Chapitre 1 : Détective Looser
Les flashs des appareils photo l’aveuglaient. Il ne voyait et n’entendait rien, sinon un brouhaha incessant de questions criées à la volée et les détonations des pellicules qui immortalisaient ce moment de honte. Le procès avait été un véritable fiasco, tout comme cette enquête, et il en payait les conséquences. Il n’avait aucun mal à deviner quels seraient les gros titres des journaux de demain… « Pikachu, un détective raté ». Ou un truc du genre.
Pourtant, cette affaire n’avait pas été la plus compliquée de sa carrière… Mais il s’était laissé aveugler par ses certitudes et, pire que tout, par ses a priori. Quel genre de détective laissait ses sentiments et ses opinions obstruer son jugement, censé par nature être objectif ? Au fond… Ne méritait-il pas sa marche de la honte ?
Alors qu’il pénétrait dans le tribunal dans lequel son cas serait jugé, son flash-back s’interrompit brusquement, troublé par un choc donné contre sa fenêtre. Allongé sur son canapé, il renversa sa tête sur son accoudoir pour regarder ce qui avait bien pu heurter le carreau du deuxième étage. Une grosse trace de boue tachait la vitre. Il soupira en se levant, et ouvrit à la fenêtre. En bas, une bande de gosses le regardait en riant.
– Hé ! Les mômes, vous n’avez rien de mieux à… SPLASH !
La boule de boue lui atterrit en pleine face, tandis que le Capumain, le Ferosinge et le Sabelette partirent en courant et disparurent au coin de la rue en scandant « Looser, détective looser ! »
– Génial…
Il se débarbouilla rapidement avant de se servir un café bien noir, et s’affala de nouveau sur son canapé. Voilà de quoi était composée sa vie, à présent : café, canapé, dîner, ronfler. Canapé, dîner, ronfler, café. Mettez-le dans l’ordre que vous voulez, ça ne changeait rien.
Alors qu’il se brûlait la langue avec le breuvage, il attrapa le journal de la veille posé sur la table basse. Il ne l’avait pas encore lu, mais le gros titre l’intriguait.
INTERVIEW EXCLUSIVE DE PERSIAN :
SE RECONSTRUIRE APRES UNE FAUSSE ACCUSATION
Il parcourut rapidement les premières lignes avant de jeter le journal dans la corbeille. Le journaliste n’avait jamais pu blairer Pikachu, et l’interview était totalement ciblée. Certes, il avait fait une erreur de jugement, mais il n’avait pas non plus condamné à mort un innocent ! Quelques jours au trou, il était sûr qu’en creusant un peu, ce chat milliardaire ne l’avait pas totalement volé…
Il voulut lire le courrier qui s’amoncelait sur son bureau, mais les premières enveloppes qu’il ouvrit le découragèrent. Menace, insultes, moqueries, … Plus aucune affaire ne lui était proposée. En même temps… comment leur en vouloir ?
Il reposa les lettres sur le bureau, découragé, et attrapa le cadre qui décorait son ancien espace de travail, aujourd’hui un véritable foutoir. C’était son assistant, qui, d’ordinaire s’occupait de mettre de l’ordre dans le chaos qu’était sa vie… Mon ami, se corrigea-t-il. Pas assistant. Ami. Il observait avec un sourire nostalgique la photo, où Tiplouf et lui se tenaient bras-dessus, bras-dessous, devant l’appartement qui leur servait aussi de quartier général. Mais ce n’était plus qu’un appartement, aujourd’hui. Cette photo avait été prise juste après leur première affaire, qui leur annonçait un brillant avenir. Et il avait tout fichu en l’air…
Il se demanda comment allait son ami, aujourd’hui. Ça faisait combien de temps qu’il n’avait pas eu de nouvelles ? Depuis la fin de son procès, pensait-il. Depuis qu’il s’était terré entre ces quatre murs et qu’il n’avait plus mis un pied dehors, plus parlé à personne… Il renifla. Son ami lui manquait. Mais il ne voulait pas avoir d’impact négatif sur sa vie. C’était un infirmier brillant, aujourd’hui, qui avait réussi à faire ce qu’il avait toujours mis sur pause pour parcourir le monde à côté du détective le plus pourri de Kanto : devenir aide-soignant au centre Pokémon d’Unionpolis. Un des plus grands centre de soin de la région de Sinnoh, son foyer natal. Mais une simple lettre, histoire de donner des nouvelles… ça ne pouvait pas faire de mal ?
Il se leva et s’installa à son bureau, ramassant le courrier qui s’accumulait en un petit tas dans un coin. Il attrapa une feuille vierge, un stylo, et commença à écrire :
Cher Tiplouf,
Et voilà. C’est tout ce qu’il trouva à dire avant de bloquer complètement devant sa feuille blanche. Qu’est-ce qu’il pouvait bien lui dire ? Lui donner des nouvelles de sa vie ? Tiplouf les connaissaient déjà s’il avait lu les journaux, et il ne s’était rien passé d’autre depuis. Il regarda autour de lui, cherchant l’inspiration, mais rien ne lui vint.
Alors qu’il s’apprêtait à abandonner, son regard tomba sur la pile de lettres qui attendaient désespérément qu’on les ouvre, et particulièrement sur celle du dessus. A côté du timbre, il y avait un blason, un insigne qu’il ne reconnaissait pas. La calligraphie aussi, lui était étrangère, ce n’était pas une écriture qu’on avait l’habitude de voir dans ce coin du monde. Elle rappelait étrangement le côté rustique et raffiné de Sinnoh, mais le blason restait une énigme. Et l’appellation du destinataire l’intriguait aussi : Au Détective Pikachu, enquêteur privé. A moins d’une blague, plus personne aujourd’hui ne le considérait comme enquêteur, et encore moins détective.
Il regarda plus attentivement les armoiries dans le coin de la lettre. Une épée et un bouclier s’entrecroisait avec en son centre une tête de loup. Il retourna l’enveloppe pour connaître l’expéditeur.
– Commissaire Noctunoir… Galar… Galar ?
Ce nom lui disait vaguement quelque chose. N’était-ce pas le nom de cette région lointaine, située au nord ? Cela pourrait expliquer la calligraphie nordique semblable à celle de Sinnoh… Mais que lui voulait ce commissaire ? Il ouvrit l’enveloppe.
Commissaire Noctunoir, Police de Galar, Le 12 Septembre.
Objet : Monstre sanguinaire
A l’attention du Détective Pikachu.
Monsieur,
Je vous contacte aujourd’hui car je me trouve dans une situation fort embarrassante et pour le moins insoluble. Nous avons récemment découvert un corps dans une de nos contrées sauvages, mais la nature de ce crime me laisse perplexe. A l’heure où vous lisez ces lignes, notre enquête est toujours au point mort, et je crains ne devoir déplorer bientôt d’autres pertes monstrueuses. Nous avons eu vent de vos exploits par le passé, et monsieur le maire et moi-même implorons votre aide. Nous ne savons pas quelle genre de menace nous devons affronter, et ce brouillard de mystère qui nous entoure nous fait craindre le pire. Persuadé qu’une image vaut mieux que mille mots, je vous joins à cette missive une photo prise sur la scène de crime.
En espérant que notre demande sera entendue, et que vous ne resterez pas insensible face à l’horreur de ce crime infâme, je vous joins également deux billets de train pour Galar, pour vous et votre assistant. Ils sont datés pour la fin de la semaine. Je prie donc pour que vous receviez cette enveloppe à temps…
En attente de vos nouvelles,
Fidèlement votre,
Commissaire Noctunoir.
Pikachu replia la lettre et se saisit des autres feuilles. Il vit en effet les deux billets de train à destination de Galar. Il soupira à l’idée que l’un d’eux ne sera jamais utilisé, du moins pas par son ami et assistant. Puis il ouvrit le deuxième document, qui était un cliché de la scène de crime, sur lequel on pouvait voir…
– Nom d’une étincelle !
La photo lui arracha un haut-le-cœur. Il lâcha le papier et ouvrit la fenêtre, respirant un bon bol d’air frais. Crime infâme, avait-il dit… Mais comment rester insensible face à cette horreur ! Il fallait être barge ! Bon sang…
C’est alors qu’il percuta. La lettre avait été rédigée le 12 septembre, c’est-à-dire en milieu de semaine dernière. Et elle faisait l’éloge de ses exploits d’enquêteur, mais aucune mention de son échec. D’ailleurs, pour qu’un commissaire lui demande de l’aide, il fallait qu’il ne soit pas au courant de son fiasco ! Cela voulait donc dire que ce Noctunoir, et mieux, que la région de Galar n’était PAS AU COURANT que Pikachu était un looser ! Il tenait là sa porte de sortie, sa nouvelle entrée en scène !
L’adrénaline commençait à monter en lui, cette vieille amie qui l’avait accompagnée durant toutes ses enquêtes. Grâce à cette affaire, il pourrait redorer son blason, sauver l’honneur, racheter ses fautes ! Il se resservit un café et se remit à son bureau. Il rédigea une courte lettre adressée à Noctunoir l’informant de sa venue immédiate, attrapa son sac, y fourra cahier de notes, crayons, loupe, quelques baies pour la route, et enfonça sa fameuse casquette entre ses oreilles.
Oui. Il allait filer à Galar, résoudre cette enquête, et revenir à Kanto en héros. Mais avant, il avait une autre petite chose à faire…
Cher Tiplouf,
Je suis navré de ne pas t’avoir donné de nouvelles plus tôt, mais la honte s’est abattue sur moi comme un couperet, et je ne pouvais m’imaginer te parler impunément avant d’expier mes fautes. J’espère que tu te portes bien, et que ton travail au Centre Pokémon t’apporte le bonheur que tu mérites.
Je trouve aujourd’hui le courage de t’écrire, car ma vie prend un nouveau tournant. Je pars pour Galar. J’y serai sûrement déjà quand tu liras cette lettre. La police m’a contactée pour les aider sur un crime ignoble qui a été commis il y a quelques nuits. Je ne sais pas ce que cela donnera, mais j’espère pouvoir rattraper mes fautes et sauver à nouveau des vies innocentes. Je te donnerai des nouvelles dès que je le pourrais, et j’espère que malgré tout, je puis encore te compter non pas parmi mes collègues, mais bien comme étant mon ami. Mon meilleur ami.
A bientôt, je l’espère.
Bien à toi,
Pikachu.
P.S : Je ne sais pas ce que tu as emporté de notre bon vieux temps, alors je te joins ce qui m’est notre souvenir le plus précieux.
Il replia sa lettre et la glissa dans une enveloppe, dans laquelle il joignit la photo de Tiplouf et lui devant leur quartier général. Il essayait de ne pas trop y penser, mais ce nouveau départ ressemblait fortement à des adieux. Après tout, qu’est-ce qui lui restait, ici, à Kanto ? Pas grand-chose…
Ce n’était cependant pas le moment de se laisser à aller à la déprime ! Il avait un nouveau client, une nouvelle affaire, et ça faisait bien longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi vivant ! Il vérifia que ses bagages étaient bien prêts et consulta la date et l’heure d’embarquement sur le billet : le 20 septembre à 13h09. Oh ! Impeccable, il n’aurait pas à ronger son frein longtemps, on était justement le 20 septembre, et il était…
– MAZETTE ! MON TRAIN PART DANS VINGT MINUTES !!!