Chapitre 11 - Pour faire entendre notre voix
« Ouais ! T'es encore tombé chez moi, et j'ai un hôtel sur cette case ! »
Ravie, Emi se trémoussait sur le tapis de sol et observait Arthur avec de grands yeux malicieux, les mains tendues vers le pactole de son frère d'adoption. Avec un soupir résigné, il lui tendit deux gros billets et jeta un regard dépité à la somme qu'il lui restait.
« Je ne tiendrais pas deux tours avec ça... »
A côté d'eux, Annie gloussa en jetant son dé.
« Allez Arthur, admets ta défaite ! Emi a bien plus le sens des affaires que toi.
- Je pense surtout qu'il y a eu du favoritisme au niveau des prix que tu as proposés en vendant tes terrains, oui ! gémit-il, déçu.
- C'est parce que la petite sait marchander ! Ah, un cinq, commenta-t-elle en faisant sauter son pion sur le plateau de jeu. Hum… je vais acheter cette gare, je pense.
- Ah non ! »
L'adolescent basané leva les deux mains au ciel.
« Non Annie, tu ne peux pas me faire ça ! C'est la seule gare qu'il me manque ! »
La pêcheuse et sa petite complice échangèrent un regard entendu et elle sourit de toutes ses dents.
« Oui, mais moi je voudrais vraiment cette gare, elle rapporte beaucoup. »
A ces mots, elle prit une poignée de faux billets et les déposa dans la banque du jeu. Emi s'empressa de lui tendre la carte correspondant à son terrain et Arthur pâlit en voyant le prix à payer s'il avait le malheur de s'arrêter chez elle.
« Vous exagérez, c'est de l'anti-jeu à ce niveau-là ! »
Les deux autres échangèrent un regard innocent.
« Je pense surtout que tu n'es pas au top de ta forme aujourd'hui, commenta Emi en lançant son dé.
- Et le fait que Annie ne paie rien en s'arrêtant sur ton terrain n'y est pour rien, je présume.
- C'est parce que c'est une amie, et qu'elle m'a fait ma tarte préférée !
- Exactement, jeune homme. Tu n'as qu'à apprendre à cuisiner des desserts ! »
Avec un énième soupir, Arthur se résigna et observa les pions bouger et les billets changer de main sous ses yeux impuissants. Puis ce fut à son tour de jouer, et il observa le dé avec intensité.
Il devait absolument faire un trois.
C'était le seul moyen pour qu'il ne tombe pas sur un des terrains d'Emi ou d'Annie. Si c'était le cas, c'était la banqueroute assurée. Ce serait alors sa toute première défaite au Poképoly.
Et il ne voulait pas perdre contre les deux vilaines harpies qui louchaient sur les quelques billets qu'il lui restait.
Un trois…
Allez, un trois.
Il lança le dé, plein d'espoir. Ce dernier roula sur le tapis de sol sur lequel les joueurs s'étaient installés. Il effleura la boîte du jeu et continua sa course sur le parquet, où il tourna sur lui-même comme une toupie pendant quelques secondes.
Arthur croisa les doigts.
Les trois points noirs pleins de promesses faisaient face au plafond pendant que le dé tournait, mais d'autres faces menaçaient de prendre leur place.
Encore une dernière chance de gagner…
A cet instant, trois coups secs furent frappés à la porte de leur petite habitation. Les occupants redressèrent la tête à l'unisson et Emi sourit en reconnaissant le visage fin qui leur faisait signe par la fenêtre.
« Sarah ! s'exclama la petite fille en lui répondant par un grand geste de la main. Tu viens jouer avec nous ? On va battre Arthur, cette fois ! Viens-voir !
- Oui, entre. C'est ouvert » ajouta Annie.
La jeune fille obéit mais ne fit pas plus d'un pas dans la maisonnette. Arthur et elle échangèrent un regard étonnamment grave et entendu, et elle tourna ses yeux bleu océan vers la petite.
« Désolée Emi, pas aujourd'hui. Je suis venue chercher Arthur cette fois ! »
Elle eut beaucoup de mal à cacher sa déception et fit la moue.
« Oh… une autre fois alors, pas grave ! »
Arthur se leva et défroissa son bermuda avec quelques tapes, puis se tourna vers ses adversaires.
« Je déclare forfait pour cette fois, vous m'avez eu. Je prendrai ma revanche plus tard. »
Annie fronça les sourcils.
« Dites, les jeunes, vous allez où comme ça ?
- On reste sur les ponts, des copains nous attendent dans un des entrepôts vides, répondit Sarah avec un sourire rassurant.
- Oui, et puis au pire on fera un tour de barque, ajouta Arthur en haussant les épaules. Comme on n’est pas loin de Poivressel je voulais en profiter pour aller faire un tour au marché.
- T'abuses, on y est allés hier et t'avais besoin de rien ! » s'exclama Emi.
Elle reçut pour toute réponse un haussement d'épaules et les deux jeunes quittèrent la maison avec un rapide signe de main.
Annie et Emi s'observèrent en silence quelques secondes avant d'échanger un sourire complice.
« Tu crois qu'en fait c'est un rendez-vous amoureux ? gloussa la plus petite.
- Ça m'en a tout l'air, en tout cas ! acquiesça Annie.
- Bon ça va, j'aime bien Sarah ! C'est ma copine, je veux bien qu'elle aime bien Arthur.
- C'est vrai qu'elle est bien cette petite. »
Annie s'étira longuement et posa une main sur la tête de sa petite protégée.
« Bon, on remballe le jeu ? On recommencera une partie plus tard. Il faudra qu'on batte Arthur pour de vrai, je n'aime pas gagner par forfait.
- Oh t'en fais pas ! sourit la fillette. Il aurait perdu de toute façon.
- On ne sait jamais, il avait encore un tour devant lui pour avoir un coup de chance. »
A ces mots, elle désigna le dé du menton. Emi se pencha pour le regarder, et grimaça lorsqu'elle se retrouva nez à nez avec la face du trois. Elle fusilla le cube blanc du regard et grommela.
« Je crois bien que ce dé me nargue. »
« Alors on est combien, au total ? »
Sarah haussa les épaules, ses longs cheveux noirs dansant dans son dos au gré du vent. Elle jouait nerveusement avec sa mèche bleue alors qu'elle avançait à grands pas sur les pontons, tendue et méfiante.
« Une dizaine. Peut-être onze ou douze, je ne sais pas si quelqu'un d'autre est venu depuis que je suis partie. »
Sous leurs pieds, deux petites nageoires jaunes dessinaient des cercles dans l'eau et zigzaguaient entre les pontons. L'identité de leur propriétaire ne trompait pas et Arthur s'autorisa un sourire malgré l’air grave qu’ils affichaient tous les deux.
« Salut, Carvanha. Je vais avoir besoin de toi aujourd'hui, on va faire une petite balade en mer. Tu m'attends vers le port ? »
Le pokémon confus fronça les sourcils - ou du moins les écailles qui surplombaient ses grands yeux rouges. Techniquement parlant, la ville entière était un port. L'indication de son dresseur était un peu vague.
Il supposa qu'Arthur voulait parler du petit ponton où il arrimait la barque d'Annie lorsqu'il s'en servait et se faufila à toute allure à leur point de rendez-vous. Il avait hâte de refaire une sortie en mer, il n'avait pas beaucoup eu l'occasion de naviguer avec son dresseur depuis son empoisonnement. Certes, il restait encore libre de ses mouvements dans l'océan, mais c'était… différent.
Après tout, qui ne préférait pas explorer le grand bleu avec son meilleur ami ?
Les deux jeunes adolescents ralentirent à peine le pas en arrivant devant un des hangars à poisson qui avaient été vidés suite à l'empoisonnement des pêcheurs.
Près de trois cents kilos de cadavres de Magicarpe avaient été relâchés dans la mer, tout ça parce que des produits toxiques les avaient rendus impropres à la consommation. Plus qu'un terrible gâchis, c'était une menace pour la santé du village entier.
C'est pour ça qu'Arthur avait décidé d'agir. Il ne voulait pas voir Annie faire à nouveau un malaise parce qu'elle était allée pêcher dans une zone polluée. Il ne voulait pas non plus revivre un tel empoisonnement, il avait été vidé de ses forces pendant près d'un mois. Et il détestait ne rien pouvoir faire.
Enfin, et surtout, il n'avait vraiment, vraiment aucune envie qu'une telle chose arrive à Emi.
Tout d'abord, il avait participé au conseil du village et parlé aux adultes de la situation, de ses inquiétudes. Au début, tout le monde avait témoigné son accord et les pêcheurs encore en état de naviguer avaient organisé des expéditions en mer pour délimiter les zones polluées. Les plus courageux d'entre eux s'étaient risqués à l'intérieur de celles-ci pour en déterminer l'origine.
Mais la réponse qu'ils obtinrent alors n'augurait rien de bon.
Il s'agissait d'usines d'agro-alimentaire, de métallurgie ou encore de microélectronique. L'eau polluée venait aussi des rivières traversant des champs surexploités et faisant ruisseler leurs pesticides jusqu'à la mer.
La réaction du conseil avait été très claire : qui était le petit peuple de Pacifiville pour exiger de ces immenses machines qu'elles arrêtent de tourner ? Ils ne pouvaient pas faire cesser l'économie de Hoenn pour leur poisson frais… si ?
Le village s'était alors scindé en trois. Les fatalistes, qui avaient haussé les épaules et tourné le dos en déclarant que de toute façon, leur mode de vie archaïque devrait cesser un jour où l'autre. Les optimistes, qui étaient allés parler aux gens de la terre ferme, leur exposer leur problème et leur demander de l'aide, des réponses. Bien sûr, ils étaient revenus avec quelques promesses dans le vent et une dizaine de boîtes de médicaments.
Et puis il y avait les plus pessimistes, ceux qui imaginaient les pires scénarios possibles.
Ceux qui allaient tout faire pour ne pas qu'ils se réalisent.
Arthur en faisait partie. Discrètement, il s'était renseigné sur les intentions de chacun pour savoir qui dans le village pourrait se rallier à sa cause.
Il avait un plan pour faire entendre la voix de Pacifiville. Mais évidemment, Annie ne l'aurait jamais laissé faire et la plupart des adultes, qu'ils soient convaincus de leur propre opinion ou juste effrayés d'être contre la volonté des anciens du village, les auraient dénoncés.
Sarah et lui avaient réuni les plus âgés des enfants du village, et ils avaient mis au point un plan d'attaque.
L'idée d'un acte de rébellion en avait séduit plus d'un et les plus téméraires s'étaient tout de suite montrés enthousiastes à l'idée d'un petit tour sur la terre ferme dans le dos de leurs parents.
Arthur posa une main sur la porte et ses doigts se crispèrent. Il baissa la tête et tourna les yeux vers sa comparse.
« Tu es vraiment sûre de vouloir venir aussi ? Ta mère fait partie du conseil et si je ne suis pas à la hauteur, si quelque chose se passe mal… enfin, tu pourrais être celle qui aura les plus gros ennuis.
- Non, sourit-elle pour le rassurer. Moi aussi je veux vous aider.
- Personne ne te traitera de trouillarde si tu changes d'avis ! insista-t-il. Tu m'as suffisamment aidé à patrouiller vers Poivressel. Tu as quasiment tout fait toute seule, en fait.
- Tu exagères ! pouffa-t-elle en lui donnant un coup de coude. Allez, tout le monde t'attend. Ils ont déjà préparé leurs barques. Et puis bien sûr que tu seras à la hauteur ! »
Avec une petite tape encourageante dans le dos, elle le poussa vers la porte qu'il fit coulisser d'une main ferme.
À l'intérieur, le groupe d'adolescents qui l'attendait patiemment se tut sur le champ. Le silence qui tomba dans la pièce pesa lourdement sur leurs épaules d’Arthur et Sarah. La jeune fille lui adressa un sourire encourageant et alla s'asseoir à même le sol, aux côtés de ses camarades rebelles. Le plus jeune du petit groupe devait avoir à peine treize ans, le plus âgé la vingtaine passée.
Arthur sentit la tension monter d'un cran en notant que des jeunes adultes puissent lui témoigner autant d'intérêt et il afficha l'expression la plus déterminée possible.
Le jeune garçon inspira longuement et prit la parole.
« Écoutez… tout d'abord, je voudrais que vous soyez certains de ce que vous faites. Certains ici sont sûrement trop jeunes pour vraiment comprendre dans quoi ils s'embarquent. Alors je vais vous exposer ce que je sais, et vous aurez encore jusqu'à demain pour vous rétracter. Je n'oblige personne à me suivre. »
Ils hochèrent la tête d'un seul homme, certains hésitants, d'autres renforcés dans leur décision. Arthur se dirigea vers un tas de caisses dans un angle du hangar, et se pencha au-dessus d'elles pour en extraire quelque chose. Il saisit une sacoche de pêcheur par sa lanière en cuir et la jeta sur son épaule avant de rejoindre ses acolytes, toujours silencieux. Il tira sous leurs yeux un carnet du sac et l'ouvrit au sol.
« Regardez, c'est ce que Sarah et moi avons fait ces dernières semaines. »
Ils s'agglutinèrent en cercle autour de lui et l'un des plus jeunes haussa les sourcils, curieux et impressionné.
« C'est un plan, non ?
- En effet, acquiesça Arthur. Laissez-moi tout vous expliquer. »
Avec un regard vers Sarah, il inspira et reprit.
« Comme vous le savez, certains d'entre nous ont déjà mené leur petite enquête pour savoir d'où la pollution venait. Eve a récupéré quelques résultats intéressant nous indiquant les zones les plus polluées. Comme Pacifiville se trouve en ce moment près de Poivressel, Sarah et moi sommes allés dans la plus grande des zones de pollution du coin, et nous avons pu identifier la source du problème. »
A ces mots, il fouilla à nouveau dans son sac élimé et en tira une petite carte de visite plastifiée, au design minimaliste ultramoderne. Les plus éloignés durent plisser les yeux pour voir, mais les lettres écrites en gras restaient suffisamment lisibles.
« Devon S.A.R.L ? » lut l'un d'entre eux en haussant les sourcils. « Jamais entendu parler. »
« Nous non plus, jusqu'à maintenant. Mais Eve les connaît, ils fabriquent une partie du matériel qu'elle utilise dans son infirmerie. Tout ce qu'on a pu obtenir comme informations, c'est qu'ils sont un peu les maîtres de la métallurgie dans l'archipel. Ils écrasent haut la main la concurrence. »
Une jeune femme s'exclama alors.
« Oui ! Je savais bien que le nom me disait quelque-chose. Ils étaient le principal partenaire du chantier naval au moment du lancement du Lokhlass ! Mais... il faut croire que leur partenariat est tombé à l'eau à ce moment-là. »
Son jeu de mots en fit glousser quelques-uns, mais Arthur se renfrogna. Pendant quelques secondes, il revit l'imposant navire disparaître sous ses yeux, englouti par une mer déchaînée. N'ayant aucune envie de revivre de tels souvenirs, il se concentra à nouveau sur le cahier ouvert devant lui et se pencha en avant, désignant son plan du bout du doigt.
« Regardez. C'est l'une des usines de Devon, et celle qui rejette le plus de produits toxiques dans les environs. À force de tourner autour, Sarah et moi avons pu repérer une faille dans le système de sécurité, une faille que nous allons exploiter. »
Son index quitta le centre du plan pour filer le long de deux rectangles allongés qui reliaient le bâtiment à l'extérieur du terrain. Certains comprirent immédiatement, d'autres étaient suspendus aux lèvres d'Arthur en attendant ses explications.
Ce dernier était plus sérieux que jamais et fixait ses auditeurs avec intensité.
« Ce sont les tuyaux d'où proviennent les déchets toxiques. Bien sûr, personne ne peut s'attendre à ce que quelqu'un entre par-là, il semble donc que ce ne soit pas surveillé. Au moins, on est sûrs que personne ne patrouille dans le coin, et je ne crois pas avoir vu de caméra... »
Une brunette aux yeux chocolat lui lança un regard sceptique.
« Mais… tu veux entrer dans l'usine par des tuyaux bourrés de produits toxiques ? Ça a l'air trop dangereux. »
L'adolescent hocha négativement la tête et reprit ses explications.
« Non, on ne peut pas entrer par ici. Ces tuyaux sont trop petits et on ressortirait sûrement dans un bassin d'eaux usées. Je n'y tiens pas spécialement ! » plaisanta-t-il pour détendre un peu l'atmosphère. « En fait, l'idée c'est plutôt qu'on bouche les tuyaux. »
Un des plus âgés croisa les bras.
« Et c'est tout ? Tu penses que ça les retiendra ?
- J'espère juste que ça fera passer le message.
- Je te trouve assez tendre pour quelqu'un qui a lui-même été empoisonné, nota-t-il avec curiosité. Pourquoi ? Ces types se fichent clairement de nous, ils nous tueraient à coups de métaux lourds pour s'enrichir encore plus.
- Peut-être, concéda Arthur, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut devenir comme eux. »
Dans son dos, Sarah acquiesça avec un petit sourire et insista.
« En effet. Nous voulons juste boucher les tuyaux inonder les locaux de leurs eaux aux métaux lourds. Ça les fera sûrement réfléchir un peu. »
Vaincu, le jeune homme hocha la tête et désigna le plan ouvert au sol.
« Très bien. Donc tu parlais d'un endroit non surveillé. C'est là où se trouvent tes tuyaux ? Alors comment tu as prévu qu'on les bouche ? »
Arthur se pencha au-dessus de son croquis et réfléchit quelques instants.
« Voyons voir… les tuyaux ne sont pas surveillés parce qu'ils ne s'attendent pas à ce que quelqu'un vienne directement de la mer. C'est comme ça qu'on va s'y prendre pour approcher. Ensuite, il va falloir qu'on se sépare, parce que les différentes arrivées de tuyaux sont éloignées de plusieurs mètres le long de la côte. On sera à flanc d'une petite falaise, pas plus de trois mètres. On reste proche de la plage, mais hors du champ de vision des baigneurs, tant qu'on reste de ce côté » fit-il en ajoutant une marque au stylo sur son plan. « Voilà. On pourra donc se diviser en quatre groupes d'au moins trois personnes, certains de quatre. Comme ça vous en aurez toujours au moins un pour faire le guet. Et en ce qui concerne les tuyaux... »
Il prit une nouvelle page sur son carnet et commença à griffonner les noms des personnes présentes dessus. En voyant certains broncher devant son initiative, il leur désigna la liste.
« Je vais la jeter à l'eau en partant demain, promis. J'ai juste besoin de savoir qui a un pokémon ici et lequel, Sarah et moi on va s'en servir pour faire les groupes. Vous pouvez m'écrire ça à côté de vos noms ? »
Rassuré, le groupe de jeunes se passa la feuille et chacun ajouta consciencieusement l'espèce du ou des pokémon qu'il possédait, ainsi que ses capacités. À son grand plaisir, Arthur vit que deux autres personnes avaient un Carvanha dans leur équipe, et un autre encore était le dresseur d'un Sharpedo.
Il sourit et plia la liste qu'il rangea dans sa poche.
« Parfait. Il va falloir utiliser la mâchoire de vos pokémon pour boucher les tuyaux, demain. »
En comprenant ses intentions, certains s'excitèrent et le plus jeune se mit à sautiller sur place, trop heureux de pouvoir faire une bêtise dans le dos de ses parents.
« Oh ! Oh ! Les dents d'un Carvanha sont plus fortes que l'acier ?
- Pour des tuyaux aussi fins, c'est certain. Il devrait pouvoir tordre le tuyau à l'extrémité pour l'empêcher de couler.
- C'est plutôt bien pensé, souligna une adolescente de son âge. On devrait pouvoir s'en sortir sans trop de problèmes. Et puis, c'est un peu comme si les pokémon se vengeaient d'eux-mêmes de ces sales empoisonneurs, non ? »
Le garçon excité se tourna vers elle et fronça les sourcils en levant un poing en l'air.
« Ouais ! À bas les empoisonneurs ! »
L'enfant arracha un sourire à Sarah et elle frappa deux fois dans ses mains pour regagner l'attention de tout le monde.
« Parfait ! Ce soir, Arthur et moi allons faire des groupes pour qu'il y ait un pokémon capable de tordre l'acier dans chaque équipe. On se retrouve demain matin sur le ponton le plus proche d'ici, on va essayer de partir avant huit heures. Comme si on allait au marché de Poivressel, en fait. N'oubliez pas que vous n'êtes engagés à rien, personne ne vous force à venir ! insista-t-elle. Si tout est bon, je vous souhaite une bonne fin d'après-midi. Et pour ceux qui veulent, on va faire un volley dans l'eau à six heures ce soir ! »
La nouvelle en réjouit la plupart et ils quittèrent le hangar un par un, adressant des signes enthousiastes ou au contraire des regards anxieux aux deux adolescents à la tête du groupe. Arthur n'y fit même pas attention et se tourna vers Sarah lorsque tous les autres eurent quitté la pièce.
« Bon… on va la faire, cette dernière patrouille ? Carvanha nous attend au port, il va s'impatienter. »
La brune hocha la tête et l'invita à sortir, puis ils déambulèrent sur les pontons de Pacifiville en direction du point de rendez-vous. Le soleil était encore haut dans le ciel et il chauffait presque trop leurs peaux travaillées par le sel et le vent. Sarah se mit à jouer distraitement avec sa mèche de cheveux cyan.
« Tu t'es bien débrouillé. Ils te font vraiment confiance.
- J'espère que tout va bien se passer. Je ne suis pas sûr d'avoir les épaules pour endosser une telle responsabilité… et puis si vous vous faites prendre, on va avoir de gros soucis au village.
- Ça vaut pour toi aussi, alors reste prudent demain, fit-elle. Il va falloir être concentrés jusqu'au bout. »
Ils avancèrent encore un peu en silence, puis elle pouffa nerveusement.
« Je ressens la même chose qu'un gosse qui va chiper des poffins chez le voisin. J'ai une boule au ventre, mais je suis super excitée ! »
Arthur leva les yeux au ciel et pâlit légèrement. Le stress lui tiraillait l'estomac et il soupira longuement.
« Pas moi... »
Mais il était prêt à prendre le risque. En fait, ils l'étaient tous. Personne ne voulait revivre l'empoisonnement du mois dernier et le gâchis de nourriture qui avait suivi. Et si la diplomatie ne pouvait pas fonctionner avec ces « empoisonneurs » de la terre ferme, alors Arthur allait devoir les motiver un peu à négocier avec son village.