ne pouvait pas se permettre de le laisser filer… Pas encore. Non, ça ne se reproduira pas.
– S’il vous plaît, madame. Il y a bien plus que la vie de ce patient en jeu. Je traque celui qui lui a fait ça. Je traque le Monstre qui hante vos nuits, à tous. Laissez-moi l’interroger, je vous en prie… Avant qu’il ne soit trop tard… Avant qu’il ne quitte la ville et ne disparaisse à jamais… Vous ne pourrez pas vous le pardonner, si ça se produisait, croyez-moi. Vous vous réveillerez la nuit, en vous disant que si vous aviez agi autrement, si vous aviez envisagé autre chose, vous auriez pu empêcher tout ça. Je sais de quoi je parle, vous pouvez en être sûre. Alors je vous en conjure, ouvrez cette porte. Maintenant.
Leveinard le fixait avec de grands yeux. Autour de lui, personne ne parlait. Aucun bruit. Juste le silence qui suivait sa confession. Parfois, quand les mots étaient livrés avec le cœur, quand ils étaient le reflet de l’âme de la personne qui les prononçait, le silence qui les suivait faisait également partie du discours.
Et c’est exactement ce qui se passait ici. Pikachu ne s’était jamais livré de cette manière, et sa sincérité alla droit au cœur de Leveinard, qui s’écarta, lui laissant le champ libre. Il la remercia d’un simple signe de tête et, avant de s’engager dans le couloir, s’adressa au reste de l’assistance :
– Je vais l’arrêter. J’arrêterai ce monstre. Je vous en fais la promesse.
Une promesse dangereuse, mais il se sentait de taille. De taille à affronter ce spectre qui terrorisait Galar, car il venait à l’instant de vaincre des démons bien plus dangereux et bien plus puissants que cette menace : les siens.
*
Abruti, abruti, abruti !
Il n’en revenait pas. Comment avait-il pu être aussi stupide ? Perdre le contrôle en plein jour, au milieu d’un quai bondé, en plus ! Mais quel idiot ! Cette fois, c’était clair : il était fichu. Il aurait un peu de chance, si son imbécile de patron ne survivait pas, mais les autres, tous ces témoins, ils avaient vu son visage ! Ils avaient vu qui il était, et ils ne mettraient pas longtemps à le dénoncer.
Il devait faire vite.
Il n’avait jamais couru à une telle vitesse, regagnant son antre plus rapidement que jamais. Hors d’haleine, mais l’adrénaline le boostant, il avait atteint la tour abandonnée qui surplombait le Loch Shiel.
Les légendes sur cette tour allaient bon train, et les histoires de fantômes qui la hanteraient soi-disant éloignaient les fouineurs, pour son plus grand plaisir : il n’était jamais dérangé par des visiteurs trop curieux. Il pouvait se terrer dans cet endroit sinistre sans craindre qu’on ne vienne l’embêter. Et, en tant que locataire des lieux, il pouvait l’affirmer : aucun fantôme ne hantait cette tour.
A moins que ce ne soit lui, le monstre de ces légendes ?
Il chassa cette pensée de son esprit. Après tout, il avait bien plus important à faire : il devait disparaître. S’enfuir, quitter Galar. Il ne serait plus jamais tranquille ici, et il était hors de question qu’il ne finisse ses jours en prison. Enfermé, il risquerait de devenir fou, de dévorer ses compagnons, ou pire s’il était isolé : de se dévorer lui-même. Il ne savait pas si, en proie à la faim et à son envie de violence, il en serait capable, mais il ne préférait pas prendre de risques inutiles.
Il commença à rassembler ses quelques affaires. Il n’avait pas grand-chose, et il n’y tenait pas spécialement, mais il valait mieux ne rien laisser derrière lui. Faire croire que ce lieu était bel et bien abandonné depuis toujours. Heureusement, comme il avait peu de biens lui appartenant, ce ne serait pas long de nettoyer cet endroit. Il pourrait alors fuir aussitôt en direction du Phare Smeaton, et de là prendre un bateau qui l’emmènerait loin d’ici. Il ne pouvait décemment pas prendre le train, pas après ce qui s’était passé : la sécurité y serait forcément accrue…
*
Pikachu passa devant plusieurs chambres et grimpa deux étages avant d’enfin trouver le Pokémon qu’il cherchait. Debugant était allongé sur un lit, le visage pratiquement entièrement recouvert de bandages ensanglantés. L’attaque avait dû être sévère, et son état faisait vraiment froid dans le dos. Alors même qu’il s’approchait de plus en plus du Monstre, Pikachu commençait à sérieusement redouter le moment de l’affrontement.
– Monsieur, je suis…, commença-t-il.
– Excusez-moi, il n’est pas en état de vous répondre, le coupa une Leuphorie qui se trouvait dans un coin de la pièce, un carnet à la main.
– Je n’en ai vraiment pas pour longtemps, il me faut juste un nom, docteur. C’est vraiment capital, sinon je ne serais pas venu pour l’embêter après ce qu’il a subit.
– Je suis vraiment navrée, monsieur, mais il ne va certainement pas vous répondre. Le pauvre homme est tombé dans le coma en arrivant. Il a perdu beaucoup de sang. Il…
– Docteur, s’il vous plaît ! On vous demande au bloc, en urgence !
Leuphorie se retourna vers l’aide-soignant qui venait de faire irruption dans la pièce. Elle le remercia d’un signe de tête et il s’en alla au pas de course, un charriot d’instruments chirurgicaux à la main.
– Je suis navrée, monsieur, encore une fois. Je vais devoir vous demander de sortir. J’ai du travail, et notre patient a besoin de repos.
Malgré les supplications de Pikachu, Leuphorie le poussa gentiment mais fermement vers la sortie, avant de se diriger vers une grande double porte au-dessus de laquelle un indicateur lumineux en forme de seringue était allumé, indiquant des soins en cours. Le détective attendit quelques secondes après que le docteur eût disparu pour s’engouffrer à nouveau dans la chambre de Debugant, refermant discrètement la porte derrière lui.
La pièce, plongée dans une demi-pénombre à cause des stores qui étaient baissés, était sinistre. Seuls les bips réguliers des machines venaient perturber le silence. Il s’approcha doucement du lit, et essaya de parler à Debugant, d’obtenir une réaction, mais sans succès. Il s’agaça : il n’avait pas le temps d’attendre que le chef de gare se réveille, il avait besoin de réponses, maintenant ! Nul doute que le Monstre allait chercher à quitter la région, et une fois volatilisé, les chances de le retrouver étaient vraiment minimes ! Il n’avait pas le droit de laisser filer cette occasion.
Il jeta un bref coup d’œil dans le couloir, conscient que ce qu’il allait faire lui vaudrait de sérieux ennuis s’il se faisait surprendre. Personne, et les gens allaient et venaient sans même regarder dans cette direction. Parfait.
Il retourna près du lit et fixa le Debugant. Ses bajoues crépitaient d’énergie statique, et il envoya une légère décharge. Le corps du blessé eut un sursaut, et ce dernier laissa échapper un grognement.
– Monsieur ? l’appela Pikachu.
Pas de réponse. Alors le Pokémon électrique recommença l’opération, en envoyant cette fois un peu plus de voltage dans son attaque. Les bips des machines s’accélérèrent quand le courant traversa le corps du Debugant, qui, au bout de la troisième tentative, manifesta enfin des signes de conscience.
– Aaaaah…, laissa-t-il échapper dans un souffle presque inaudible en essayant de porter la main à son visage.
Pikachu l’en empêcha. Il le stimula en lui parlant rapidement, pour éviter qu’il ne retombe dans les vapes, et ça sembla fonctionner :
– Monsieur, monsieur, tout va bien. Tout va bien. Vous avez été victime d’une agression, d’une très violente agression. Vous êtes à l’hôpital, mais vos jours ne sont pas en danger, rassurez-vous. Vous êtes entre de bonnes mains. Je suis le détective Pikachu, je viens vous embêter car il se trouve que la police et moi-même sommes à la recherche de votre agresseur. Est-ce que vous comprenez ce que je vous dis ? Monsieur ?
Le Debugant soupira. Il avait visiblement du mal à respirer, le moindre mouvement le faisant grimacer. Mais il parvint tout de même à acquiescer. Pikachu jubilait.
– Génial ! Vraiment super. Continuez comme ça, c’est très bien, après je vous promets de ne plus vous embêter. Est-ce que vous avez pu voir votre agresseur ?
Hochement de tête : affirmatif.
– Super, vous le connaissez ? Vous savez qui il est ?
Nouveau hochement de tête.
– Qui ? Qui est-ce, monsieur, dites-moi, que je puisse arrêter ce malade !
Debugant ouvrit la bouche, mais aucun mot n’en sortit, seulement un léger râle ponctué d’un petit gargouillis qui le fit grimacer de douleur. Il désigna d’un geste son cou, enturbanné sous plusieurs couches de bandages. La blessure qu’il avait à la gorge devait être très grave, et elle l’empêchait de parler. C’est pas vrai, se dit le détective.
– Euh… OK… OK, pas de problèmes, vous… Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Debugant pointait d’un doigt tremblant la fenêtre de sa chambre. Pikachu suivit son geste du regard.
– Vous… vous voulez que j’ouvre les stores ?
Nouveau hochement de tête.
Il se dirigea donc vers la fenêtre et tira sur la ficelle, faisant entrer un grand rayon de soleil dans la petite pièce. Alors qu’il s’apprêtait à retourner vers le patient, il vit que Debugant continuait de pointer la vitre du doigt, avec plus d’insistance.
Le détective se retourna. Dehors, on voyait la ville en contrebas, et plus loin vers le sud, derrière la muraille de briques, s’étendaient le lac et les vastes plaines.
– Les Terres Sauvages ?
Hochement de tête.
– Vous voulez dire que votre agresseur vit dans les Terres ?
Hochement de tête.
Pikachu n’en revenait pas. Pendant tout ce temps, il avait été tout près. Il avait foulé ces Terres en long, en large et en travers à plusieurs reprises, sans même se douter que le Monstre s’y terrait. Il aurait tout aussi bien pu être lui-même une victime, par négligence ! Mais c’était pourtant limpide, bon sang ! Tous les meurtres avaient été commis sur ces Terres, tout simplement parce que c’était de là que le Monstre sortait, en pleine nuit ! Il n’avait pas besoin d’aller trop loin pour trouver ses victimes : les plaines représentaient un super champ d’action pour un criminel ! Personne aux alentours, pas d’habitations, pas de police qui rôde… Vous pouviez crier autant que vous le vouliez, qui allait venir vous aider ? Tout le monde était terrorisé par ces Terres diaboliques !
Il était enfin tout près du but, mais il lui fallait plus de précisions : les Terres Sauvages étaient étendues, et, même en mobilisant tous les hommes de Noctunoir, ils ne pourraient jamais ratisser tout cet espace avant que le Monstre ne prenne la fuite.
– Est-ce que vous auriez une indication plus précise ? Les Terres Sauvages sont très vastes…
Debugant sembla réfléchir un instant, puis il commença à mimer quelque chose. Il leva une de ses mains en l’air, le plus haut qu’il put avec sa blessure. Il désigna une nouvelle fois la fenêtre, un peu plus vers la droite. Puis il mima une vague en faisant onduler son bras.
– Le lac ?
Nouveau hochement de tête. Puis il mima une nouvelle fois quelque chose de grand.
– Grand ? Le lac ? Quelque chose de grand au… De haut ! Quelque chose de haut, c’est ça ?
Debugant acquiesça, presque aussi enthousiaste que le détective.
– La tour ? La tour qui est abandonnée, juste à la sortie de la ville, près du lac ?
Pikachu n’eut pas besoin d’attendre que Debugant hoche une nouvelle fois la tête. La réponse se lisait dans le regard du blessé. Le détective le remercia chaleureusement, et lui souhaita un bon rétablissement avant de se retourner, prêt à sortir, mais quelque chose l’arrêta.
Debugant venait de lui saisir le bras, et il plongea son regard de braise dans celui de Pikachu. En guise de message, il se contenta de lever un poing serré, tremblant, mais ce qu’il voulait dire était clair.
– Ne vous en fait pas, monsieur. Je lui ferai payer ses crimes. Je vous le promets.
Cela sembla lui convenir, car il lâcha le bras de Pikachu, qui sortit au pas de course de la chambre d’hôpital. Il dévala les escaliers plus vite que ce que la sécurité conseillait et déboucha en trombe dans le hall.
Le commissaire Noctunoir se tenait à l’accueil, occupé à traiter avec Leveinard. Quand il entendit les doubles portes s’ouvrir avec fracas, il se retourna vivement et dévisagea Pikachu avec surprise, qui ne s’embarrassa pas d’explications :
– Rassemblez vos hommes, commissaire. On le tient.
*
Il mit ses dernières affaires dans sa valise et la boucla. Ça avait été plus long que prévu, de tout rassembler : il menait une vie pathétique, rythmée par sa folie, et il avait semé des objets aux quatre coins de la tour.
Il déposa son bagage près de l’entrée, et entreprit de faire un nouveau tour de vérification. Ça lui faisait perdre du temps, mais il ne devait rien laisser au hasard. Et il eut raison de contrôler : des empreintes de sang (ses empreintes, mais pas son sang) avaient marqué la pierre à différents endroits. Il les frotta rapidement, mais sans grand succès : l’hémoglobine séchée était bien collée.
Grouille-toi, imbécile, grouille-toi, magne ! se gronda-t-il. Il en perdait, d’un temps ! Un temps qu’il n’avait pourtant pas devant lui. Une fois qu’il eût fait de son mieux pour effacer ses empreintes, il ramassa encore quelques touffes de poils lui appartenant, une de ses griffes qu’il s’était arrachée, un soir, sous la colère, et estima qu’il était plus que temps de quitter les lieux.
Il attrapa sa valise et quitta la tour. Il ne savait pas encore où il allait se rendre. Kanto, c’était impossible : c’est là-bas que vivait ce Pikachu, il ne prendrait pas le risque d’aller vivre chez un de ses prédateurs. Car c’est bien ce qu’il était, aujourd’hui : une proie. Et il n’aimait pas cette sensation.
Hoenn était envisageable. Il pourrait se fondre dans la masse : il avait entendu dire que certains membres de son espèce avaient migré là-bas, il y a de nombreuses années de cela, et ils…
NON ! hurla-t-il intérieurement, se figeant d’effroi.
– Ixon ! Ne bougez plus !
Il n’avait pas réussi à partir à temps. IMBECILE ! se maudit-il à nouveau. Il avait envie de se griffer le visage à s’en arracher la peau tellement il se détestait à ce moment-là. Le commissaire Noctunoir le héla à nouveau. Il n’était pas seul : à ses côtés se tenaient, menaçants, Caninos et Hoothoot, prêts à attaquer. Il vit dans le ciel un Colombeau qui tournait autour d’eux, comme un charognard attendant sa proie. Il n’y avait cependant aucune trace de la souris électrique. Il n’aimait pas ça.
– Ixon, je vous demande de vous mettre à terre et de ne plus bouger. Je vous arrête pour les meurtres de Moumouton, Charmilly et Pandarbare, ainsi que pour agression sur voie publique envers Debugant. J’ai dit : à terre !
Ixon était tétanisé. Son cerveau avait beau carburer à toute vitesse, il ne voyait aucune issue, et les images de ses carnages qui refluaient dans son esprit après les mots de Noctunoir l’empêchaient de se concentrer. Il posa lentement sa valise au sol, mais ne se résigna pas à mettre genou à terre. Il regardait partout autour de lui, cherchant une issue, mais à moins de se réfugier dans la tour, il n’y avait que les plaines aux alentours. Et s’il faisait ça, il serait coincé pour de bon.
– Ne fais pas ça.
Il pivota brusquement, surpris par cette voix qui venait de derrière lui, et il se retrouva face à Pikachu. Ce fourbe n’était pas venu avec le groupe, il avait préféré faire le tour pour couper toute envie de fuir de l’autre côté : il devait savoir que la vitesse n’était pas le point faible d’Ixon.
– Mets-toi à terre. On n’est pas obligé d’utiliser la force pour régler ça.
– Parle pour toi, cracha le Monstre de Galar. Je parie que tu ne connais rien de la véritable force.
– Crois-moi, j’en ai eu mon lot, de…
– MENTEUR ! Ne te moque pas de moi, regarde-toi ! Le corps pur, lisse comme les fesses d’un bébé. Aucune cicatrice. Le poil propre et bien coiffé. Est-ce que tu sais seulement ce que les gens qui n’ont pas ta chance doivent faire pour survivre ?
– De quelle chance tu parles ?
– Je me suis renseigné sur toi, détective looser. Tu vis dans ton splendide appartement en plein cœur d’une grande ville d’un pays où il fait bon vivre. C’est quoi, l’endroit le plus sauvage de ta belle région, hein ? La forêt de Jade ? Laisse-moi rire. Tu as vécu toute ta vie dans un cocon de confort et de privilèges. Tu veux manger ? Tu n’as qu’à ouvrir tes placards ! Il ne te reste plus rien ? Qu’à cela ne tienne, je connais bien le patron du resto du coin ! Je vais m’asseoir tranquillement et attendre que des grouillots me servent ! Il y a toujours des petites gens pour s’occuper de tes petits problèmes à ta place. Pour toi une mauvaise journée, c’est quand il pleut et que tu ne peux pas aller au parc ! Tu ne sais rien de la vie ! Alors que pour moi une mauvaise journée, c’est quand j’ai dû trimer pendant neuf heures pour un ingrat, et que je n’avais rien à me mettre sous la dent en rentrant ! Et encore, c’était dans les bons jours, quand je n’échappais pas de peu à la mort ! Vois autour de toi, ces Terres, elles portent bien leur nom. Sauvages, sauvage comme l’est la nature, comme l’est la vie, que les citadins comme toi ont tout fait pour oublier. Vous ne connaissez rien à la vie, à la survie. Tu ne sais pas ce que c’est, de se lever le matin en se demandant si ce n’est pas notre dernière journée sur cette Terre ! Et même si tu le savais, regardes-toi ! Ton frêle petit corps n’est pas adapté pour survivre en milieu hostile, tu crèverais en même pas deux jours, en pleurant comme un minot ! C’est pour ça que mon espèce ici a pu évoluer, pas comme ces feignants d’Hoenn, qui vivent dans une telle opulence que le stade de Linéon leur suffit. Je suis taillé pour la lutte à la vie, je suis taillé pour vaincre les Terres Sauvages, pas comme toi pour qui la seule problématique quotidienne, c’est de savoir avec quelle sauce tu vas déguster tes baies hors de prix importées depuis la lune ! ET ÇA VAUT AUSSI POUR VOUS, SALES FLICS !
Noctunoir et ses hommes eurent un mouvement de recul. La rage qui émanait d’Ixon pouvait presque se matérialiser à ses côtés. Quelles étaient les horreurs que ce Pokémon avait pu connaitre dans sa vie ? Pikachu se le demandait vraiment. On ne pouvait pas en vouloir à ce point au monde entier sans aucune raison. Mais, aussi bonnes soient-elles, ces raisons ne justifiaient en rien qu’on s’adonne à de telles atrocités.
– Ixon…, commença Noctunoir.
– Vous nous avez laissé mourir de faim dans des Terres hostiles, pendant que vous vous barricadiez derrière vos grandes murailles de richesses et d’abondance. Vous ne vous êtes pas seulement enfermés dans vos châteaux d’ivoire, non, vous avez aussi enfermé les pauvres gens à l’extérieur. Des gens comme vous. Vous nous avez laissé nous débrouiller avec rien, pendant que vous, vous aviez trop. Seuls les plus adaptés d’entre nous ont su s’en sortir, et vous avez laissé mourir les autres en vous cachant derrière de fausses excuses, comme quoi ce sont les Terres et leurs dures lois qui les ont tués, sûrement pour vous donner bonne conscience. Alors dites-moi, commissaire-le-juste : qui de nous est le monstre ?
Le silence accueillit cette dernière estocade. Noctunoir se refusait de rentrer dans ce jeu, car Ixon était tellement convaincu de ses convictions qu’il gagnerait forcément ce débat. Le monstre afficha alors un grand sourire. Un sourire affreux, déformé par une vilaine cicatrice, qui laissait apparaître des crocs blanc immaculé, brillants comme des rasoirs.
– Vous vous pensiez rois. Mais vous n’êtes rien. Vous ne valez rien. Non ! Vous ne valez même pas RIEN !
Agacé, Noctunoir tenta une attaque Entrave pour l’arrêter, mais Ixon répliqua en fonçant sur le groupe de policiers à une vitesse folle. Personne dans la petite troupe n’eut le temps de réagir, et, à peine Caninos eut-il formé une boule de feu entre ses dents que l’attaque Damoclès d’Ixon le cueillit de plein fouet. Hoothoot encaissa quant à lui une terrible attaque Tranche-Nuit qui le laissa étourdi un long moment.
Noctunoir commença à charger une Ball’Ombre, mais c’est à ce moment précis que Colombeau eut la bonne idée de fondre en piquet vers Ixon, bec et serres en avant. Ce dernier plaça ses bras en croix, et, à la suite de ce Bloquage, il saisit l’oiseau par les pattes et le projeta violemment contre son supérieur, qui en perdit l’équilibre. Hoothoot, enfin revenu à lui, n’eut pas le temps de préparer grand-chose et dû essuyer la même attaque que son collègue Caninos. Cette opération était un véritable fiasco : Ixon les dominait largement.
Noctunoir avait profité de l’agitation pour se glisser auprès de Pikachu, qui n’avait pas bougé depuis le début.
– Bon sang, ce n’est pas glorieux…, lança le commissaire en se massant le crâne, qui avait dû prendre un vilain coup quand Colombeau l’avait percuté. Mais qu’est-ce que vous fichez, enfin ? Vous ne voyez pas qu’on…
Nocutnoir s’interrompit en voyant la pose de Pikachu. Sur ses quatre pattes, la queue relevée, ses poils semblaient luire d’une étrange lumière bleue et ses bajoues crépitaient. Le détective lui indiqua du menton le ciel.
– Excusez, commissaire, mais je recharge.
– Vous rechargez ?
Au-dessus de leur tête, de gros nuages noirs menaçaient d’éclater à tout moment. Noctunoir comprit alors : Pikachu se servait de l’électricité statique contenue dans ces gros nuages d’orage pour faire le plein d’énergie.
– Excellente idée, mais faites vite. Je ne sais pas si je vais réussir à l’occuper très longtemps.
Le commissaire vit alors avec effroi le Pokémon qui terrorisait Galar depuis tout ce temps assener un violent coup au visage de Colombeau, qui tomba comme une souche.
– Bon sang… IXON ! le provoqua-t-il.
Il chargea alors une nouvelle Ball’Ombre qui fila droit vers son adversaire. Mais Ixon était bien trop rapide, et la haine qui l’animait augmentait sa puissance : il esquiva le coup sans peine, la balle filant loin vers le lac avant de s’évaporer. Noctunoir ne se laissa pas abattre pour autant et, alors qu’Ixon marchait lentement et fièrement dans sa direction, il lança une Onde Folie qui cette fois toucha sa cible… qui sourit. De ce sourire carnassier qu’il arborait sans cesse depuis le début de l’affrontement.
– Ce n’est que du vent à mes oreilles, commissaire. Après tout, je suis déjà fou.
Alors Ixon se jeta sur lui, une violente attaque Tranche-Nuit illuminant ses griffes. Noctunoir savait que s’il se prenait celle-là, il risquait de ne pas s’en relever. Il sentit alors un violent coup à sa droite, qui le fit tomber sur le côté. Ixon et son attaque lui passèrent au-dessus, et Noctunoir remercia Pikachu de lui avoir évité un K.O. certain.
– Touchant…, cracha Ixon. C’est à ton tour, petite souris ? Tu veux goûter au même repas que tes collègues ?
– Je vous laisse encore une chance de vous rendre, Ixon.
– AH ! Tu penses faire le poids ? Tu n’es qu’un idiot ! Allez, approche !
Pikachu savait qu’il ne pouvait rivaliser en force avec Ixon. Il tenta alors une attaque Ruse qui, il l’espérait, réussirait à le berner : gauche, droite, gauche, arrière et… Mais ce qu’il n’avait pas pris en compte, c’était les bras en croix du Monstre et son attaque Bloquage. Il heurta Ixon de plein fouet, mais celui-ci ne moufta pas, et il riposta avec un violent Damoclès qui envoya la souris rebondir à plusieurs mètres.
Pikachu se releva et tenta une attaque Coup d’Jus, mais encore une fois, Ixon était bien trop rapide. Alors que le Monstre s’approchait tranquillement de lui, savourant sa victoire, il commença à baisser les bras. Puis il repéra Noctunoir, dans le dos de leur meurtrier, qui lui faisait des signes. Le commissaire indiqua le ciel, puis lui-même, avant de pointer son doigt vers Ixon.
Pikachu ne comprit pas tout de suite, et il eut besoin que Noctunoir lui explique une seconde fois pour qu’il comprenne le plan. Bien joué, commissaire, vous me surprenez, pensa-t-il en se redressant. Il fixa Ixon et sourit, ce qui ne déstabilisa pas son adversaire le moins du monde. Tant mieux.
– Alors c’est ça. Tu vas tous nous tuer, ici, et t’enfuir ? C’est ça ton plan ?
– La survie, petit gars. Ça ne s’apprend pas. Parfois, pour s’en sortir, il faut savoir mettre ses scrupules de côté.
– Parce que tu en as, toi, des scrupules ?
Il provoquait, se sentant grandir un peu plus tandis que l’énergie électrique de l’orage affluait en lui. Ça lui redonnait de la force.
– J’en avais. Quand j’étais petit. Avant que je n’ouvre les yeux et que je vois le monde tel qu’il est vraiment : cruel et injuste. Alors, pourquoi essayer d’aller à contresens ?
– Injuste ?
– Ne m’as-tu pas écouté ? Vois l’injustice partout autour de toi ! Pendant que toi et tes amis vous nagez dans l’opulence, la lumière et la chaleur des projecteurs, d’autres ne peuvent que se contenter de l’ombre et de la froideur de la nuit… en quémandant des petites miettes de bonheur ! Et il est hors de question que je quémande. Alors je prends, et je vis. Je survis. Tu ne comprends rien.
– Oh si, je saisis un peu l’idée. Et je t’avais bien écouté la première fois. Mais je cherchais à gagner du temps.
Ixon se figea alors, surpris par cette ultime provocation. Il ne prêtait pas attention à l’orage qui grondait au-dessus de lui jusque-là, il n’aperçut donc la Fatal-Foudre qui s’abattit sur Noctunoir qu’au tout dernier moment. Le commissaire cilla, mais tint bon.
– A quoi tu joues ? lui demanda Ixon, perplexe.
– Au détective. Et je piège les monstres. Comme toi.
Ixon montra les dents et s’apprêta à attaquer à nouveau, ciblant Pikachu.
– Mauvaise pioche, mon gars, lui dit-il avec un clin d’œil.
C’est alors que les jets d’obscurité fondirent sur Ixon, qui cette fois ne put l’éviter. L’attaque Représailles de Noctunoir le frappa en plein dans le dos et, dans un cri de rage et de douleur, le Monstre de Galar s’effondra aux pieds de Pikachu.
Ce dernier, après s’être assuré que le meurtrier ne se relèverait pas, se laissa tomber aussi à terre, à bout de force. Noctunoir le rejoignit et utilisa son Entrave sur Ixon, puis il adressa un signe de tête à son consultant.
– Jolie attaque, dites-moi. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit si puissante.
– Je… Je l’ai peut-être un peu chargée…, avoua Pikachu, gêné.
Et, au milieu de ce champ de bataille, les deux Pokémons partirent dans un grand éclat de rire. Un rire de soulagement, qui augurait de bonnes choses : le Monstre vaincu, Galar allait pouvoir retrouver la paix, et les Pokémons qui vivaient sur ces Terres Sauvages pourraient enfin dormir sur leurs deux oreilles.